Le recyclage urbain, effet de mode ou réelle évolution des mœurs ?

Un peu partout en ville, des initiatives fleurissent pour valoriser les déchets, comme ici aux Grands Voisins.

De l’installation de composteurs de quartier aux collectes de vêtements des grands magasins qui s’apparentent souvent à des opérations marketing, valoriser les déchets n’a jamais été aussi tendance. Bon pour l’environnement, pour l’emploi et pour la vie associative, le recyclage semble amorcer une transformation de la société …

Porte de Champerret, au 3, rue Jean-Moreas, un jardin dans la ville. Citrouille, persil, framboisier et hortensia, les plantations sont variées dans cette cour parisienne. Toutes sont nourries par le compost produit par les habitants de l’immeuble. “ Nous en produisons parfois tellement que certains en ramènent à leur famille, à la campagne”, confie Sylvie Roche, une habitante. Depuis janvier 2018, fini les épluchures à la poubelle. Des dizaines de foyers ont franchi le cap pour valoriser leurs déchets organiques. Trois bacs à compost ont été installés juste à côté du petit potager, dans la cour de 30m². Dans les deux premiers, les habitants jettent coquilles d’oeufs, peau de bananes ou marc de café. Dans le troisième, de la matière sèche pour permettre la bonne dégradation de ces déchets. Pour obtenir un bon compost, il ne reste plus qu’à attendre six à neuf mois.

Pourtant, en ville, donner une seconde vie à ses déchets ne coule pas de source. Les citadins recycleraient deux fois moins que les ruraux, selon les chiffres de l’entreprise Citeo, en charge du ramassage et du tri des déchets ménagers en France.

DU TRI SÉLECTIF AU COMPOSTAGE

Pour changer cela, les villes visent aujourd’hui un taux plus élevé de recyclage. Le dirigeant de Citeo, Jean Hornain, annonçait en décembre sur Europe 1 “l’accélération du déploiement des points de collecte” en zone urbaine, pour faciliter la démarche de tri. Seuls 70% de tous les déchets ménagers sont recyclés à l’heure actuelle, malgré une demande de plus en plus forte de la part des ménages. Pour Annick Lacout, fondatrice d’Agir ensemble pour une faible empreinte écologique, la société civile va plus vite que les élus, que les collectivités et que l’Etat. Les institutions pourraient se saisir de cet engouement populaire pour aller plus loin.” Une uniformisation des normes de tri est prévue pour 2022, mais d’ici-là, il peut parfois être difficile de se repérer quand les caractéristiques des poubelles changent de ville en ville.

Beaucoup de Français jettent leurs déchets dans la mauvaise poubelle.

Paris, qui a adopté ces nouvelles normes en janvier, expérimente actuellement le dispositif Trilib dans plusieurs arrondissements. Pensé comme une station de recyclage, il permet aux passants de trier leurs déchets dans cinq bacs différents: textile, carton, papier, verre et petits emballages.  À partir de décembre 2019, ces bornes seront installées dans toute la ville.

Et pour les déchets organiques, si vous n’avez pas trop peur des petites bêtes, plusieurs villes, comme Lyon, Tours ou encore Rennes donnent des lombricomposteurs aux habitants qui en font la demande. En à peine trois mois, les vers contenus dans cette petite poubelle peuvent transformer 10 kg d’ordures en 1,5 kg d’engrais.

La ville de Paris propose aussi aux habitants des appartements Paris-Habitat une aide financière pour mettre en place des bacs de compostage dans les immeubles, comme c’est le cas Porte de Champerret.“Dix foyers au minimum doivent signer auprès de la mairie pour que le projet puisse naître, explique Sylvie Roche. Elle admet que beaucoup de personnes étaient au départ sceptiques, par peur des odeurs, de l’hygiène ou des rats. Mais à force de persévérance, le projet a vu le jour. Inspiré par l’initiative, l’immeuble voisin de la Porte de Champerret a, lui-aussi, fait installer son bac à compost, six mois après. Sur les 150 logements Paris-Habitat que compte la rue, plus de 20% recyclent à présent régulièrement leurs déchets organiques. “Cela a aussi permis de créer un lien social inattendu, confie Sylvie Roche, sa petite fille de huit mois dans les bras. Parler de ce projet a permis aux gens de l’immeuble de se rencontrer. Nous faisons des apéros ensemble, nous veillons sur les plus fragiles quand vient l’été, les enfants jardinent ensemble, et nous avons monté une boîte à livres où, cette fois, tous les gens du quartier viennent déposer et se servir.”

Dans la cour de l’immeuble, Sylvie Roche descend régulièrement ses déchets organiques.

UN ACTE DE MILITANTISME SOCIAL

Donner une deuxième vie à ses déchets en ville, c’est souvent une opportunité de mener une action sociale. L’entreprise à but non-lucratif TerraCycle noue ainsi des partenariats avec des marques désireuses de faire recycler les déchets que produisent leurs clients et qui ne sont pas pris en charge par les usines habituelles: colles UHU, emballages Harris, brosses à dents Signal… Les personnes intéressées créent un point de collecte chez elles, dans une école ou encore dans une entreprise. TerraCycle récupère ensuite gratuitement les déchets, qui sont convertis en matériaux de construction. “Depuis 2012, nous en avons ramassé 87 tonnes en France, souligne Apolline Sabaté, chargée des relations presse. En échange, les gens reçoivent des points, qu’ils peuvent convertir en dons pour des associations.”

Chez Emmaüs Alternatives, dix boutiques de Paris et Montreuil permettent l’emploi de 150 salariés en réinsertion. Notre objectif principal reste de remettre les gens sur le marché du travail, rappelle Sylvie Perrot, responsable de la boutique rue de Charonne, dans le 11e arrondissement. Les boutiques de l’association reçoivent vêtements, livres, bibelots, petits meubles et récupèrent les biens encombrants au domicile des donneurs. Ils sont ensuite triés et, au besoin, remis en état avant d’être proposés à la vente ou d’être recyclés.

Les ressourceries, magasins associatifs collectant et valorisant les biens de seconde main, revendiquent également un rôle social. Chez Ma Ressourcerie, dans le 14e arrondissement, la directrice Sophie Chollet se félicite d’être dans un quartier avec une grande mixité, où tout le monde peut donner et acheter, de tous les horizons et tous les milieux socio-professionnels”. Avec ses neuf salariés en insertion, l’association permet d’éviter 130 tonnes de déchets par an, grâce à la revente et au recyclage. Il y a un réel engouement. On est à 125 achats par jour et, ici, c’est forcément un peu militant”, sourit la directrice. Sophie Meyer, salariée, constate un intérêt des clients pour la question écologique : Ils veulent savoir ce que deviennent leurs dons, c’est important pour eux. Il y a très peu de pertes, tout ce que l’on ne garde pas repart dans d’autres circuits. L’association accepte tout type de dons, sauf les objets électroniques. Elle propose alors aux donateurs d’aller au lycée professionnel Lazare Ponticelli, dont les élèves réparent les appareils.

« Un achat, ici, c’est forcément un peu militant », explique Sophie Chollet, directrice de Ma Ressourcerie

Lola Uldaric, étudiante, fréquente la ressourcerie pour y renouveler son dressing et ne veut pas faire son shopping dans les magasins traditionnels. Je ne me vois pas acheter de vêtements au prix du neuf, je préfère leur donner une seconde vie”, justifie-t-elle. Un raisonnement que rejoint Danielle Dunas. La sexagénaire a l’oeil pour dénicher les pièces de marques au rayon textile et en a même bouleversé ses habitudes consuméristes: Avant, j’avais la carte du Printemps, j’achetais aux Galeries Lafayette mais j’ai arrêté pour venir ici.

UN ARGUMENT MARKETING

Les grandes enseignes comme le Printemps, justement, tentent de s’engouffrer dans cette nouvelle demande. Depuis le 4 avril et jusqu’au 12 mai, l’opération “(re) créez, (ré) inventez” vise, selon Gilles Desmousseaux, attaché de presse, “à mettre en valeur les nouveaux modes de consommation de plus en plus plébiscités par les jeunes, par la génération Millenials”. Une collection capsule à partir d’anciens vêtements du Printemps a été réalisée par l’association Tissons la solidarité, pour la marque Andrea Crews, et une collecte de textiles est organisée au profit de la Croix-Rouge.

Le recyclage est devenu un argument marketing de premier plan pour les entreprises

Les vêtements de seconde main sont mis en avant via un vide-dressing organisé par des influenceuses et par deux pop-up stores de la marque Tilt Vintage. Pour Chloé Devin, vendeuse, la clientèle française est toutefois encore frileuse à l’idée d’acheter des fripes. “C’est beaucoup plus dans les moeurs des Américains ou des Anglais, explique-t-elle. Cela plaît beaucoup aussi aux Coréens, car les artistes de la K-Pop ont adopté les codes des années 1990, et ils achètent donc beaucoup ce genre de vêtements.” Pour les pop-up stores, les prix vont de 35 €, pour une jupe, à 300 € pour un manteau en fourrure. “C’est un peu plus cher que dans nos magasins car le Printemps a fait une sélection parmi les produits les plus luxueux, admet Chloé Devin.

Au-delà de l’aspect social et écologique, le recyclage est donc devenu un argument marketing de premier plan pour les entreprises: H&M, Lush, Sephora, beaucoup sont ceux qui incitent à présent leurs clients à revenir en magasin pour ramener les vêtements dont ils ne veulent plus, les flacons de parfums ou de crème vides, en échange d’un bon de réduction. A Marionnaud, c’est 20% de remise et 25 points sur la carte fidélité pour tout contenant rapporté, hors aérosols. Les boutiques Cyrillus récupèrent, quant à eux, vêtements et linge de maison en échange d’un bon d’achat de 5€, valable dès… 20€ d’achat. Si cela apparaît parfois comme une bonne affaire pour les clients, c’est surtout un très bon moyen pour les magasins d’inciter au rachat.

Cette vitrine écologique pourrait parfois s’apparenter à du green washing – une pratique marketing qui consiste pour un organisme à communiquer autour d’actions écoresponsables, loin de sa réalité- même si, pour Annick Lacout, en matière de recyclage, il n’y a pas tant de green washing, même si les intentions ne sont pas toujours aussi vertueuses que l’on le souhaiterait. Le monde des déchets est concret, il est difficile de faire semblant de trier ”. Avec un marketing vert assumé et des actions tangibles, la valorisation des déchets est devenue un marché à part entière. Pour l’économiste et professeur de géographie à l’Université Lyon 3, Lise Bourdeau-Lepage, cela s’explique aisément. Sans valeur économique, la valeur écologique ne serait pas reconnue, explique-t-elle. La question du recyclage, c’est essentiellement celle de redonner de la valeur à un bien qui n’a plus d’usage.” Ainsi, les magasins Sephora, en faisant recycler les vieux flacons en verre, font d’une pierre deux coups. “Le verre est transformé en matériau pour les routes, explique Dimia Habib, vendeuse au Sephora Haussmann, avec un sourire. Les clients apprécient, et certains ramènent parfois leurs flacons sans même demander de remise.”

Audrey Dugast & Blandine Pied

Pour compléter :

Start-Up et Recyclage, une alchimie efficace

Trois questions à … Annick Lacout, fondatrice du bureau d’études AEFEL

Une uniformisation des normes de tri

Les ouragans vont-ils frapper aux portes de l’Europe ?

L'ouragan pourrait provoquer une montée des eaux de 4 mètres à certains endroits -Images/AFP
L’ouragan pourrait provoquer une montée des eaux de 4 mètres à certains endroits – Images/AFP

Seulement un an après le passage de l’ouragan Irma, la Floride se retrouve une nouvelle fois dans l’œil du cyclone. Récemment passé en catégorie 4 sur une échelle de 5, l’ouragan Michael qualifié « d’extrêmement dangereux » rejoindra le sud-est des Etats-Unis dès mercredi soir. 120.000 personnes sont concernées par les mesures d’évacuation du pays. Un phénomène d’une ampleur inédite qui se multiplie et pourrait bientôt concerner le continent européen.

« C’est la tempête la plus dévastatrice ayant touché la Floride depuis des décennies », affirmait ce mardi Rick Scott, gouverneur républicain de la Floride à propos de l’ouragan Michael. Après que le président Donald Trump a déclaré l’état d’urgence, le cyclone se dirige à présent vers le sud-est des Etats-Unis et devrait rejoindre les côtes dans la soirée de mercredi. C’est le 7ème événement météorologique de cette ampleur qui survient dans l’Atlantique nord en 2018. Une prolifération d’ouragans qui, avec l’accélération du réchauffement climatique, pourrait bien impacter l’Europe dans un futur proche.

Des ouragans de plus en plus violents

Il y a plus d’un an, la Floride était durement touchée par Irma et engendrait la mort de 134 personnes. Avec des rafales de vents de 210 km/h et une montée des eaux de 4 mètres par endroits, Michael pourrait être tout aussi destructeur. Le réchauffement climatique, désormais au centre de tous les débats, nous interroge sur la prolifération de tempêtes aux quatre coins du globe. Pierre Huat, météorologue chez MeteoGroup rassure. « Il n’y aucun signe statistique d’augmentation du nombre de phénomènes cycloniques (ouragans, cyclones, typhons) à la surface de la planète. Pour exemple, nous avons observés l’an dernier 18 phénomènes sur l’Atlantique. C’est plus qu’en 2016 mais moins qu’en 2012 », précise-t-il.

En revanche, bien que le sujet soit encore l’objet de débats scientifiques, les ouragans majeurs pourraient à l’avenir être de plus en plus puissants. « L’eau des océans se réchauffe de façon globale. Hors, ces eaux sont l’un des ingrédients moteurs de la puissance des phénomènes cycloniques. Donc, avec plus de chaleur dans les océans, la puissance des ouragans sera plus forte », explique le météorologue. Une hypothèse cependant nuancée par Jérôme Lecou, météorologue à Météo France. « Le réchauffement climatique n’est qu’une des raisons qui explique l’apparition d’ouragans violents. Il y a d’autres paramètres à prendre en compte comme les Alizés ou certaines convergences de vents. »

L’Europe, bientôt dans l’œil du cyclone ?

Enfin, quel sort pour le climat européen ? En septembre 2017, de nombreuses spéculations avaient émergées sur une possible arrivée de l’ouragan Jose sur le sol français. Toutes infondées. Même dans un futur où le réchauffement climatique serait d’une importance capitale, Pierre Huat est catégorique : il est impossible qu’un phénomène de l’ampleur de Michael se produise en Europe. « On considère qu’il faut une très grande surface d’eau à plus de 26°C pour qu’un ouragan se forme. Hors, dans nos contrées, même avec le réchauffement climatique, les eaux de l’Atlantique restent trop froides pour héberger un cyclone. »

Il en va de même pour les surfaces plus petites comme les mers intérieures. « En méditerranée, la mer atteint parfois la température nécessaire, mais sur des zones bien trop exigües. Nous observons toutefois depuis quelques années la formation de Medicanes, qui sont des manifestations hybrides entre nos dépressions habituelles et les phénomènes cycloniques. Mais elles n’atteignent jamais la puissance d’un ouragan tel que Michael. »

Nicolas Quénard

L’ouragan Michael touchera la Floride dans la journée

L’ouragan qualifié de « potentiellement meurtrier » par le Centre national des ouragans américain se dirige actuellement vers la Floride. Près de 2500 soldats de la garde nationale sont mobilisés pour venir en aide aux habitants qui n’ont pas évacué la zone.
Des Floridiens regardent l'ouragan approcher de la côte à Panama City Beach, le 9 octobre 2018. Crédit photo : Brendan Smialowski / AFP
Des Floridiens regardent l’ouragan approcher de la côte à Panama City Beach, le 9 octobre 2018. Crédit photo : Brendan Smialowski / AFP

« Si vous vous trouvez dans une zone d’évacuation, je vous empresse de partir MAINTENANT. Ne risquez pas votre vie ou celles de vos proches – partez maintenant. » C’est l’appel lancé sur Twitter cette nuit par le gouverneur de Floride, Rick Scott, à l’approche de l’ouragan Michael.

Elevé ce matin à la catégorie 4 sur une échelle de 5, l’ouragan devrait toucher les côtes de la Floride dans la journée. Des rafales de 210 km/h sont attendues, ainsi qu’une montée du niveau de la mer de quatre mètres à certains endroits. Soit « la plus puissante [tempête] en plus de cent ans », avertissent les services d’urgence de l’Etat sur Twitter.

Le Centre national des ouragans (NHC) a alerté sur son caractère « potentiellement meurtrier ». « L’ouragan Michael est un événement sans précédent, il ne peut être comparé à aucun de ceux que nous avons connus », considèrent les services météorologiques floridiens.

Un ordre d’évacuation a été lancé et 2500 soldats de la garde nationale sont mobilisés. « N’oubliez pas qu’on peut reconstruire votre maison, mais pas vous ramener à la vie », a insisté Rick Scott sur twitter, en anglais et en espagnol.

Depuis lundi, les files s’allongent devant les stations essence quand d’autres se munissent de sacs de sable pour protéger leurs habitations. Les autorités craignent des coupures d’électricité dues à la chute d’arbres sur les lignes.

L’ouragan pourrait ensuite se diriger vers la Georgie et la Caroline du Nord et du Sud. Il y a un mois, un autre ouragan avait déjà frappé ces deux derniers Etats. Il avait entraîné la mort d’une quarantaine de personnes et coûté plusieurs milliards de dollars en dégâts matériels.