Ce vendredi 2 juin se tient la Journée Mondiale des Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). Si depuis des années les réseaux sociaux tentent de réguler les contenus pour éviter la propagation d’un discours en faveur de la perte drastique de poids, le phénomène persiste, notamment sur Tik Tok.
En rentrant chez elle après les cours, Nina, 19 ans, se jette sur son téléphone pour parcourir inlassablement les dernières vidéos publiées sur Tik Tok. Elle s’est inscrite en 2020, « pendant le confinement« . L’application composée de vidéos courtes et de musiques utilise des codes proches de ses prédécesseurs, Tumblr et Instagram : une grande importance est donnée à l’esthétique et le contenu est très en lien avec les tendances actuelles. Doté d’un algorithme très sensible, Tik Tok oriente ses propositions en fonction des préférences des utilisateurs.
Dès le confinement, Nina raconte s’être trouvée emportée par un flux de contenus l’incitant à profiter de ce temps libre pour perdre du poids : « Entre les vidéos de plats sains et les programmes sportifs, j’ai commencé à culpabiliser« . Elle commence alors à restreindre son alimentation et à faire énormément d’exercice physique. Après quelques mois, une autre habitude s’installe : « J’ai commencé à me peser une fois par semaine, puis une fois par jour, et ensuite c’est devenu obsessionnel« . La jeune femme raconte qu’elle a mis beaucoup de temps à se défaire de ses troubles alimentaires. Aujourd’hui, elle a pris du recul sur son expérience : « J’ai compris que j’avais déjà été influencée par les réseaux sociaux quand j’avais 13 ans : je me trouvais grosse alors que j’avais une corpulence normale, je ne pensais pas que je retomberais dans ces travers aujourd’hui« .
Le mouvement du « body positive », prônant l’acceptation de soi, a occupé une certaine place sur les différents réseaux sociaux, mais il n’a pas remplacé les contenus pro-anorexie. La plateforme a aussi pris soin de supprimer tous ces contenus et d’afficher un message d’alerte : « Si toi ou une personne que tu connais êtes préoccupé(e)s par ton ou vos images corporelles, la nourriture ou l’exercice physique, il est important que tu saches que de l’aide est disponible et que tu n’es pas seul(e)« .
Elle propose ensuite quelques conseils et peut renvoyer à des numéros d’urgence comme Suicide Ecoute. Cependant, les utilisateurs arrivent à contourner l’interdiction et à publier des contenus incitant à la perte de poids. Les hashtags #proama et #size0 remportent un certain succès. Ysabel Gerrard, maîtresse de conférence à l’université de Sheffield, souligne au magazine britannique DAZED : « Il ne faut pas plus de 30 secondes pour trouver un contenu pro-trouble de l’alimentation sur Tik Tok et une fois qu’un utilisateur suit les bonnes personnes, leur page For You sera rapidement inondée de contenus provenant d’utilisateurs similaires« .
En 2021 en France, 72% des 18-24 ans pensent que les troubles alimentaires les touchent particulièrement et l’anorexie mentale observe un pic d’incidence entre 13-14 ans et 16-17 ans selon un communiqué de la Fondation pour la Recherche Médicale. Aussi, selon les statistiques fournies par Tik Tok, 72% des utilisateurs français de l’application ont moins de 24 ans en 2022. En somme, le public de Tik Tok est majoritairement à risque face aux troubles du comportement alimentaire et bien que la plateforme tente de réguler ses contenus, le nombre de vidéo et l’ingéniosité des utilisateurs permettent toujours de partager des idées dangereuses.
De nombreuses personnes sur les réseaux sociaux affichent des modes de vie sains et mettent en avant une alimentation biologique ou végétarienne. Ils prônent un idéal de santé qui pourtant peut cacher un trouble alimentaire peu connu : l’orthorexie. Jusqu’où peut mener l’envie de bien manger ?
« Avec la réouverture des terrasses, ça va être l’enfer. Ça m’a stressée quand ils l’ont annoncé. Je vais faire chier tout le monde. » Clemence a 22 ans et étudie à Paris. Elle a peur de retomber dans ses vieux travers : lorsqu’elle était adolescente, elle était obnubilée par son alimentation. « Je calculais tout pour avoir la force physique nécessaire pour faire 10 à 12 heures de sport par semaine. Il fallait absolument que je mange tant de portions de pâtes pour pouvoir tenir. » Aujourd’hui encore, la jeune femme doit contrôler son alimentation pour raison médicale : son endométriose l’oblige à éviter tout sucres, lactose et soja. « Je fais gaffe à tout. Je vérifie les étiquettes maintenant, comme je le faisais avant. C’est horrible ».
Cette obsession, les scientifiques lui ont donné un nom : l’orthorexie. Alexandre Chapy, psychologue clinicien, la définit comme « une dépendance ou une tendance obsessionnelle vis-à-vis d’une alimentation “saine » ». Dans son livre La Peur au ventre, le professeur de psychologie Patrick Denoux utilise cette formulation : « l’orthorexique réduit sa vie à un menu ».
Le terme est nouveau : il a été créé en 1997 par Steven Bratman pour décrire son propre trouble. Pour ce médecin américain, il était inconcevable de manger un légume cueilli depuis plus de 15 minutes. Passé ce délai, il considérait que cet aliment n’était plus assez sain.
« Les patients ont peur d’être empoisonnés »
Un orthorexique est obsédé par l’idée de bien manger, une notion que chacun entend selon des critères propres. Ce comportement excessif se rapproche des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Clemence témoigne par exemple qu’elle « machai[t] soixante fois pour que [s]on cerveau ait l’impression d’avoir mangé plus ». Chaque personne souffrant de ce trouble a donc son régime spécifique, qu’il soit végétalien, simplement sans gluten, la combinaison des deux, voire crudivore (fait de manger uniquement cru). « Les patients ont peur d’être empoisonnés, et éventuellement, à terme, de développer une pathologie et de mourir », continue Alexandre Chapy dans son article.
Jason, américain de 35 ans vivant à Denver, interrogé par visioconférence, explique que son orthorexie a été déclenchée par un diagnostic médical : « En 2015, mon médecin m’a indiqué que j’avais un haut risque de développer un cancer colorectal, et qu’à quelques mois près, j’aurais pu le développer ». Après avoir vécu plusieurs années difficiles, avec notamment le décès de ses parents, ce rouquin au visage émacié décrit sa volonté de reprendre le contrôle sur sa vie par l’alimentation. Tomber dans l’orthorexie à la suite de ce diagnostic en a été la conséquence logique.
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« Une fois que je me suis séparé de mes pensées orthorexiques, j’ai pu voir le monde sous un nouveau jour. Voici quelques exemples. Les féculents, un mal non-nécessaire vs. une source d’énergie. Miel et sirop d’érable, cancérigène vs. une source gourmande de minéraux. Sel, favorise la rétention d’eau et les problèmes de cœur vs. un exhausteur de goût. Doughnuts, une mort certaine vs. une joyeuse liberté. »
« Dans la tête, c’est comme un blocage : on s’impose une règle et on ne peut plus y déroger», analyse Laetitia Proust Millon, diététicienne nutritionniste en Nouvelle-Aquitaine. Faire une entorse à ce régime alimentaire engendre une forte culpabilité et un sentiment d’échec chez les personnes atteintes. « Si je dérogeais à la règle, je me sentais hyper mal », confie Clémence.
« Mon orthorexie m’a fait perdre cette relation-là »
Mais est-ce si mal d’avoir une hygiène de vie alimentaire saine ? Selon la diététicienne, quand cela vire à l’obsession, cela provoque un isolement social, une exclusion, un repli sur soi voire un mal-être. Comme un piège, posé par la personne elle-même, qui se referme. Charlotte, 29 ans, vit à Singapour et est coach sportif et spécialiste en nutrition fitness. Chevelure rousse, figure svelte aux muscles saillants, cette instagrameuse partage son mode de vie sportif et healthy avec ses dizaines de milliers d’abonnés. Recettes gourmandes et saines, petites séances de sport à faire chez soi, danses acrobatiques et gracieuses accrochée à une barre de pole dance.. Elle confie qu’il y a sept ans, elle souffrait d’orthorexie : « Je suis partie avec mon copain en vacances au Costa Rica et on nous a servi une glace. Je me suis mise à pleurer. Ce n’est pas un comportement normal ! Et mon copain ne supportait plus toutes les contraintes que je m’imposais. Mon orthorexie m’a fait perdre cette relation-là ».
Aller au restaurant ou sortir avec des amis deviennent des épreuves pour les personnes souffrant de ce trouble. « Noël, c’était ma hantise, se souvient Clémence. Aller chez ma grand-mère avec toute la bouffe qu’il allait y avoir… je commençais à stresser une semaine à l’avance. »Les moments de partage et de convivialité que sont les repas deviennent anxiogènes : difficile de contrôler quels aliments sont cuisinés lorsque l’on est invité chez quelqu’un d’autre. Les soirées avec les amis ne sont plus agréables et certains finissent par se priver d’une partie de leur vie sociale.
« Aux soirées, je prenais quand même des chips, déplore Anaïs, 23 ans, Mais je savais que je n’allais pas être bien. Ça m’a coupé de mon entourage. En plus, ça me détruisait le bide et je vomissais à chaque fois. » La jeune femme aux cheveux courts parle d’une voix assurée, celle d’une personne qui a pleine conscience de son trouble. « Des fois, ce qui peut être un travers pour moi, c’est de juger mes proches qui ne mangent pas bien. Quand ils vont au Mac Donald, je ne peux même pas sentir l’odeur. Quand je vois quelqu’un boire du soda, ça me dégoûte par procuration », rigole-t-elle.
« Au pire de mon orthorexie, je mangeais la même chose matin, midi et soir : des pois chiches, un yaourt grec et un fruit. »
La notion de plaisir venue de la nourriture disparaît pour certains orthorexiques : manger n’est plus qu’une question de survie. « J’ai lentement retiré des aliments, détaille Jason. Le gluten d’abord, puis le lactose, certains fruits et légumes qui étaient trop sucrés, les noix, la viande… Au pire de mon orthorexie, je mangeais la même chose matin, midi et soir : des pois chiches, un yaourt grec et un fruit. Il n’y avait aucun plaisir à manger ».
Selon la diététicienne Laetitia Proust Millon, le risque est de moins s’alimenter, d’être moins à l’écoute de son corps. « Le rassasiement, c’est la fin du plaisir alimentaire. Si on enlève le plaisir, le rassasiement est difficile à trouver. » « Je me souviens parfaitement avoir pensé : ‘si seulement je n’avais pas besoin de manger, les choses seraient tellement plus faciles’, regrette Lydia, étudiante américaine de 21 ans. Elle a souffert d’orthorexie durant ses premières années d’université. C’est difficile de me dire que mes souvenirs de cette période-là ont été volés ».
Pour Clémence, il ne fallait pas laisser entrevoir à ses amis son problème. Tous les moyens étaient bons pour le dissimuler : « Je me rappelle de soirées, notamment au lycée, où j’allais chez des potes. Je faisais semblant de manger alors que j’avais déjà fait un petit repas chez moi : hors de question de grignoter dans la soirée, de boire quoi que ce soit à part de l’eau. Il n’y avait pas de fun. Mais, au bout d’un moment, j’avais du mal à le cacher. Du coup, je mangeais et quand je rentrais chez moi, je me faisais gerber. C’est un cercle vicieux. »
« À l’extérieur, on m’encensait. À l’intérieur, ça metuait.»
Pour autant, avoir un régime alimentaire strict est « valorisé par la société », nous explique Alexandre Chapy lors d’un entretien. De nombreux influenceurs et personnalités publiques mettent en avant des modes de vie sains et sont adorés – voire jalousés – de leurs fans pour ces raisons. « J’étais devenue une espèce de modèle pour ma communauté, reconnaît Charlotte. Son activité sur Instagram l’a poussée à adopter des « comportements de plus en plus extrêmes. Jamais malsains, mais toujours plus dans le contrôle » : « Je postais tous les jours, donc je faisais constamment attention. J’avais une pression pour être parfaite. Je me suis laissé emporter là-dedans. Toutes les fois où je n’étais pas parfaite, je m’en voulais. »
Alexandre Chapy relate dans son article que le culte « d’un corps entretenu, sous contrôle et désirable » sur les réseaux sociaux peuvent favoriser l’orthorexie. C’est « lié à l’estime de soi, analyse le psychologue. En mangeant sainement, les patients auraient la sensation de devenir meilleur ». En dehors des réseaux sociaux, bien manger est également valorisé. « De l’extérieur, j’avais l’air en meilleure santé, ma famille et mes amis m’encensaient pour mon alimentation, confie Jason. Mais à l’intérieur, ça me tuait. »
Les orthorexiques témoignent ne plus pouvoir supporter les aliments qu’ils avaient retirés de leur régime. « J’ai des patients qui me décrivaient des douleurs physiologiques », se souvient le psychologue Alexandre Chapy. Le rejet mental d’une nourriture jugée malsaine peut se transformer en rejet physique : Anaïs témoigne que durant le premier confinement, elle avait « une fenêtre de 10 minutes où [elle] pouvai[t] manger » : « sinon je n’avais pas faim à cause des nausées ».
« j’oscillais entre orthorexie et anorexie »
La ligne entre orthorexie et anorexie est parfois fine. On considère que l’orthorexique se concentre sur une alimentation saine, tandis que l’anorexique est obsédé par la perte de poids. Mais il est parfois difficile de distinguer les deux. « Est-ce que l’orthorexie ne serait pas placée au milieu sur une échelle, avec l’anorexie et la boulimie aux extrémités ? questionne Alexandre Chapy. Et les orthorexiques fluctueraient d’un côté ou de l’autre. »
Au bout de plusieurs années à vivre avec ce trouble, la maigreur de Jason lui « volé la santé ». « Mon médecin m’a dit que j’avais un souci cardiaque, et que c’était lié à mon poids ». Cette prise en compte lui a fait comprendre l’étendue du problème. « Je pense qu’à un moment donné, j’oscillais entre orthorexie et anorexie ».
Pour contrôler la qualité nutritive ou les calories dans leur alimentation, les orthorexiques se tournent vers des applications. « Ça peut encourager l’orthorexie parce que ça donne des chiffres, des ratios, des quotas, des objectifs à atteindre », avoue Charlotte. Clemence s’aidait ainsi de l’application Myfitnesspal pour ne consommer que le strict nécessaire pour étudier, réaliser ses performances physiques, survivre : « À la cantine, je ne mangeais qu’un pain pour ne pas tomber dans les pommes ». Pour Anaïs, garder les yeux rivés sur son application Yuka « rajoutait de la charge mentale » et « [l]’a vite saoûlée ».
« Certains ont l’impression d’être perdus quand ils n’ont plus ces applis-là, explique la diététicienne Laetitia Proust Millon. Ils ont l’impression que ce sont des garde-fous et que s’ils arrêtent de compter, ils vont prendre du poids ». Mais tout est toujours une question de juste mesure selon Charlotte, la coach fitness, et ces mêmes applications peuvent aider à avoir une bonne appréhension de ce que l’on mange. Selon elle, il faut simplement atteindre la modération, faire ce qui nous rend heureux.
Reprendre goût à la nourriture malgré l’orthorexie, est-ce possible ?
Lydia, 21 ans, anime un compte Instagram depuis 2019 (voir ci-dessous). A travers des photos d’elle toute sourire et des gâteaux gourmands faits-maison, l’étudiante témoigne de ses problèmes psychologiques. Elle y documente son chemin pour sortir de l’orthorexie : « C’est thérapeutique de mettre par écrit ce que je ressens et voir des gens me soutenir. » Malgré tout, elle a toujours cette « petite voix dans la tête qui [la] culpabilise » : « c’est difficile de s’en défaire. Je dois me rendre compte que ce qu’elle me dit est faux et faire confiance à mes amis. Et quand je sens que je rechute, je fais exprès d’aller chercher une pizza pour la faire taire ».
Au début de son traitement, Lydia listait tous les aliments qui lui faisaient peur et expliquait pourquoi. « Il y avait des vidéos qui montraient comment retrouver la paix avec la nourriture. J’allais aussi sur le groupe Facebook “Food Freedom Warriors” (“les guerriers d’une alimentation libérée”) avec une communauté très encourageante. »
Suivi nécessaire
Certains orthorexiques témoignent du fait qu’il est difficile de se soigner. Pour autant, le psychologue Alexandre Chapy estime que des prises en charge pour d’autres troubles du comportement alimentaire (TCA) et troubles obsessionnels compulsifs (TOC) fonctionnent. « Il faut un suivi psychologique pour regarder ce qui a pu amener cette si forte angoisse de mourir ».
Laetitia Proust Millon, diététicienne et nutritionniste, explique que pour réhabituer ses consultants à manger de tout, elle les encourage à « reprendre possession de leur corps par les sensations » en passant par la dégustation.
Sortir des troubles alimentaires : des recettes et une pincée d’émotions
Francesca Baker, 34 ans, est une auto-entrepreuneuse britannique spécialisée dans la communication. Elle a publié le livre de cuisine Eating and living, recipes for recovery en 2016 au Royaume-Uni, pour aider les personnes atteintes de troubles alimentaires (TCA) à reconstruire une relation saine avec la nourriture.
Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre de recettes ?
Je souffre d’anorexie depuis mes dix-huit ans. Lorsque j’étais à l’hôpital avec d’autres personnes atteintes de TCA, on avait comme projet de réunir différentes recettes dans un livre, mais ce n’est jamais vraiment arrivé. J’aimais beaucoup l’idée, donc je l’ai réalisée. J’ai commencé l’écriture en contactant des personnes que je connaissais, et qui avaient un TCA, pour qu’ils partagent une recette et un souvenir. J’ai essayé de comprendre ce qu’ils avaient traversé.
Comment essayez-vous de réconcilier TCA et nourriture ?
Je ne voulais pas que ce soit simplement un livre de cuisine, je voulais raconter des histoires. Je pense que la nourriture a un côté social, c’est lié à des souvenirs en famille ou entre amis. Mais personnellement, je n’aime plus cuisiner ni manger avec des gens. Donc je voulais intégrer ces souvenirs dans la recette, pour pallier ça et aider ceux qui souffrent de TCA. Ça ne pouvait pas être juste des salades. Ce sont surtout des repas qui nous font plaisir et qui nous rappellent des souvenirs, comme du cheddar fondu sur un toast, ou des nouilles sautées au poulet.
Mettez-vous moins l’accent sur le côté sain de la nourriture ?
Exactement. Je voulais mettre en avant des recettes qui ne sont pas terrifiantes, mais familières. Ça n’a pas besoin d’être des repas nutritionnellement parfaits, il faut que ça soit de la nourriture qui réconforte, pour réinviter les gens à manger. C’est aussi essayer de faire prendre conscience qu’on peut manger quelque chose qui ne soit pas complètement sain, et que ce n’est pas grave.
hashtag, nom masculin : Mot-clé précédé du signe dièse (#), permettant de retrouver tous les messages d’un microblog qui le contiennent. Aujourd’hui, ces mots-clés permettent aux communautés de se retrouver et de communiquer entre elles sur les réseaux sociaux. Pro-anorexie, sportifs ou féministes luttant contre les diktats de beauté, à chacun son hashtag. Petit guide des plus utilisés sur Instagram.
Surnom personnifié de « anorexie ». Sur Internet, les communautés pro-ana, prônant l’anorexie, relayent des images d’extrême maigreur et des conseils pour s’affamer. Des réseaux sociaux ont interdit l’emploi de ce hashtag mais les groupes persistent.
Diminutifs de “fitness girl” et “fitness boy”. Sportifs au corps athlétique postant des photos de leur performance et des conseils pour motiver leurs abonnés grâce à des mantras « fitspiration » (contraction de « fitness » et « inspiration »).
Boisson ultra protéinée obtenue après dilution de compléments alimentaires en poudre. Se prend en complément, pour prendre de la masse musculaire, ou en substitution de repas, pour perdre du poids.
Mouvement luttant contre les injonctions à la minceur. Lancé aux Etats-Unis en 1996, il explose sur le web en 2017. Contrairement au #fatpositive qui critique la minceur, toutes les morphologies, genres et ethnies sont célébrés dans leur diversité.
L’image prend de plus en plus d’importance sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs sont prêts à tout pour se montrer sous leur plus beau jour. Entre quête de reconnaissance, culte du corps, et confiance en soi, comment ces plateformes véhiculent-elles des idéaux esthétiques ?
Entre deux séries de tractions, Romain, 23 ans, fait une série de photos. Sur son compte Instagram, plus de 700 abonnés peuvent suivre ses performances physiques et “liker” ses biceps gonflés. « Je les poste pour avoir de la reconnaissance », raconte le fitboy.
Miroirs utopiques et parfois dangereux de la perfection esthétique, les réseaux sociaux exacerbent les diktats de beauté de nos sociétés. Ventre plat, côtes saillantes, fesses rebondies, plaquette de chocolat et bras sculptés, il y a des critères à respecter pour afficher un corps « parfait ». Sur Instagram, Youtube ou même Facebook, les challenges minceur ou fitness s’enchaînent, parfois au péril de la santé des participants. Pour des résultats rapides, certains internautes optent même pour des “shakers” protéinés, nouveau régime à la mode. En 2018, la communauté fitness, surnommée “fitfam” pour “fitness family”, représentait pas moins de 87 millions de publications sur Instagram.
Des communautés au service du corps parfait
Si le culte du corps a toujours existé, ces plateformes en ligne ont rajouté à cette obsession de la perfection physique un besoin de reconnaissance par l’image. Dès le début des années 2000, les blogs et premiers réseaux sociaux ont servi de porte parole à l’injonction à la minceur, un rôle qu’assurait déjà l’industrie de la mode. Des groupes prônant l’anorexie, majoritairement constituées d’adolescentes, ont fleuri sur Internet. Les « pro-ana » (surnom que se donnent les «pro-anorexie») s’y échangent des conseils pour résister à la faim et suivent à la lettre les directives de leur amie Ana, personnification de l’anorexie, parfois jusque dans la tombe.
Sans être à l’origine des troubles du comportement alimentaire, les réseaux sociaux ont amplifié ces phénomènes, comme l’explique Laurence Plumey, médecin nutritionniste et diététicienne :
« Il y a cet espèce de culte de la minceur et avec les réseaux sociaux, il y a des communautés qui se créent, des alliances qui renforcent chez chacune la conviction de bien faire. Ça va être à celle qui réussit le plus à maigrir, à avoir le ventre le plus plat. Le fait de pouvoir communiquer augmente l’émulation et leur donne des ailes pour se jeter des paris fous. »
Ces paris fous, ou challenges, ne cessent de se renouveler sur les réseaux. « Thigh gap challenge » (écart entre les cuisses), « A4 challenge » (taille plus fine que la largeur d’une feuille A4), les adeptes de la maigreur n’ont aucune limite. Depuis quelques années, la tendance est aux défis sportifs. Du « 30 days squat challenge » (exercice de flexion des jambes) pour un fessier musclé en 30 jours au « Top Body Challenge » pour un corps d’athlète en 12 semaines, le but reste le même : transformer son corps en un temps record. Pour la médecin nutritionniste, rapidité est synonyme de danger : « Il faut que les gens comprennent que ces challenges, c’est un encouragement à se dépasser. Il vaudrait bien mieux se jeter des défis de longue durée plutôt que de mettre en péril sa santé. » Mais ce n’est pas chose facile de résister aux promesses magiques, illustrées par des millers de photos « avant/après ». Comme l’explique la sociologue Coralie Le Caroff, le désir de prendre part à ces défis est inhérent aux réseaux sociaux : « Voir des corps parfaits peut produire des comportements de mimétisme, de pression sur le corps des femmes ».
De #thinspo à #fitspo
Depuis quelques années, la mode de la minceur extrême a laissé place à la quête du corps plus musclé. Les hashtags « #fitspo » et « #strongisthenewsexy » ont pris le pas sur le hashtag «#thinspo ». Sur le papier, c’est positif. Mieux vaut que les jeunes adolescentes rêvent devant des photos de fitgirls, certes minces mais athlétiques et en bonne santé, que sur des corps rachitiques. Et si certaines fitgirls viennent parfois à la salle dans l’unique but de se prendre en photo, « au moins, elles ne restent pas avachies sur leurs canapés », estime Laetitia Massonneau, qui s’entraîne pour le diplôme de coach sportif.
Si les hommes sont moins touchés que les femmes par l’anorexie, ils sont tout aussi nombreux à peupler les salles de sport. Pour la première fois, les deux sexes sont concernés à égalité par cette quête du corps idéal. «Le genre est gommé sur ces espaces. Hommes et femmes sont au même niveau d’injonction de perfection », explique Coralie Lecaroff. Romain pratique la musculation depuis 6 ans et admet être préoccupé par son image. Il lit avec attention les commentaires sous ses photos Instagram : « Quand on me dit c’est « lourd », « fort », j’avoue j’aime bien ! » Au-delà du genre, tous âges sont concernés. « Je vois de plus en plus d’hommes se mettre sur Instagram, raconte Romain. Même des gens d’une quarantaine d’années postent leurs performances physiques en ligne. » Cette obsession des hommes pour leur image a passé un cap, estime Laetitia : « Il suffit de regarder le nombre de mecs dans les salons d’esthétique. Les hommes prennent beaucoup plus soin d’eux ».Comment expliquer une telle tendance ? « C’est lié aux images dans les pubs et sur les réseaux que renvoient les footballeurs par exemple. »
Poussée à son maximum, la quête d’un corps sculpté peut conduire à une addiction : la bigorexie, maladie de dépendance à une pratique intensive et quotidienne du sport dont souffrent les sportifs, professionnels ou non. Certains deviennent même accros aux réseaux sociaux et s’imposent une fréquence de publication élevée, au détriment du plaisir sportif. « Ces gens ne profitent plus de l’instant. Si tu fais ta séance pour publier sur Insta, tu n’es pas dans le sport », estime Laetitia.
Shakers ou blancs de poulet ?
L’obsession pour le muscle ne se limite pas à la pratique du sport en salle. « Quand on travaille son corps, c’est 30% de sport et 70% de nutrition », explique Benjamin Martin, pompier et adepte de musculation. Sur les réseaux, les fitgirls et fitboys vantent les bienfaits des régimes ultra protéinés. Et puisque manger du jambon de dinde et du blanc de poulet 4 fois par jour ne suffit pas toujours, nombreux sont ceux qui ont recours à des compléments alimentaires. Le plus connu : la Whey, une poudre hyperprotéinée produite à partir de lait de vache, très en vogue sur les réseaux.
Sur Youtube, les célébrités comme Tibo InShape font la promotion de leur Whey et se filment en plein entraînement : « Ces vidéos sont une source de motivation », admet Benjamin. On se dit que s’ils y sont arrivés, pourquoi pas nous. » Après s’être laissé tenter par la Whey, le pompier trouve désormais ses protéines dans son alimentation : « Au début il y a un engouement, on en prend, on s’entraîne un max, on fait tout ce que les Youtubeurs disent. Mais avec le recul, c’est juste de la poudre. Autant manger de la dinde, du jambon. Il y a des protéines mais elles sont naturelles. » Romain, lui, essaie chaque nouveau complément alimentaire : « Il y a beaucoup de marques, j’ai tout testé. Le Booster ça ne m’a pas trop fait effet. La Whey je n’ai pas senti la différence. Le PreWorkout m’a fait de l’effet, ça me picotait, j’avais envie de m’entraîner. »
Tous les produits ne contiennent pas les mêmes concentrations. Pourtant, ceux qui en font la promotion précisent rarement la quantité à ne pas dépasser. « Ils n’expliquent pas grand chose, témoigne Benjamin. Je pense qu’il y a des bases en nutrition à connaître avant de prendre de la Whey ». Et ce n’est pas une médecin nutritionniste qui lui dira le contraire : « Un shaker dans la journée, si ils mangent équilibré par ailleurs, ça va. C’est l’excès le problème et il n’y a personne pour leur expliquer quelle est la frontière à ne pas franchir », regrette Laurence Plumey. Au-delà d’une certaine quantité, ces compléments sont nocifs pour la santé :
« Trop de protéines, ça abîme les reins. J’ai eu un patient qui s’est jeté à corps perdu dans la pratique du sport en salle et qui s’est mis à consommer des shakers et du poulet à des doses qui frisaient l’absurde, raconte la nutritionniste. Au lieu de 60 à 80 grammes de protéines par jour, il n’était pas loin de 300 grammes. »
Conséquence ? Une hospitalisation pour insuffisance rénale suivie de 6 mois sous corticoïdes à haute dose. « Il ne pourra plus jamais récupérer des reins en bonne santé », regrette la médecin. Elle met en garde contre le mythe de l’homme fort : « C’est vraiment passer à côté de l’essentiel : la santé. Le corps est un cadeau qui nous est donné en venant au monde et c’est à nous d’en prendre soin. »
Conduites addictives
Si le sport est bon pour la santé, il est à pratiquer avec modération, tout comme la consommation de compléments protéinés. Les hommes addicts à la musculation ne sont pas plus tendres avec leur corps que les jeunes filles qui s’affament : « L’anorexie tout comme les régimes ultra protéinés sont des comportements extrêmes qui représentent un stress et un danger pour le corps humain. Ce sont des conduites addictives en fait, comme le tabac, l’alcool ou la drogue », précise la nutritionniste.
Plus grave encore, certains sportifs prennent des stéroïdes anabolisants, des hormones liées à la testostérone qui permettent de développer le tissu musculaire à une vitesse fulgurante. « Je connais des gens qui envisagent de prendre entre 10 et 15 kilos de muscles en 6 mois, grâce à la testostérone » raconte Benjamin. Mais ces produits dopants dérèglent complètement l’équilibre hormonal et accroissent les risques de maladies cardio-vasculaires. Heureusement, la majorité des “fitboys” s’en tiennent à la Whey.
Après les injonctions, la prévention
Au-delà des risques de déclencher des addictions liées au corps chez les internautes, comme l’anorexie ou la bigorexie, les réseaux sociaux peuvent également sauver des vies.Certaines communautés aident à lutter contre ces maladies. En septembre 2016, alors âgée de 17 ans, Thaïs, ouvre un compte Instagram, @happeanutb, pour suivre des filles qui se battent contre l’anorexie. « Je voulais voir que c’était possible. » La plateforme lui permet d’accélérer sa guérison. « Sans Instagram, j’aurais mis beaucoup plus de temps à m’en sortir », juge la jeune femme. Des encouragements qui la poussent à partager à son tour son combat. « Je parle de mes peurs, mes défis, mon quotidien, pour essayer d’aider les autres comme ça m’a aidé moi ». Aujourd’hui, 7 400 personnes suivent ses conseils. « Je poste des recettes plus ou moins saines. Le but c’est de montrer que manger ne veut pas dire grossir ». Pour Laurence Plumey, ce témoignage invitant à ne pas tomber dans les erreurs qu’elle a commises peut « beaucoup plus faire vaciller un jeune tenté par une telle aventure, qu’un médecin qui peut avoir un discours jugé comme moralisateur et un peu trop médical. »
De plus en plus de femmes prennent désormais la parole sur ces réseaux pour lutter contre les diktats de beauté et encourager les utilisatrices à accepter leurs corps dans toute leurs diversités. Telle est la devise du « body positive », mouvement créé aux Etats-Unis en 1996 et devenu incontournable en 2017 avec plus de 5 millions de publications sur Instagram.
Finie la suprématie du corps parfait sur les réseaux. Place au naturel : cellulite et vergetures sont désormais fièrement affichées avec le hashtag #bodypositive. La nutritionniste se réjouit que ces plateformes ne soient plus uniquement des « outils de propagande aux effets pervers » mais servent aussi être d’ « outils d’informations saines ».
Censure virtuelle
Dans cette lignée, Instagram a interdit les hashtags comme « #thighgap » et « #thinspo », et propose de l’aide lorsque l’on recherche des comptes « pro-ana ». Dès lors que l’on cherche le hashtag « #ana », Instagram prévient l’utilisateur que les publications contenants ce tag « encouragent souvent un comportement pouvant nuire ou conduire au décès ». Un lien « besoin d’aide » permet de contacter des lignes téléphoniques d’assistance et propose des conseils pour traverser d’éventuelles « moments difficiles » . Pour Thaïs, ces actions sont positives, mais insuffisantes : “Instagram devrait supprimer toutes les publications pro-ana, mais garder celles qui mettent en garde ou encouragent à se battre comme les photos « avant/après »« .
Il est cependant impossible pour la plateforme d’exercer un contrôle total sur ce phénomène. À chaque hashtag supprimé, les “pro-ana” trouvent un dérivé : “thinspo” devient “thinsp0”, “thighgap” s’écrit “thightgap”, et “anathinspo” est le nouveau “thinspo”. Et la suppression de la moindre publication du mot “ana” empêcherait la création des comptes pro guérison, tagués “#anarecovery”, comme celui de Thaïs par exemple.
Depuis le 2 avril 2015, en France, la glorification de la maigreur sur les réseaux sociaux est un délit, passible d’un an d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende. Cet amendement voté à l’Assemblé Nationale vise essentiellement les contenus pro-anorexie sur le Web qui incitent “une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé. »