Les alcooliers à la conquête du public féminin

Vins pamplemousses ou bières teintées de rose : les alcooliers ont multiplié les tentatives ces dernières années pour séduire un public féminin.

« L’intérêt de cibler les femmes est qu’elles ne “ boivent pas suffisamment ” par rapport aux hommes, en tout cas au regard des industriels de l’alcool », avance Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). 

Selon Franck Lecas, responsable du pôle loi Évin au sein de l’association Addictions France, la manoeuvre existe déjà depuis plusieurs décennies. « Les études montrent qu’à l’internationale, il y a un marketing qui se développe en direction des femmes dans les années 1990 avec ces notions de produits sucrés. on met en avant la femme qui travaille, réussit, consomme de l’alcool et fait l’apéro », explique-t-il.

Un affaiblissement de la loi Évin 

En France, la Loi Évin,votée en 1991, limite fortement les opérations de publicité comprenant de l’alcool. Elle est donc censée agir comme un pare-feu face aux évolutions récentes décrites par Franck Lecas. Or, ce n’est plus vraiment le cas, notamment depuis 2009. En effet, en vertu de la loi de modernisation de notre système de santé adoptée cette année là, les alcooliers ont la possibilité de faire de la publicité sur internet.

Et tout s’est accéléré, avec l’apparition par exemple d’influenceuses. « Elles sont payées par des marques d’alcool pour diffuser de l’information de manière très subtile et pas trop publicitaire envers leurs abonnés », décrypte Karine Gallopel-Morvan. Surtout, elles participent à l’émergence d’une offre destinée précisément aux femmes. Pour autant, ces influenceuses ne forment pas le seul volet du marketing des alcooliers.

« Des flacons de parfum, des étuis de rouge à lèvres »

En effet, il existe également tout un travail ciblé sur le packaging. « Il y a des flacons de parfum, des étuis de rouge à lèvre, des formes rappelant des chaussures ou des vêtements », énumère Karine Gallopel-Morvan. Pour Franck Lecas, il s’agit de reprendre des « stéréotypes de femmes, avec le rose, le girly, le sexy et le luxe aussi ». 

Il cite également le marketing à l’oeuvre sur les produits, prenant l’exemple des eaux alcoolisées dont l’atout serait d’être moins caloriques. « Ce qui est bien sûr faux mais ce sont ces arguments qui ciblent les femmes davantage sensibles à ces questions de santé et de poids », ajoute-t-il.

Autre élément, les alooliers cherchent à attirer des jeunes femmes. Karine Gallopel-Morvan évoque par exemple la bière Belzebuth proposant un « packaging rose, un goût à la framboise, et une boisson à trois degrés d’alcool […] ciblant très clairement les adolescentes ».

Quelle position pour les pouvoirs publics ? 

Face à ces stratégies de marketing, l’Etat marche sur des oeufs. Comme dans toutes ces problématiques liant alcool et santé, Il doit arbitrer selon des choix économiques ou sanitaires. Et il prend souvent le sujet avec des pincettes.

« L’Etat réagit dès que l’industrie de l’alcool bouge un petit doigt. Il y a par exemple le cas du Dry January : au départ Santé publique France, donc un organisme public, devait mener la campagne. Quand il a fallu la faire valider à un plus haut niveau, le Président de la République a refusé qu’elle soit portée par le gouvernement en raison de la pression des lobbys. », commente Karine Gallopel-Morvan. Face au jeu d’équilibriste mené par les pouvoirs publics, la conquête du public féminin est donc loin d’être terminée pour les alcooliers.

 

Lola Dhers et Baptiste Farge 

 

 

Des réunions d’Alcooliques Anonymes réservées aux femmes

« Le but de ces réunions est de pouvoir lâcher le paquet », lance Evelyne, 49 ans, abstinente depuis douze ans. « Pouvoir dire des choses qu’on ne peut pas partager en groupes mixtes : des choses qui touchent à l’intimité, à des expériences particulièrement dégradantes, des abus, des viols, de la maltraitance. Ces réunions libèrent la parole et apportent un soulagement », développe-t-elle.

L’idée lui est venue, à elle et à d’autres, de créer des réunions d’Alcooliques Anonymes non mixtes dès les débuts de la crise sanitaire. Confinement oblige, les séances de l’association ont désormais lieu dans une salle virtuelle. Très vite, Evelyne s’aperçoit que les femmes qui y assistent sont de plus en plus nombreuses : d’après elle, les tâches ménagères et la garde des enfants les empêchaient de se rendre physiquement aux réunions. Les visioconférences attireraient même davantage de femmes que d’hommes selon la quinquagénaire.

« Je ne peux déposer ça qu’ici »

Ce dimanche matin de mai, elles sont une vingtaine à se retrouver sur Zoom pour discuter de leur maladie et des difficultés qu’elles rencontrent pour ne pas reprendre « la première goutte du premier verre ». Si certaines ne montrent pas leur visage, Laetitia finit elle tranquillement son petit déjeuner devant la caméra tandis qu’Anne tire compulsivement sur sa cigarette électronique.

Lorsque Séverine finit de lire les douze étapes de rémission des Alcooliques Anonymes, vient le temps des témoignages. « Je ne savais pas qu’il y avait des réunions de femmes, c’est cool ! » s’extasie Gaëlle, nouvelle venue. D’une voix douce et posée, la jeune femme se met alors à partager ses astuces pour ne pas retomber dans ses travers de femme alcoolique. « Coucou les filles, ravie de vous retrouver », s’exclame Laetitia lorsque son tour arrive.

Si toutes participent également à des réunions mixtes, les femmes présentes ce jour-là expliquent apprécier la bienveillance de ce groupe qui leur est réservé. « Une affinité s’est créée, je m’y trouve bien » affirme Anne. Pour Irène, ces rendez-vous destinés aux femmes sont l’occasion de parler des problématiques qu’elle a vis-à-vis des hommes. « Je ne peux déposer ça qu’ici », raconte-t-elle.

 

« Les partages sont différents »

Josette, qui participe aux Alcooliques Anonymes depuis 1996, soutient qu’elle se sent « très à l’aise » lorsque seules des femmes sont présentes. Valérie explique qu’en réunions mixtes, « une barrière se crée ». « Les partages sont différents » ajoute-t-elle. Quant à Christine, qui se présente comme « lesbienne et féministe », « la présence des hommes [l’]agace ».

Au coeur de la parole de ces femmes, il y encore et toujours le tabou que constitue l’alcoolisme au féminin. Pour Anne, « on [les femmes, ndlr] se sent vachement plus honteuses. Le sentiment de culpabilité est très fort ». Et Valérie de conclure : « un homme qui boit, c’est un épicurien, tandis qu’une femme, c’est une pochtronne ».

 

Lola Dhers et Baptiste Farge 

Soirées d’intégration : une charte pour rien ?

Mercredi 10 octobre, la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal a publié une charte à l’attention des universités et associations étudiantes. Le but ? Responsabiliser les étudiants, après les drames et dérapages survenus à répétition dans des soirées d’intégration. 

Une soirée étudiante "disco" / olagon.com
Comas éthyliques, agressions sexuelles, bizutages… Les histoires plus ou moins sordides sont nombreuses dans les soirées étudiantes. / olagon.com

« Le but est de responsabiliser les étudiants, pas de les encadrer. » Avec la charte signée ce mercredi 10 octobre par les universités, grandes écoles et associations, le ministère de l’Enseignement s’attaque aux soirées étudiantes qui dégénèrent. Comas éthyliques ou autres dérapages liés à l’alcool, bizutages et discriminations sous toutes leurs formes… Les histoires plus ou moins sordides sont nombreuses dans le milieu universitaire.

Une charte sans valeur contraignante

La charte est composée de quatre articles édictant des grands principes de sécurité et de respect d’autrui, ainsi que d’un questionnaire à l’attention des étudiants participant aux soirées. Sauf que celle ci n’a aucune valeur juridiquement contraignante : « Il existe déjà des dispositions, notamment contre le bizutage qui est puni de six mois de prison et de 7.500 euros d’amende et où la responsabilité des personnes morales (comme les universités ndlr) peut être engagée », nous dit-on au ministère de l’Enseignement.

Des dispositions encadrant les soirées universitaires, il en existe sur le plan légal, mais est-ce bien suffisant ? « On nous interdit les open-bars, mais on contourne ces interdictions avec des faux tickets de boisson. Pour ma part, je n’ai jamais eu à payer une conso d’alcool, raconte Tatiana, étudiante en médecine. Je pense que cette charte ne servira à rien. Dire « ce n’est pas bien de boire », ça ne va pas changer grand chose. »

Un manque de formation 

Limiter l’alcool, mais aussi former plus de personnel pour gérer des situations d’urgence pendant les week-ends d’intégration, c’est l’un des buts de la charte. « A un wei (week-end d’intégration ndlr), j’ai le souvenir d’une pote qui était vraiment mal, elle avait froid et la Croix Blanche, présente à tous nos événements, n’avait même pas de couverture de survie à lui proposer », confie Tatiana.

Aujourd’hui, s’il manque de professionnels pour superviser les soirées étudiantes, la formation des élèves pourrait être une solution, sauf que celle ci est rare. Selon Alexandra Gonzalez, « les universités doivent prendre leurs responsabilités ». A l’université de Lorraine, où elle travaille pour la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), une journée de formation annuelle est obligatoire, afin de sensibiliser aux risques liés à l’alcool, à la drogue et de former aux gestes de premier secours. Il y a dix ans que la FAGE a mis en place une charte similaire à celle publiée aujourd’hui, la charte « soirée étudiante responsable ». « On ne découvre pas le problème aujourd’hui, puisqu’on a rédigé une charte de bonne conduite il y a longtemps. Malheureusement ce n’est pas une question suffisamment centrale pour le gouvernement, se désole Alexandra, avant de tempérer. Cette charte montre tout de même une volonté de se bouger sur ces sujets-là» Malheureusement cette charte n’est pas connue de tous, loin de là : ni Tatiana, ni Antoine Lebon, qui fait partie du bureau des étudiants de l’université Dauphine, n’en ont entendu parler en six ans d’études supérieures.

« On est très renseigné »

A l’université Dauphine justement, l’administration semble jouer un rôle central dans l’organisation des « wei » et festivités en tout genre. « On est très renseigné sur les risques et tout est super réglementé par l’administration. Avant chaque week-end, on a de la prévention avec des professionnels qui interviennent. Et ils sont à nos côtés à chaque soirée, que ce soit pour la sécurité comme pour les premiers secours », explique Antoine Lebon. Aucun débordement ne serait à déplorer en trois ans, selon le responsable de la communication.

Pourtant, l’excès d’alcool, les bizutages qui tournent mal et les faits d’agression sexuelle restent un problème majeur dans le milieu estudiantin. Tatiana, elle, se veut optimiste : «  J’ai comme l’impression que les nouvelles années de médecine sont plus raisonnables. Peut être qu’il y a une pris de conscience que nous, on a raté. »

Caroline Quevrain