Illetrisme numérique : et à l’étranger alors ?

Depuis plusieurs années, l’Europe travaille à rendre Internet et les outils numériques accessibles au plus grand nombre. L’Estonie et le Royaume-Uni se distinguent pour leurs initiatives particulièrement efficaces.

Les Français se situent dans la moyenne, par rapport à leurs voisins européens. Unsplash.

Au sein de l’Union Européenne, la France se situe dans la moyenne. Mais même si depuis les années 2000 l’inclusion au numérique est rentrée dans l’agenda européen,  des différences importantes demeurent. En 2002, puis en 2005, la commission européenne a mis en place des plans baptisés « e-Europe », qui donnent des résultats très différents selon les pays. Parmi les bons élèves européens, on retrouve les pays scandinaves, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Estonie.

Au Royaume-Uni, le pays a fait le choix de développer massivement un réseau d’« espaces numériques publics », qui permettent aux ménages à faibles revenus d’accéder gratuitement à Internet et de bénéficier de formations au numérique. Cette politique est accompagnée par une baisse du prix des abonnements Internet. Les populations défavorisées peuvent ainsi avoir des formations tournées vers un accès à l’ensemble des services publics en ligne. Ce sont près de 3 500 espaces numériques publics qui ont été mis en place au Royaume-Uni.

Quant à l’Estonie, elle a fait le choix du tout-numérique dans les années 1990. Le pays a une politique éducative forte en matière d’informatique. Les banques et les opérateurs de télécom ont aussi apporté leur pierre à la numérisation de la société estonienne. L’Estonie fait en sorte de rendre Internet accessible dans les mairies et les postes, même dans les coins les plus reculés du pays. Le vote numérique à distance ou encore la carte d’identité numérique sont rentrés dans les habitudes des Estoniens.

Parmi les pays les plus à la traîne, on retrouve le Portugal, la Pologne, la Grèce et surtout la Roumanie, où près de 36 pourcents de la population n’a pas de compétences numériques ou bien n’a pas accès à Internet. Dans ces pays, c’est surtout le décalage entre les zones urbaines et les zones rurales qui explique qu’une partie de la population peine encore à avoir accès à Internet et à le maîtriser.

Pauline Paillassa

Les exclus du numérique ont été doublement confinés

Pour les personnes qui ne maîtrisent pas les bases du numérique, le confinement a été un casse-tête. L’illectronisme est un véritable handicap dans notre société. Les personnes qui luttent contre cet illettrisme numérique cherchent des solutions.

D’après l’Insee, 17% des Français sont en situation d’illectronisme (Source : Pauline Paillassa)

« Je ne sais pas me servir d’Internet, donc pendant le confinement ce sont mes enfants et mon gendre qui ont imprimé des attestations et qui sont venus nous les porter », raconte Bernadette Tricoire, retraitée.

Comme beaucoup de Français, cette femme qui vit seule avec son mari dans une petite ville proche d’Angoulême, ne sait pas se servir d’un ordinateur, même si elle dispose d’une connexion Internet. « Je ne m’en sers pas. Je ne sais pas l’utiliser, ce sont les enfants qui le font», indique la retraitée. Et cette situation s’est révélée particulièrement problématique en période de confinement.

Attestations de sortie à remplir en ligne, courses alimentaires par le « drive », visioconférence avec un parent en Ehpad… le confinement a démontré l’importance de la maîtrise d’Internet et des outils numériques. Pourtant, 17% des Français souffrent d’« illectronisme », d’après une étude de l’Insee. Le terme est inspiré du concept d’illettrisme mais appliqué aux nouvelles technologies. Il désigne l’incapacité à utiliser Internet ou un ordinateur, par manque de matériel ou de connaissances.

D’après l’Insee, 38% des Français sont concernés par l’illectronisme au sens large. Cela signifie qu’il leur manque au moins l’une des compétences essentielles définies par l’institut : la recherche d’information, la communication, l’utilisation de logiciels et la résolution de problèmes.

Sous-équipées ou bien tout simplement réfractaires, les personnes âgées représentent la majorité des personnes concernées : « Je n’ai ni Internet, ni aucun équipement informatique. Je n’en veux pas. Parfois c’est ma femme de ménage qui m’aide pour avoir un renseignement. Mais sinon, ce sont mes enfants qui m’aident », explique Robert Touvron, un chaudronnier vendéen à la retraite de 85 ans.

Les personnes âgées ne sont pas les seules concernées

Pendant le confinement, le gouvernement a mis en place la plateforme téléphonique Solidarité Numérique, pour aider les personnes rencontrant des difficultés avec le numérique. En un mois et demi, la plateforme a enregistré plus de 11 000 appels. Des « médiateurs numériques » assurent une aide à distance. Et à l’autre bout du fil, un public très varié : « On a eu un public qui n’est pas forcément notre public habituel. Par exemple, on a eu des des entrepreneurs qui cherchaient à organiser du télé-travail et comment organiser une visioconférence », explique Loïc Gervais, médiateur numérique. Ce médiateur numérique professionnel depuis près de 15 ans a participé à la création de la plateforme téléphonique. Et si ce professionnel a choisi cette voie, c’est avant tout pour « permettre aux gens de monter en autonomie et en pouvoir d’agir ».

Les personnes âgées sont en effet loin d’être les seules à rencontrer des difficultés avec les outils numériques. Les plus jeunes sont aussi concernés. Si les « digital natives » sont à l’aise pour utiliser les réseaux sociaux, certains d’entre eux ont plus de difficultés lorsqu’il est question de créer un CV en ligne ou de suivre des cours à distance. Cette situation est particulièrement critique chez les jeunes issus de milieux défavorisés, pas ou peu diplômés. En août 2018, une étude de la sociologue Jen Schradie a montré l’importance de la classe sociale. Les jeunes issus des milieux les plus pauvres seraient moins souvent en mesure d’avoir un usage professionnel d’Internet, que ceux issus de milieux favorisés.

Les démarches administratives, un parcours du combattant

L’illectronisme est un handicap qui se fait sentir en permanence, confinement ou pas. Les démarches administratives dématérialisées rendent incontournable l’utilisation d’un ordinateur. La déclaration d’impôts en ligne est disponible depuis 1999, et elle est aujourd’hui obligatoire pour toutes les personnes ayant une connexion Internet. En 2012, le gouvernement a mis en place le plan « France numérique 2020 », dont l’un des objectifs était de dématérialiser les démarches administratives. L’objectif du tout-numérique n’est pas encore atteint, mais ce plan a tout de même entraîné de nombreuses dématérialisations.

« Pour bon nombre d’administrés, le numérique facilite le quotidien. En revanche, pour les personnes ne disposant pas du matériel, des connaissances ou de la connexion nécessaires, il transforme les processus administratifs en véritable parcours du combattant : ces personnes sont soumises aux contraintes classiques de la bureaucratie administrative mais elles souffrent également de la raréfaction des points d’accueil, notamment en zones rurales », explique Stéphanie Renard, maître de conférences en droit à l’université Bretagne Sud, qui a dirigé l’ouvrage La Dématérialisation des procédures administratives, paru en 2017.

Il arrive que des personnes abandonnent une démarche à cause d’un manque de compétences. « La fracture numérique est un accélérateur d’inégalités. L’exclusion numérique devient un facteur aggravant l’exclusion sociale », alerte Stéphanie Renard.

« La fracture numérique est un accélérateur d’inégalités. »

Selon elle, la dématérialisation doit prendre en compte ce phénomène. « Il faudrait favoriser un retour du service public sur les territoires. »

Une réponse politique attendue

Une mission d’information « sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique » a été lancée par le Sénat le 13 mai 2020, signe que la question est prise au sérieux. Le Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) l’avait prévue avant l’épidémie, mais le confinement a montré sa pertinence. « L’arrivée de la crise sanitaire va donner une dimension nouvelle à cette mission, qui est au cœur de l’actualité. Des problèmes ont été mis en exergue au travers des cours à distance », explique son président, Jean-Marie Mizzon, sénateur de la Moselle.

La mission d’information rendra son rapport en septembre, après avoir consulté en visioconférence des plateformes, des associations, des chercheurs, et des start-ups dans le domaine de la formation au numérique.

« Il y a toute une catégorie de gens qui n’est pas assez armée ou sensibilisée à la nouvelle donne du numérique. L’État fait fi de cet état de fait, il impose la dématérialisation à tout le monde, alors que toute une partie de la population en est écartée », explique le sénateur. Jean-Marie Mizzon souhaite que l’administration conserve une possibilité de faire ses démarches sous forme traditionnelle, en utilisant le papier : « On ne peut pas imposer un accès uniquement numérique. Conserver le papier est important, pour quelques années encore, le temps que tout le monde ait pu se former ». Des solutions pour inciter les utilisateurs à se mettre au numérique existent : « Du côté de l’administration, je pense qu’il faudrait penser à une présentation des choses qui soit plus accueillante, plus facile à maîtriser que les pages parfois austères qu’elles proposent ».

« On ne peut pas imposer un accès uniquement numérique. Cette manière de voir à double entrée est importante dans un premier temps, pour quelques années encore, le temps que tout le monde ait pu se former. »

Une mission d’information « sur la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique » a été créée au Sénat le 13 mai (Source : Julie Bringer)

En attendant, les acteurs de terrain de la lutte contre l’illectronisme espèrent une prise de conscience de l’ampleur du problème : « Pour moi la situation sur l’illectronisme en France est catastrophique. Ce virus a permis de voir l’utilité cruciale de l’accès à Internet. C’est un besoin vital », explique Joe, médiateur numérique dans l’association Manor qui agit notamment à Montargis, dans le Loiret. 

Derrière un enjeu pratique se cache donc un enjeu social et politique. Le défi pour les années à venir sera d’empêcher l’exclusion des 17% des Français qui sont touchés par l’illectronisme.

Pauline Paillassa et Julie Bringer

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Et à l’étranger alors ?

Collecte solidaire : « priorité aux vêtements chauds et masculins »

En partenariat avec la mairie du 19e arrondissement de Paris, l’association d’aide aux migrants Utopia 56 organise ce jeudi 10 octobre une collecte solidaire de vêtements. L’occasion de rappeler le besoin prioritaire d’habits masculins et la nécessaire implication des entreprises de prêt-à-porter.

L'association d'aide aux migrants Utopia 56 dispose de vingt-deux points de collecte à Paris. (LD)
L’association d’aide aux migrants Utopia 56 dispose de vingt-deux points de collecte à Paris. (LD)

« Ce bac est déjà plein », sourit Gaëlle, 26 ans. Bénévole à l’association Utopia 56, c’est elle qui gère la collecte solidaire de vêtements organisée ce jeudi devant la mairie du 19e arrondissement. De 8h30 à 19h30, les Parisiens sont invités à venir y déposer quantités de vêtements, qui seront ensuite distribués aux migrants. A l’approche de l’hiver, Utopia 56 multiplie ces points de collecte éphémère, qui s’ajoutent aux vingt-deux points de collecte permanents de la capitale.

« Nous recevons trop de vêtements pour femme ! »

« Les collectes solidaires fonctionnent bien auprès des gens. Mais nous avons plus de mal à démarcher les entreprises. L’idéal serait de pouvoir récupérer en grande quantité des couvertures, même usagées », poursuit Gaëlle. Certains grands noms du prêt-à-porter acceptent malgré tout de jouer le jeu. C’est le cas de Décathlon qui fait régulièrement des prix aux associations d’aide aux migrants. Et puis il y a les dons, l’indispensable contribution qui permet de compléter les collectes. L’argent récolté sert, par exemple, à acheter des sous-vêtements.

Debout derrière son stand, Gaëlle se saisit d’un tract qui détaille les vêtements demandés en priorité par l’association. Il s’agit essentiellement de vêtements d’hiver : des manteaux, des pulls ou encore des chaussures, taille 39 à 45. « Nous invitons les gens à donner des vêtements d’hommes car ils sont largement majoritaires dans les campements parisiens. Malheureusement, ce sont surtout les femmes qui donnent… des vêtements pour femmes. » Résultat, l’association est parfois obligée d’organiser des braderies pour revendre le surplus de vêtements féminins, afin de pouvoir acheter des habits pour hommes.

Le maire de passage à la collecte

Parmi les donateurs, un riverain pas comme les autres. « Je viens vous apporter quelques petites choses, dont deux paires de chaussures », avance le maire socialiste du 19e arrondissement, sacs de vêtements dans chaque main. Pour François Dagnaud, soutenir la collecte est une évidence : « comment voulez-vous fermer les yeux ? Ici, nous sommes à l’avant-poste de Paris. Venir en aide aux associations qui aident les migrants est une question morale : faire en sorte de tous nous ramener à la dignité. »

La mairie finance le projet de collecte depuis plusieurs années. Malgré l’ouverture de centres d’accueil décidée par Anne Hidalgo, cet hiver encore, des centaines de migrants dormiront dans la rue. « L’installation des centres part d’une bonne volonté, commente François Dagnaud. Laisser les gens dormir dans la rue n’est pas acceptable. » Il l’admet, les solutions d’hébergements sont « loin d’être parfaites ». Les centres d’accueils, poursuit-il, « permettent au moins aux primo-arrivants de se poser un peu. »

Au mois de juin dernier, François Dagnaud alertait déjà le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb sur « l’inhumanité dans laquelle les migrants sont contraints d’attendre », dans une lettre co-écrite avec le maire du 10e arrondissement. Une dizaine de jours plus tard, G. Collomb exprimait son intention de répartir les migrants dans la région Île-de-France. Sans pour autant aborder un calendrier précis.

Léa DUPERRIN

Cause animale : deux militants L214 condamnés à 6 000 euros d’amende

Les deux militants L214 s'étaient introduits en décembre dernier dans un abattoir dans les Yvelines. (domaine public)
Les deux militants L214 s’étaient introduits en décembre dernier dans un abattoir dans les Yvelines. (pixnio/bicanski)

Deux militants de l’association L214 ont écopé de 6 000 euros d’amende dont 5 000 avec sursis. En décembre dernier, ils s’étaient introduits illégalement dans un abattoir des Yvelines (78) pour y installer des caméras de surveillance.

Le tribunal correctionnel de Versailles a rendu son jugement dans l’affaire de l’abattoir de Houdan (Yvelines). Les deux militants de l’association L214 ont été condamnés à une amende de 6 000 euros dont 5 000 avec sursis pour « violation de domicile ». Le co-fondateur de l’association, Sébastien Arsac, et un autre militant s’introduisent dans l’abattoir de porcs et installent des caméras de surveillance. Ils parviennent à en glisser une sur une nacelle descendant les animaux dans un puit, où les porcs sont étourdis avec du CO2 avant d’être tués.

Trahis par la chute d’une caméra

Si cette méthode n’est pas illégale en France, les militants de L214 luttent pour son interdiction et estiment que cette pratique est « systématiquement longue et douloureuse ». A la barre, les deux hommes ont reconnu les faits qu’ils estiment « justes ». Ils se sont défendus en appelant « au droit à l’information du consommateur ».

C’est la chute de l’une des caméras qui a trahi les deux militants cagoulés. Venus récupérer les caméras à la nuit tombée, ils ont été pris sur le fait par les policiers. Les images, confisquées par les gendarmes, ont été en partie récupérées par l’association. Certaines vidéos ont été mises en ligne en juin dernier.

Un procès inédit

Ce procès est une première. Habituellement, les vidéos diffusées par L214 sont filmées par des salariés des abattoirs incriminés, ou des personnes ayant accès aux lieux en question. L’abattoir réclamait 215 000 euros de dommages et intérêts, mais cette demande n’a pas abouti. Le tribunal n’a pas non plus retenu l’accusation pour « tentative d’atteinte à la vie privée ».

Les avocats des deux parties ont indiqué qu’ils allaient consulter leurs clients sur un éventuel appel contre la décision du tribunal. L’affaire n’est pas terminée sur le plan judiciaire car une enquête pour maltraitance est également en cours pour le même abattoir. L214 avait porté plainte suite à des images montrant les porcs frappés et électrocutés par un employé.

Léa DUPERRIN