La difficile équation pour les collectivités territoriales de conjuguer transition écologique et renflouement des caisses publiques

Alors que Bruno Le Maire, désormais ancien ministre de l’Économie et des Finances, n’a cessé de réprimander les collectivités territoriales ces derniers jours, les accusant d’être responsable du dérapage des finances publiques, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime que les collectivités locales devraient investir encore plus d’argent, à hauteur de 19 milliards d’euros, pour respecter les engagements climatiques nationaux.

Dix-neuf milliards d’euros d’investissement par an, voilà ce que préconise l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) vendredi 13 septembre dans leur constat intitulé « Panorama des financements climat des collectivités locales », à l’ensemble des collectivités territoriales pour que celles-ci atteignent les objectifs climatiques que s’est donné la France d’ici 2030. Une somme relativement moins importante que ce que préconisait en avril dernier l’Inspection générale des finances (IGF) qui évaluait ces investissements à hauteur de 21 milliards d’euros par an.

Un écueil s’oppose toutefois à ces estimations : les critiques répétées des ministres démissionnaires de l’Économie et du Budget, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, qui accusent les collectivités locales d’être à l’origine de 16 milliards d’euros de dépenses non prévues initialement. Dans un communiqué de presse, l’Association des maires de France (AMF) se défend en rappelant que « les collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes, communes), malgré des erreurs de gestion qui peuvent toujours exister, ne sont pas à l’origine des problèmes des comptes publics ». Et d’ajouter : « Les finances locales sont obligatoirement à l’équilibre, car les collectivités (…) ne peuvent pas voter de budget en déficit », tout en concluant qu’il s’agit là d’une « mise en cause grossière » dans un but de « masquer la situation désastreuse des comptes d’État ».

Les calculs réalisés par l’I4EC, qui estiment une hausse des investissements des collectivités (19 milliards d’euros), demanderaient donc un effort plus important que durant l’année écoulée. En effet, comme le détaille pour le Celsalab, Axel Erba, chercheur en économie et climat à l’I4CE, « les investissements totaux en matière de transition écologique s’élève à « seulement » 10 milliards d’euros pour l’année écoulée.»

Une redirection arbitraire des investissements pour mener ces combats à bien

« Les collectivités locales sont cruciales dans la transition écologique pour deux raisons principales, explique le chercheur. Leurs compétences en termes de rénovation du patrimoine (réduire la consommation énergétique des bâtiments, isolation thermique, ventilation, remplacement des chaudières gaz ou fioul etc.) et d’amélioration de la mobilité (achat de matériel décarboné, ouverture de lignes ferroviaires, étendre les dispositifs de transport en commun) leur incombent d’agir efficacement et activement dans ces domaines afin d’atteindre les objectifs demandés. »

Si l’équation semble difficile pour ces collectivités qui doivent accentuer leurs investissements sans que la facture finale ne s’alourdisse, elle n’en est pas pour autant impossible. Dans l’étude rapportée par l’Institut de l’économie pour le climat, quatre piliers distincts pourraient contribuer à atteindre les objectifs de 2030. Cependant, ceux-ci doivent être mobilisés au travers d’une coopération simultanée entre l’État et les collectivités.

« Premièrement, les collectivités doivent accélérer la redirection de certains de leurs investissements actuels en faveur du climat, explique Axel Erba. Ça se réalisera par des décisions arbitraires des communes au détriment d’autres secteurs », admet-il. « Cela n’est pas impossible. Ça dépendra des politiques décidées par les collectivités. » Comme le montre l’étude, un tel changement s’est déjà vu ces dernières années : « Entre 2017 et 2023, les investissements climat sont passés de 9,5 % à 13 % des dépenses. »

Parmi les autres piliers théorisés par l’I4CE, il y a le recours « accru » aux emprunts pour financer ces investissements, « mais cela reste compliqué à estimer au niveau national ».  L’État a aussi un rôle majeur à jouer pour atteindre les objectifs et aider les collectivités à réaliser leur travail. « Le soutien de l’État par les dotations doit être rendu plus stable dans le temps », demandent les chercheurs ayant participé à cette étude.

Le projet de loi de finances 2025, la grande incertitude

Alors que le projet de loi de finances 2025, qui accuse déjà du retard, devrait garder comme priorité le redressement des finances publiques, certains représentants de collectivités craignent déjà des coupes budgétaires sur les aides et fonds alloués à la transition écologique, notamment sur une potentielle diminution du Fonds vert. Pour rappel, le Fonds vert a déjà été amputé d’1,5 milliard d’euros par le gouvernement en toute fin d’été, le faisant passer de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard en 2025.

Les élus représentant les territoires et l’ensemble des collectivités attendent donc le nouveau Premier ministre Michel Barnier au tournant. Début septembre, Benoît Leguet, directeur de l’I4CE, demandait que soit présenter par le gouvernement « un projet de loi de finances compatible avec la planification écologique « sincère » ».

Vincent Danilo

Marches pour le climat, les raisons d’une mobilisation qui s’essoufle

Une « grève mondiale pour le climat » s’est tenue ce vendredi 15 septembre à Paris. La mobilisation a réuni 80 personnes, un chiffre bien éloigné des marches pour le climat de 2019. Les manifestants du jour expliquent cette désertion.

« Force est de constater que la grève n’a pas pris aujourd’hui« . Pablo Flye, porte-parole du mouvement Fridays For Future, fait le tour des manifestants pour les inciter à rejoindre la lutte contre le réchauffement climatique. Un tour assez vite effectué: ce vendredi, ils n’étaient qu’une centaine, place Saint-Augustin, à Paris, à avoir répondu à l’appel lancé par l’organisation Youth For Climate, impulsé par l’activiste suédoise Greta Thunberg. Un chiffre bien éloigné des dizaines de milliers de personnes qui déferlaient dans les rues de la capitale en 2019, mais aussi, selon l’AFP, des 12500 personnes présentes à Berlin.

Trois mois après le dernier rassemblement pour le climat, les pancartes en carton dessinées à la gouache sont de retour. La grève mondiale du jour était organisée avec un triple objectif. Pablo Flye résume: « C’est d’abord un événement international. On souhaitait mobiliser afin de commencer un nouveau cycle de luttes. Ensuite, on demande au gouvernement une sortie rapide et juste des énergies fossiles. Enfin, il y a la question de la rénovation thermique des bâtiments.« 

« Presque un après-midi entre copains »

Des jeunes étudiants parisiens, certains originaires d’Allemagne et de Corée, tentent de se faire entendre entre les voitures. Ils côtoient des roués des luttes, adhérents à Greenpeace, Extinction Rébellion ou d’autres mouvements écologistes. Dominique (1), retraité et militant à Greenpeace, les observe et se désole: « C’est famélique, mais ça ne m’étonne pas. Les jeunes qui étaient là en 2019 quittent progressivement les études, la transmission ne se fait pas, et les mobilisations ne sortent pas assez de leurs zones de confort. Ce sont toujours les mêmes slogans ! »

80 personnes se sont réunies ce vendredi 15 septembre à Paris pour lutter contre le réchauffement climatique. (Ulysse Llamas / CELSA)

Lou-Anne, jeune membre de Fridays For Future, trouve des raisons: « Pour moi, ça y est, les gens et sont sensibilisés au réchauffement climatique. Le sentiment d’urgence s’est banalisé, le climat est devenu un sujet quotidien. Et puis, il faut le dire, on ne parle pas vraiment aux gens. C’est presque devenu un après-midi entre copains… »

De la mobilisation collective au choc

L’étudiante évoque aussi le fait que les rassemblements de Youth For Climate coexistent avec d’autres modes de mobilisation. Elle cite les Soulèvements de la Terre et leurs actions contre les projets de méga bassines. Elle ajoute qu’après le rassemblement de l’après-midi, elle ira voir Thomas Brail, un militant écologiste qui fait la grève de la faim dans un arbre, devant le ministère de la Transition écologique. Des modalités plus radicales, qui alertent et suscitent vite des réactions. « Les rassemblements comme celui d’aujourd’hui sont une porte d’entrée à la prise de conscience écologiste, poursuit Pablo Flye. Elles sont complémentaires à d’autres formes de mobilisations, plus radicales, également nécessaires« .

Le député La France Insoumise (LFI) Maxime Leisney, venu soutenir la mobilisation, est moins pessimiste: « Le sujet du climat reste là, on l’a vu avec le mouvement des Soulèvements de la Terre cet été. Les étudiants sont à peine rentrés et ont pour la plupart autre chose dans la tête, le coût de leurs études par exemple. On les reverra.« 

 

À 19 ans, Pablo Flye se projette déjà vers la suite du mouvement: « Il faut relancer la dynamique, faire en sorte qu’on continue à parler du climat, alerter partout. » Pour cela, il exhorte les participants à « sortir les téléphones » pour filmer leur présence et la diffuser sur les réseaux sociaux. En parallèle de cette marche, des rassemblements ont eu lieu dans 24 autres villes en France.

Ulysse Llamas

(1) les interrogés n’ont pas tous souhaité donner leur identité complète.

Environnement: les crédits carbone ne sont « pas des outils adaptés » selon une étude

Dans un rapport publié ce vendredi, une douzaine de chercheurs, principalement issus de l’Université de Berkeley en Californie, accablent les crédits carbone censés compenser les émissions de gaz à effet de serre des entreprises.
Photo: Mariya Todorova

Depuis des mois, chercheurs et médias braquent les projecteurs sur le secteur des crédits carbone, critiqué pour ses méthodes douteuses qui augmentent les risques de greenwashing par les entreprises souhaitant ainsi afficher leur « neutralité carbone ».

Pour la douzaine de chercheurs ayant contribué à l’étude, les projets de protection des forêts contre la déforestation ne sont « pas des outils adaptés » pour générer des crédits carbone censés permettre aux entreprises de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Ils se sont notamment attaqués aux quatre méthodologies sur lesquelles Verra, le plus grand organisme mondial de certification de crédits carbone, se base pour en émettre.

La conclusion de cette étude, financée par l’ONG Carbon Market Watch, est sans appel: « les projets REDD+ [Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement, NDLR] ne sont pas adaptés pour générer des crédits carbone ». Un crédit représente une tonne de CO2, soit retirée de l’atmosphère grâce à la croissance des arbres, soit empêchée d’y pénétrer grâce à la déforestation évitée. « La configuration actuelle du marché des crédits carbone n’est pas efficace pour réduire la déforestation et protéger les populations » locales, ajoutent-ils.

Des critères difficiles à évaluer

Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont appliqué les quatre méthodologies de Verra à plusieurs projets de protection des forêts en faisant varier plusieurs critères. Cependant, malgré les exigences fixées pour obtenir une certification, la « flexibilité allouée par Verra aux personnes développant ces projets » leur permet de choisir les hypothèses les plus avantageuses de manière à exagérer le nombre de crédits carbone associés.

Ainsi, ces méthodologies se basent sur des critères difficiles à évaluer: la déforestation qui aurait eu lieu si le projet n’avait pas été mis en place, la capacité réelle d’absorption des arbres ou encore les risques encourus par la forêt (possibles incendies, sécheresse liée au réchauffement climatique). Les chercheurs ont alors observé des écarts significatifs dans le nombre de crédits alloués en fonction de la méthodologie utilisée et des hypothèses ensuite retenues.

Pire encore, les « auditeurs » censés contrôler la conformité des projets aux critères de Verra « pensent que leur rôle consiste à s’assurer que la méthode de calcul des émissions » respecte le cadre imposé par Verra mais pas à vérifier si le résultat « est exact » ou si les estimations sont assez « prudentes ». Les auteurs reconnaissent que Verra a mis à jour ses méthodologies en août avec « des améliorations importantes » qui ne sont pas prises en compte dans leur étude mais affirment que des « changements additionnels substantiels sont encore nécessaires pour éviter l’exagération dans l’émission de crédits carbone ».

A la suite d’une enquête accablante pour Verra publiée en janvier par le quotidien britannique The Guardian, son directeur général David Antonioli avait démissionné en mai.

Elena GILLET avec AFP

eBay veut investir le marché de la réparation des objets

Le site d’enchère en ligne lance une plateforme d’aide à la réparation d’objets. Une nouvelle dynamique pour eBay, en perte de vitesse, mais aussi un pari risqué en l’absence d’une stratégie stable.

« Rien ne se perd, tout se répare », annonce-t-on dans les bureaux d’eBay, ce jeudi matin. Le site pionnier de la vente en ligne dévoile aujourd’hui sa nouvelle plateforme « eBay Réparation », base de données interactives pour accompagner les consommateurs souhaitant réparer par eux-mêmes les produits du quotidien. Également sur la plateforme, un service d’achat de pièces détachées, et une ligne d’appel payante, ouverte en continu (7€ pour 15 minutes).

L’ambition affichée est ouvertement écologique. eBay, plateforme de mise en contact entre acheteur et vendeur, estime n’avoir que peu de pouvoir sur l’impact écologique des échanges. Si la fabrication d’objets est extrêmement polluante, le site a décidé d’arrêter de mettre en avant les produits neufs dans ses stratégies marketing. Mais Céline Saada-Benaben, directrice générale de la branche française, voit plus grand: « Ce que nous pouvons faire, c’est nous assurer que cette production soit faite moins souvent. » Elle fait appel à la légende du site, dont la première vente aurait été celle d’un pointeur laser cassé. Les nouvelles priorités d’eBay? Revendre, remettre à neuf et réparer. Réparer surtout, alors qu’elle insiste déjà sur la distribution de pièces détachées automobiles grandissante, au sein de son site.

Miser sur l’expérience pour compenser un e-commerce en berne

Le mastodonte historique manque de traction dans l’Hexagone. Au premier trimestre 2022, il était le seizième site de e-commerce le plus visité, avec 15% de couverture mensuelle (en pourcentage de la population française), loin derrière d’autres spécialistes de la revente : Leboncoin (44%) et Vinted (26%) (étude Médiamétrie et Fevad).

C’est alors une nouvelle manière d’investir le marché français.  Dans les locaux du site, Etienne Mercier, directeur du pôle Opinion et Santé chez Ipsos, voit dans la tendance « do it yourself » une expérience à part entière: « Il y a un épanouissement personnel. Ça a explosé pendant le Covid. Les Français s’ennuyaient, et il y a eu cette tendance à faire les choses avec ses propres mains. » Joan Le Goff chercheur et auteur de La nouvelle jeunesse de l’occasion (co-écrit par Faouzi Bensebaa), y souligne aussi la portée ludique d’une activité dont « émerge une expertise technique où le savoir est partagé. Expérience et connaissances pratiques se trouvent parées de vertus insoupçonnées et alimentent la participation à la vie de la société. » Exit la place de marché virtuel, eBay miserait-elle désormais sur l’offre d’expérience pour se démarquer ?

« Ce qu’il manque depuis 10 ans à eBay, c’est de la cohérence »

Un besoin de renouveau étonnant, quand on sait que l’entreprise américaine avait trouvé sa niche, aux premiers moments d’Internet, comme lieu d’expérimentation, par l’enchère, des nouveaux horizons digitaux. Avec l’explosion du commerce en ligne, et la multiplication des acheteurs, « eBay a raté le coche au moment de se positionner », nous confie Joan Le Goff. D’autres e-commerces, Leboncoin, Vinted mais aussi Amazon et AliExpress, ont su imposer une image forte. En face, « eBay n’arrête pas de changer de stratégie », ce qui résulte, selon lui, en une « identité illisible »: « Les consommateurs n’arrivent plus à identifier ce que fait eBay. Il faut que ce soit cohérent, et ce qu’il manque depuis 10 ans à eBay, c’est de la cohérence ».

Moins chère, plus intéressante, la réparation a le vent en poupe. « Il y a plein de choses à faire en France en matière de réparation des objets », affirme Joan Le Goff. Mais la stratégie floue d’eBay, ces dernières années, a peut-être tué dans l’œuf l’avenir de cette initiative: « C’est un vrai pari. C’est audacieux, mais c’est filandreux… eBay n’est peut-être pas le meilleur interlocuteur pour capter ce mouvement. » Projet louable, cette nouvelle expérience pourrait être celle de trop.

 

Shad De Bary