Boycott des cartes bancaires : une mobilisation sans effet mesurable

Ils appelaient à vider leurs comptes et à ne payer qu’en liquide. Ce mardi 10 septembre, les partisans du mouvement « au cash citoyen » espéraient pénaliser les banques. Mais l’opération n’a entraîné aucun impact visible sur l’économie.

Aucun signe de retraits massifs n’a été constaté ce mardi (Photo by CHANDAN KHANNA / AFP)

Le mot d’ordre a circulé dès le mois d’août sur les réseaux sociaux : cesser d’utiliser la carte bancaire pendant vingt-quatre heures et retirer son argent des comptes, afin de priver les établissements financiers des revenus liés aux transactions. En marge du mouvement social national « bloquons tout » de ce mardi 10 septembre, l’opération se voulait une alternative aux cortèges et aux blocages, avec l’idée de cibler directement le système bancaire. Rarement utilisée dans l’histoire des mobilisations sociales, cette stratégie devait démontrer qu’un boycott massif des cartes pouvait priver les banques de ressources.

Dès le lancement, les limites apparaissaient pourtant clairement. « Le pire risque qu’on puisse courir, c’est que les distributeurs soient vidés plus rapidement que d’ordinaire », explique Philippe Moati, professeur d’économie à l’Université Paris-Diderot et cofondateur de l’Observatoire Societe et Consommation (ObSoCo). Mais une telle situation ne se serait produit que si la mobilisation avait atteint une ampleur nationale. « Force est de constater que ça n’a pas été le cas », martèle l’économiste.

Un phénomène de « bank run » ?

Les initiateurs du boycott s’appuyaient sur un constat réel : la carte bancaire occupe désormais une place centrale dans les habitudes de consommation. En 2024, la Banque de France enregistrait 824 milliards d’euros de dépenses réglées par carte, soit près de 68 milliards par mois. Chaque transaction génère une commission dite d’interchange, versée par la banque du commerçant à celle du client, censée couvrir le risque et les coûts de gestion. Les militants estimaient que la suppression de ces commissions pendant une journée pouvait priver les établissements financiers de milliards d’euros. C’est notamment pour cette raison que certains restaurateurs offraient une réduction aux clients réglant en espèces ce mardi.

Mais la réalité est plus nuancée. Ces commissions représentent en moyenne 0,5 % de la transaction, et non les 2 % souvent avancés. Rapportées au volume annuel des paiements par carte, elles représentent environ 60 millions d’euros. Une somme très éloignée des seize milliards évoqués par certains internautes. « Pour avoir un impact réel, il faudrait que le mouvement se répète, qu’il dure dans le temps et qu’il soit très suivi », note Philippe Moati. « Une seule journée, ne change pas la donne pour les banques. Je ne pense même pas qu’elles s’étaient particulièrement préparées ».

Quant à l’idée de retirer massivement son argent, elle aurait pu poser un problème d’un autre ordre. Un retrait généralisé créerait un « bank run », phénomène déjà observé dans l’histoire économique, notamment en 2008 lors de la crise des subprimes, et toujours redouté. « Si tous les déposants voulaient vider leur compte en même temps, cela créerait des difficultés », confirme Philippe Moati. Puis de préciser aussitôt : « Ce n’est absolument pas ce que l’on observe aujourd’hui. » Aucun signe de retraits massifs n’a été constaté ce mardi. Plusieurs supermarchés interrogés indiquent qu’ils n’ont constaté aucune différence avec une journée habituelle, ni dans le nombre de paiements en liquide ni dans la fréquentation. Des efforts stérile donc, et plutôt symboliques pour les citoyens mobilisés ce mardi.

Romanée Ducherpozat

La presse indépendante, un modèle « de l’expertise » pour Jean-Marie Charon

Le Canard enchaîné souffle ses bougies et fête mercredi 10 septembre 2025 son 110ème anniversaire depuis sa fondation. Hebdomadaire historique, le journal prospère avec un modèle garant d’indépendance : capital verrouillé et actions détenues uniquement par les journalistes ou retraités du journal. Face à un écosystème médiatique en recomposition, comment de tels modèles peuvent-ils survivre ?

LVMH, Rodolphe Saadé ou encore Patrick Drahi : ces trois noms se font concurrence. Dans un marché médiatique où la concentration des titres de presse se rétrécit, la presse indépendante se fait sa place.

Le Canard enchaîné, Mediapart, Alternatives Économiques : tous maintiennent un modèle économique indépendant, ne dépendant pas de publicité ou de financements privés. Pour Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias, le système de la presse indépendante se porte bien : “On a un paysage médiatique qui est un peu ancien, dans lequel on a eu des mass médias qui avaient la prétention de toucher les publics les plus larges possibles. A côté de cela, on a toujours des médias qui venaient compléter cette offre, plus spécialisés ou avec plus de diversité.”

Une transition du support d’information à intégrer

Un bouleversement fracasse aujourd’hui l’écosystème des médias : l’Internet. Ce phénomène réorganise le fonctionnement des médias comme l’explique Jean-Marie Charon : « Les plateformes numériques captent la plus grande partie des revenus qui sont générés par les médias, avec la publicité. Selon les chiffres de 2022-2023, 80 % de cette captation allait uniquement sur deux plateformes : Google et Facebook. »

Face à ce phénomène de rétrécissement des marchés publicitaires, les rédactions se réadaptent pour favoriser leur transition numérique. La gratuite d’Internet a également eu des conséquences sur les modèles indépendants : « Selon l’Arcom, dans les quinze dernières années, le chiffre d’affaires de la presse écrite, tout secteur confondu, c’est moins 30 % de revenus. Les éditeurs ont deux options : il faut aller concurrencer les grandes plateformes sur leur terrain. Si on part sur cette option, on part sur de la concentration. »

Comment survivre dans un modèle économique dominé par ces changements ? La récente annonce du possible rachat du titre de presse Le Parisien par le milliardaire Vincent Bolloré interroge sur la capacité de la presse indépendante à évoluer à la même vitesse. 

Une force de la presse indépendante

D’après le sociologue, certains titres de presse indépendants ont su adopter une approche différente pour assurer leur pérennité : « aller vers un public intéressé par une info approfondi, décalé, dans laquelle il va trouver autre chose que cette information de flux et il faut réinvestir dans les rédactions et l’information de fond. »

Pour Jean-Marie Charon, Mediapart constitue une réussite dans son modèle : « Ses fondateurs ne sont pas partis de rien. Ils ont réuni un capital de départ et des journalistes experts qui savent travailler dans la durée ainsi qu’une idée éditoriale forte pour le journal. » Pour l’universitaire, « on ne peut pas être complètement généraliste Il faut vraiment faire un pas de côté. Pour Mediapart, ils ont failli se casser la tête car le ‘commercial et technique ne sont pas très importants’. Ils ont compris très vite qu’ils ne pourraient pas capitaliser sans cela. »

La presse indépendante peut également compter sur son expertise, une qualité à exploiter pour Jean-Marie Charon : »Ce qui est frappant dans les autres médias généralistes, c’est à quel point ils se sont débarrassés de compétences journalistiques et des spécialisations. On est aujourd’hui tiraillé entre les demandes de l’entreprise et le besoin de se spécialiser. Cette expertise est l’enjeu de l’investigation où il faut être capable de rendre compte de la complexité du monde dans lequel on vit”. 

Le passage au numérique est également nécessaire selon Jean-Marie Charon pour les titres de presses indépendants : « Face à des acteurs qui ont la capacité de faire évoluer le goût du public, on ne peut pas dire “on ne fait que du texte”. 

Un lectorat culturel mais restreint

Malgré la bonne pérennité de cette presse, sa durée dans le temps est fragilisée par la marginalité de son lectorat. En effet, le public reste un public privilégié. Selon Jean-Marie Charon, une crainte persiste : que « la presse indépendante soit condamnée à être presse intellectuelle”. 

En s’appuyant sur les travaux de l’Arcom, le sociologue distingue deux espaces dans la sphère de l’information : « l’un avec un public éduqué, des pratiques culturelles diversifiées et qui sait utiliser la multiplicité de ressources pour s’informer et l’autre côté, ceux qui ont plutôt les réseaux sociaux et la télévision comme source d’information.”

Dans un contexte de méfiance envers les médias, la presse indépendante fait figure de garantie de l’information. Elle doit cultiver cette transparence et l’expliquer selon Jean-Marie Charon : « Il faut savoir montrer comment on travaille et quand on se trompe pour expliquer comment on s’est trompé. La situation se transforme au moment où on l’analyse donc les erreurs peuvent survenir. Il faut rendre compte de son travail”.

À quoi vont ressembler les prochains jours du nouveau Premier ministre ?

Alors que la France traverse une crise politique inédite sur fond de revendications sociales, Sébastien Lecornu fait ses débuts à Matignon avec un programme chargé. 

À peine investi de ses fonctions, Sébastien Lecornu s’est déjà mis au travail. Peu de temps avant la passation de pouvoir avec François Bayrou, le nouveau Premier ministre avait annoncé vouloir rencontrer les représentants des principaux partis politiques français.

Cela a débuté cet après-midi. À 14 heures, Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates à l’Assemblée nationale, a été reçu à Matignon. Puis ce fut au tour de Gabriel Attal, chef de file des députés Renaissance. Plusieurs leaders du parti Les Républicains ont été conviés à 15 h 30, à savoir Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez, François-Xavier Bellamy et Mathieu Darnaud.

À 17 h 30, le Premier ministre doit recevoir le représentant du parti Horizons.

Un agenda soumis au calendrier parlementaire

Dans les prochains jours, Sébastien Lecornu échangera également avec les principaux syndicats.

Tout l’enjeu pour le nouveau locataire de Matignon est de tisser suffisamment d’alliances en amont du vote du budget 2026 à l’Assemblée nationale.

Il a également la charge de constituer un gouvernement. Sur Franceinfo ce midi, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a affirmé qu’aucun membre de son parti ne participera à ce gouvernement.

Du côté du Rassemblement national, Jordan Bardella a appelé à « une censure totale »  du gouvernement s’il « continue la politique d’Emmanuel Macron ».

Par ailleurs, le 1ᵉʳ octobre prochain sera une date importante pour Sébastien Lecornu marquée par la reprise des travaux parlementaires.

 

Domitille Lefebvre

« Aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement » : devant la gare du Nord, les partisans de la mobilisation « bloquons tout » parlent d’une même voix

À Paris, la gare du Nord a été l’un des principaux foyers de mobilisation ce mardi 10 septembre, dans le cadre de la journée d’action du collectif « Bloquons tout ». Plusieurs milliers de partisans du mouvement ont convergé vers le bâtiment et tenté d’y entrer.

 

Difficile de rentrer dans la gare du Nord, à Paris, ce matin : faute de pouvoir y accéder, la foule compacte converge devant l’édifice, tandis que des CRS sont postés à chaque entrée. En entendant les exclamations qui s’en dégagent, on comprend rapidement que le lieu est devenu un point de ralliement anti -macroniste pour dénoncer les mesures budgétaires adoptées sous l’égide du président. La jeunesse, représentée en nombre, scande des slogans devenus fameux par leur caractère politique : « siamo tutti antifascisti » (nous sommes tous anti-fascistes), et «  Même si Macron ne le veut pas nous on est là ». Dans l’air, des devises telles que « le peuple se soulève », flottent comme des étendards. À contre-courant, les voyageurs souhaitant rejoindre leurs trains sont compressés, l’accès se faisant au compte-gouttes.

La jeunesse en première ligne

L’appel à manifester émanait de la SNCF, mais vers 11h, ce sont en majorité des étudiants ou jeunes travailleurs qui confluent vers la gare, après des tentatives de blocages infructueuses un peu partout dans Paris. « Ce matin, je suis passé à porte de Montreuil, puis à porte de Vincennes, mais ces mouvements ont été bloqués par les CRS », témoigne Stan, jeune intermittent du spectacle s’étant alors tourné vers ce nouveau lieu de rendez-vous. L’édifice devient un point de ralliement pour tous les partisans du mouvement « bloquons tout » lancé cet été sur les réseaux sociaux, tandis que les cheminots tiennent une assemblée générale au Technicentre SNCF de Châtillon avant de le rejoindre. L’incertitude règne quant aux principaux intéressés, comme on peut l’entendre ici ou là : « ils sont où? », « Elle est finie, leur AG? »

En les attendant, une étudiante vêtue de jean face à la foule en noir lance des appels à la « solidarité avec tous les travailleurs » pour « bloquer l’économie » face aux réformes budgétaires : les mesures annoncées par l’ex-Premier Ministre François Bayrou, dont le gouvernement a chuté lundi, est dans tous les esprits. Robin, arborant fièrement sa pancarte « taxez les riches », approuve : «  le gouvernement nous somme sans arrêt de faire plus d’efforts, que l’on fait déjà, alors que les inégalités deviennent de plus en plus flagrantes et qu’on manque d’argents dans les hôpitaux, dans les écoles ». «  Le passé nous a montré que le peuple peut gagner lorsqu’il se mobilise dans la rue », veut croire l’étudiant en histoire.

Devant la gare du Nord, point de rendez-vous du mouvement « bloquons tout », la jeunesse prend les devants avant l’arrivée des cheminots

« On a l’impression que nos votes ne servent à rien » : de la manifestation à la colère sociale

«  Il est de plus en plus difficile de s’organiser, d’avoir un vrai lieu de discussion, en raison de tous ces policiers postés partout » tempère Camille, intermittent du spectacle. Sa casquette de cuir vissée sur le crâne, le cinquantenaire se dit néanmoins « fier et optimiste » à la vue de cette jeunesse mobilisée, et se remémore avec nostalgie des manifestations de 2003 contre l’accord sur l’assurance chômage des intermittents du spectacle : « à l’époque, il était encore possible d’obtenir des victoires dans la rue. Aujourd’hui, les décisions se font de plus en plus contre le peuple, venant d’en haut ».

Une conviction regroupe tous ces manifestants : la nomination de Sebastien Lecornu au poste de Premier Ministre ne « changera rien » à la situation. « C’est un fidèle de Macron, qui suivra la même politique. On a l’impression que nos votes ne servent à rien », s’agace Lancelot, brandissant sa pancarte « Stop Pub » aux cotés de son ami Robin.

Lancelot et Robin sont venue depuis l’Aveyron pour prendre part au mouvement « bloquons tout », ce matin devant la gare du Nord.

Les cheminots rejoignent la foule

Les voix se font de plus en plus fortes et des fumigènes de couleur flottent dans l’air lorsqu’arrivent les cheminots, vers 11h40. Microphone à la main, Anasse Kayib, membre de leur syndicat et du parti Révolution Permanente, martèle au cours d’un débrief express : « Nous espérons qu’aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement ». «  S’il n’y a pas un train qui part de gare du Nord, pas un avion qui sort de Roissy, on sera obligé de nous entendre », scande à son tour Marcel, conducteur de tramway. Selon Émile, technicien de maintenance, l’AG de Châtillon a été « une réussite » : « nous étions 150 et avons cherché à mobiliser tous nos collègues. Depuis 2014, nous n’essuyons que des défaites mais nous pensons que ce mouvement peut changer les choses : le taux de grévistes a été estimé à 40%, et nous avons massivement voté pour la reconduire le 18 septembre ». Émile se dit aller dans le sens des revendications portées par la CGT cheminots, portant sur « une augmentation générale des salaires, l’abrogation de la contre-réforme des retraites de 2023, l’arrêt de toutes les réorganisations et suppressions d’emplois », face à une politique « d’austérité », comme l’indique un communiqué posté hier.

Marcel et Emile, conducteur de tram et technicien de maintenance pour la SNCF, se sont rendus à la mobilisation de la gare du Nord suite à l’Assemblée générale des cheminots.

Annasse Kayib appelle la foule à s’asseoir, et à qui le souhaite de venir prendre la parole. Le parvis de la gare du Nord se transforme alors en Assemblée Générale géante, où les revendications des cheminots se mêlent à celles de lycéens ou professeurs, déplorant l’insalubrité des établissements scolaires et le manque de personnel.

Vers midi, une réunion entre partisans du mouvement « bloquons tout » s’est improvisée sur le parvis de la gare du Nord

«  On a compris les revendications, il faut maintenant s’organiser pour faire bouger les choses! », s’irrite un homme, la réunion devenant manifestement un peu trop longue à son goût. Comme pour lui répondre, la foule se lève comme un seul homme vers 13h30 pour rejoindre l’ultime rendez-vous du mouvement : Châtelet-les-Halles.

Margot Mac Elhone