Après avoir connu une baisse de 0,2 point en février par rapport au mois de janvier, le ramenant à 11,6%, le taux de chômage italien est reparti à la hausse en mars. Il a augmenté de 0,1 point selon des données provisoires publiées ce mardi par l’Institut national des statistiques (Istat). Ce taux de 11,7% place l’Italie bien au-dessus de la moyen européenne (9,5% au mois de février) malgré une tendance annuelle à la hausse des personnes ayant un emploi (+0,9%, soit 213,000 personnes).
En dépit d’une baisse de 0,4 point, le taux de chômage atteint lui 34,1% chez les 15-24 ans. Ces chiffres sont là-encore très au-dessus de la moyenne européenne (19,4%). À titre de comparaison, le taux de chômage en France était de 9,7% en mars. Concernant les jeunes, les 15-24 ans s’en sortent eux-aussi mieux qu’en Italie, avec un taux de 23,3%.
Ils sont entrés dans la majorité avec la crise de 2008 et ont tourné le dos au salariat pour devenir leurs propres patrons. Entre rêves et désillusions, ces jeunes indépendants remettent en cause l’avenir de la société salariale. Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle culture économique ? Si les réponses sont disparates, elles sont révélatrices d’une mutation majeure dans notre rapport au travail.
Contre la réforme du code du travail, dite loi El Khomri, une partie de la jeunesse manifeste son mécontentement. Sa crainte : assister au délitement du sacro-saint CDI, érigé en norme par ses ainés depuis les Trente Glorieuses. Face à cet avenir inquiétant, certains décident de reprendre leur destin en main. Ils ont moins de 30 ans et se mettent à leur compte. Ils sont développeurs web, chauffeurs de VTC, ou traducteurs. Photographes, réalisateurs ou architectes. Ils sont ou ont été indépendants. Mais s’ils sont de plus en plus nombreux à rompre avec le salariat, ils sont loin de représenter une nouvelle norme.
L’emploi non-salarié se développe depuis quinze ans, mais ne représente que 11% de la population active. Un chiffre qui reste stable, et qui a même reculé en 2015, malgré la création du statut d’autoentrepreneur en 2008, devenu microentrepreneur en janvier 2016. Des indépendants qui forment par ailleurs un groupe hétérogène: si certains sont leurs propres patrons par choix, d’autres le sont par nécessité. Sur les 550 000 créateurs d’entreprises recensés en 2014, un tiers étaient demandeurs d’emploi. Faute de mieux, la microentreprise leur permet de recréer une activité. Selon le juriste Jacques Le Goff, professeur de droit public à l’Université de Bretagne Occidentale, « Les motivations peuvent être positives ou négatives. » Il précise : « Lorsqu’on n’a plus de travail ou qu’on est au chômage, pourquoi ne pas tenter d’être microentrepreneur ? Par ailleurs, les motivations positives sont peut-être à chercher dans l’intensification du goût pour l’autonomie. » (Voir interview)
La plupart du temps, l’indépendance n’est pourtant pas une réponse à la précarité : un microentrepreneur gagne en moyenne 460 €. Ces travailleurs précaires illustrent la paupérisation de l’emploi en France. Selon une étude réalisée par l’Insee 81% des microentrepreneurs souhaitent “une convergence des protections sociales entre salariés et indépendants” comme l’accès au chômage ou la retraite dont ils ne peuvent bénéficier aujourd’hui.
Un portrait bien sombre en comparaison à nos voisins outre atlantique. Les freelances y représentent 34% de la population active, loin de nos 11,5%. Selon une étude réalisée par Freelancers Union — communauté virtuelle de travailleurs indépendants américains — auprès de ses membres, 77% gagnent plus d’argent que lorsqu’ils étaient salariés.
L’émergence de nombreux sites web et d’applications pour téléphones ont profité à l’essor de ce phénomène. En quelques instants, professionnels et clients sont mis en relation. La société américaine de chauffeurs privés, Uber, qui concurrence les taxis grâce sa plateforme numérique, a même donné son nom au phénomène. La majorité des activités qui se développent dans l’indépendant sont des services liés au web tandis que d’autres reculent, comme l’artisanat et le commerce. Et selon l’Insee, un tiers des autoentrepreneurs souhaitent travailler en groupe et rejoignent des espaces de travail partagé.
Le coworking : l’indépendance sans l’isolement
Casques sur les oreilles, des hommes et des femmes pianotent sur leurs ordinateurs dans un silence religieux. Sous une grande verrière, des tables de toutes les tailles sont disposées, quelques plantes et de la décoration habillent l’espace. On se croirait dans une bibliothèque. Ce lieu, appelé Mutinerie, est un espace de coworking situé dans le XIXe arrondissement de Paris.
Mutinerie n’est pas qu’un vaste bureau. Pour accéder à l’espace de travail, il faut passer par le bar, où les coworkers peuvent se retrouver pour manger, discuter ou boire un café. Assis devant deux ordinateurs égrénants des lignes de code, trois jeunes hommes échangent sur leurs travaux. L’un d’eux, Alexandre Bourlier, développe des sites internet et des applications pour smartphone. Il a 27 ans. Après une brève période de salariat, il s’est lancé en tant qu’indépendant : « En rentrant du Brésil où j’avais travaillé dans une start-up, on m’a proposé de faire des sites un peu par hasard comme je savais coder. J’ai alors compris que je pouvais gagner ma vie en faisant ça. » C’est par nécessité qu’il s’est lancé dans l’aventure de l’entrepreneuriat : « Au départ je pensais faire ça temporairement parce que j’avais du mal à m’insérer dans le marché du travail. Mais aujourd’hui, je ne troquerais ma place pour rien au monde ».
Au départ je pensais faire ça temporairement parce que j’avais du mal à m’insérer dans le marché du travail. Mais aujourd’hui, je ne troquerais ma place pour rien au monde.
Aujourd’hui, Alexandre, gagne mieux ma vie en tant qu’indépendant. Plus libre de ses horaires et de ses mouvements, il travaille en réseau avec une trentaine d’indépendants. Dans le bar de Mutinerie, les deux autres personnes avec qui il s’évertuait à trouver une solution rangent leurs ordinateurs portables. D’un air bienveillant, Alexandre leur demande s’ils ont réussi à régler leur problème. « On verra ça demain ! » lui répondent-ils avec un grand sourire, avant de s’éclipser.
Plaisir de travailler et désir de liberté
Selon une étude réalisée par Hopwork — plateforme française d’accès aux services de plus de 20 000 freelances — la majorité des travailleurs sont satisfaits de leur situation, comme aux États-Unis où ils sont 53 millions de freelances. En France, 70 % d’entre eux ont fait le choix de devenir indépendant, et seuls 4 % souhaiteraient retrouver un emploi salarié. En outre, 65 % d’entre eux déclarent gagner autant ou plus qu’en étant sous contrat.
C’est le cas de Gaspar Matheron. À 25 ans, le jeune graphiste vidéo est un grand déçu du salariat. Embauché en CDI au terme de son alternance dans une grande boite de publicité, il y voit d’abord une chance. Mais au bout de six ans, sans augmentation de salaire, il décide de quitter son poste. « Je faisais du vidéoreportage en parallèle pour des boites de nuit en tant qu’autoentrepreneur, et ça marchait bien, se souvient-il, j’ai compris qu’à l’extérieur j’avais la possibilité de gagner plus d‘argent, alors je suis parti ». Aujourd’hui intermittent du spectacle, il n’échangerait sa situation pour rien au monde. « Si je ne m’épanouis plus dans une branche, je peux facilement me recycler et aller vers autre chose. Ce serait impossible en tant que salarié dans une entreprise ».
À la sortie de ses études de journalisme, Bastien Renouil 24 ans, a travaillé pendant un an dans une société de production basée à New Delhi. « Ça ne s’est pas très bien passé avec mes patrons alors je suis rentré en France », confie-t-il. Bastien souhaitait faire du reportage pour la télévision, à l’étranger : « Quand tu commences, c’est pas évident de se faire embaucher. Et puis pour se faire connaître, c’est mieux d’être freelance, ça te permet de toucher à tout, de frapper à toutes les portes. » Il a contacté Arte et France 5, pour qui il avait travaillé en Inde en se proposant d’être correspondant en Afrique de l’Est : quinze jours après, il débarquait au Kenya avec sa copine, elle aussi journaliste.
Malgré les standards de la profession qui exigent d’être payé à la pige, soit en salaire, il a préféré créer en parallèle un statut de microentrepreneur. « 80 % de ce qu’on gagne passe par ce biais. » Bastien et sa copine gagnent environ 2000 euros par mois, ce qu’ils considèrent comme suffisant pour vivre au Kenya. Mais il nuance « en tant que microentrepreneur, tu n’as pas de sécurité, tu as toujours cette peur de ne pas réussir à vendre un sujet ». S’il est aujourd’hui satisfait de sa situation parce qu’il peut choisir ses clients, il n’est pas certain de refuser un contrat salarié si l’occasion se présentait à l’avenir.
Tremplin vers la stabilité
Zoé Schmidmaier, 25 ans, voit elle aussi sa situation de photographe indépendante comme une période de transition. « L’inconvénient du statut de microentrepreneur, c’est de ne plus avoir de salaire fixe ».
Mais pour l’heure, Zoé veut jouir pleinement de sa liberté. « Quand j’étais en CDD il y avait la pression de l’employeur au quotidien, confie-t-elle, aujourd’hui, la pression est différente, par exemple, lorsqu’un client réduit ses commandes, il faut en chercher un autre. Mais c’est le prix de la liberté ». L’année dernière, son contrat en CDD dans une entreprise française de médias et e-commerce devait se transformer en CDI. Mais elle décide d’y renoncer. « Photographe, c’est un métier qu’on choisit pour avoir une certaine liberté, explique-t-elle, et pas pour faire des horaires fixes de bureau ».
La perspective de trouver un contrat salarié n’est pas une fin non plus pour Éva Tanquerel, 25 ans. Traductrice freelance depuis un an et demi, elle a refusé, comme Zoé, un contrat salarié en CDI, une offre qui la contraignait à déménager. « Je ne veux vraiment pas vivre à Paris » explique-t-elle. Parce que la majorité des agences de traduction sont implantées en Île-de-France, elle n’a eu d’autre choix que de devenir microentrepreneure. Pourtant, si on lui offrait un contrat en Bretagne, là où elle vit, elle serait « très tentée parce que c’est très fatiguant d’être en indépendant ».
Je ne sais pas trop combien de temps je vais continuer. Jusqu’à ce que mes nerfs lâchent, peut-être.
Cela ne fait que quelques mois qu’elle s’en sort réellement d’un point de vue financier, au prix d’un rythme de travail effréné. « Les weekends, en ce moment ça n’existe pas, plaisante-t-elle, et je passe beaucoup de soirées à travailler, sans pour autant être payée plus. Pour faire du chiffre, il faut beaucoup bosser ». Et comme de nombreux freelances, Éva travaille depuis chez elle. « C’est un avantage et un inconvénient à la fois, je n’ai pas de problèmes de relation avec les collègues puisque je n’en ai pas, mais parfois je me sens seule. » Elle s’est renseignée sur les espaces de coworking à Brest, mais « ça reste un peu cher » compte tenu de ses revenus. Avec une amie microentrepreneure, elles ont donc décidé de se faire leur petit espace de coworking à la maison : « Ça booste la productivité, et tu as quelqu’un avec qui discuter ».
Oscillant entre la satisfaction et la volonté de se réaliser dans un autre domaine qu’elle affectionne particulièrement, l’équitation, elle s’accommode aujourd’hui de la précarité de sa situation. « Je ne sais pas trop combien de temps je vais continuer. Jusqu’à ce que mes nerfs lâchent, peut-être », ironise Éva. La jeune fille profite de ses temps libres pour voyager. « c’est cette liberté-là qui fait que je continue. Même si je n’ai pas de congés payés ».
Désillusions et précarité
Pour Merrick, architecte de 29 ans le statut d’indépendant ne pouvait pas être une solution sur le long terme. Il a été microentrepreneur pour le cabinet qui l’emploie aujourd’hui en CDI. S’il admet avoir été bien traité par ses patrons, il n’hésite pas à dénoncer la précarité du statut. « J’aurai pu être viré du jour au lendemain, ne plus pouvoir payer mon loyer. Je n’avais aucune sécurité. »
Il roule à vive allure dans les rues de la capitale depuis quelques mois. Louis, 26 ans, livre des repas à la force de ses mollets pour la société Deliveroo. Il pédale 20 heures par semaine pour financer son projet d’agriculture urbaine. Si l’entreprise fait miroiter une certaine liberté et de beaux revenus, pour Louis, ce discours est un trompe-l’œil. « Je touche une dizaine d’euros de l’heure, c’est pas beaucoup plus qu’un SMIC » explique Louis, qui doit aussi déduire 25 % de ses revenus pour payer ses cotisations. Car pour travailler avec Deliveroo, il faut avoir le statut de microentrepreneur. « Officiellement, Deliveroo est mon client, mais dans la pratique, il y a un rapport de subordination, analyse Louis, c’est elle qui envoie les factures, je ne peux en aucun cas refuser de commande, et si je veux changer de créneau horaire ou être augmenté, je dois négocier».
Si je me blesse ou si on me vole mon vélo, tout s’arrête. Des mutuelles existent bien mais personne n’y cotise parce qu’on est tous jeunes et on se dit qu’on est invincibles
Grâce à ce système, Deliveroo bénéficie d’un réservoir de travailleurs non-salariés sans verser aucune charge patronale. Louis en est conscient et pointe du doigt une forme de salariat caché. Selon Jacques Le Goff, ce phénomène révêle un brouillage des frontières : « On peut être autonome dans le cadre d’un travail indépendant, à l’inverse on peut être très dépendant dans un cadre indépendant ». Par ailleurs, Louis dénonce l’absence de droits pour les coursiers : « Le système Deliveroo est fait pour qu’on ne puisse pas se regrouper entre livreurs, sans doute pour éviter de potentielles revendications ». Sans droit au chômage et bénéficiant d’une protection sociale quasi inexistante, il craint l’accident. « Si je me blesse ou si on me vole mon vélo, tout s’arrête » explique-t-il. Des mutuelles existent bien mais « personne n’y cotise parce qu’on est tous jeunes et on se dit qu’on est invincibles », termine-t-il.
Salah se sait vulnérable. Lui qui rêve de revenus fixes et d’être propriétaire, il est inquiet pour son avenir qu’il croit de plus en plus incertain. Un désenchantement qui le pousse à prendre des risques. Il jongle entre deux métiers, tantôt dans une entreprise de nettoyage pour particuliers, tantôt comme chauffeur Uber pour arrondir les fins de mois. Pour lui aussi, le statut de microentrepreneur est synonyme de salariat déguisé : Uber est son seul « client ». Pour survivre, il s’arrange avec le fisc. « Ce n’est pas un choix de carrière. Mon but c’est de faire du black, confie-t-il, si tu déclares, il ne te reste plus rien car Uber retient 20 % sur tes revenus de la semaine, sans parler des cotisations ». Il aurait préféré un emploi stable : « Si on me proposait un CDI, j’accepterais sans condition ». Selon l’économiste Olivier Charbonnier, c’est bien le signe que le salariat n’est pas prêt de disparaître « Je ne pense pas qu’il y ait une fin du salariat mais plutôt une contraction du modèle salarial. De nouvelles formes de contractualisation se développent mais il reste à inventer des modèles de régulation publique un peu plus ambitieux que ce que propose la loi El Khomri ».
Kantar Media vient de publier un chiffre surprenant : 2 insultes par seconde sont publiées sur les réseaux sociaux. L’injure est reine sur le web et ce sont les jeunes qui en font les frais en premier. La cyberviolence persévère et les « haters » prolifèrent grâce à la protection de l’anonymat.
« Pute », « salope », connard »,… Les insultes fusent sur les réseaux sociaux. Une étude publiée début février par Kantar Media* révèle que les messages offensants sont en hausse de 3 points en un an seulement, de 2014 à 2015. Selon Respect Zone, une association qui lutte contre la cyberviolence, presque un adolescent sur deux avoue s’être déjà fait injurier ou harceler sur le web. Ceux qu’on appellent les « haters » (ceux qui haïssent, ndlr) se font de plus en plus fréquents sur internet : Respect Zone comptait 14 880 signalements en 2013, contre 10 000 l’année précédente. Mais un tiers des jeunes se retient d’en parler.
Aujourd’hui plus que jamais, les solutions se font urgentes. Respect Zone a notamment lancé un label ainsi qu’un plug-in original pour ridiculiser les haters au lieu de leur donner un quelconque crédit.