Paris sportifs chez les jeunes : une addiction décomplexée

Légal depuis seulement onze ans en France, le pari sportif en ligne est devenu un véritable phénomène de société chez les 18-24 ans, oscillant entre loisirs et véritable addiction. Une tendance accrue par un marketing ciblé des opérateurs sur les jeunes joueurs. 

“Le max que j’ai parié en ligne c’est 500 et 350 euros. Depuis que je me suis inscris, j’en suis à 4 000 euros de perte.” Valentin, 22 ans, est inscrit sur Betclic, Winamax et Unibet depuis sa majorité. “J’ai dû commencer à parier parce que mes potes le faisaient.” Le jeune homme reconnaît avoir une forme d’addiction. “En tout, un pari me prend en général entre 2h30 et 3h.” Un investissement de temps assez commun chez les jeunes parieurs. 

 Car comme Valentin, 34% des parieurs en 2020 ont entre 18 et 24 ans, selon l’Autorité des jeux en ligne (ANJ), chargée de la régulation des paris sportifs et des jeux d’argent et de hasard. Cette génération, née avec internet et la création des applications, a connu en 2010 la légalisation des jeux d’argent en ligne, au moment de la Coupe du Monde de football. Les paris sportifs sur internet deviennent alors un phénomène de mode.

 “Les jeunes ne sont plus supporters, et marchent davantage à la tendance, au “lifestyle” autour du football, d’où leur intérêt accru pour les paris” explique Simon Degas, consultant chez Corpcom, entreprise de communication spécialisée dans la gestion d’image d’entreprise. D’après lui, les adolescents et jeunes adultes se passionnent pour la personnalité et les performances de tel ou tel joueur, comme Kylian M’bappé ou Neymar Jr, que pour une équipe spécifique ou le suivi du football. Une tendance exploitée notamment par Unibet, l’un des sponsors du PSG, qui n’hésite pas à mettre en avant des publicités avec les joueurs vedettes. Une étude de 2019 du cabinet d’audit PwC montre que les matchs en direct n’arrivent qu’en cinquième place dans la consommation sportive chez les jeunes (68.5%), par rapport aux contenus des athlètes ou des équipes sur les réseaux sociaux qui arrivent en deuxième place (81,6%). 

 Le pari sportif devient un prolongement de cette façon de suivre le sport. “ La nouvelle pub Betclic le montre bien, avec le slogan “No bet, no game.” analyse Simon Degas. Ça distille auprès des jeunes une nouvelle forme d’intérêt pour le football : maintenant, tu suis le foot parce que tu as parié, tu ne paries plus parce que tu suis le foot.” Le spot publicitaire d’une trentaine de secondes montre un homme entre 25 et 30 ans, projeté suite à son pari d’une soirée au centre du match. “Le rapport de force est inversé, on regarde le sport avec un nouveau prisme, différent du supportérisme : le pari. Ça permet de ramener un public qui n’aime pas forcément le foot, qui n’est pas passionné,” ajoute le consultant en communication.

Cette manière d’appréhender le football, très facile d’accès, séduit la jeune génération par les décharges d’adrénaline qu’elle procure. C’est ce qui est désigné en psychologie comme le “système de récompense”. Quand une personne gagne un pari, ce mécanisme s’active. Le cerveau du joueur libère des décharges de dopamine, qui intensifient l’événement vécu. “ Pour les jeunes joueurs, parier est une manière de vivre le sport avec davantage de passion,” précise Mathilde Auclain, psychologue au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Trappes.  Pour elle, le parieur sportif recherche des sensations fortes que ne procurent pas les autres jeux de hasard, comme le Loto. Regis, 20 ans, étudiant en alternance, dit avoir parié cinquante euros sur la victoire de la France contre l’Argentine, lors de la Coupe du Monde de 2018. Un pari qui lui a permis de vivre très intensément ce match. “ Lorsqu’on était mené, après le but de Di Maria, j’avais la giga haine pendant une vingtaine de minutes. J’étais vraiment au fond du gouffre. Par contre sur le but de Pavard, la joie était clairement double.” Un sentiment que Jean-Baptiste, 22 ans, partage : “Je parie souvent 2 ou 3 euros sur un buteur quand le PSG joue en Ligue 1. Comme ils gagnent à chaque fois, ça me permet de vibrer plus fort. Le match est plus intéressant.” 

 Mais cette décharge de dopamine envoie un message clair au jeune joueur : “tu as gagné, c’est chouette, recommence.” détaille Mathilde Auclain. « Si le pari sportif devient une addiction et n’est plus un simple loisir, le jeune joueur ressent le besoin de parier de manière répétitive, et se connecte automatiquement sur les applications dédiées. Le système de dopamine est dérégulé. “C’est à ce moment que le manque est créé. Les personnes dépendantes vous diront qu’elles n’ont plus de plaisir, elles éprouvent un besoin.” Victor, 22 ans, a déjà ressenti ce manque : “Quand il n’y a pas de matchs fous, et que tu as envie de parier, tu te tournes vers d’autres trucs. Une fois, j’ai parié sur un match de deuxième division féminine ukrainienne.” 

L’addiction aux paris sportifs devient d’autant plus forte que les jeunes joueurs arrivent au sentiment d’être expert. Ils ont l’idée répétitive qu’ils vont pouvoir se refaire, qu’ils contrôlent leurs actions. Ces notions sont employés avec précaution par Aurélie Willenstein, documentaliste à l’Hôpital Marmottant, centre hospitalier pionnier dans les addictions comportementales. Les jeunes joueurs tentent alors de justifier leurs gains comme leurs pertes. Certains évènements peuvent cependant agir comme un déclic pour leur faire prendre conscience de leur dépendance. Pour Guillaume, étudiant en alternance de 22 ans, cela a été un violent accès de rage suite à un but “tout fait” d’un joueur de Bordeaux face à Strasbourg, qui lui a fait manquer de gagner 1500€. “Avant, je m’enfermais pendant des week-ends entiers pour parier. Depuis ce match, je me tiens à un budget mensuel, m’interdisant de parier si je dépasse la mise prévue la semaine précédente.” 

“Ils opèrent une distorsion mathématique de la réalité de leurs gains”

Avec l’expansion d’internet et des applications, l’argent parié par les jeunes joueurs devient abstrait. “Le pari en ligne, c’est que des chiffres, on n’a plus le sens de la réalité” témoigne Jean-Baptiste. Victor ajoute : “La semaine dernière, j’ai misé 70 euros, et j’ai tout perdu. Je n’avais aucune notion de l’argent que ça représentait, je ne me rendais pas compte d’avoir 70 euros sur mon compte, j’ai juste appuyé sur un bouton.” De ce fait, les jeunes parieurs entretiennent une relation ambigüe avec l’argent. “Ils veulent s’affranchir financièrement de l’influence familiale. Mais les joueurs ont tendance à exagérer leurs gains, et à oublier leurs pertes,” précise Mathilde Auclain. Pour Victor, le réveil est dur : “Je pensais que ça allait, mais je viens de faire le calcul, j’ai injecté 800 euros en un an. Donc j’ai perdu 417 euros.” Le risque de dépense incontrôlée devient accru, à cause des mécanismes de mémoire sélective : les joueurs ne se souviennent que de leurs paris gagnés. Les gains misés sont tirés de leur argent de poche, ou de jobs étudiants, de stage. Pour certains d’entre eux, parier au tabac permet de contrebalancer l’aspect virtuel des paris en ligne. “L’avantage de l’application, c’est que tu as tout en direct. Mais au tabac tu as ton argent en vrai, tu as ton billet.” explique Régis.

Si certains parieurs ont commencé en étant mineurs à jouer en bar-tabac avant d’avoir 18 ans, c’est aussi à cause d’une contrainte importante des sites de paris en ligne : la vérification d’identité. Il s’agit pour l’instant d’une des méthodes de contrôle les plus efficaces en France. Les paris sportifs sont en effet interdits aux mineurs. Et les sites vérifient de façon efficace. Chacun peut s’y inscrire comme il le souhaite, quel que soit son âge. Cependant, si un joueur veut récupérer ses gains, il doit faire parvenir au bookmaker une pièce d’identité valide prouvant sa majorité ainsi qu’une adresse postale sous 30 jours. Le parieur reçoit ensuite un code d’activation par voie postale. Autant de démarches qui peuvent empêcher les jeunes de se lancer massivement dans le pari en ligne sans être majeurs à moins de recourir à des méthodes d’usurpation d’identité.

Les chiffres du pari sportif chez les jeunes en France

Malgré ces restrictions légales, les paris en ligne explosent chez la jeune génération. Mais c’est une habitude récente : la première application dédiée est crée en 2017. Depuis sa majorité, Victor est inscrit sur six d’entre elles. Selon Mathilde Auclain, cet accès virtuel permanent à son compte et à la possibilité de parier en permanence “permet une stimulation exacerbée du système de récompense”. En d’autres termes, il est possible de parier et de suivre un match à tout moment depuis son smartphone, avec la perspective d’un gain facile. Il suffit de cliquer sur le bouton “parier” de son application. Une stratégie redoutable pour Valentin, qui s’est surpris à beaucoup parier pendant le confinement. “ Comme je n’avais rien à faire après mes partiels, j’étais beaucoup sur mon téléphone. Je me suis rendu compte que je faisais de la merde, que je pariais de 20 à 100 euros deux à trois fois par semaine.” Pour Victor, l’application lui permet de parier à tous moments : “Tu es en soirée, tu parles avec un pote, tu lui dis: “attends je reviens 5 min”, et tu vas parier.”

Les opérateurs savent attirer les jeunes joueurs en employant leur langage. Dans le dernier spot de publicité de Betclic intitulé No Bet, No Game, diffusé sur internet et à la télévision, de nombreux jeunes sont mis en scène en train de parier dans des situations du quotidien (salle de sport, chez le dentiste ou justement en soirée avec des amis). Pour Simon Degas, ce côté immédiat est l’argument principal de la publicité de Betclic : grâce à l’application, on peut parier à tout moment, aussi facilement qu’écrire un sms. 

Cette impulsivité est également une caractéristique de l’adolescence, exacerbée par l’utilisation compulsive d’internet et des smartphones. Selon Mathilde Auclin, “à cet âge-là, le système rationnel de l’adolescent n’est pas encore mature, il est donc plus facilement sujet à céder à ses impulsions”. Les adolescents sont plus “vulnérables” notamment à cause d’un “besoin de reconnaissance”. L’attrait pour les paris sportifs chez les jeunes adultes de 18-24 ans se forme aussi autour de l’effet de groupe. Une idée bien présente dans le spot publicitaire de Winamax Le roi du pari.Simon Degas y voit une représentation allégorique de l’application dans l’acteur qui joue la personne venant chercher le parieur gagnant. Elle le porte en triomphe, le spot publicitaire reprenant des scènes inspirées du Roi Lion. Tous les autres joueurs s’inclinent respectueusement face à ce “nouveau roi” des parieurs. Le tout suivi par le slogan “Grosse cote, Gros gain, Gros respect”, où le respect se mesurerait entre jeunes à la hauteur de la côte, et donc du risque pris par le joueur avec son argent.  “Ils cherchent à tout prix à se distinguer de leurs pairs. Il y a également une forme d’égo en jeu, celui qui sera à même d’avoir réussi le plus le beau coup bénéficiera du respect de ses pairs.” analyse Mathilde Auclain.

“Sur Twitter, les sites de paris sportifs se donnent un côté proche”

La publicité, ciblant particulièrement la tranche des 18-24 ans, tient un grand rôle : ”En entretien, on les incite à exercer leur regard critique.”

Si la publicité à la télévision ou à travers des panneaux publicitaires en ville reste l’opération de séduction la plus visible des bookmakers, il en existe un autre qui parle particulièrement à la génération des 18-24 ans : les réseaux sociaux. Les opérateurs de paris sont présents sur la quasi-totalité des réseaux sociaux, c’est bien le réseau social. Et Twitter qui reste le média privilégié des plus grosses entreprises (Winamax, Unibet et Betclic). Le plus suivi est de loin Winamax et ses 605.000 abonnées, loin devant ses concurrents (environ 325 et 125). Avec plus d’une vingtaine de tweets par jour, l’un des community managers les plus en vus de la twittosphère française s’efforce de réagir à l’actualité sportive – mais pas que. En plus du langage, ce sont tous les codes des jeunes joueurs qui sont repris par les sites de paris sportifs: musiques, images, tendances, etc. C’est aussi grâce à tout un univers issu des memes et des « hashtags » propre à la jeunesse comme #BetclicKhalass (comprenez Betclic vous paye) que ses plateformes se bâtissent un important capital sympathie en combinant un humour ciblé et des paris gratuits offerts aux followers leur assurant potentiellement l’arrivée d’un nouveau public qui ne s’intéresse pas forcément au sport.

https://twitter.com/Betclic/status/1392811870097223680

Le sport et sa diffusion sur internet ne sont pas non plus des facteurs anodins dans l’expansion des paris sportifs en ligne au sein de cette tranche d’âge. Le sport a l’avantage d’être un “élément très fédérateur” comme le souligne Aurélie Wellenstein, documentaliste à l’hôpital Marmottan. Victor témoigne: “Tu en parles avec tes potes. On a regardé ensemble le dernier match Paris-Manchester. J’ai parié 50 euros, et j’ai tout perdu. Du coup t’es deux fois plus déçu : ton équipe perd et t’as perdu” Ce phénomène s’accroît souvent avec le bon parcours des clubs français dans les coupes intercontinentales, mais aussi de l’équipe nationale lors des grandes compétitions. Un potentiel afflux de parieurs dont les opérateurs ont bien conscience. Winamax a par exemple doublé son offre de bienvenue pour la Coupe du Monde 2018, avec un premier pari remboursé jusqu’à 200 € (contre 100€ en temps normal). Mathilde Auclin a pu constater les effets de cette promotion : “on a clairement eu plus de demandes d’admissions après la Coupe du Monde 2018, soit de gens qui ont sombré, soit de jeunes qui ont commencé.”. Guillaume, 23 ans, originaire de Toulouse s’est aussi laissé séduire par cette offre. Celle-ci a constitué un élément déclencheur. Il parie aujourd’hui tous les week-ends, lui qui jouait avant de temps à autres au tabac.

L’offre de bienvenue de Winamax lors de la Coupe du Monde 2018

L’été 2021 et son Euro de Football, Roland Garros ou encore ses Jeux Olympiques, amèneront peut-être de nouveaux jeunes joueurs à s’inscrire massivement sur les plateformes en ligne.

Louis de Kergorlay et Charlotte de Frémont

 

Le pari chez les mineurs

“Dès que j’ai 18 ans, je passe sur internet pour parier.” Evan, élève de terminale, parie au bar-tabac deux fois par jour, injectant en moyenne cinq euros par pari. Pendant le confinement, il a commencé à jouer avec un ticket à gratter offert par sa mère, grâce auquel il gagne vingt euros. Et il témoigne du fait qu’il est plus facile pour un mineur de parier au tabac du coin, que sur internet.

Même s’ils parient aujourd’hui majoritairement en ligne, la dizaine de jeunes de 17 à 23 ans que nous avons interrogé ont tous avoué avoir commencé au lycée en bar-tabac, encouragés par leur entourage. “ Moi j’étais en internat, et nous allions tous parier au même tabac le week-end,” témoigne Régis. Nous avons pu faire le même constat à Versailles: près de deux bars tabac que nous avons visité sur trois, ont accepté sans difficulté de prendre le pari d’un mineur sans lui demander de justificatif d’identité.

Pourtant, selon la loi du 12 mai 2010 légalisant les paris sportifs en ligne, la vente de jeux d’argent à un mineur, même émancipé, est punie d’une amende. Cette frontière est souvent franchie : “ On était mineur mais le buraliste s’en foutait […] même notre maître d’internat qui était ami avec le buraliste était au courant de la combine. Mais il laissait faire.”

Charlotte de Frémont

 

 

Le jeu : une addiction reconnue

Se faire soigner en France pour une addiction aux jeux d’argents n’est possible que depuis peu. Les premiers traitements adaptés ont vu le jour en 1997 à l’hôpital Marmottan de Paris. “Le plus compliqué a été de faire comprendre que cette addiction était aussi dangereuse que l’addiction aux substances” explique Aurélie Wellenstein, documentaliste de l’hôpital Marmottan.

La difficulté actuelle est de conduire des campagnes de prévention alors que la communication des opérateurs est très efficace. Pour cela, Mathilde Auclin, psychologue au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie de Trappes, participe à des ateliers de préventions dans les lycées où elle place les élèves en situation : “Les jeunes se rendent souvent compte souvent compte qu’ils sont ciblés une fois mis face aux publicités. Ils doivent juste en prendre conscience »

Les messages de prévention sur les sites et panneaux publicitaires restent très peu visible. Ils ne figurent qu’en petits caractères en bas de page ou dans de minces bandeaux. On y trouve les numéros d’appels pour parieurs en difficulté. Le moyen de prévention le plus efficace en France reste encore de contacter les plateformes pour se faire interdire de pari ; un recours très peu connu et mis en avant par les opérateurs, , et de contacter une ligne d’écoute (Joueurs Info Service : 09 74 75 13 13 ou Drogues Info Service : 0 800 23 13 13) ou un centre spécialisé pour faire un bilan voire entamer une démarche de soin (les CSAPA ).

Louis de Kergorlay

Campagne LGBT+ : les affiches de sensibilisation font polémique

Le 17 mai dernier, le gouvernement et Santé publique France ont lancé une campagne de lutte contre les discriminations et les violences subies par les personnes LGBT+. Des affiches ont été déployées en France, sans convaincre la plupart des membres de la communauté LGBT+. Ni certaines communes.

Cette affiche est visible depuis quelques jours dans toute la France. ©Santé publique France

Depuis désormais quinze jours, les arrêts de tram ou de métro sont illustrés par des slogans comme « oui, mon pote est gay », « oui ma fille est lesbienne » ou encore « oui ma petite-fille est trans ». Dans le cadre de son plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT, le gouvernement et Santé publique France ont lancé une campagne de communication. Il s’agit, à partir d’affiches mettant en scène une personne hétéro et une autre affiliée aux LGBT+, afin de « montrer la diversité des sexualités et des identités de genre et de valoriser leur acceptation pour susciter davantage l’adhésion de tous les publics ».

Jérémy, lycéen à Mouvaux, près de Lille, est gay. Il se dit satisfait de cette démarche. Selon lui, « c’est un petit pas vers la tolérance et l’acceptation de soi ». D’après le jeune homme de 18 ans, « il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de porter le message du moment que l’on impose rien à personne et que l’on essaie de faire comprendre aux autres comment être plus tolérants ». 

« La personne discriminée n’est pas en charge du discours »

Pour autant, beaucoup de personnes se revendiquant comme LGBT+ ne l’entendent pas de la même oreille. D’après Lou, bi-sexuel et étudiant, « cette campagne est un échec ». Selon l’homme de 22 ans, « la personne discriminée n’est pas en charge du discours, elle est un objet, et elle est représentée comme anormale dans le discours puisque membre de la communauté LGBT+ ».

Même son de cloche chez le politiste Lionel Cordier. « C’est une campagne dirigée vers les hétérosexuels, explique-t-il. Elle joue sur la notion de tolérance, il n’y a aucune réflexion sur le fonctionnement de l’homophobie. Elle agit juste sur l’idée que les hétéros doivent nous accepter, ça reste un propos au ras des pâquerettes politiquement. »

« Même dans des représentations qui se veulent positives, les gays ne sont pas représentés comme des sujets autonomes »

Ainsi, selon Lou, « pour faire changer les mentalités, il faut exprimer clairement dans l’espace public ce que vivent les personnes LGBT+ », et ne pas se contenter du slogan de cette campagne : « À nous de faire la différence. »

Lionel Cordier ajoute qu’il est nécessaire de modifier les illustrations des LGBT+. « Même dans des représentations qui se veulent positives, les gays ne sont pas représentés comme des sujets autonomes, regrette-t-il, par contre pour les affiches de lutte contre l’homophobie, quand ce sont des personnes en souffrance là on les représente. Mais on voit très peu l’agresseur. ».

Une campagne rejetée par certaines communes mais pour d’autres raisons 

Autre élément, la campagne suscite des désapprobations dans certaines communes de France, et notamment à Versailles (Yvelines). Trois conseillers municipaux, Céline Jullié (En avant Versailles), François Billot de Lochner (Liberté politique) et Constance Prazel (Liberté politique) ont signé une lettre pour demander au maire de Versailles, de retirer ces affiches.

Selon Actu.fr, le trio municipal estime que « cette campagne, sous couvert d’appel à la tolérance, expose aux yeux de tous, et en particulier des enfants, des situations sexuelles et familiales qui n’ont pas à être promues ni encouragées ».

Une réaction qui n’étonne pas Lionel Cordier « À Versailles, c’est toujours la même chose. Il faut vraiment empêcher ces municipalités réactionnaires de faire obstacle aux campagnes de sensibilisation ».

Baptiste Farge

Convention citoyenne sur le climat : la publicité en ligne de mire

La Convention citoyenne sur le climat s’est ouverte vendredi dernier. Jusqu’à janvier 2020, les participants vont devoir faire des propositions de lois au gouvernement pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Parmi elles pourrait se trouver la réglementation de la publicité, accusée par les experts de participer au réchauffement climatique.
Vendredi 4 octobre, le premier ministre Edouard Philippe a livré un discours lors du premier jour de la Convention Citoyenne sur le climat. Une initiative souhaitée par Emmanuel Macron en marge du « grand débat ». (Photo by Ian LANGSDON / POOL / AFP)

 

Ils ont quatre mois pour légiférer sur le climat. Les 150 citoyens tirés au sort pour participer à la Convention Citoyenne sur le climat ont pour mission de proposer des textes de lois au gouvernement, qui feront ensuite l’objet d’un référendum, d’un vote au Parlement, ou d’un décret. Pour parvenir à cet objectif, les participants ont la possibilité d’auditionner de nombreux spécialistes sur leurs domaines d’expertise. L’une des premières à avoir été convié : la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, également co-présidente du groupe n°1 du GIEC depuis 2015. Au terme d’une conférence d’initiation aux effets concrets de l’activité humaine sur le climat, on lui a demandé LA mesure qu’elle prendrait en premier. « Je pense que la question de la publicité est à considérer,  a-t-elle répondu. Parce qu’on dit aux gens que d’un côté, il faut baisser les émissions de gaz à effet de serre, et de l’autre, on est submergés de publicité qui poussent à faire l’inverse. »

 

 

« Pour moi, il y a un encouragement permanent à une consommation massive par la publicité, et c’est quelque chose que les Français ont compris, développe Valérie Masson-Delmotte, qui se félicite de la réception positive des participants de la Convention à sa proposition. Mais surtout, il n’y a aucun encadrement de cette publicité. Quand on voit le nombre de pub pour de nouveaux SUV [NDLR : sport utility vehicle] ou des voyages avec avion qui vont à l’encontre d’une certaine conscience écologique, c’est inquiétant  », ajoute-t-elle. Pour cause, l’automobile est l’un des plus gros publicitaires en France. A commencer par Renault, qui, selon des chiffres de Kantar Media, a dépensé près de 95,8 millions d’euros en publicité rien qu’au 1er trimestre de l’année 2018.

 

Une « double pollution »

 

En 2001, dans un article pour la revue Ecologie et Politique, le géographe environnemental Estienne Rodary expliquait déjà qu’un changement en faveur du climat devrait concerner « non seulement la production, mais aussi la consommation ».« C’est le type de consommation actuel, fondé sur des faux besoins […] qui doit être mis en question ». Un avis que partage Thomas Bourgenot, porte-parole de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire, pour qui publicité et impact négatif sur le climat vont de paire. « C’est une double pollution : d’abord intrinsèque, liée au numérique, aux prospectus, mais également extrinsèque, liée à une certaine surconsommation », explique-t-il.

Chez les experts et les militants écologiques, le message est donc le même : la publicité est une cause indirecte du réchauffement climatique. Et chez les politiques, des voix engagées commencent elles-aussi à se faire entendre. Dans son bulletin hebdomadaire diffusé sur les réseaux sociaux ce matin, François Ruffin, député de la Somme (80) assurait que l’« on ne peut pas aller vers une réduction de 40% des gaz à effet de serre d’ici 2030 sans rompre avec le productivisme-consumérisme, qui nous dit que le bonheur c’est le produit, c’est l’achat »

« Le lobby publicitaire est très puissant »

 

Selon des chiffres communiqués par le BUMP (Baromètre unifié du marché publicitaire), les investissements publicitaires devraient atteindre 12,3 milliards d’euros cette année. Un chiffre en hausse de 3,9% par rapport à 2018, qui témoigne de la puissance du marché. « Le lobby publicitaire est très puissant », affirme Thomas Bourgenot.« Nous avons déjà pu le constater lors du Grenelle pour l’environnement de 2012 auquel nous avons participé avec l’association », raconte-t-il. Résistance à l’Agression Publicitaire y avait effectué plusieurs propositions, qui portaient majoritairement sur les formats publicitaires. Ils réclamaient qu’ils soient revus à la baisse, ce qui « entrainerait une démarche active des citoyens pour aller vers la publicité, et non l’inverse », explique le porte-parole de l’association. Mais aucune de leurs propositions n’a été retenue. « Alors que celles de l’Union des annonceurs, oui », ajoute-t-il.

Pour Valérie Masson-Delmotte, la solution réside surtout dans la prévention et l’information auprès des consommateurs. « On arrivera jamais à une totale suppression de la publicité, assure-t-elle, mais je pense qu’il devrait y avoir un étiquetage sur chacune d’entre elles, pour informer sur l’impact environnemental de chaque produit ou service qu’elle promeut. Et il y a un réel manque de courage des élus sur ce sujet », martèle-t-elle.  

Le dernier espoir des anti-pub semble donc résider dans la Convention citoyenne sur le climat. Mais pourra-t-elle agir concrètement sur une réglementation de la publicité ? «J’ai peur qu’ils se heurtent à la même problématique que nous lors du Grenelle de l’environnement, regrette Thomas Bourgenot. Mais voir des citoyens s’emparer de ce sujet, c’est déjà un énorme pas en avant ».

 

Alice Ancelin

La mannequin de la publicité Dove ne considère pas être une victime

Une publicité de Dove a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Certains l’accusent de racisme. Une femme noire retirant son tee-shirt laisse apparaître une femme de peau plus claire. La mannequin qui apparaît dans la publicité, Lola Ogunyemi, ne trouve pas que la publicité est raciste.

Lola Ogunyemi, mannequin, s’est confiée au Guardian à propos de l’indignation des réseaux sociaux concernant la publicité Dove dans laquelle elle joue. Elle y enlève son t-shirt et laisse apparaître une femme de peau plus claire. Le gel douche nettoierait les peaux noires pour les rendre plus claires.  L’interprétation est confuse et, sur les réseaux sociaux, la marque est accusée de racisme. « J’ai grandi en ayant conscience de l’opinion de la société qui pense que les personnes à la peau foncée, en particulier les femmes, auraient une meilleure apparence si leur peau était plus claire. » Lola Ogunyemi dit avoir bien conscience qu’être une femme noire n’est pas facile tous les jours. Mais elle ne pensait pas que le rôle qu’elle joue dans la publicité Dove serait associé au racisme. « Si j’avais eu le moindre doute que cette publicité me ferait passer pour inférieure, j’aurais été la première à dire « non ». J’aurais (mal)heureusement marché tout droit vers la sortie et claqué la porte. C’est quelque chose qui va à l’encontre de tout ce que je représente. » 

Lola Ogunyemi dit avoir découvert que la publicité Dove, initialement de treize secondes, n’en faisait plus que trois sur les réseaux sociaux. La mannequin apparaît une seconde fois dans le clip publicitaire pour la télévision. Cela n’induirait donc pas que le gel douche « nettoie » sa peau. Selon la mannequin, la publicité valoriserait toutes les couleurs de peau et non le nettoyage de la peau foncée.

Mauvaise utilisation du spot publicitaire

Lola Ogunyemi n’excuse pas la marque, mais trouve qu’il y a une mauvaise utilisation du spot publicitaire. « Il y a certainement quelque chose à dire ici sur la façon dont les annonceurs doivent regarder ce qui se trouve derrière les images et tenir compte de l’impact qu’elles peuvent avoir, en particulier quand il s’agit de groupes de femmes marginalisées. » Elle aurait aussi voulu que la marque assume le choix artistique de ce spot publicitaire : « Bien que je sois d’accord avec la réponse de Dove pour s’excuser sans équivoque de toute infraction, ils auraient pu également défendre leur vision créative et leur choix de m’inclure, une femme noire sans équivoque, à la peau noire. » 

Alice Pattyn