Smartphone : tous accros ?

Le smartphone prend de plus en plus de place dans nos quotidiens. Il se rend indispensable, tout en se présentant comme un remède facile à nos angoisses. Certains en viennent à se considérer dépendants, voire addicts, à leur téléphone portable.

Lou B., 22 ans, passe en moyenne 7h sur son téléphone. (Photo : Bénédicte Gilles / Celsa)

Il est 17 h 30, l’heure de pointe dans le métro parisien. Les travailleurs et les étudiants s’agglutinent les uns à côté des autres. Regards vides, bouches et nez masqués, ils scrutent leurs mains. Ou plutôt, leur téléphone portable. D’après le Conseil supérieur de l’audiovisuel, les Français passent en moyenne 1 h 51 par jour sur leur portable. Un chiffre en constante augmentation depuis la création du smartphone par Apple, en 2007. Et renforcé par la pandémie de Covid-19.

« Plutôt que de ne rien faire, tu ne fais rien, mais sur ton téléphone. » Florian P., jeune Rennais diplômé en robotique, se considère dépendant à son téléphone. Il y passe deux à trois heures par jour, entre réseaux sociaux, messages, appels téléphoniques et recherches Internet. Pour autant, peut-on réellement parler d’addiction ?

L’addiction au smartphone n’est pas reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour être qualifiée d’addiction comportementale (car aucune substance n’est consommée ici), elle doit cocher plusieurs cases : difficulté au sevrage, éloignement de la famille ou encore augmentation des “doses” pour obtenir la même satisfaction. “C’est encore dans le champ de la recherche, explique Baptiste Morize, interne en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, mais je pense qu’on va arriver à le considérer comme une addiction.” Le débat porte par exemple sur un temps quotidien d’exposition aux écrans, à partir duquel l’usage du smartphone deviendrait nocif. “Cela devient un trouble en santé mentale le jour où tu n’es plus capable de répondre à tes activités de base, professionnelles, sociales ou affectives,” ajoute-t-il.

Le smartphone est à la fois une montre, une carte routière, un livre de cuisine, une télévision, et bien sûr un accès direct aux réseaux sociaux. « Le smartphone, c’est pratique, facile, immédiat”, analyse Francis Brochet, journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur les usages du smartphone. Le téléphone portable est, littéralement, sans cesse à portée de main. « J’utilise mon smartphone pour aller sur YouTube, sur les réseaux sociaux, pour trouver une recette, pour lancer un minuteur, pour me réveiller, pour mon trajet, même si je connais le chemin. Et puis pour contacter mes proches. » développe Helena R., 23 ans, qui considère son téléphone “comme l’extension de [sa] main.” Le smartphone est devenu un outil indispensable. On peut facilement y passer des heures, sans même s’en rendre compte. C’est le cas de Florence T., 49 ans, mère au foyer. Gérant les activités de ses cinq enfants, organisant sa vie associative, échangeant avec ses amies, elle peut parfois passer deux heures rien que sur WhatsApp, même en marchant.

Zoom sur ces villes qui s’adaptent au smartphone.

« Quand on le voit, on a envie de l’allumer »

On pourrait se dire que l’on est dépendant dès lors que l’on est, des heures durant, scotché à son smartphone. Florian P. y passe deux heures dans la journée alors que Helena R. peut parfois y rester dix heures. Selon Michael Stora, psychologue et psychanalyste spécialisé dans le numérique, l’addiction au smartphone se manifeste surtout dans la gestuelle. Un consommateur de tabac ne peut s’empêcher de porter quelque chose à sa bouche. De la même manière, les personnes accros à leur smartphone déverrouillent inlassablement leur écran. Bénédicte Pierron, doctorante en sémiotique, l’analyse d’ailleurs comme intrinsèque au smartphone. “Quand vous voyez une chaise, vous voulez vous asseoir. Avec un smartphone c’est pareil : quand on le voit, on a envie de l’allumer”, explique-t-elle. Selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), les Français consultent leur téléphone toutes les dix minutes, pour une durée de trente secondes. “Le seul moyen pour moi d’être concentrée sur mes révisions, c’est de mettre mon portable en mode avion et de l’enfermer dans mon sac” constate Caroline P., étudiante en droit de 20 ans.

Le smartphone n’est pas réservé aux plus jeunes. (Photo : Bénédicte Gilles / Celsa)

Bien que beaucoup de jeunes témoignent facilement de leur dépendance à leur smartphone, les études montrent qu’ils ne sont pas forcément les plus touchés. “Ce n’est pas une question d’âge ! Il y a un discours rebattu des adultes qui prétendent que les jeunes sont dépendants. J’estime que c’est un discours moral. Des tas de personnes de 50 ans abusent du smartphone” s’exclame Francis Brochet. Il est néanmoins clair que les pratiques divergent d’une génération à l’autre. Chez les personnes travaillant avec l’outil numérique, la frontière entre le temps de travail et le temps personnel s’atténue, c’est ce que l’on appelle le blurring. Pierre P., cadre dans la fonction publique de 53 ans, en fait les frais. “Mon téléphone participe de la confusion totale entre les deux mondes, ma vie familiale ou mes relations peuvent-être interrompues par des temps de téléphone, sans que je puisse m’y soustraire.”

Nous saisissons notre téléphone juste le temps de regarder l’heure, vérifier que nous n’avons pas rater un appel ou un message important. Cette peur est commune et de plus en plus étudiée, elle est surnommée FOMO, pour Fear of Missing Out, autrement dit la peur de rater quelque chose, qu’un événement se passe sans que nous soyons au courant. Les réseaux sociaux en sont un amplificateur : on peut tout savoir, tout le temps et donc on y retourne. “Je me rends compte que je tourne en rond sur mon téléphone : je ferme Instagram, je vais sur Twitter, je ferme Twitter, je retourne sur Instagram… Il n’y a pas grand-chose qui a changé depuis que j’ai quitté l’application trente secondes plus tôt”, raconte Florestan V., étudiant de 18 ans.

Zoom sur l’économie de l’attention.

Pour qualifier la relation entre l’utilisateur et son smartphone, Michael Stora parle de “doudou sans fil”. « Quand on est confronté à des moments d’incertitude, d’angoisse, on va dégainer. On ne s’en rend pas toujours compte : cet objet-là nous empêche de penser à nous, de nous confronter à nous-même ». Par exemple, lorsque l’on attend dans une file ou que l’on est dans le métro. Lou B., 23 ans, étudiante en cinéma, ne décroche pas de son téléphone dès qu’elle est dans les transports en commun : « J’ai l’impression de faire semblant de regarder mon portable, alors même qu’il n’y a rien, et c’est surtout pour éviter le regard des gens« . Cette conscientisation de l’objet en tant que doudou peut passer par une remarque d’autrui, ou par son rapport personnel à l’objet. Selon Michael Stora, « c’est quand on est confronté à un accident : plus de batterie ou un vol, qu’on prend conscience » de cette dépendance. Difficile donc de réaliser que l’on est accro si l’on n’essaie pas de se passer de son smartphone.

« Le numérique est un révélateur, un facilitateur, un amplificateur de problématiques déjà présentes. » Michael Stora

C’est aussi pour calmer l’anxiété que les personnes dépendantes consultent leurs réseaux sociaux très régulièrement. Elles sont poussées en permanence à vérifier qu’elles n’ont pas de notifications. Dans le cerveau, le système de récompense procure un plaisir immédiat lorsque l’on reçoit un “like” sur les réseaux sociaux, un commentaire positif ou un message privé. Ce processus libère instantanément de la dopamine et de l’endorphine, les hormones du plaisir et du bien-être. Le neurobiologiste Jean-Pol Tassin sur France Culture, explique que c’est la répétition de libération de ces hormones qui participent grandement à la volonté de retourner régulièrement sur ces réseaux sociaux, à l’instar d’autres addictions. Si le parallèle peut être fait, il insiste sur l’impossibilité à l’heure actuelle de parler d’addiction au smartphone.

“Le seul moyen pour moi d’être concentrée sur mes révisions, c’est de mettre mon portable en mode avion et de l’enfermer dans mon sac” Caroline P., étudiante en droit. (Photo : Bénédicte Gilles / Celsa)

« Le numérique est un révélateur, un facilitateur, un amplificateur de problématiques déjà présentes », selon Michael Stora. La recherche de l’immédiateté n’a pas commencé avec l’avènement du smartphone. “L’individu souhaite être au fait des dernières informations, il trouve dans le smartphone un partenaire efficace”, affirme Bénédicte Pierron avant de déclarer que “le smartphone est un instrument d’ubiquité”. Cela expliquerait la nomophobie, la peur de ne pas avoir son téléphone sur soi et donc de rater quelque chose. Quelque part, le smartphone permet de pallier la crainte d’être seul avec soi-même sans prendre part à la marche du monde.

« J’ai eu l’impression de me détacher d’un poids »

Le risque de la dépendance au smartphone est, justement, de perdre sa relation à soi. Morgane P., 31 ans, raconte avoir ressenti le besoin de laisser son téléphone dans un tiroir pendant deux semaines. “C’était une période difficile, où j’étais un peu triste et où j’avais besoin de m’éloigner. Et ça m’a fait du bien, j’ai eu l’impression de me détacher d’un poids”, raconte cette infirmière habitant près de Nancy. Bien qu’elle se considère toujours dépendante de son smartphone, Morgane P. a réussi à prendre un peu plus de distance avec lui après ces deux semaines. Et c’est une expérience qu’elle compte renouveler prochainement.

Le fait de se passer complètement de smartphone pendant une durée déterminée s’apparente à une détox digitale. Nombreux sont ceux qui ressentent le besoin de prendre un temps loin des notifications. Sur YouTube, par exemple, on ne compte plus les vidéos dans lesquelles des personnes racontent leur expérience ou donnent des conseils. Des agences de voyages se sont même spécialisées dans l’organisation de séjours de ce type. Au programme :  yoga, méditation ou randonnées dans un cadre calme et bucolique, loin de l’agitation des villes. Des séjours chers, que tout le monde ne peut pas s’offrir. Mais aussi une solution plutôt discutable, qui n’aboutit pas à une meilleure maîtrise de l’usage de son smartphone après coup.

Selon Francis Brochet, il faut d’abord “comprendre que le numérique et le smartphone sont des moyens et pas des fins.” Il n’y a pas de solutions universelles pour réussir à se détacher de cet outil. Florence T., par exemple, refuse d’ utiliser son smartphone comme un réveil et Pierre P. a désactivé la totalité de ses notifications. Tous les spécialistes s’accordent sur la nécessité de ces mises en place, y compris pour eux-même. “Il ne s’agit pas de rejeter mais de trouver la raison de ce qui ne va pas dans l’utilisation du smartphone, selon le psychologue Michael Stora, l’idéal est de partager”. Lui-même préfère mettre en place des temps lors desquels, ses enfants et lui, se partagent leurs découvertes en ligne. Le journaliste Francis Brochet, quant à lui, s’interdit d’emporter son téléphone à table et dans sa chambre, tandis que Bénédicte Pierron, doctorante en sémiotique, se contraint à faire des trajets sans utiliser d’application de géolocalisation. Plus radical, Baptiste Morize, interne en psychiatrie, a désinstallé toutes les applications de réseaux sociaux de son téléphone, afin de se “dégager du temps de cerveau”.

Bénédicte Gilles et Clemence Diligent

Le smartphone change nos villes

Le champ de vision se réduit de 95% lorsque l’on utilise un portable en marchant

Qui n’a jamais manqué de percuter quelqu’un dans la rue car il a le nez rivé à son portable ? C’est ce que l’on appelle des smombies : contraction de zombies et de smartphone. Clément Peix est urbaniste dans le cabinet D2H, spécialisé dans la prospection urbaine. “La ville s’habitue à ce que les hommes proposent, à l’arrivée de la voiture cela a aussi posé problème”, explique-t-il. Tout le monde peut être sur son téléphone : des piétons aux automobilistes, avec des dangers différents. Selon une étude de YouGov, 6% des gens ont déjà eu un accident en utilisant leur téléphone. Deux possibilités sont alors présentes : verbaliser ou aménager l’espace public. “A Yamato, au Japon, ou à Honolulu, à Hawaii, l’usage du téléphone portable en traversant la rue est interdit ou lors de tous les déplacements.” Les risques d’accidents sont en effet plus accrus, car le champ de vision se réduit de 95% lorsque l’on utilise un portable en marchant. “Tel Aviv a choisi d’aménager ses passages piétons, là-bas quelqu’un avec un téléphone portable est considéré comme une personne aveugle : des leds sont installées sur les poteaux pour signaler la couleur du feu.” L’étape suivante dans l’adaptation des villes au smartphone se résume par les projets de Smart City. “L’objectif est que toute la ville soit connectée, c’était un grand projet de Toronto (Canada) avec Google. Et cela tendra, dans longtemps, vers une surveillance de masse, il sera possible de détecter un piéton qui marche en regardant son portable et qu’une voiture connectée puisse l’éviter par elle-même.

Clemence Digilent

Convaincre les Français de se faire vacciner : le futur défi du gouvernement

Alors que les laboratoires américains Pfizer ont annoncé lundi 9 novembre être en bonne voie pour proposer un vaccin contre le Covid-19, un sondage publié quatre jours plus tôt montre que près de la moitié des Français refuserait de se faire vacciner. La France est l’un des pays les plus anti-vaccins au monde, et le fait que le vaccin contre le Covid-19 ait été créé dans l’urgence attise les complotismes.

Selon l’Ipsos, 46% des Français refuseraient de se faire vacciner contre le Covid-19. Illustration : Ludovic Marin / AFP

Près de la moitié des Français refuserait de se faire vacciner contre le Covid-19 à sa sortie. C’est le résultat publié par l’institut de sondages Ipsos jeudi 5 novembre. Parmi la quinzaine de pays sondés début octobre, la France est celui où l’intention de se faire vacciner est la plus faible, à 54%. C’est aussi le pays où les personnes sondées auront le plus tendance à attendre quelques temps avant de se faire vacciner. Un tiers des Français pense attendre au moins trois mois après la sortie du vaccin.

Avec l’annonce lundi 9 novembre par l’entreprise pharmaceutique Pfizer de la mise au point d’un vaccin efficace à 90%, mais aussi les revendications des laboratoires américains Moderna et de chercheurs russes, l’espoir de l’arrivée prochaine d’un vaccin contre le Covid-19 se concrétise enfin. Mais cette réticence française aux vaccins vient noircir le tableau. En effet, les épidémiologistes jugent que pour que toute la population soit protégée, il faudrait qu’au moins 60 ou 70% des Français soient vaccinés, ce chiffre variant beaucoup selon les estimations.

La confiance des Français envers les autorités sanitaires se dégrade depuis plus de dix ans

Ce rejet des vaccins plus répandu en France que dans les autres pays n’est pas une nouveauté. Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud ont co-écrit le livre Antivax, La résistance aux vaccins du XVIIIème siècle à nos jours, qui est paru en 2019. « Cette méfiance n’est pas propre à la situation actuelle, explique Françoise Salvadori au CelsaLab, qui est maîtresse de conférence en immunologie. On date cette augmentation de la méfiance vis-à-vis des vaccins à partir des années 2008 et 2009, au moment de la grippe A-H1N1. Il y a eu un gros bug de communication, avec un discours qui a pu paraître alarmiste. Les vaccins ont été mal présentés et mal distribués. »

Selon la chercheuse, il y a de nouveau un problème de communication entre l’État et les Français : « Il y a un manque de confiance général des Français envers leurs autorités politiques et sanitaires, et je pense que la gestion de la crise actuelle ne va pas augmenter cette confiance. Il faudra des années pour compenser ce manque ». Françoise Salvadori fait référence à la communication sur les masques et les tests, au sujet desquels le gouvernement est revenu sur ses propos.

Le scepticisme des Français face au futur vaccin contre le Covid-19 augmente en effet avec le temps, puisqu’un autre sondage de l’Ipsos, sorti au début du mois de septembre, montrait que 59% des Français seraient prêts à se faire vacciner, contre 54% aujourd’hui.

Crainte des effets secondaires ou rébellion face à l’autorité

Parmi les arguments avancés par les personnes sondées, les plus récurrents sont la crainte des effets secondaires et la peur que le vaccin ait été conçu à la va-vite. La méfiance pourrait aussi être accrue par le fait que le vaccin proposé par Pfizer ou par Moderna utilise une technologie encore peu répandue, qui consiste à injecter de l’ARN messager pour indiquer à nos cellules de créer des antigènes, au lieu d’injecter un échantillon du virus lui-même.

Laurent-Henri Vignaud, qui est historien des sciences, a étudié les types de populations qui sont sensibles aux arguments anti-vaccins : « C’est une opinion qui a prospéré dans les classes moyennes éduquées. Le premier profil courant est plutôt féminin, d’âge moyen et de classe moyenne, dans un cadre familial. Ce sont des familles refermées sur elles-mêmes, qui mettent leurs enfants dans des écoles hors contrat. Le second profil est plutôt masculin, d’âge plus avancé, célibataire et sans enfant ». Si le premier profil qu’il décrit considère que tout ce qui est extérieur à la famille est un danger, et notamment les vaccins, le deuxième refuse toute autorité de l’État sur les individus.

Dans le cas du Covid-19, Laurent-Henri Vignaud reconnaît que c’est ce second profil qui risque d’être le plus fréquent. En effet, des adultes seront amenés à se faire vacciner, alors que le reste du temps, les personnes anti-vaccins sont souvent des parents qui s’opposent aux vaccins obligatoires pour leurs enfants. « C’est précisément cette catégorie de personnes qui est particulièrement présente sur les réseaux sociaux, continue le chercheur. On pourrait être confronté à une forme de mouvement « gilets jaunes » sanitaire, comme c’est déjà le cas avec les anti-masques. »

En deux mois, la part des Français prêts à se faire vacciner contre le Covid-19 est passée de 59% à 54%. Illustration : Vincenzo Pinto / AFP

Les deux chercheurs considèrent que la communication du gouvernement sera cruciale dans l’acceptation ou le rejet de ce vaccin par les Français. La possibilité de le rendre obligatoire a déjà été évoquée, notamment par le député Européen Yannick Jadot. Mais selon Françoise Salvadori, cela paraît peu probable car le vaccin ne sera dans un premier temps pas disponible en quantités suffisantes, et parce qu’aujourd’hui, les seuls vaccins qui sont obligatoires sont ceux que l’on fait à un très jeune âge. « Il faudra un discours clair et honnête de la part de l’État, plutôt que des batailles politiques qui n’aident pas les gens à prendre leur décision », conclut la chercheuse.

Julie Bringer

Infractions au confinement : « La peur était forte au début, maintenant c’est passé »

D’après une étude, 60% des Français ont déjà transgressé les règles du nouveau confinement, depuis le 30 octobre. Ces relâchement a un lien avec une accoutumance à la situation sanitaire, d’après le sociologue Albert Ogien.

60% des Français ont indiqué avoir déjà enfreint les règles du confinement. Ludovic Marin / AFP

Ils sont 60% à avoir transgressé les règles de ce deuxième confinement. Que ce soit en utilisant l’attestation à d’autres fins que les déplacements autorisés, pour rejoindre des amis ou de la famille, 6 Français sur 10 ont admis avoir enfreint le confinement au moins une fois depuis le 30 octobre, d’après une enquête* réalisée par l’institut de sondages Ifop. Une proportion qui a augmenté de 27 points depuis le premier confinement, au printemps.

https://twitter.com/IfopOpinion/status/1326854850416680962

Pour Fabio Galeotti, chercheur en économie comportementale au CNRS interrogé par l’AFP, un écart aussi important entre les deux périodes est d’abord lié à des conditions de confinement différentes: Le [premier] confinement était bien plus strict: les écoles étaient fermées, les gens allaient beaucoup moins travailler… Cela aussi fait que la perception du risque était différente de ce qu’elle est maintenant”

Une idée sur laquelle s’accorde Albert Ogien, sociologue spécialisé dans les questions de déviance contacté par le CelsaLab. Selon lui, cette différence de comportement est d’abord liée à une baisse de la crainte d’être contaminé au sein de la population : Au début, il y avait un état de sidération incroyable. La peur était très forte et six mois après, c’est un peu passé. On a intégré la peur, on a beaucoup appris sur le Covid-19, sur sa dangerosité et sa diffusion”.

« L’apprentissage de l’épidémie »

Si l’on peut parler d’une certaine lassitude face aux restrictions depuis le début de la crise sanitaire, Albert Ogien privilégie la notion, moins négative, d’accoutumance. “Pourquoi n’applaudit-on plus les médecins et les personnes qui viennent en aide aux patients atteints par le Covid? Ce sont des choses toutes bêtes, mais en tant que citoyen, on a fait l’apprentissage de ce qu’est l’épidémie”, soutient le sociologue.

Infographie : les chiffres relevés par l’Ifop / Elisa Fernandez

D’après lui, cette accoutumance à la situation sanitaire s’accompagne d’une prise de distance avec la réalité du virus. Si les derniers chiffres font état de 328 nouveaux décès au 11 novembre dans les hôpitaux français, Albert Ogien souligne l’existence, dans une partie de la population, d’une “certaine acceptation de la mort”: “Les choses nous semblent peut-être moins graves maintenant. Les gens semblent avoir mis ça au second plan, font un déni complet ou préfèrent oublier”.

Ce déni, Fabio Galeotti le définit comme la conséquence d’une perception réduite à sa propre expérience: “En général, lorsque vous prenez une décision qui implique un risque (ici, enfreindre les règles et/ou attraper le Covid) vous vous basez sur votre expérience. Vous ne regardez pas les statistiques: vous vous fiez à ce que vous avez vécu”.

Des infractions prévisibles

Pour autant, pour Albert Ogien, ces écarts face aux règles du confinement ne sont pas des signes de désobéissance assumée : “Pour désobéir, il faut refuser d’appliquer cette obligation de manière publique, ouverte, en défiant le pouvoir qui l’a édictée. Toute chose faite de façon clandestine ou cachée, sans s’affirmer publiquement, n’est pas de la désobéissance”

Selon le sociologue, les personnes qui transgressent les règles du confinement tentent simplement de préserver une part de leur liberté. “Ce n’est pas parce qu’on a besoin d’une attestation pour sortir qu’on ne peut pas en faire cinquante dans la même journée. Ce n’est pas étonnant de voir des gens ne pas respecter le cadre normatif”, détaille le sociologue.

D’après une information révélée par Europe 1 le 10 novembre dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a récemment demandé aux préfets de renforcer les contrôles de police. Mais selon Albert Ogien, certains Français pourraient chercher à contourner ce nouveau tour de vis : “Si on met des policiers partout, il y aura forcément un pourcentage plus élevé de personnes qui auront peur de se faire contrôler. Mais les gens feront plus attention et se cacheront davantage”.

Elisa Fernandez

*Enquête réalisée en ligne auprès d’un échantillon représentatif de 2 030 Français âgés de 18 ans et plus (dont un sous-échantillon de 1 094 salariés).