Uber, coworking : l’indépendance, c’est la liberté… ou la précarité

À Mutinerie, les freelances viennent travailler comme au bureau

Ils sont entrés dans la majorité avec la crise de 2008 et ont tourné le dos au salariat pour devenir leurs propres patrons. Entre rêves et désillusions, ces jeunes indépendants remettent en cause l’avenir de la société salariale. Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle culture économique ? Si les réponses sont disparates, elles sont révélatrices d’une mutation majeure dans notre rapport au travail.

Par Sonia Ye et Pierre Laurent

Contre la réforme du code du travail, dite loi El Khomri, une partie de la jeunesse manifeste son mécontentement. Sa crainte : assister au délitement du sacro-saint CDI, érigé en norme par ses ainés depuis les Trente Glorieuses. Face à cet avenir inquiétant, certains décident de reprendre leur destin en main. Ils ont moins de 30 ans et se mettent à leur compte. Ils sont développeurs web, chauffeurs de VTC, ou traducteurs. Photographes, réalisateurs ou architectes. Ils sont ou ont été indépendants. Mais s’ils sont de plus en plus nombreux à rompre avec le salariat, ils sont loin de représenter une nouvelle norme.

L’emploi non-salarié se développe depuis quinze ans,  mais ne représente que 11% de la population active. Un chiffre qui reste stable, et qui a même reculé en 2015,  malgré la création du statut d’autoentrepreneur en 2008, devenu microentrepreneur en janvier 2016. Des indépendants qui forment par ailleurs  un  groupe hétérogène: si certains sont leurs propres patrons par choix, d’autres le sont par nécessité. Sur les 550 000 créateurs d’entreprises recensés en 2014, un tiers étaient demandeurs d’emploi. Faute de mieux, la microentreprise leur permet de recréer une activité. Selon le juriste Jacques Le Goff, professeur de droit public à l’Université de Bretagne Occidentale, « Les motivations peuvent être positives ou négatives. » Il précise : « Lorsqu’on n’a plus de travail ou qu’on est au chômage, pourquoi ne pas tenter d’être microentrepreneur ? Par ailleurs, les motivations positives sont peut-être à chercher dans l’intensification du goût pour l’autonomie. » (Voir interview)

La plupart du temps, l’indépendance n’est pourtant pas une réponse à la précarité : un microentrepreneur gagne en moyenne 460 €. Ces travailleurs précaires illustrent la paupérisation de l’emploi en France. Selon une étude réalisée par l’Insee 81% des microentrepreneurs souhaitent “une convergence des protections sociales entre salariés et indépendants” comme l’accès au chômage ou la retraite dont ils ne peuvent bénéficier aujourd’hui.

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Un portrait bien sombre en comparaison à nos voisins outre atlantique. Les freelances y représentent 34% de la population active, loin de nos 11,5%. Selon une étude réalisée par Freelancers Union — communauté virtuelle de travailleurs indépendants américains — auprès de ses membres, 77% gagnent plus d’argent que lorsqu’ils étaient salariés.

 

L’émergence de nombreux sites web et d’applications pour téléphones ont profité à l’essor de ce phénomène. En quelques instants, professionnels et clients sont mis en relation. La société américaine de chauffeurs privés, Uber, qui concurrence les taxis grâce sa plateforme numérique, a même donné son nom au phénomène. La majorité des activités qui se développent dans l’indépendant sont des services liés au web  tandis que d’autres reculent, comme l’artisanat et le commerce. Et selon l’Insee, un tiers des autoentrepreneurs souhaitent travailler en groupe et rejoignent des espaces de travail partagé.

Le coworking : l’indépendance sans l’isolement

Casques sur les oreilles, des hommes et des femmes pianotent sur leurs ordinateurs dans un silence religieux. Sous une grande verrière, des tables de toutes les tailles sont disposées, quelques plantes et de la décoration habillent l’espace. On se croirait dans une bibliothèque. Ce lieu, appelé Mutinerie, est un espace de coworking situé dans le XIXe arrondissement de Paris.

 

Mutinerie n’est pas qu’un vaste bureau. Pour accéder à l’espace de travail, il faut passer par le bar, où les coworkers peuvent se retrouver pour manger, discuter ou boire un café. Assis devant deux ordinateurs égrénants des lignes de code, trois jeunes hommes échangent sur leurs travaux. L’un d’eux, Alexandre Bourlier, développe des sites internet et des applications pour smartphone. Il a 27 ans. Après une brève période de salariat, il s’est lancé en tant qu’indépendant : « En rentrant du Brésil où j’avais travaillé dans une start-up, on m’a proposé de faire des sites un peu par hasard comme je savais coder. J’ai alors compris que je pouvais gagner ma vie en faisant ça. » C’est par nécessité qu’il s’est lancé dans l’aventure de l’entrepreneuriat : « Au départ je pensais faire ça temporairement parce que j’avais du mal à m’insérer dans le marché du travail. Mais aujourd’hui, je ne troquerais ma place pour rien au monde ».

 


 Au départ je pensais faire ça temporairement parce que j’avais du mal à m’insérer dans le marché du travail. Mais aujourd’hui, je ne troquerais ma place pour rien au monde.


 

Aujourd’hui, Alexandre, gagne mieux ma vie en tant qu’indépendant. Plus libre de ses horaires et de ses mouvements, il travaille en réseau avec une trentaine d’indépendants. Dans le bar de Mutinerie, les deux autres personnes avec qui il s’évertuait à trouver une solution rangent leurs ordinateurs portables. D’un air bienveillant, Alexandre leur demande s’ils ont réussi à régler leur problème. « On verra ça demain ! » lui répondent-ils avec un grand sourire, avant de s’éclipser.

À Mutinerie, les travailleurs indépendants se retrouvent
À Mutinerie, les travailleurs indépendants se retrouvent

Plaisir de travailler et désir de liberté

Selon une étude réalisée par Hopwork — plateforme française d’accès aux services de plus de 20 000 freelances — la majorité des travailleurs sont satisfaits de leur situation, comme aux États-Unis où ils sont 53 millions de freelances. En France, 70 % d’entre eux ont fait le choix de devenir indépendant, et seuls 4 % souhaiteraient retrouver un emploi salarié. En outre, 65 % d’entre eux déclarent gagner autant ou plus qu’en étant sous contrat.

C’est le cas de Gaspar Matheron. À 25 ans, le jeune graphiste vidéo est un grand déçu du salariat. Embauché en CDI au terme de son alternance dans une grande boite de publicité, il y voit d’abord une chance. Mais au bout de six ans, sans augmentation de salaire, il décide de quitter son poste. « Je faisais du vidéoreportage en parallèle pour des boites de nuit en tant qu’autoentrepreneur, et ça marchait bien, se souvient-il, j’ai compris qu’à l’extérieur j’avais la possibilité de gagner plus d‘argent, alors je suis parti ». Aujourd’hui intermittent du spectacle, il n’échangerait sa situation pour rien au monde. « Si je ne m’épanouis plus dans une branche, je peux facilement me recycler et aller vers autre chose. Ce serait impossible en tant que salarié dans une entreprise ».

Gaspar Matheron sur un tournage dans le sud de la France © Zoé Schmidmaier
Gaspar Matheron sur un tournage dans le sud de la France © Zoé Schmidmaier

À la sortie de ses études de journalisme, Bastien Renouil 24 ans, a travaillé pendant un an dans une société de production basée à New Delhi. « Ça ne s’est pas très bien passé avec mes patrons alors je suis rentré en France », confie-t-il. Bastien souhaitait faire du reportage pour la télévision, à l’étranger : « Quand tu commences, c’est pas évident de se faire embaucher. Et puis pour se faire connaître, c’est mieux d’être freelance, ça te permet de toucher à tout, de frapper à toutes les portes. » Il a contacté Arte et France 5, pour qui il avait travaillé en Inde en se proposant d’être correspondant en Afrique de l’Est : quinze jours après, il débarquait au Kenya avec sa copine, elle aussi journaliste.

Malgré les standards de la profession qui exigent d’être payé à la pige, soit en salaire, il a préféré créer en parallèle un statut de microentrepreneur. « 80 % de ce qu’on gagne passe par ce biais. » Bastien et sa copine gagnent environ 2000 euros par mois, ce qu’ils considèrent comme suffisant pour vivre au Kenya. Mais il nuance « en tant que microentrepreneur, tu n’as pas de sécurité, tu as toujours cette peur de ne pas réussir à vendre un sujet ». S’il est aujourd’hui satisfait de sa situation parce qu’il peut choisir ses clients, il n’est pas certain de refuser un contrat salarié si l’occasion se présentait à l’avenir.

Tremplin vers la stabilité

Zoé Schmidmaier, 25 ans,  voit elle aussi sa situation de photographe indépendante comme une période de transition. « L’inconvénient du statut de microentrepreneur, c’est de ne plus avoir de salaire fixe ».

Mais pour l’heure, Zoé veut jouir pleinement de sa liberté. « Quand j’étais en CDD il y avait la pression de l’employeur au quotidien, confie-t-elle, aujourd’hui, la pression est différente, par exemple, lorsqu’un client réduit ses commandes, il faut en chercher un autre. Mais c’est le prix de la liberté ». L’année dernière, son contrat en CDD dans une entreprise française de médias et e-commerce devait se transformer en CDI. Mais elle décide d’y renoncer. « Photographe, c’est un métier qu’on choisit pour avoir une certaine liberté, explique-t-elle, et pas pour faire des horaires fixes de bureau ».

Zoé Schmidmaier, photographe indépendante
Zoé Schmidmaier, photographe indépendante

La perspective de trouver un contrat salarié n’est pas une fin non plus pour Éva Tanquerel, 25 ans. Traductrice freelance depuis un an et demi, elle a refusé, comme Zoé, un contrat salarié en CDI, une offre qui la contraignait à déménager. « Je ne veux vraiment pas vivre à Paris » explique-t-elle. Parce que la majorité des agences de traduction sont implantées en Île-de-France, elle n’a eu d’autre choix que de devenir microentrepreneure. Pourtant, si on lui offrait un contrat en Bretagne, là où elle vit, elle serait « très tentée parce que c’est très fatiguant d’être en indépendant ».


 Je ne sais pas trop combien de temps je vais continuer. Jusqu’à ce que mes nerfs lâchent, peut-être.


Cela ne fait que quelques mois qu’elle s’en sort réellement d’un point de vue financier, au prix d’un rythme de travail effréné. « Les weekends, en ce moment ça n’existe pas, plaisante-t-elle, et je passe beaucoup de soirées à travailler, sans pour autant être payée plus. Pour faire du chiffre, il faut beaucoup bosser ». Et comme de nombreux freelances, Éva travaille depuis chez elle. « C’est un avantage et un inconvénient à la fois, je n’ai pas de problèmes de relation avec les collègues puisque je n’en ai pas, mais parfois je me sens seule. » Elle s’est renseignée sur les espaces de coworking à Brest, mais « ça reste un peu cher » compte tenu de ses revenus. Avec une amie microentrepreneure, elles ont donc décidé de se faire leur petit espace de coworking à la maison : « Ça booste la productivité, et tu as quelqu’un avec qui discuter ».

Oscillant entre la satisfaction et la volonté de se réaliser dans un autre domaine qu’elle affectionne particulièrement, l’équitation, elle s’accommode aujourd’hui de la précarité de sa situation. « Je ne sais pas trop combien de temps je vais continuer. Jusqu’à ce que mes nerfs lâchent, peut-être », ironise Éva. La jeune fille profite de ses temps libres pour voyager. « c’est cette liberté-là qui fait que je continue. Même si je n’ai pas de congés payés ».

Désillusions et précarité

Pour Merrick, architecte de 29 ans le statut d’indépendant ne pouvait pas être une solution sur le long terme. Il a été microentrepreneur pour le cabinet qui l’emploie aujourd’hui en CDI. S’il admet avoir été bien traité par ses patrons, il n’hésite pas à dénoncer la précarité du statut. « J’aurai pu être viré du jour au lendemain, ne plus pouvoir payer mon loyer. Je n’avais aucune sécurité. »

Il roule à vive allure dans les rues de la capitale depuis quelques mois. Louis, 26 ans, livre des repas à la force de ses mollets pour la société Deliveroo. Il pédale 20 heures par semaine pour financer son projet d’agriculture urbaine. Si l’entreprise fait miroiter une certaine liberté et de beaux revenus, pour Louis, ce discours est un trompe-l’œil. « Je touche une dizaine d’euros de l’heure, c’est pas beaucoup plus qu’un SMIC » explique Louis, qui doit aussi déduire 25 % de ses revenus pour payer ses cotisations. Car pour travailler avec Deliveroo, il faut avoir le statut de microentrepreneur. « Officiellement, Deliveroo est mon client, mais dans la pratique, il y a un rapport de subordination, analyse Louis, c’est elle qui envoie les factures, je ne peux en aucun cas refuser de commande, et si je veux changer de créneau horaire ou être augmenté, je dois négocier».


Si je me blesse ou si on me vole mon vélo, tout s’arrête. Des mutuelles existent bien mais personne n’y cotise parce qu’on est tous jeunes et on se dit qu’on est invincibles


Louis, 26 ans, livreur chez Deliveroo
Louis, 26 ans, livreur chez Deliveroo

Grâce à ce système, Deliveroo bénéficie d’un réservoir de travailleurs non-salariés sans verser aucune charge patronale. Louis en est conscient et pointe du doigt une forme de salariat caché. Selon Jacques Le Goff, ce phénomène révêle un brouillage des frontières : « On peut être autonome dans le cadre d’un travail indépendant, à l’inverse on peut être très dépendant dans un cadre indépendant ». Par ailleurs, Louis dénonce l’absence de droits pour les coursiers : « Le système Deliveroo est fait pour qu’on ne puisse pas se regrouper entre livreurs, sans doute pour éviter de potentielles revendications ». Sans droit au chômage et bénéficiant d’une protection sociale quasi inexistante, il craint l’accident. « Si je me blesse ou si on me vole mon vélo, tout s’arrête » explique-t-il. Des mutuelles existent bien mais « personne n’y cotise parce qu’on est tous jeunes et on se dit qu’on est invincibles », termine-t-il.

Salah se sait vulnérable. Lui qui rêve de revenus fixes et d’être propriétaire, il est inquiet pour son avenir qu’il croit de plus en plus incertain. Un désenchantement qui le pousse à prendre des risques. Il jongle entre deux métiers, tantôt dans une entreprise de nettoyage pour particuliers, tantôt comme chauffeur Uber pour arrondir les fins de mois. Pour lui aussi, le statut de microentrepreneur est synonyme de salariat déguisé : Uber est son seul « client ». Pour survivre, il s’arrange avec le fisc. « Ce n’est pas un choix de carrière. Mon but c’est de faire du black, confie-t-il, si tu déclares, il ne te reste plus rien car Uber retient 20 % sur tes revenus de la semaine, sans parler des cotisations ». Il aurait préféré un emploi stable : « Si on me proposait un CDI, j’accepterais sans condition ». Selon l’économiste Olivier Charbonnier, c’est bien le signe que le salariat n’est pas prêt de disparaître « Je ne pense pas qu’il y ait une fin du salariat mais plutôt une contraction du modèle salarial. De nouvelles formes de contractualisation se développent mais il reste à inventer des modèles de régulation publique un peu plus ambitieux que ce que propose la loi El Khomri ».

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Les exportations d’alcool français se bonifient avec le temps

Les exportations de vins et spiritueux français ont atteint en 2015 le seuil historique de 11,7 milliards d’euros. Malgré tout, la concurrence étrangère est de plus en plus rude.

A wine waiter displays bottles of famous Sauternes wine "Chateau Yquem" over 100-years old, in the wine cellar of the restaurant Villa Lalique in Wingen-sur-Moder, eastern France, on September 15, 2015. The famous luxury crystal glass-maker Lalique will open on September 18, 2015 this restaurant directed by French chef Jean-Georges Klein, former owner at L'Arnsbourg restaurant. AFP PHOTO / PATRICK HERTZOG / AFP / PATRICK HERTZOG
Source: AFP photo / Patrick Hertzog. Bouteilles centenaires de Chateau Yquem (Sauternes).

11,7 milliards d’euros, soit 126 Airbus. C’est le montant des exportations de vins et de spiritueux français en 2015, un chiffre record après deux ans de repli. Ce résultat en hausse de 8,7% par rapport à l’année précédente permet au secteur de retrouver sa place de deuxième poste à l’exportation derrière l’aéronautique, poste qu’il avait perdu en 2014. Cette hausse est due principalement au champagne, dont les ventes ont augmenté de 12% (soit 2,7 milliards d’euros) et au cognac, dont les ventes ont grimpé de 20%. Ces deux boissons totalisent à elles seules les deux tiers de la croissance des exportations en valeur.

Les Américains ont retrouvé leur place de premier consommateur de vin au monde avec une hausse des exportations françaises vers les Etats-Unis de 28% alors que les Chinois se remettent à en acheter après deux années en creux, avec une hausse des exportations françaises de 23%. Selon Claude Maratier, expert en vins et estimateur, contacté par le CelsaLab, « la plupart des exportations de vin dans les pays asiatiques ont baissé, surtout en Chine à cause de la décélération économique. De plus, il est désormais mal vu d’étaler ses richesses dans ce pays alors que c’était très bien perçu avant. Les achats des grands Bordeaux en ont particulièrement souffert. Malgré tout, la Chine reste un marché très important qui s’est ouvert à des vins moins chers« .

Cependant, pour Christophe Navarre, président de la Fédération des exportateurs (FEVS), « ce beau résultat ne doit pas masquer la dégradation constante de nos parts de marché.« 

Plus agressifs et moins chers

La concurrence étrangère se fait plus grande chaque année. Selon Claude Maratier, « Espagne, Italie, Afrique du Sud et Californie sont nos principaux concurrents. Surtout l’Espagne et l’Italie en Europe, qui produisent des vins remarquables. » Une adversité de plus en plus compétitive, selon Christophe Navarre, qui demande « plus de vins et davantage d’entrée de gamme pour résister à l’Espagne, au Chili ou à l’Australie » car « on augmente nos ventes, mais moins que nos concurrents. » Selon lui, il faudrait peut-être « passer de petites productions de qualité à 50 hl/hectare qu’on vend cher, à des productions de 150 hl/ha qu’on exporte« 

Une baisse des volumes

Malgré des achats qui augmentent, le champagne, le cognac, le Bordeaux et le Bourgogne réalisent à eux quatre 64% des exportations mais seulement 28% des volumes. C’est la faiblesse endémique de la production française qui inquiète le plus les professionnels. Pour la troisième année consécutive, les volumes des vins expédiés à l’étranger sont en recul : moins 16 millions de caisses en 3 ans. En 2015, ce sont 138 millions de caisses qui ont été expédiées. Un véritable cercle vicieux pour le vin français qui devient plus cher et donc moins compétitif. Au Japon par exemple, la France a perdu sa première place d’exportateur au profit du Chili, faute de vins à petit prix.

Anne-Charlotte Dancourt

Remaniement : beaucoup de bruit, pas de vraie stratégie

Le départ de Laurent Fabius vers la présidence du Conseil constitutionnel, acté ce matin, entraînera logiquement un remaniement ministériel. Depuis une dizaine de jours, beaucoup de noms ont été avancés dans les médias pour désigner les futurs ministres, sans que le flou ne soit levé. Que nous apprennent ces noms sur la stratégie gouvernementale ? Décryptage.

Laurent Fabius a annoncé son départ du ministère des Affaires étrangères à l'issue du Conseil des ministres. Crédit STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Laurent Fabius a annoncé son départ du ministère des Affaires étrangères à l’issue du Conseil des ministres.
Crédit STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Fin janvier, Bruno Le Roux, le patron des socialistes à l’Assemblée nationale, l’avait déjà annoncé : un remaniement aurait lieu dans les semaines à suivre. Ses propos étaient d’ailleurs corroborés par le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, qui annonçait le changement pour « après le 10 février ». Ce qui nous amène donc à … tout de suite après.

Le départ de Laurent Fabius du ministère des Affaires étrangères étant un secret de polichinelle, les spéculations sur le nom de son remplaçant au Quai d’Orsay sont allées et vont encore bon train. Outre Laurent Fabius, Sylvia Pinel, actuelle ministre du Logement, a fait part de son souhait de quitter le gouvernement très bientôt pour se concentrer pleinement sur son nouveau rôle de vice-présidente de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Deux places à prendre, donc, et beaucoup de bruit. Pour rien ? Peut-être, car les refus essuyés par François Hollande pourraient bien faire de ce remaniement un classique jeu des chaises musicales, et donner un gouvernement dénué d’ancrage stratégique.

  • Ségolène Royal : l’hypothèse la plus probable pour le Quai d’Orsay ?

Le nom de l’actuelle ministre de l’Écologie est peut être celui qui a le plus circulé. Et non sans raison : grâce à son poste, elle est beaucoup intervenue sur la scène internationale, rencontrant de nombreux chefs d’États importants. La ministre a gagné une véritable stature internationale en quelques années, qui lui donne la crédibilité pour le rôle. Encore proche de François Hollande, loyale, sa nomination permettrait de s’assurer de la continuité de la présence de pro-gouvernements au sein de l’exécutif.
Pourtant, Ségolène Royal n’a pas tout à fait le profil : réputée pour son caractère entier, elle n’est pas vraiment ce que l’on qualifie de « diplomate ». L’incident diplomatique tout juste évité après sa sortie sur Nutella en est la preuve la plus récente.
Pas de précipitation tout de même : dans les colonnes de Challenges, Nicolas Domenach raconte « l’union sacrée contre Ségolène Royal ». Diplomates et politiques lui reprocheraient, entre autres, d’être une femme (!) et une grande gueule un peu potiche. Rien n’est joué, donc.

  • Martine Aubry : un poids lourd à la gauche de la gauche

« J’ai cru à un gag », aurait dit la maire de Lille au quotidien La Voix du Nord. Non, elle n’a pas demandé à faire parti du gouvernement, et non, elle n’y entrera pas, malgré les informations que délivrait Le Parisien en début de semaine. Sa nomination à la tête du Quai d’Orsay n’aurait pourtant pas déplu à Laurent Fabius. En décembre 2014, alors que tous deux participaient à une conférence de presse, il avait déclaré : « Martine est une amie de longue date. Sur la politique internationale, il n’y a aucune différence d’approche. » Sur la politique internationale, peut-être, mais la maire PS de Lille n’a pas caché son désaccord avec la politique menée par le chef de l’État. Récemment, elle s’est déclarée hostile à la déchéance de nationalité, dénonçant une mesure qui divise et qui porte atteinte au principe d’égalité.
Il reste que Martine Aubry, qui représente encore pour beaucoup la gauche de la gauche à l’heure où la ligne socialiste est battue en brèche par le gouvernement, pourrait justement permettre un recentrage. Après le départ de Christiane Taubira, le gouvernement actuel est orphelin d’une personnalité forte ancrée à la gauche de la gauche. Martine Aubry aurait donc pu logiquement remplir ce rôle.

  • Placé, Pompili, De Rugy et Baylet : miser sur l’ouverture

En plein procès Cahuzac, le timing n’aurait pû être meilleur : la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), chargée de passer au peigne fin les déclarations fiscales des futurs ministres et élus, aurait reçu de la bouche du Président l’ordre d’inspecter les finances d’un certain nombre de personnes, non communiqué par l’organisme. Si les noms, eux non plus, n’ont pas été divulgués, Delphine Gouédard, chef adjointe du service politique d’iTélé, annonce sur Twitter que les noms de Barbara Pompili, Jean-Vincent Placé, Emmanuelle Cosse et Jean-Michel Baylet ont été transmis par l’Elysée à la HATVP.


Point commun de ces personnalités : elles se situent toutes plus à gauche que le gouvernement. La preuve de l’intérêt de François Hollande pour une ouverture de son gouvernement. A un peu plus d’un an de l’élection présidentielle, et alors que de nombreuses voix à gauche s’élèvent pour qu’une primaire soit mise en place, le chef de l’État a plutôt intérêt à donner des gages à l’aile gauche en lui ouvrant la porte du gouvernement.

Trois des quatre noms cités sont des écologistes. Emmanuelle Cosse, patronne d’EELV, est peut-être la plus improbable. Cette écologiste n’est pas pro-gouvernement, et sa nomination, si elle constituerait une belle prise pour François Hollande, serait nécessairement soumise à condition. On pense notamment à l’arrêt du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Pour Emmanuelle Cosse, entrer au gouvernement serait pourtant une prise de risque énorme. Déjà mise à mal par les nombreux départs dans son parti, elle risque le désaveu de ceux qui lui sont restés fidèles. Barbara Pompili, qui a quitté les Verts justement fin septembre, serait peut-être plus pratique pour François Hollande. Plus à gauche que le gouvernement, elle serait une caution d’ouverture qui ne nécessiterait a priori pas de contreparties. Mais la députée de la Somme a voté contre la déchéance de nationalité, affichant ainsi son opposition à la politique gouvernementale.

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Résultat du vote sur l’article 2 du projet de révision constitutionnelle, relatif à la déchéance de nationalité. Capture d’écran du site de l’Assemblée Nationale

Parmi les frondeurs d’EELV restent Jean-Vincent Placé et François de Rugy. Le nom du second n’a a priori pas été évoqué, mais il a exprimé mardi 9 février son souhait que le remaniement « soit un remaniement d’élargissement », qui pourrait donc inclure les écologistes. Jean-Vincent Placé a lui aussi proposé ses services à l’Élysée. Lundi 8 février, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement a indiqué que « des écologistes authentiques » avaient leur place au gouvernement.

Quant à Jean-Michel Baylet, sa nomination au sein de l’exécutif ne fait que peu de doutes. Le président des radicaux de gauche remplacerait le départ de Sylvia Pinel. Les rumeurs annoncent qu’il voudrait un grand ministère, et d’aucuns pensent qu’il récoltera l’Agriculture, Stéphane Le Foll souhaitant en effet s’en écarter.

  • Nicolas Hulot : le choix de la popularité

Arrivé en tête du sondage Ifop pour le JDD le 31 janvier dernier sur les personnalités politiques préférées des français, Nicolas Hulot a tapé dans l’œil des Français. La moitié des sondés veulent le voir jouer un rôle de premier plan au cours des prochaines années, et leur appel semblait avoir été entendu par François Hollande. Proche du président, l’écologiste avait été reçu mercredi dernier à l’Élysée. Il se serait vu promettre le poste de Ségolène Royal, qui inclut, outre l’écologie, l’énergie et les transports. Battu à plate couture par Eva Joly à la primaire écologiste en 2011, Nicolas Hulot a décidé de s’écarter de la politique politicienne, si présente en période pré-électorale. Sur Twitter, il a annoncé son refus d’entrer au gouvernement. Dommage, car l’ancien envoyé spécial de l’État pour la protection de la planète aurait pu être un choix rassembleur.

  • Elisabeth Guigou : le choix de Laurent Fabius

La présidente de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée Nationale a les faveurs du ministre sortant. Compétente, spécialiste des affaires européennes (elle a longtemps ambitionné un poste à Bruxelles), elle est clairement taillée pour le rôle. En outre, François Hollande a besoin de rétablir la parité au sein de son gouvernement. Seul problème : si près de l’élection présidentielle, le chef de l’État a besoin d’un gouvernement de campagne. Hors Elisabeth Guigou, 69 ans, n’est plus vraiment dans le jeu politique.

  • Ayrault et Fekl : relancer l’amitié franco-allemande

Les deux hommes partagent un point commun : ils sont germanophones et maitrisent la culture allemande. Un vrai point fort pour atterrir au Quai d’Orsay et un bénéfice considérable pour la relation franco-allemande. Jean-Marc Ayrault serait le plus à même des deux à enfiler les habits de ministre des Affaires Étrangères, lui qui a déjà connu les arcanes du pouvoir en tant que Premier ministre. Matthias Felk, secrétaire d’État au Commerce extérieur, a certes la cote chez les diplomates de Berlin, mais il est encore jeune (38 ans) et totalement inconnu du grand public. Un manque d’expérience qui le place donc plutôt dans la peau d’un outsider.

Lisa Boudet

Révision constitutionnelle : les échéances à venir

La déchéance de nationalité a été adoptée par les députés à une courte majorité mardi 9 février au soir. Mais la réforme constitutionnelle devra encore passer plusieurs étapes pour être définitivement adoptée.

 L'Assemblée nationale a adopté hier, mardi, l'inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Crédit JACQUES DEMARTHON / AFP
L’Assemblée nationale a adopté hier, mardi 9 février, l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution. Crédit
JACQUES DEMARTHON / AFP

Les débats étaient vifs mardi soir à l’Assemblée. L’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution a finalement été adoptée par les députés, avec 162 voix pour et 142 contre. Parmi les opposants se trouvaient 92 socialistes, chiffre qui témoigne des controverses soulevées par ce texte. Mais rien n’atteste que cet article 2 du projet de loi constitutionnelle entrera un jour en vigueur. Plusieurs échéances pourraient encore tuer dans l’œuf la mesure contestée qui, tout comme le régime d’exception de l’état d’urgence, fait partie du projet de loi de révision de la Constitution.

  • Étape 1 : vote du projet de loi constitutionnelle par l’Assemblée nationale

Les députés sont appelés ce mercredi 10 février, dans l’après-midi, à se prononcer sur le projet de loi constitutionnelle. L’article 1er, concernant l’état d’urgence, ainsi que l’article 2 sur la déchéance de nationalité ont déjà été adoptés. Le texte doit désormais être étudié dans son ensemble. L’issue du vote est encore incertaine, bien qu’une adoption semble être l’hypothèse la plus probable. Un refus marquerait l’abandon immédiat du projet.

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  • Étape 2 : vote du Sénat

Si le texte est adopté, le Sénat l’étudiera à son tour dans un délai minimal de quatre semaines. Le projet doit impérativement être entériné dans les mêmes termes par les deux assemblées. Cette étape est indispensable pour que le Parlement soit ensuite réuni en Congrès. Mais avec une majorité de droite, tout laisse à penser que l’ambiance sera tendue au perchoir. D’autant que, pour que l’article 2 soit validé par l’Assemblée nationale, le texte a dû être retoqué en supprimant la référence à la binationalité. Or, Les Républicains étaient opposés à cette modification susceptible de créer des apatrides. Cette étape pourrait donc bien marquer l’enterrement final du projet.

  • Étape 3 : nouveau Congrès à Versailles

Dernière étape et pas des moindres, les deux chambres du Parlement doivent être réunies lors d’un nouveau Congrès de Versailles. Une majorité des trois cinquièmes est nécessaire pour valider la révision constitutionnelle. À nouveau, les chiffres jouent contre l’exécutif qui ne dispose pas d’une majorité solide et dont les divisions internes annoncent un échec quasi-inévitable.

Laura Daniel