« Rencontrer des ‘profils’, c’est l’antithèse de la rencontre »

Trois questions à… François Charvin, psychothérapeute

Les applications de rencontre influent-elles sur la personnalité de l’individu et sur sa relation avec autrui ?

Les applications de type « immédiates », où l’on visualise un profil et où l’on décide, ou non, de contacter la personne, tendent à développer l’autosatisfaction. Le plaisir immédiat de la rencontre peut amener à ce que l’on recherche la satisfaction auto-érotique. Nous assistons à une marchandisation de l’amour, à l’ère du numérique. Aussi, la liberté c’est de pouvoir changer, renaître, avoir une marge de manoeuvre, faire quelque chose de nouveau. En d’autres termes, c’est la capacité de chacun à la métamorphose. Or, les applications de rencontre sont contraires à la liberté. La « micro-jouissance » du clic est omniprésente, et ce type de plateforme peut amener, très souvent, à un phénomène d’addiction.

 Les applications de rencontre permettent-elles de rencontrer « l’autre » ?

Rencontrer des « profils », c’est l’antithèse de la rencontre. On recherche un idéal de l’autre à son image. Nous pourrions dire que ces individus entrent dans une démarche fantasmatique en se peignant eux-mêmes et en dépeignant l’autre. La rencontre, c’est ce qui n’est pas commun, contrairement aux algorithmes des applications. D’ailleurs, ces plateformes ne permettent pas la rencontre de l’autre, mais plutôt la rencontre de soi-même. Il s’agit moins, pour deux individus, de se rencontrer dans les différences qu’ils ont que dans les fantasmes qu’ils partagent.

Les applications n’amènent-elles pas à former un couple avec une personne socialement semblable ?

Souvent, dans l’autre, on cherche l’idéal que l’on se fait de soi-même. On se retrouve à essayer de trouver en l’autre son propre fantasme. La démarche est narcissique, puisque l’on recherche quelqu’un qui nous ressemble. Plus on diffère la rencontre, et plus on cultive ce fantasme de part et d’autre. Il faut quelqu’un qui « colle » à nos fantasmes, ce qui engendre une position d’autoritarisme et un rapport aliénant de soi et de l’autre.

 

Marie Lecoq

« À 49 ans, Tinder m’a aidé à retisser du lien social et à reconstruire ma libido »

Tomber amoureux à 50 ans, est-ce possible ? Les applications de rencontre ne sont pas seulement destinées aux jeunes. Elles attirent également les quinquagénaires, ceux qui ont envie de refaire leur vie. En 2013, les 41-65 ans représentaient 31% des usagers des sites de rencontre. Olivier Raynal est âgé de 49 ans. Père de deux enfants, ce journaliste s’est inscrit sur Tinder et Happn il y a trois ans, à la suite d’une séparation difficile avec la mère de ses enfants, après 14 ans de vie commune. « J’ai eu une grosse déprime et je n’avais plus aucune relation sociale », explique Olivier.

DSC_0113« Avant, je sortais dans les bars du quartier. Tinder, c’est un peu un comptoir moderne pour faire des rencontres intéressantes. Je n’en ai pas d’usage régulier, mais l’application m’a aidé à retisser du lien social et à reconstruire ma libido. »

Particulièrement affecté par sa séparation, il recherche désormais de « l’affection » et de la « complicité ». En trois ans, Olivier a rencontré une quinzaine de femmes. « J’ai eu trois ou quatre histoires, dont une très belle qui a duré six mois », raconte le journaliste. Afin de maximiser ses chances de rencontrer une femme qui lui correspond, Olivier Raynal n’a pas de critère d’âge. « Sur Tinder, j’ai préféré mettre une fourchette d’âge entre 20 et 50 ans. La différence d’âge ne me dérange pas. Mon ex compagne avait dix ans de plus que moi. C’est d’ailleurs moi qui lui ai créé son propre compte Tinder. Elle y a rencontré son actuel compagnon ». Pour Olivier Raynal, Tinder lui permet de « piocher dans la masse » et de croiser des filles qu’il n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer, sans l’application.

Marie Lecoq

Les débats télévisés influencent-ils le vote?

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Marine le Pen et Emmanuel Macron vont débattre mercredi 3 Mai. Photo d’illustration @Gaël Flaugère

Jamais il n’y a eu autant de débats télévisés dans une campagne présidentielle en France. Ce soir aura lieu le neuvième débat majeur entre responsables politiques candidats au poste suprême.  Après les six débats des primaires du PS et de LR (et de leurs alliés respectifs) et les deux débats précédant le premier tour, les citoyens les plus courageux pourront assister à une ultime confrontation télévisuelle opposant Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Si ces débats ont assuré aux chaînes de très bonnes audiences, leur influence sur le vote n’est pourtant pas assurée.

Le débat télévisé est devenu une tradition en France depuis le 10 mai 1974 avec celui qui opposa Valéry Giscard-d’Estaing et François Mitterrand devant 25 millions de téléspectateurs. De ce face-à-face, une phrase rentrée dans la culture populaire: «Vous n’avez pas le monopole du cœur». Mais aucun mouvement dans l’élection de 1974. Trois jours avant ce débat, Valéry Giscard-d’Estaing s’était stabilisé à environ 51% des intentions de votes dans les sondages d’opinions, et n’évoluera plus jusqu’au scrutin final, le 19 Mai. Le vote s’était cristallisé.


Selon Christian Delporte, historien, spécialiste de la communication politique interrogé par La Croix« un débat télévisé ne change pas l’opinion des gens. Ceux qui ont été organisés par le passé entre les deux tours de la présidentielle n’ont jamais modifié l’écart enregistré entre les candidats ». Pour l’historien, la succession des confrontations télévisées a prouvé que, malgré certaines paroles qui sont restées,  les débats d’entre-deux tours ne modifient qu’à la marge les dynamiques électorales. À quelques jours du scrutin final, elles sont largement cristallisées, qu’elles soient en faveur d’un candidat, de l’abstention ou bien du vote blanc; et le climat politique actuel de front républicain ne semble pas avoir vocation à changer cet état de fait.

« La télévision est en train de devenir le lieu du choix électoral »

Pourtant, de ces débats émergèrent quelques surprises, notamment lors des primaires de la gauche et de la droite. Avant les trois débats de la primaire de la droite et du centre, François Fillon stagnait à 11% des intentions de vote. La télévision a aidé les candidats Fillon et Hamon à montrer leur stature présidentielle. D’après Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop, cette élection présidentielle a été le théâtre d’une publicitarisation des primaires qui ont donné la prime aux candidats « les mieux préparés« .

Au moment des primaires, l’électorat se retrouvait dans une même famille politique. Les mouvements pouvaient être fluides entre chaque candidat. Ce qui fut le cas.

Dans le cadre d’une primaire, lorsque le vote n’est pas cristallisé ou qu’il s’agit de choisir un projet ou la ligne d’un parti, les débats télévisés semblent pouvoir renforcer les dynamiques. La montée en puissance des candidats Fillon et Macron coïncident avec la période de débats télévisés qui a précédé leur victoire, mais impossible de connaître la part active de ces diffusions grand public dans le résultat final.

Si selon Alain Duhammel, éditorialiste politique à RTL, « la télévision est en train de devenir le lieu du choix électoral, » elle l’est dans la mesure où sont organisés des événements politiques en amont de l’élection. Cette primauté donnée à la télévision est liée au format de la primaire : organiser un premier vote avant l’élection a confronté une opinion politique incertaine aux arguments de chacun. Les retransmissions des face-à-face ont aussi permis à tous les candidats, petits ou grand, de s’exprimer dans un format ou ils sont à égalité, le 4 Avril Dernier sur BFMTV.

« Un moment intense de convivialité politique »

Mais comme preuve du fait que les débats n’influent pas sur le vote des candidats à la présidentielle, le score des « petits » candidats est resté quasiment inchangé malgré l’égalité d’exposition médiatique,  si ce n’est pour Philippe Poutou, crédité dans certains sondages d’un point supplémentaire en récompense à sa saillie envers François Fillon. Lui aussi, a peut-être fait son entrée dans la culture populaire.

L’entrée de certains de ces moments de démocratie dans la culture du grand public n’est pas anodine. Elle montre une réaction du corps social à ces moments. Pour Gaël Villeneuve, politologue et auteur de Les débats télévisés en 36 questions-réponses, les débats télévisés sont « un moment intense de convivialité politique« . Ils revitalisent ceux qui sont impliqués dans le processus politique, et, bien qu’ayant peu d’effets sur les scrutins, perpétuent la culture politique du pays.

Gaël Flaugère

 

 

 

 

Procès Cannes-Torcy : Sofiane A., l’un des vingt accusés à la barre

 55 jours d’audience, 85 tonnes de procédure, 80 témoins cités, 14 experts et 20 accusés. Le procès Cannes-Torcy, débuté il y a une semaine, est inédit. La cellule serait à l’origine d’un attentat manqué contre une épicerie casher à Sarcelles (Val d’Oise), le 19 septembre 2012. Sofiane A. fait partie du groupe de jeunes âgés de 23 à 33 ans accusés d’avoir été au cœur d’un réseau djihadiste. Il a été entendu ce mercredi au Palais de Justice.

Sofiane A. a été entendu aujourd'hui à la Cour d'assises. Les mains derrière le dos, il répond brièvement aux questions du président, Philippe Roux.
Sofiane A. a été entendu aujourd’hui à la Cour d’assises. Les mains derrière le dos, il répond brièvement aux questions du président, Philippe Roux.

 

Mercredi matin, 9h30. Sofiane A. s’avance à la barre. Il comparait libre, comme six autres prévenus. Ceux qui ne le sont pas restent dans le box des accusés et l’observent attentivement. Le temps d’une matinée, Sofiane A. doit convaincre. Les mains croisées derrière le dos, il se tient droit. Il est face au président de la Cour, Philippe Roux, ses quatre assesseurs et les deux avocats généraux, Sylvie Kachaner et Philippe Courroye. « Vous connaissez le processus. On y va. » Le président n’a pas de temps à perdre.

« Je m’appelle Sofiane, j’ai 28 ans, je suis né à Cannes. Je m’entends très bien avec ma sœur et mes frères. » Sa famille, il en parle beaucoup. C’est l’une de ses stratégies de défense. « J’ai reçu une bonne éducation je pense. » Son père,  56 ans, est ouvrier. Il a grandi en Tunisie, « là où on mélangeait les Juifs et les musulmans. C’est nos cousins » dit-il pendant son témoignage.

Sofiane A. était un enfant désiré. « Il est doux, serviable, gentil et sportif » Les témoins entendus sont unanimes. Tous parlent de sa passion pour le football, de sa relation avec sa famille et sa femme et de son rôle protecteur envers sa petite sœur trisomique. « C’est pour ça que ma mère n’est pas présente » répond-il à l’avocate générale qui lui lance « elle aurait pu se libérer quand même ».

Un interrogatoire musclé

L’avocate générale ne l’épargne pas. Sylvie Kachaner l’interroge sur tout son procès verbal, pendant lequel il a prononcé de nombreuses phrases qu’il « regrette ». Comme celles où il raconte que depuis tout petit, on lui dit que les Juifs sont des mécréants et « qu’on a la haine des Juifs ». Sofiane A. n’est pas très bavard, il répond timidement aux questions. A cette interrogation, il répond qu’ « en garde à vue, c’est compliqué. Je me suis très mal exprimé. Je suis désolé, mais ce n’est pas le fond de ma pensée ». L’avocate générale n’est pas convaincue. Elle l’interroge enfin à propos de ses fréquentations : « c’est un café où un kebab où vous retrouviez vos amis ? », « Un café, madame ».

L’accusé insiste aussi sur son travail. Il a longtemps été intérimaire et a ensuite été embauché en CDI dans une entreprise d’échafaudages pour laquelle il avait assuré quelques missions. « Souriant et agréable », c’est ainsi que le qualifie son patron. Son club de football, lui, le « regrette, humainement et sportivement. »

Les témoignages donnent l’impression que l’accusé s’est retrouvé au tribunal par erreur. « Ce truc est tombé sur notre tête. Moi, je suis sûr qu’il n’a rien à voir avec cette histoire. » insiste son père. Selon lui, il était là au mauvais endroit, au mauvais moment. La Cour rendra sa décision début juillet. D’ici là, les magistrats entendront tous les autres accusés.

12h45. La séance est levée. L’après-midi est consacrée à un autre accusé, Ibrahim B., qui comparait, lui, dans le box des accusés.

 

Lou Portelli