Escrime : pour Jérémy Fafa Keryhuel, « les JO seraient la consécration de toutes ces années de travail »

L’escrimeur franco-ivoirien Jérémy Fafa Keryhuel est aujourd’hui le seul représentant de la Côte d’Ivoire pour les épreuves internationales au fleuret. Âgé de 23 ans, le 37ème mondial pourrait bien participer aux Jeux Olympiques si ses résultats se maintiennent. Portrait d’un athlète motivé et autodidacte.

Jérémy Fafa Keryhuel, qui fait partie de l'équipe de Côte d'Ivoire, est aujourd'hui 37ème mondial. © Augusto Bizzi / Fédération internationale d'escrime
Jérémy Fafa Keryhuel, qui fait partie de l’équipe de Côte d’Ivoire, est aujourd’hui 37ème mondial. © Augusto Bizzi / Fédération internationale d’escrime

C’est lorsqu’il passe en voiture, avec son père, devant un panneau publicitaire pour des cours d’escrime que Jérémy Fafa Keryhuel découvre un sport dont il ne connaissait rien. Il est alors âgé de cinq ans. C’est peut-être l’image de Zorro, sur le panneau, qui lui donne envie d’essayer. Personne dans sa famille ne connaît réellement cette activité sportive, « très peu médiatisée en France », regrette-t-il. Pourtant, il se lance dans le club de sa ville, l’US Le Pecq, et son agilité surprend. Un an plus tard, il commence les compétitions : « J’ai tout de suite adoré ça ». Il ne s’est jamais arrêté depuis. Aujourd’hui 37ème au classement mondial à 23 ans, il est le seul représentant de la Côte d’Ivoire pour les épreuves internationales senior au fleuret. Si ses résultats se maintiennent, il est en bonne voie pour participer aux Jeux Olympiques de 2020 à Tokyo.

Jérémy Keryhuel est né à Paris le 28 octobre 1994, d’un père français et d’une mère ivoirienne. Il grandit dans les Yvelines, au Pecq, où il habite et s’entraîne encore aujourd’hui. À 15 ans, il intègre l’équipe de France en catégorie cadet et commence à voyager en Europe, puis dans le monde. Les résultats sont au rendez-vous : il est premier au classement national junior en mai 2014 et plusieurs fois champion de France en équipe.

© Augusto Bizzi / Fédération internationale d'escrime
© Augusto Bizzi / Fédération internationale d’escrime
L’équipe de Côte d’Ivoire : un tournant

Dès 2010, il s’intéresse à la situation de l’escrime en Côte d’Ivoire. Il prend contact avec la Fédération ivoirienne d’escrime et lui fait don de fleurets et de vêtements de combat. À son arrivée à Abidjan, il se rappelle « d’une foule qui l’attendait à l’aéroport ». « Certaines personnes m’ont même offert des fleurs », ajoute-t-il. Une image qu’il n’oubliera jamais. Là-bas, il s’entraîne avec les joueurs ivoiriens et combat même contre le maître d’armes de la Fédération, qu’il bat. Il devient une star de l’escrime dans le pays d’origine de sa mère. Cette dernière est d’ailleurs un soutien de taille pour lui : elle l’aide et l’accompagne dans ses démarches. « Elle est un peu comme mon agent », plaisante-t-il.

En mai 2017, il prend la décision de quitter l’équipe de France pour intégrer celle de Côte d’Ivoire. « C’était une décision difficile car même si cela m’offre des opportunités, la structure et la prise en charge ne sont pas les mêmes », raconte-t-il. En effet, la Fédération ivoirienne d’escrime touche peu de fonds. Quand il part en compétition à l’international, Jérémy Keryhuel voyage seul, sans coach ni médecin : « Cela m’oblige à être autonome, à me gérer tout seul ». D’autant plus que l’escrimeur n’a pas que le sport à gérer. Il est également en première année de master à l’École de Management Léonard de Vinci à Paris, en marketing digital et analyse de données. « C’est parfois compliqué de gérer le sport à haut niveau et les études, ça demande un investissement particulièrement important », confie-t-il.

Objectif JO 2020

Aujourd’hui, son objectif est d’être sélectionné pour participer aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2020 : « si je fais les JO, ce serait un rêve qui se réalise, mais aussi la consécration de toutes ces années de travail ». Cette sélection est envisageable, dans la mesure où son classement actuel lui permettrait d’y participer. « Mais un retournement de situation est possible, c’est pourquoi je dois rester concentré », explique-t-il. Il connaît ses forces et ses faiblesses : « Même si j’ai des qualités d’appui et que je ne baisse jamais les bras, je dois encore travailler mon mental et ma tactique ». Amoureux de la compétition, il ne se lasse pas de voyager aux quatre coins du globe pour combattre ses adversaires, qui sont parfois ses anciens coéquipiers de l’équipe de France. « L’escrime, c’est une famille de personnes qui vivent les mêmes choses que toi. On se motive et on se soutient quel que soit le pays qu’on représente. »

Justine HAGARD

Alex Fava, escrimeur professionnel et « chargé de com’ »

Aujourd’hui employé dans une banque, l’escrimeur Alex Fava a réussi l’exploit d’entrer dans une grande école de commerce tout en poursuivant la compétition à haut niveau. Un cas original dans le sport français. La faute, selon l’athlète de 28 ans, à un système au bord du gouffre.

Alex Fava fait partie des 100 meilleurs épéistes (une catégorie d’escrime) au monde et vise l’or olympique en 2020. Pourtant, lorsque l’on tape son nom sur Internet, la première chose que l’on apprend de lui n’est pas qu’il pratique l’escrime à très haut niveau. Mais plutôt qu’il est chargé de communication chez la banque populaire BRED. « Les gens pensent qu’on (les athlètes de haut niveau, ndlr) roule tous sur l’or, ou qu’on trouve un travail dans le sport une fois notre carrière terminée. Ce n’est ni l’un ni l’autre pour moi », tranche le jeune brun.

Un OVNI dans le sport professionnel

En France, selon lui, un seul escrimeur, médaillé olympique, arrive à vivre de son sport. « Son club le rémunère bien parce qu’il est plus connu, et il a des sponsors. » Tous les autres doivent se débrouiller. « Le plus jeune du groupe France ne reçoit rien de son club. Et comme il est étudiant, il ne gagne pas d’argent. Personnellement, je ne toucherais pas assez pour vivre sans mon emploi. »

Car si Alex Fava a réussi à décrocher un travail dans le secteur bancaire, il fait plutôt figure d’OVNI dans un monde du sport de haut niveau très chronophage et exigeant mentalement. « [Les sportifs] ne sont en général intégrés ni dans un lien de travail salarié, ni dans un lien de travail indépendant », alarmait le rapport Karaquillo, qui a servi de base à la rédaction de la loi Braillard sur le sport de haut niveau en 2015.

« J’ai pris conscience très jeune que l’escrime ne me suffirait pas pour vivre, affirme le Montpelliérain d’origine. Celui qui tourne actuellement autour de la 90e place mondiale en épée choisit donc très tôt de faire cohabiter escrime et parcours professionnel. Une double casquette qu’il a toujours conservée, jusqu’à aujourd’hui.

L'épéiste Alex Fava en pleine attaque lors d'une compétition internationale. Crédits Alex Fava
L’épéiste Alex Fava en pleine attaque lors d’une compétition internationale. Crédits Alex Fava

Si chères études

Au CREPS (centre d’accompagnement d’athlètes de haut niveau, ndlr) de Reims, l’épéiste navigue donc entre ses entraînements et ses cours à la fac. Une année en économie, puis trois ans de droit, grâce à des aménagements horaires. Sans jamais ressentir le besoin d’abandonner une voie. « Evidemment, ce n’est pas facile d’être sur deux fronts en même temps, surtout quand l’un te demande beaucoup d’énergie. Mais j’ai même dû travailler en tant que surveillant de mon internat pour me faire des sous ! »

2011 est un tournant pour lui. Il intègre le fameux Insep (Institut national du sport et de la performance) à Paris, le temple du sport du haut niveau. Son avenir sportif s’éclaircit. Mais toujours pas question pour lui de se focaliser sur les sommets de l’escrime. « Après ma licence de droit, j’ai fait 2 ans en communication-journalisme, puis j’ai réussi le concours d’une grande école de commerce, l’ESCP. J’ai suivi la formation classique, comme tout le monde, mais je devais négocier avec mes professeurs et mes entraîneurs pour partir plus tôt de cours. »

Négocier un CDD

Aujourd’hui, Alex Fava a donc décroché un emploi à la BRED. Mais, lui qui s’estimait pourtant « assuré de trouver un travail grâce à la réputation de [s]on école », a plus « galéré » que ses camarades de promotion. « De janvier à octobre, je n’avais rien. Le problème, quand on est sportif de haut niveau, c’est qu’il faut convaincre un employeur de nous embaucher alors qu’on part tout le temps en compétition, qu’on a besoin d’horaires aménagés, qu’on risque de se blesser … De plus, mon contrat ne dure qu’un an, je ne sais pas si je vais être reconduit. »

Si le n°2 français en épée a réussi à convaincre la BRED de le recruter, il ne le doit qu’à lui-même : il n’a pas bénéficié des dispositifs d’accès à l’emploi pourtant inscrits dans la loi Braillard. Pour cause de mauvais résultats sportifs, il a été retiré l’an dernier des listes favorisant l’insertion à l’emploi pour les SHN. Le principe : les fédérations sélectionnent certains athlètes, qui pourront profiter de contrats de travail, les CIP (Convention d’insertion professionnelle), plus favorables – travailler à temps partiel pour pouvoir pratiquer son sport, tout en étant rémunéré à temps plein. C’est grâce à ce dispositif qu’il avait obtenu son premier CIP au Crédit agricole, il y a deux ans.

Une jeunesse livrée à elle-même

Mais les places pour ces fameuses listes seraient, selon Alex Fava, désormais très chères. « En raison de contraintes budgétaires, le Ministère des sports est en train de limiter le nombre de candidats sélectionnés. J’en suis l’exemple concret. Comment va-t-on convaincre nos jeunes de devenir sportifs de haut niveau si on leur ferme la porte à une stabilité financière? »

Le problème, pour lui : « Le Ministère force les jeunes à faire des études, mais pas à trouver un travail. » Le fameux « double projet » à la française, qui oblige les meilleurs jeunes sportifs à combiner la pratique de leur sport avec la poursuite de leurs études, est dans son viseur. « La plupart ne sont focalisés que sur leur rêve sportif. On ne peut pas rivaliser avec les escrimeurs italiens ou coréens. Eux sont payés par leur fédération pour faire leur sport. Ils vivent de l’escrime parce que c’est leur métier. Pas nous. »

Douglas De Graaf