Portrait : « La sape c’est l’art de s’aimer au quotidien », rencontre avec « le Bachelor » (3/3)

Crédit Photo : Julien Percheron
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Jocelyn Armel est un sapeur, un vrai. Propriétaire de la boutique Sape & Co, lieu emblématique du quartier parisien de Château-Rouge depuis près de 12 ans, il s’est imposé sur le marché de la sape dans la capitale. Rencontre avec un personnage haut-en-couleurs.

Arriver avec une heure de retard, un minimum pour tout sapeur qui se respecte. Celui qu’on surnomme « le Bachelor » ne déroge pas à cette règle : pris en photo par les passants, il salue tout le monde et se pavane rue de Panama, dans le 18è arrondissement de Paris. Il est chez lui. Ses habits contrastent avec la saleté environnante, les poubelles renversées et les odeurs de poisson.

A peine dans son magasin, il s’empare du balai et s’empresse de nettoyer les feuilles mortes amassées devant la vitrine. « C’est l’ère Macron, ça les enfants, vous allez vite travailler maintenant », plaisante-t-il. Il fait le show, montre ses chaussettes et dévoile sa pose fétiche. De taille moyenne, « le Bachelor » enchaîne les punchlines « Vous les Français vous êtes trop bizarres, vous, la cinquième puissance mondiale, refusez de voter pour un banquier, c’est comme refuser de voter pour un médecin ».

Il s’excuse pour cette entrée en matière, pour lui ce qui compte c’est la sape. D’origine congolaise, arrivé en 1977 et aîné d’une fratrie de 6 enfants, il a hérité du restaurant de sa mère rue de Panama en 2005 qu’il a transformé en boutique.

« Lorsque ma mère me cède cette boutique,  j’avais l’intention d’ouvrir une boutique au Congo. J’avais déjà de la marchandise que j’avais acheté en Italie mais c’était la guerre. Donc lorsqu’on me cède ce local je me dis pourquoi pas. »

Crédit Photo : Julien Percheron
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« La sape c’est l’art de s’aimer au quotidien »

Alors que la sape est traditionnellement considérée comme une dépense absurde, pour « le Bachelor » c’est un moyen de subvenir aux besoins de sa famille. « Je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants donc chez nous les Africains, ça veut dire que les parents mettent tous vos espoirs sur vous » précise-t-il. Très intéressé par les vêtements dès son plus jeune âge, il a travaillé comme saisonnier puis responsable chez Daniel Echter. Une maison qui lui a permis de se rendre compte de l’impact que la sape a sur les Français. Il était alors courant que des clients lui demandent d’où venaient ses habits colorés, raconte-t-il. Il faisait remonter l’information à ses supérieurs qui lui rétorquaient ne pas pouvoir vendre autre chose que du noir ou du bleu marine. « Je me disais qu’un jour si j’avais une boutique, j’essaierais de mettre les couleurs », explique-t-il avec beaucoup de fierté.

Cet amour de la sape, il le tient de son père :

« Alors là c’est ce qu’on appelle les avantages de filiation, si je peux m’exprimer ainsi. Il y a des choses qu’on est amenés à faire dans la vie qu’on fait parfois sans explication soit par mimétisme ou parce qu’on a vu son oncle ou son grand-frère ou son papa. Je crois que ce fut mon cas, en tout cas mon père était très élégant, il aimait s’habiller. »

L’enfant de Brazzaville habille désormais les plus grands, de Papa Wemba à Antoine de Caunes, plus récemment. « Les médias ont beaucoup fait pour moi. Ces émissions font qu’aujourd’hui la sape elle-même est reconnue », affirme-t-il. Très soucieux de démocratiser cet art de vivre, « le Bachelor » tient à faire perdurer cette mode au-delà des sexes et des communautés. Une mode à la portée de tous : « La sape c’est l’art de s’aimer au quotidien. Ce n’est pas parce que tu vas chez Cartier ou Louis Vuitton que tu es un sapeur, tu peux aller chez Zara ou même ici à Clignancourt. Il suffit que tu exploses dans ce que tu aimes. »

Mathilde Poncet et Blanche Vathonne

 

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Crédit Photo : DR
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Véritable institution vestimentaire au Congo, la sape est désormais une affaire internationale. Chanteurs, écrivains, journalistes, la « sapomania » s’empare de tous les milieux. Retour sur les origines d’un phénomène de mode, mais pas que.

Si vous allez vous promener le week-end à Paris dans le quartier africain, à Château Rouge ou aux alentours de la Goutte d’Or, il est très probable que vous croisiez sur votre chemin des hommes en costumes, dans un mélange de couleurs souvent détonnant, vert fluo ou rose bonbon, une canne à la main, un mouchoir en soie dans la poche, des chaussures Weston au pied. Ceux que l’on surnomme les sapeurs, autrement dit les membres de la Société des ambianceurs et des personnes élégantes ont un seul mot d’ordre : être le plus beau. Retour sur une mode moins superficielle qu’elle en a l’air.

Une contre-culture, quand le vêtement devient manifeste politique

Né dans les quartiers de Brazzaville au début du siècle, le mouvement de la sape a évolué avec l’histoire de l’immigration et de la colonisation du Congo pour s’exporter dans les rues du nord de Paris. Le principe : se montrer en étant habillé le plus élégamment possible.

Pendant la colonisation du Congo, certains vont s’approprier cette figure du « dandy » européen qui va devenir une manière de protester contre l’oppression. Cette mode va s’étendre jusqu’aux Etats-Unis. Dans les années 1940, toute une jeunesse issue de la culture afro-américaine souvent marginalisée, va sur-investir dans les vêtements de luxe. Ce sera pour ces jeunes une manière de refuser le travail manuel.

Avec des costumes à la mode occidentale, souvent très chers, le vêtement devient  un moyen, comme l’explique Manuel Charpy, historien spécialiste de la mode et du vêtement, de refuser le statut d’immigré imposé par la société française :

« La vision que l’on se fait de l’immigré dans les années 1980 est celle d’un homme discret, de la main d’œuvre dans le BTP ou l’industrie automobile. Avec ces costumes les sapeurs vont faire l’inverse ».

La sape est tout au long du siècle investie d’une force de contestation. Le costume, cher, affriolant, devient un moyen de revendiquer une forme d’identité. « Nous allons reprendre par le pouvoir par l’exhibition du corps, le corps devient l’élément fondamental pour opposer une résistance face au pouvoir politique », affirme l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou et icône des sapeurs. Une des règles majeures de la sape consistant à laisser apparaitre les étiquettes de ses costumes, d’où vient l’expression « montrer ses griffes », revêt une connotation symboliquement violente.

« Sapés comme jamais » : quand la sape se réinvente avec la pop culture

De moins en moins politisée, la sape continue d’irriguer la culture contemporaine. Son univers est exploité par de nombreux artistes comme le chanteur Papa Wemba, véritable icône du mouvement vestimentaire. Sa mort tragique sur scène, en plein concert avait attristé de nombreux sapeurs congolais qui l’avaient élevé au rang de quasi dieu. Aujourd’hui, de nombreux sapeurs se font connaître sur la toile. Parmi les plus connus, on trouve celui qui se surnomme avec provocation « Chômeur de Luxe » ou « Beauté Numérique ».

Plus récemment, Norbert s’est fait connaître avec l’émission Les rois du shopping sur M6.

https://www.youtube.com/watch?v=lxMDUiFqbCg

Le sapeur cultive son excentricité et aime se faire remarquer. Parfois dans l’autodérision, le second degré est l’une des composantes majeures de l’humour du sapeur. Outre les vêtements, beaucoup misent également sur les pas de danses pour défier leurs concurrents.

Le terme « sapé » est réapparu dans le langage courant grâce au chanteur Maitre Gims et son tube « Sapés comme jamais » qui reprend les clichés de la sapologie.

Plus subtilement, l’univers de Stromae s’inspire aussi des codes vestimentaires : nœud papillons, couleurs pastel et pas de danses.

La sape continue d’être une expression privilégiée pour beaucoup et inspire de nombreux artistes. Une mode qui se renouvelle progressivement et qui attire un nouveau public très éloigné de la cible d’origine. Le quartier de Château Rouge, autrefois haut lieu de la sape qui se gentrifie à vitesse grand V en est l’illustration.

Mathilde Poncet

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La culture dit « NON » au FN

Mardi, à la Cité de la musique à Paris, plus de 1 600 personnes ont répondu présentes à l’appel d’un rassemblement citoyen intitulé « la culture contre le Front national ». 70 organisations, syndicats et associations culturelles sont à l’origine de ce rassemblement. L’objectif ? Voter le 7 mai pour faire barrage à Marine Le Pen. Ils n’ont qu’un seul mot à la bouche : #StopFN7mai.

Sur l’écran géant, le message est clair et l’appel est lancé : #StopFN7mai. A cinq jours de l’élection présidentielle, le monde de la culture s’est mobilisé mardi soir à la Cité de la musique à Paris contre le Front national. Un appel à participer au scrutin du 7 mai et à voter pour faire barrage à la candidate Marine Le Pen.

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Grande absente de la campagne présidentielle, la culture a été, hier, remise sur le devant de la scène.

https://twitter.com/EnMarcheCulture/status/859538337002082304

Au total, plus de 1600 personnes ont répondu à l’appel d’un rassemblement citoyen, en présence de la ministre de la culture Audrey Azoulay. La salle était comble et, plus que jamais, déterminée à faire barrage au Front national.

« Le monde de la culture est inquiet quant à son avenir. Je demande l’art, plus que la culture. Je demande les arts. (…) L’objectif, c’est que dans cinq ans, le Front national redevienne un groupuscule » a déclaré le comédien Jean-Pierre Vincent, sur la scène de la Philharmonie.

Accueilli sous les applaudissements, le président de la Philharmonie, Laurent Bayle, s’est lui aussi engagé et a appelé « à voter massivement pour le seul candidat républicain, Emmanuel Macron ». 

Près de 70 organisations dont la Sacem, l’Association des scènes nationales, la Ligue des droits de l’Homme, la CGT Spectacle et la CGT Culture, avaient appelé à cette mobilisation avec pour ambition d’inciter à « voter pour faire barrage au FN »« Nous ne pouvons accepter la banalisation du Front national et de ses idées antidémocratiques de rejet de l’autre et de repli sur soi dans une société identitaire et fragmentée contraire aux valeurs républicaines », précisait l’appel signé par les acteurs culturels et les organisations.

Pour Jean-Frédérick Grevet qui travaille dans le secteur culturel depuis plusieurs dizaines d’années, il était « important de se déplacer au rassemblement ». « Il faut absolument que Macron passe. Je lui souhaite d’obtenir 80% face à Marine Le Pen« , a-t-il déclaré. « On le voit dans certaines villes que le FN gouverne, comme Orange, Béziers, ou encore Fréjus. Le parti a sabré la culture dans ces villes-là. Il n’y a aucun budget de prévu », a-t-il expliqué d’un ton désolé. « Remarque, tous les gouvernements totalitaires rejettent la culture, ce n’est pas si nouveau », a réagi son ami Eddy Chausse.

Jusqu’à présent, il n’y avait eu aucun rassemblement dans le monde de la culture contre le Front national, sauf en meetings. « #StopFN7mai » est une incitation au vote anti-FN, et une occasion particulière pour « rassembler des citoyens qui ne sont pas forcément d’accord sur tout, pour dépasser ce qui divise, pour partager avec l’autre, celui et celle que l’on ne connaît pas« , comme le précisait le discours de la comédienne Céline Sallette, au nom des 70 organisations à l’origine de ce rassemblement.

Les appels du monde de la culture contre le Front national se sont multipliés partout en France. Ce mercredi, à Avignon, des acteurs du monde culturel se réunissent contre l’extrême droite en présence de l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon et du directeur délégué du Festival d’Avignon, Paul Rondin. Jeudi, la place de la République, à Paris, accueillera un concert, auquel une vingtaine d’artistes et de personnalités seront attendus. De nombreuses personnalités ont d’ailleurs clairement appelé à voter Emmanuel Macron pour s’opposer au Front national, comme Luc Besson, Olivier Py ou  Dany Boon. « Nous ne pouvons pas lâcher prise. Pas maintenant. Il n’y a pas de fatalité ».

Aux portes du pouvoir, le Front national résistera-t-il aux rassemblements citoyens ? Réponse le 7 mai prochain.

Marie Lecoq.

Reconnaissance du sexe neutre: la justice rend sa décision demain

« Né sans pénis, ni vagin« , Gaëtan, 66 ans, est un intersexe. Un troisième genre qu’il espère voir reconnaître sur l’état civil. Jeudi, la Cour de cassation tranchera si le sexe neutre pourra y figurer aux côtés des mentions homme et femme. A l’issue de cette décision, la France reconnaîtra, ou pas, cette catégorie.

Lors des débats, fin mars, devant la Cour, deux visions de la « binarité sexuelle » se sont confrontées. Elle serait « une construction intellectuelle » pour le défenseur de Gaëtan. A contrario, elle relèverait de « l’état de nature », selon l’avocat général.

L’affaire remonte à août 2015 lorsqu’un juge des affaires familiales de Tours a accepté que la mention « sexe neutre » soit inscrite sur les papiers de Gaëtan. Une décision infirmée par la Cour d’appel d’Orléans pour laquelle « admettre la requête » de ce dernier équivaut à « reconnaître l’existence d’une autre catégorie sexuelle dont la création relève de la seule appréciation du législateur. »

Gaëtan n’a jamais subi d’opérations. Mais la France a déjà été condamné à trois reprises par l’ONU pour des interventions chirurgicales sur des enfants, visant à leur attribuer un sexe.

Anaïs Robert