Prendre rendez-vous en ligne : un nouvel obstacle à la régularisation des sans-papiers

Une cinquantaine de migrants ont porté plainte contre l’Etat mercredi matin. La raison? Les délais de plusieurs mois avant de pouvoir déposer son dossier de demande de titre de séjour. Une centaine de personnes étaient devant la préfecture de Bobigny pour dénoncer la dématérialisation des services en préfecture.

« Avoir un rendez-vous, pourquoi est-ce impossible? Est-ce un sujet tabou de devenir visible? » entonne la foule sur l’air de la chanson « C’est la mère Michelle ». Les associations de protection des migrants, présentes mercredi après-midi devant la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) pour dénoncer la dématérialisation des services, ne manquent pas d’imagination. Le refrain « à l’air du clic » rappelle tout le paradoxe de la situation : internet est censé faciliter les démarches administratives, mais à l’inverse, ici, c’est presque impossible d’obtenir un créneau pour déposer un dossier de demande de titre de séjour.

C’est pourquoi une cinquantaine de migrants ont déposé mercredi matin des recours en référé contre l’État. Le délai légal de trois mois avant un rendez-vous ayant été dépassé, la préfecture se voit obligée, face à cette plainte, de les recevoir sous quinze jours. Mais beaucoup attendent d’être reçus depuis plus longtemps encore.

Difficile à croire a priori. Et pourtant, une association qui protège les droits des immigrés a mené l’enquête. Yohan Delhomme, responsable des questions de droit au séjour à la CIMADE en Île-de-France explique devant des manifestants abasourdis que de juillet à septembre 2019, 921 personnes ont été sondées pour savoir si oui, ou non, la préfecture leur délivrait une date pour déposer leur dossier. En février dernier par exemple, aucune des 122 personnes sondées n’a pu obtenir de créneau en préfecture. Cette association a également simulé une prise de rendez-vous via un algorithme. Résultat : sur 2 000 tentatives, seuls deux ont pu être pris en cinq mois.

Lorsqu’une personne souhaite prendre rendez-vous, elle se rend sur le site de la préfecture concernée et remplit un formulaire. Le site internet l’invite alors à choisir parmi les créneaux disponibles s’il y en a, ou lui indique qu’il n’y a plus de créneau disponible. (crédit: La Cimade)

En plus de la CGT, trois associations étaient mobilisées : la Ligue des droits de l’homme, la CIMADE et le Secours Catholique. Entouré d’une foule de demandeurs de titres de séjours, chaque porte-parole se passe le micro pour témoigner de la situation ubuesque et faire entendre le parcours difficile de nombreux ressortissants étrangers. « Le système qui a été mis en place est un véritable scandale », dénonce un porte-parole de la Ligue des droits de l’homme. « Dissimuler le problème n’est pas le résoudre » : Dominique Dellac, conseillère départementale communiste de Seine-Saint-Denis pointe elle aussi du doigt la dématérialisation des services en préfecture. A chaque revendication, les membres des associations acquiescent, surenchérissent : « cela fait cinq mois qu’il attend un rendez-vous! », lance une femme à travers la foule.

Sur le site de la préfecture, un message s’affiche: « Il n’existe plus de plage horaire pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement », un message que tous les demandeurs de titre de séjour connaissent par coeur.

Des mois à attendre pour déposer un dossier

Lassana Konate, originaire du Mali, est arrivé en France en 2010. Même s’il n’a toujours pas de titre de séjour, il vit et travaille au Bourget, dans un centre de recyclage de carton. « Mon patron me demande tous les jours où est ma carte. J’ai juste un récepissé provisoire, mais je n’arrive pas à prendre rendez-vous. » Après des essais acharnés – il a demandé plusieurs fois à des proches d’essayer d’en obtenir pour lui – Lassana Konate a du faire appel à une avocate pour l’aider à deposer son dossier.

Mariana Dambakate, une jeune maman congolaise, a elle aussi demandé à des amis et de la famille de la relayer sur le site de la préfecture. A chaque heure de la journée, elle essayait, mais le même message s’affichait: « Il n’existe plus de plage horaire pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement. » Mariana Dambakate est venue avec son amie Nathalie Ebale, une Sénégalaise qui connaît la même précarité. Toutes deux ont de jeunes enfants et ne reçoivent une aide financière que du Secours catholique: « Ils nous aident beaucoup. Ils payent la cantine de mes enfants. Mais ce n’est pas assez, moi je veux travailler. Je veux un titre de séjour », dit Nathalie Ebale, émue. Ces deux femmes célibataires sont lasses de ces procédures administratives sans fin.

Les associations n’ont qu’une revendication – ou presque : plus de moyens financiers aux préfectures afin d’offrir plus de plages horaires. En attendant, la CGT n’hésite pas à donner des conseils aux migrants salariés sans papiers : « Prenez-vous en photos au travail pour constituer un dossier béton! » Vers 16h30, la foule se disperse progressivement. Le mot de la fin sera pour cet homme, en France depuis 5 ans, toujours sans titre de séjour : « On vit ici, on bosse ici, on reste ici. »

Camille Kauffmann

 

 

 

 

Mickaël Harpon : de premiers signes de radicalisation dès 2015

Selon un rapport du service de la préfecture de police de Paris où travaillait Mickaël Harpon, le fonctionnaire qui a tué quatre de ses collègues jeudi lors d’une attaque au couteau, de premiers signaux de radicalisation ont été détectés en 2015, après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo. Il a, par ailleurs, fait part en février 2019 de certaines frustrations liées à son handicap et à sa carrière.

Un employé « intégré » mais complexe. Selon ce document de quatre pages mis en ligne dimanche par France Inter, « plusieurs collègues de l’intéressé ont ainsi révélé avoir noté dans le passé, chez l’intéressé, des signes de radicalisation, et déclarent en avoir alerté leur hiérarchie ou pris conseil auprès de collègues spécialistes de ces problématiques ».

En 2015, Mickaël Harpon aurait déclaré « c’est bien fait », dans le cadre de l’attentat de Charlie Hebdo. Ces propos, ainsi que certains changements de comportement de Harpon avec les femmes auraient fait l’objet d’une discussion informelle entre deux fonctionnaires et un major de police en charge des signalements de la radicalisation, en juillet 2015. Les deux agents n’ont cependant pas formalisé leur signalement. En effet, si Mickaël Harpon ne serrait plus la main à ses collègues féminines, il ne refusait pas, selon plusieurs témoignages internes, de leur faire la bise, jusqu’à la semaine dernière.

Toutefois, les agents en charge des signalements de la radicalisation auraient régulièrement pris des nouvelles du comportement de l’informaticien auprès de ses collègues et de son chef, pour qui il n’y avait « aucun souci avec Mickaël Harpon ». Les deux fonctionnaires ont affirmé n’avoir à leur niveau, rien « détecté de suspect » dans l’attitude du futur tueur. Ces préoccupations n’ont cependant jamais fait l’objet de notes écrites. Ces éléments n’auraient été portés à la connaissance de la direction du renseignement qu’après l’attaque meurtrière, « dans le cadre de discussions informelles ».

Des frustrations liées à son évolution de carrière

Françoise Bilancini, directrice du renseignement, rapporte qu’en février 2019, il avait pour la première fois fait part de « préoccupations personnelles en terme d’évolution de carrière » liées à son handicap et au sentiment « de ne pas progresser dans sa carrière ». Administrativement, Mickaël Harpon était en effet un informaticien « bien noté ». Il a obtenu satisfaction sur certaines de ses demandes, mais pas toutes. « Si une difficulté particulière était apparue, depuis 2015, avec le comportement de Mickaël Harpon, je ne doute pas du fait qu’elle aurait été portée facilement à la connaissance de la hiérarchie pour prise en compte. Il n’en a rien été », conclut Mme Bilancini.

Sur France Inter, Christophe Castaner a cependant regretté qu’il n’y a pas eu « d’alerte au bon niveau, au bon moment ».  « Les signaux d’alerte auraient du être suffisants pour déclencher une enquête en profondeur, a-t-il estimé. Je souhaite que toute alerte fasse l’objet d’un signalement automatique ».