Les avocats entre adaptation et incertitude sur l’après-confinement

L’épidémie de coronavirus et le confinement en France ont entraîné la fermeture quasi totale des tribunaux, engendrant une modification importante des méthodes de travail pour le personnel judiciaire. Face à un système qui tourne au ralenti, les avocats adaptent leur organisation et attendent des informations quant à la reprise des audiences.

Les avocats voient leurs méthodes de travail modifiées par la crise sanitaire. (Pixabay)

Depuis le début du confinement mis en place pour lutter contre le coronavirus, ils ne fréquentent plus aussi assidûment qu’avant les tribunaux. Distanciation sociale oblige en période de crise sanitaire, le travail des avocats a été largement touché. Plus de contacts directs avec leurs clients, plus de plaidoiries en public.

Si, lors des rares audiences qui se tiennent encore, les gestes barrières sont respectés autant que possible, les institutions judiciaires ne sont pas en mesure de fournir des équipements de protection adéquats à tout leur personnel. Les magistrats qui siègent portent un masque, les distances et l’absence de contact sont évidemment respectées, mais pour le reste on ne nous fournit rien de particulier, et donc on évite au maximum les audiences…”, explique Me Jean-Yves Moyart, avocat pénaliste au Barreau de Lille. 

Sans moyen de protection, les juridictions privilégies la visioconférence, quand cela est possible. Mais là encore, entre problèmes de connexion et qualité de son variable, le système laisse entrevoir certaines limites.

Si certains avocats s’accordent sur la nécessité d’un tel système en période de confinement, d’autres y voient un obstacle au bon fonctionnement de la justice, comme le rapporte Me Moyart : “Ils tentent aussi d’imposer de plus en plus la visio et autres moyens modernes d’échanger, ce à quoi les pénalistes sont très hostiles, pour des questions d’humanité et de justice correctement rendue notamment”.

Une justice au ralenti

Depuis le début du confinement, Christian Saint-Palais, avocat depuis près de 25 ans, fait face, comme la grande majorité de ses confrères, au ralentissement de son activité. Avec la plupart des procès suspendus ou reportés, les contacts avec son cabinet se résument à l’envoi et la réception de courriers recommandés pour maintenir un lien avec les tribunaux. 

L’essentiel de son travail, Me Saint-Palais le fait de chez lui. Même si les appels de nouveaux clients se font rares, l’avocat doit encore gérer la situation des détenus face aux inquiétudes d’une propagation du virus dans les prisons : “Les trois premières semaines, il fallait plaider pour obtenir la libération de ceux que nous défendons. Nos clients voulaient notamment savoir comment la nouvelle ordonnance s’appliquait à leur cas”, rapporte l’avocat au sujet d’une décision rendue le 25 mars. L’ordonnance valide notamment le prolongement automatique de la détention provisoire pendant l’état d’urgence sanitaire, une mesure qu’il juge “liberticide” : “Ce bouleversement des règles de détention provisoire est inacceptable. Il y a une grande préoccupation à propos de la situation sanitaire des détenus.

Comme lui, de nombreux avocats s’inquiètent du manque de protection des détenus face à la vitesse de propagation du virus dans les lieux fermés.

« Trop de personnes sont encore détenues alors que les prisons atteignent 150% de leur capacité d’accueil. Cela ne doit pas être accepté« , ajoute Me Saint-Palais.

Dans le flou de l’après-confinent

Préparer la reprise, c’est donc la tâche à laquelle s’attellent les avocats en période de confinement. Mais, sans compter les défis que posent la rémunération du personnel des cabinets et le paiement des charges sans perception de revenus immédiats, c’est une question de nature organisationnelle qui les touche. La reprise des audiences comporte encore beaucoup d’inconnues au niveau du planning et du retard pris avec les nombreux reports et suspensions.

À défaut d’avoir des informations claires sur l’après-confinement, Me Moyart avance : « On peut imaginer une reprise avec convocations restreintes et échelonnées, pas ou peu d’ouverture au public, et un parcours dans le Palais, le tout avec un strict respect des mesures barrières je suppose, mais nous n’avons aucune visibilité…« .

Son planning sous les yeux, Me Saint-Palais constate la charge de travail qui l’attend dès la fin du confinement : 

“Quand je regarde l’agenda, à partir du 12 mai, on a une audience par jour jusqu’au 15 octobre”

Alors qu’il met à profit son temps pour travailler sur le dossier du procès Mediator qui devrait se tenir en juin, l’avocat se demande dans quelles conditions de nouvelles affaires pourront être intégrées dans un planning déjà très chargé : “Les disponibilités sont assez rares, certaines affaires ne pourront sûrement pas être plaidées avant un an. Il va falloir les faire rentrer dans l’agenda de force…”.

Elisa Fernandez

Procès Balkany : pas de renvoi

La demande de renvoi du procès du couple Balkany a été rejetée par le tribunal correctionnel de Paris ce lundi. Le maire de Levallois est apparu seul en raison de l’hospitalisation de son épouse.
Une nuée de journaliste était au rendez-vous du procès. / Crédit : Yann Haefele.

 

Il se tient debout, les mains dans le dos, le regard vide, seul. A côté de lui, un banc vide. Son épouse, Isabelle Balkany n’est pas venue.  Hospitalisée depuis sa tentative de suicide au début du mois, seul son ombre plane au dessus des débats. En attendant ses juges, lui piétine entre les avocats. Ils sont une dizaine à entourer le maire de Levallois-Perret. Une armée de stars du barreau s’assied au premier rang, derrière l’homme de 70 ans. Eric Dupond-Moretti et Antoine Vey pour Monsieur. Pierre-Olivier Sur pour Madame.

Les premières prises de parole demandent le renvoi du procès. Maître Sur insiste sur l’absence de sa cliente. « Jusqu’à ce matin, il y avait un doute sur sa présence, assure-t-il. Elle veut venir faire face à ses juge« . Puis il lit une partie du certificat médical dressé par la « clinique psychiatrique » où elle est soignée : « elle est incapable de marcher seule et souffre d’une paralysie partielle, du côté droit« . En somme, ni son état physique, ni son état psychique ne permettaient sa comparution cet après midi. Il conclut cette première demande de renvoi ainsi : « Il vous est difficile de juger ce procès dans ce climat là. Si vous l’acceptiez, alors peut-être, peut-être, les seaux de vomi qu’on lui envoie s’amenuiseraient.

« La presse s’est emparée de cette affaire pour l’enterrer elle ; les réseaux sociaux pour la tuer, poursuit son avocat. Elle a reçu des milliers de mails et SMS à l’issue de sa tentative de suicide. » Et d’en citer quelques uns : « je croise les doigts, la prochaine tentative sera la bonne » entre autres messages haineux. « Personne ne peut supporter psychologiquement un tel déferlement, conclut-il. C’est pourquoi elle a craqué« .

Dupond-Moretti tente, sans succès, de faire renvoyer le procès

Éric Dupond-Moretti a lui soulevé une question d’impartialité du président, Benjamin Blanchet, pour motiver le renvoi. Éric Alt, magistrat et ancien vice président du TGI de Paris est aussi un dirigeant de l’association Anticor, elle-même partie civile pour un des volets du procès.

Après une délibération d’un peu plus d’une heure, le tribunal a rejeté les demandes de renvoi, aucun des moyens avancés par la défense ne venant justifier un tel acte.

Sans attendre, Maître Dupond-Moretti se lève. “Je n’ai pas fini”, rétorque le président sans relever les yeux. Il conclut et lui donne la parole. L’avocat forme une demande en déportation du président de l’audience. Benjamin Blanchet se voit reprocher un jugement antérieur qualifié « d’arrêt de règlement » par la défense de Patrick Balkany, qui mettrait en doute son objectivité. Puis l’avocat prévient : « Si vous ne vous déportez pas, je saisirai le premier président d’une demande de récusation« .

L’audience est levée à l’issue de cet échange. Elle reprendra mardi.

Yann Haefele

Revivez le premier jour d’audience avec le live-tweet de notre journaliste Blandine Pied :

 

Procès : le maire de Wissous présente son sabre comme une arme défensive

L’élu de 69 ans a plaidé, mercredi 10 octobre devant le tribunal correctionnel d’Evry (Essonne), la légitime défense. Il avait menacé avec un katana, le 8 avril dernier, une dizaine de caravanes qui s’installaient dans sa commune. Le procureur de la République a requis 4 mois de prison avec sursis et 1 500€ d’amende contre le maire. La décision sera rendue le 21 novembre.

 

« Je suis maire, je suis le dernier garant de la sécurité », n’a cessé de clamer l’élu de Wissous (Essonne), Richard Trinquier, mercredi 10 octobre, alors qu’il comparaissait devant le tribunal correctionnel d’Evry. Dimanche 8 avril, il a menacé avec un sabre et potentiellement avec une arme à feu, des gens du voyage installés illégalement dans sa commune. Le procureur de la République a requis 4 mois de prison avec sursis et 1 500€ d’amende. La mise en délibéré a été reportée au 21 novembre. Vêtu d’un costume-cravate gris, l’édile de 69 ans, étiqueté Debout la France, a été jusqu’à dire, mercredi, « je suis comme un soldat qui doit défendre sa nation, au risque d’y perdre la vie ».

 

Des menaces de mort le mois précédent

Ainsi, ce dimanche 8 avril, lorsqu’une dizaine de caravanes s’installent sur un terrain situé devant une crèche de la commune de 8 000 habitants, le maire n’hésite pas à s’y rendre, mais armé. Car, un mois plus tôt, lors d’une précédente expulsion, il a été menacé de mort.

Richard Trinquier a pour habitude de se rendre sur place dans ces cas-là. Ce jour-là, lorsqu’un de ses adjoints se rend à son domicile pour le prévenir, le maire assure qu’il était en train de se préparer à aller au stand de tir, comme souvent le dimanche après-midi. Une arme à feu se trouvait déjà sous son siège de voiture. Il s’apprêtait à prendre, toujours selon lui, le reste de son équipement de tir, comme les chargeurs et le casque, ainsi que le coffret de l’arme, obligatoire pour le transport.

Il a également pris un gilet par balles, dont le logo est une étoile, et son blason tricolore sur lequel est inscrit « maire ». L’association de ces symboles crée une confusion chez les gens du voyage, qui voient là un shérif arriver avec son sabre. Un sabre qu’il ajoute au dernier moment à son arsenal, une arme défensive selon lui.

 

« Il a mis la main sur son katana puis il a couru sur nous »

 

Au tribunal, face à lui, un des hommes auxquels il s’est opposé le 8 avril. Le procureur a également requis 4 mois de prison avec sursis contre cet homme, ainsi que 500€ d’amende. Vêtu d’une chemise et d’un jean, l’homme se souvient de l’arrivée surprenante de l’élu. « On avait besoin d’aller à l’hôpital à Paris le lundi (ndlr : lendemain des faits). On ne savait pas où se mettre. Quelqu’un s’est présenté comme le garde du corps du maire. C’était la première fois que j’entendais ça. Lorsque le maire est arrivé, j’ai voulu lui serrer la main puis j’ai demandé qui il était et il n’a pas répondu, il a mis la main sur son katana puis il a couru sur nous avec l’épée. » L’homme, imposant, se souvient avoir eu peur pour ses proches. « Tous les gosses s’amusaient dans l’herbe, il y avait des femmes de partout. Elles se sont mises à crier et les enfants à pleurer. »

 

« Si j’avais eu une arme à feu, je l’aurais sortie »

Ensuite, les choses s’emballent. Le maire se souvient être tombé sur plusieurs hommes armés de fusils de chasse. Tous les témoins s’accordent à dire que le katana n’a été dégainé que partiellement. Par contre, certains affirment avoir vu une arme dans son dos. « Si j’avais eu une arme à feu sur moi, je l’aurais sortie pour me défendre », oppose l’élu, lunettes rondes sur le nez.

Richard Trinquier explique avoir, certes, mis ses mains dans son dos, mais pour faire croire qu’il avait une arme. « C’était du bluff car, à ce moment, si je m’enfuis, je prends le tir », dit-il, avant de parler des vidéos amateurs prises ce jour-là, où l’on entend, semble-t-il, une femme du camp hurler « ne le tue pas ! ». Pourtant, le fusil de l’homme qui comparaissait ce mercredi face à l’élu est toujours resté ouvert.

 

Le maire avait bu trois verres d’alcool

Après l’altercation, les gens du voyage décident de partir. C’est eux qui contactent la police nationale. A 18h10, deux policiers du commissariat de Massy arrivent et placent le maire de Wissous en garde à vue. Un test d’alcoolémie révèle alors un taux de 0,29mg par litre d’air expiré, contre les 0,25mg autorisés. Richard Trinquier avait bu « un verre de Cuba Libre et deux de vin ».

Au procès, les deux agents se rappellent du comportement agressif de l’élu. « Il était hautain, il nous a dit qu’on devait l’écouter, en sa qualité d’officier de police judiciaire. Il a dit ‘toi et ton pote vous dégagez de ma commune !’« .

 

Des propos racistes

 

Maire de Wissous depuis 1995, avec une interruption de 2008 à 2014, Richard Trinquier n’en est pas à ses premiers déboires. Il est notamment connu pour avoir déclaré qu’il ne buvait plus d’eau Evian depuis les accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie et ouvert la voie à l’indépendance du pays.

Une anecdote reprise par l’avocat de l’association SOS soutien ô sans-papiers, présent pour souligner le caractère supposé raciste du maire. Une présence maintes fois contestée durant ce procès mais qui a permis de souligner, entre autres, une déclaration de l’accusé, faite à un policier national ce soir-là, selon laquelle il sait « ce qu’il faut faire avec ces gens-là ».

 

Solène Agnès

Procès de Rédoine Faïd : « Une affaire hors norme » rejugés aux Assises de Paris

Huit hommes dont le braqueur multirécidiviste, Redoine Faïd, sont rejugés jusqu’au 13 avril aux assises de Paris. Ce procès jugera les protagonistes présumés d’une attaque ratée de fourgon blindé au mois de mai 2010, attaque qui avait coûté la vie à Aurélie Fouquet, une policière municipale de 26 ans. Compte rendu du réquisitoire de l’avocat général de ce mardi.

Huit hommes, dont le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd comparaissaient ce mardi aux assises de Paris. Crédit CC
Huit hommes, dont le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd comparaissaient ce mardi aux assises de Paris. Crédits : CC

« Il s’agit d’une affaire hors norme, par l’équipe qui a commis les faits« , lance l’avocat général pour introduire son réquisitoire. Condamnés de un à trente ans de réclusion criminelle lors de leur premier procès en mars 2016, huit hommes dont Rédoine Faïd ont fait appel de leur condamnation. Jugés pour un braquage qui a coûté la vie à une policière municipale, Aurélie Fouquet, le 20 mai 2010, à Villiers-sur-Marne, ils comparaissaient aussi pour des faits d’«association de malfaiteurs en bande organisée » et de «détention d’armes».

Le verdict doit être rendu le 13 avril devant les assises de Paris. Rédoine Faïd, braqueur multirécidiviste, avait été condamné, en première instance, à 18 ans de réclusion criminelle et avait été reconnu comme le cerveau de l’opération, ce qu’il continue à nier malgré des preuves accablantes, notamment des traces d’ADN dans le véhicule utilisé pour le braquage avorté. « Pourquoi emmener ces armes de guerre, faites pour le combat, si on n’a jamais envisagé de s’en servir », interroge l’avocat général lors de l’audience de mardi après-midi, après avoir décrit l’ensemble du matériel qui a été expertisé pour l’enquête. Pour lui l’utilisation de telles armes nécessite des essais préalables pour s’assurer de leur bon fonctionnement : « Ils ont été assez intelligents pour les tester avant malgré ce qu’ils disent« .

Huit ans après, l’issue d’un procès-fleuve

Ce nouveau procès devant la cour d’Assises de Paris intervient ainsi huit ans après la mort d’Aurélie Fouquet. Les sept semaines du premier procès n’avaient pas permis de faire toute la lumière sur les faits, faute de preuves matérielles. « Aujourd’hui des expertises génétiques redonnent du souffle à cette enquête ainsi que l’exploitation de vidéos qui permettent de faure un certains nombre de constatations« , annonce l’avocat général, énumérant l’ensemble des traces ADN retrouvées sur le matériels utilisés pour la tentative de braquage. Et ajoute « concernant les témoignages recueillis, on a ce qu’on a, l’altération des souvenirs, huit ans après, est plus que possible, mais ces gens ont été soucieux de faire jaillir la vérité« .

Une course poursuite sanglante

Après avoir raté le braquage d’un fourgon blindé à Créteil, les huits hommes avaient pris la fuite sur l’autoroute l’A4 tout en tirant sur les policiers qui les pourchassaient, intrigués par des impacts sur le véhicule des malfaiteurs. C’est lors de leur sortie d’autoroute vers Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) pour semer les policiers, qu’a eu lieu « l’ultime fusillade qui a causé la mort d’Aurélie Fouquet« . la fonctionnaire avait été touchée à la tête. Elle avait succombé à ses blessures dans l’heure. Le véhicule des policiers pris pour cible, avait essuyé pas moins de 25 tirs de Kalachnikov. Son binôme, Thierry Moreau, avait été blessé au niveau de l’épaule, mais avait survécu. « Il a vécu l’horreur, car on n’oublie pas l’odeur du sang », souligne l’avocat général lors de son réquisitoire, en évoquant la culpabilité avec laquelle son coéquipier doit vivre au quotidien : « il portera toujours le poids de la mort de la victime« . Quant à Rédoine Faïd, son interpellation ne se fera que le 28 juin 2011, alors qu’il est attablé à la terrasse d’un café à Villeneuve d’Ascq.

Procès de Rédoine Faïd en appel, huit ans après les faits
Procès de Rédoine Faïd en appel, huit ans après les faits

A l’époque, plusieurs milliers de policiers municipaux avaient défilé pour exprimer leur colère et réclamer des équipements plus efficace pour répondre à ce genre de situation. Aujourd’hui la famille de la victime attend toujours des réponses.

Nina Gambin