Instances nationales et internationales, syndicats de joueurs et associations de clubs s’écharpent sur le devenir des compétitions. Si le coronavirus bouscule l’agenda du ballon rond, il souligne d’autant plus la division au sein du système directif du football, partagé entre intérêts économiques particuliers et conflits ouverts.
Dans les travées vides de supporters, un sourd tohu-bohu résonne cependant. Car si le monde du ballon rond a dû se plier aux exigences sanitaires de la crise du coronavirus, interrompant l’ensemble des saisons en cours, l’arrière garde s’active. Depuis l’entrée en vigueur des mesures de confinement en Europe, début mars, les instances directrices se livrent en effet à une véritable bataille rangée dans la perspective de la reprise des compétitions. Des intérêts multiples alimentent ces dernières semaines une cacophonie générale. La reprise des championnats comme pomme de discorde, cette situation dantesque reflète les conflits entre ces structures sportives complexes et leur enchevêtrement forcé.
C’est d’abord une course au calendrier qui est à l’origine de cette guerre désormais ouverte entre l’ensemble des acteurs du football. Dépendantes des gouvernements respectifs de leur pays, les associations de clubs professionnels calibrent la réouverture des championnats nationaux en fonction des décisions prises sur les territoires. La fédération néerlandaise a été ainsi la première, vendredi 24 avril, à prendre la décision de l’arrêt définitif de l’Eredivisie, compétition de premier échelon national, suite à la décision du gouvernement d’interdire les événements publics jusqu’au 1er septembre. Le championnat belge devrait acter une décision similaire ce lundi 27 avril.
Enjeux financiers
Pour l’heure, l’incertitude demeure pour les plus importants championnats européens. En Allemagne, les clubs, qui ont repris l’entraînement depuis début avril, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils étaient prêts à reprendre les matchs à partir du 9 mai. Une volonté qui va de pair avec les exhortations continues de la Ligue allemande de football et des clubs depuis l’immobilisation du championnat, le 13 mars. Une irrésistible passion du ballon ? L’intérêt est d’abord financier : si le championnat parvient à sa conclusion initiale, les clubs de la Bundesliga pourront toucher les droits télévisés gelés depuis la mise en suspens de la compétition, équivalent à environ 300 millions d’euros. Et ce même si la saison se clôturerait par des rencontres à huis clos, comme l’avait indiqué Jens Spahn mardi 21 avril : « Avec des précautions, les matchs à huis clos seront certainement à nouveau possibles », avait alors acquiescé le ministre allemand de la santé.
Ce choix aurait d’ailleurs fait l’objet de la bénédiction de l’Union des associations européennes de football (UEFA) il y a peu. Responsable de l’organisation des compétitions à l’échelle continentale, l’organisme défend bec et ongles, depuis la mise en parenthèse du football européen, l’achèvement des championnats nationaux avant le 3 août. La raison ? Mettre en branle les phases finales des Ligue Europa et Ligue des Champions d’ici la fin de la période estivale aoûtienne. L’UEFA compte ainsi toucher des droits télévisuels salvateurs, alors que l’organisme craint une faillite précipitée par l’onéreuse perte des recettes d’un Euro 2020 reporté à l’année suivante.
Entre joueurs, clubs et instances : la foire d’empoigne
Alors que cette perspective européenne n’est pas encore actée, l’UEFA veut donner le change aux instances nationales, quitte à franchir le Rubicon. L’instance était d’abord partisane d’une exclusion des Coupes d’Europe, l’an prochain, des clubs évoluant dans des championnats qui auraient mis un terme jugé « prématuré » et « non justifié » à la saison. Depuis, elle a changé de braquet : en cas d’arrêt définitif des championnats, la participation aux prestigieuses compétitions européennes sera adjugée à un énigmatique « mérite sportif », dont les modalités sont laissées à l’autorité des ligues nationales.
Reste que certaines instances nationales demeurent évasives sur la question de la reprise des matchs. En France notamment, la Ligue table sur la date du 17 juin pour un retour sur les pelouses, et la fin du mois d’août pour le lancement de la saison 2020-2021. Les joueurs, représentés par le syndicat UNFP et son coprésident Sylvain Kastendeuch, avaient cependant critiqué cette éventualité dès le lundi 20 avril. Plaidant pour une saison blanche, le communiqué a suscité la stupeur des dirigeants de la Ligue et des clubs, et donné de l’eau au moulin du dirigeant de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas.
Le président de l’OL défend l’idée d’une reprise de la saison actuelle en septembre, de manière à conclure l’exercice en décembre. Une opinion qui flairerait l’aubaine pour la fédération mondiale, la Fifa, qui se refuse pour l’heure à tout changement de calendrier concernant l’organisation de la Coupe du monde 2022, prévue entre le 21 novembre et le 18 décembre 2022 au Qatar. Or, alors que la fédération internationale promeut ainsi l’arrêt ou le report des compétitions, l’alternative lyonnaise reste inacceptable pour l’UEFA, qui fait pression au forceps sur les ligues nationales en faveur d’une reprise des matchs. Pis, l’entente entre les deux organismes internationaux paraît plus qu’incertaine, cet affrontement d’intérêts n’étant qu’un acte dans une empoignade de longue durée.
Impact sur le classement, et sur la santé
Une autre source de mésentente réside sur un plan purement sportif : l’arrêt des championnats engendrerait l’immobilisation du classement à l’occasion de la dernière journée jouée, ou bien l’établissement d’une saison sans champion. De quoi contrarier certains clubs qui visaient le podium, et d’autres qui souhaitent éviter la relégation. Liverpool, qui occupait largement la tête de la Premier league anglaise en février, n’occulte en rien sa volonté de poursuivre une saison synonyme de sacre. Un titre potentiel que le club, emmené par Jürgen Klopp, n’avait pas connu depuis 1990. De même, le Toulouse Football Club (TFC) a soumis à la Ligue de football professionnel (LFP), instance qui dirige le football français, le projet de déclarer une saison blanche en cas de non-reprise du championnat. La lanterne rouge de la Ligue 1 voudrait ainsi tirer profit de cette période exceptionnelle pour le monde du football afin d’éviter une relégation historique pour le Téfécé.
La ministre des sports s’adresse à ses collègues et appelle à renforcer la coopération européenne et le dialogue avec le mouvement sportif pour sortir plus forts de la crise et démontrer la capacité du sport à incarner l’unité européenne pic.twitter.com/fw70D2Qru5
— Alexis Ridde (@alexis_ridde) April 21, 2020
Les championnats espagnol et italien, qui comptent parmi les plus importants championnats de football en Europe, demeurent en attente des décisions gouvernementales. Ce sont notamment les protocoles de santé mises en place auprès des joueurs qui justifient cet atermoiement, dans ces deux États particulièrement touchés par la crise du coronavirus. De fait, la Serie A italienne et la Liga espagnole collaborent avec leurs ministères de la Santé respectifs, malgré les remontrances des associations de joueurs qui rappellent, dans un communiqué conjoint publié le 25 avril, « que d’autres groupes de la société ont plus besoin de tests et d’accès à des équipements de santé ». Alors que le ministère espagnol des sports annoncé un retour possible à l’entraînement le 18 ou le 25 mai, les clubs du premier championnat italien ont réaffirmé, mardi 21 avril, leur volonté de reprendre le chemin des stades à partir du 4 mai.
En France, la ministre des sports Roxana Maracineanu a expliqué, dans un entretien à l’Equipe donné mercredi 22 avril, que les services de santé « travaillent aux protocoles de reprise avec les médecins du sport ». Le calendrier de la fin des compétitions européennes cette année reste en suspens. Entre défense hargneuse et contre-attaque, reste à savoir qui remportera cette rencontre à la finalité incertaine.
Hugo Roux