« Couvre-feu numérique », « Majorité numérique à 15 ans »…La France peut-elle déclarer la guerre à TikTok ?

Rendu ce jeudi, le rapport de la commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs propose des mesures fortes : « majorité numérique à 15 ans », contrôle renforcé des algorithmes, et un « couvre-feu numérique ». Mais derrière l’ambition politique, des experts interrogent la faisabilité technique et l’efficacité réelle de ces recommandations.



« Avant 15 ans, les réseaux sociaux, c’est non. » Cette petite phrase lancée par la ministre du Numérique, Clara Chappaz, lors de son audition, a fait son chemin jusque dans les conclusions du rapport parlementaire sur TikTok. Adopté ce 11 septembre, après quatre mois d’auditions et plus de 160 personnes entendues, le document dresse un constat sévère : l’application la plus populaire chez les adolescents exerce un impact préoccupant sur leur santé psychologique.

Addiction, anxiété, troubles du sommeil, exposition à des contenus violents ou hypersexualisés : la commission présidée par Arthur Delaporte (PS) et rapportée par Laure Miller (EPR) n’a pas mâché ses mots. « A l’issue de cette commission d’enquête, le verdict est sans appel : cette plateforme expose en toute connaissance de cause nos enfants, nos jeunes, à des contenus toxiques, dangereux, additifs » observe Arthur Delaporte, dans son avant-propos.

Les doutes des experts en cybersécurité

Parmi les recommandations phares, le rapport préconise d’instaurer une majorité numérique à 15 ans, assortie d’une interdiction légale d’accès aux réseaux sociaux pour les plus jeunes. Une mesure radicale, inspirée de Douyin, la version chinoise de TiKTok, où le temps d’écran des mineurs est strictement limité.

Pour Jul Vignali, spécialiste en cybersécurité, la faisabilité des recommandations pose plusieurs défis. « Techniquement, on peut tout bloquer et tout filtrer. C’est le même principe que pour les sites de casino en ligne, ou les sites pornographiques, c’est faisable avec une pièce d’identité ou au moment de l’inscription », explique-t-il à Celsalab.

Le rapport évoque également l’idée d’un « couvre-feu numérique » pour limiter le temps d’écran des adolescents. Là encore, l’efficacité reste relative : « Oui, on peut mettre en place des outils qui bloquent l’application après un certains temps d’utilisation, mais ce ne sont que des pansements. Sans éducation et sensibilisation, ça ne fonctionne pas », insiste l’expert.

Arthur Delaporte à annoncé ce matin: « J’ai décidé de saisir la procureure de la République » pour mise en danger des utilisateurs.

« Des solutions techniques limitées face à l’ingéniosité des adolescents »

Gérôme Billois, associé en cybersécurité et confiance numérique au sein du cabinet Wavestone, confirme cette analyse. « Ces mesures envoient un signal fort. Mais elles seront contournées. La vraie solution reste d’accompagner les familles et d’informer clairement les adolescents ». Selon l’expert, il faut combiner contrôle technique, régulation des contenus et éducation numérique.

Pour Jul Vignali c’est simple de contourner l’algorithme : « Il suffit de mentir sur sa date de naissance, d’utiliser la carte d’identité d’un proche ou d’utiliser le téléphone des parents ».

Sur la question du temps d’écran, il tempère encore : « Oui, on peut mettre en place des outils qui bloquent l’application après un certain temps. Mais ces outils ne sont pas une solution miracle. Sans éducation et sensibilisation, ça ne fonctionne pas. »

Le rapport parlementaire marque un tournant dans la prise en compte des risques numériques pour les mineurs. Le porte-parole de TiKTok à déclaré à franceinfo être en « désaccord avec les conclusions » de ce rapport. Le chemin reste encore long pour mettre en place ces 43 recommandations.

Ava Ouaknine 

Médias : la liberté de la presse est au plus bas depuis 50 ans

Selon un rapport de référence sur la démocratie publié ce matin, la liberté de la presse s’est considérablement dégradée depuis cinq ans dans le monde et a touché son point le plus bas en 50 ans. 

La liberté de la presse est au plus bas depuis 50 ans, alerte un rapport (Photo by Elijah Nouvelage / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP)

Selon un rapport publié ce matin, la liberté de la presse s’est dégradée dans 43 pays répartis sur tous les continents, dont 15 en Afrique et 15 en Europe. Plus d’un pays sur deux dans le monde (54%) a enregistré entre 2019 et 2024 une baisse de l’un des cinq indicateurs clés de ce qui définit une démocratie.

« L’état actuel de la démocratie est inquiétant », souligne auprès de l’AFP Kevin Casas-Zamora, secrétaire général du groupe de réflexion International Idea basé à Stockholm, et d’ajouter « La conclusion la plus importante de notre rapport est probablement la détérioration très grave de la liberté de la presse dans le monde ».

En cinq ans, la liberté de la presse a connu sa plus forte baisse enregistrée au cours des 50 dernières années. « Nous n’avons jamais observé une détérioration aussi grave d’un indicateur clé de la santé démocratique », précise le responsable.

L’effet Trump pas intégré au rapport

Afghanistan, Burkina Faso et Birmanie, déjà mal classés, enregistrent les plus forts reculs à ce chapitre. Le quatrième plus fort déclin vient de la Corée du Sud, selon le rapport qui cite « la multiplication des procès en diffamation intentés par le gouvernement et ses alliés politiques contre des journalistes, et les perquisitions au domicile de journalistes ».

A noter que le rapport n’intègre pas les premiers effets du deuxième mandat de Donald Trump mais « certaines des choses que nous avons vues pendant les élections à la fin de l’année dernière et au cours des premiers mois de 2025 sont assez inquiétantes », anticipe M. Casas-Zamora.

Romanée Ducherpozat et AFP

Plusieurs milliers de manifestants en colère réunis place du Châtelet, à Paris, pour « Bloquons tout »

Plusieurs milliers de personnes étaient présentes au coeur de Paris, à la place du Châtelet, ce mercredi 10 septembre, dans le cadre du mouvement national de contestation “Bloquons tout”.

Parmi les slogans brandis, on entendait : « Non au budget. Oui à la taxe Zucman » ou « De l’argent pour les lycées et l’hôpital, pas pour l’armée et les Rafales ». Ces messages ont été portés par des manifestants ce mercredi 10 septembre à Paris, place du châtelet, où ils sont plusieurs milliers à avoir répondu à l’appel de rassemblement de l’intersyndicale. Parmi eux, soignants, étudiants, enseignants et salariés en colère ont fait de ce carrefour une véritable scène de protestation.

Pour Alain Bourdaire, 53 ans, brancardier à la clinique privée Montaigne Santé (8e arrondissement), « ce rassemblement répond à un ras-le-bol général de la politique du gouvernement ». « On n’en pouvait déjà plus, mais le budget de Bayrou, c’est la goutte qui a fait déborder le vase », ajoute-t-il, alors qu’une poignée de manifestants scandent « Macron démission ».

Le pouvoir d’achat au centre des revendications

« Il va falloir arrêter d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres », affirme Valérie Borieux, 39 ans, employée en restauration. « Il faut revaloriser le SMIC, parce qu’avec l’inflation, on ne peut plus rien s’offrir », insiste-t-elle. Non loin de la Fontaine du Palmier, qui trône au centre de la place du Châtelet, une pancarte portant l’inscription « Génération ZUCMAN », faisant référence à la taxe Zucman, proposée par l’économiste du même nom, survole la foule. Elle appartient à Marius Perimbert, 22 ans, étudiant en ingénierie agronome à Paris Cité. Il explique : « Je dois travailler à côté de mes études parce que tout coûte de plus en plus cher. Pendant ce temps, les Français les plus riches paient moins d’impôts que mes parents proportionnellement à ce qu’ils gagnent.»

« On nous parle de la dette économique mais la vraie dette, c’est la dette climatique »

La question climatique revient régulièrement dans les conversations des manifestants. « La justice sociale et climatique, c’est un seul et même combat. Ce mouvement transpartisan peut faire avancer les choses en allant chercher l’argent là où il est pour réduire les inégalités et mieux s’occuper de notre planète. On nous parle de la dette économique mais la vraie dette, c’est la dette climatique», estime Ina Greutt, 23 ans, tout juste diplômée en droit de Sciences Po Paris.

« Il faut arrêter de se foutre de nous »

Cette mobilisation intervient au lendemain de la nomination de Sébastien Lecornu, ex-ministre des Armées, au poste de Premier ministre, après le départ de François Bayrou. Le choix d’Emmanuel Macron ne semble pas avoir calmé la défiance des manifestants. « J’avais très envie de venir, mais je ne savais pas si je me déplacerais. J’ai décidé de venir après l’annonce de Lecornu : c’est encore et toujours du recyclage de macronistes, il faut arrêter de se foutre de nous », s’indigne Frédéric Aliot, 48 ans, professeur de mathématiques dans un collège de banlieue parisienne.

Après cette journée de mobilisation, qui a rassemblé près de 250 000 manifestants selon la CGT et un peu moins de 200 000 selon Bruno Retailleau, Ministre de l’Intérieur, à travers le pays, le mouvement « Bloquons tout » appelle à une nouvelle journée de mobilisation le 18 septembre, avec blocages et rassemblements prévus dans toute la France.

Hugo Duport

« Aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement » : devant la gare du Nord, les partisans de la mobilisation « bloquons tout » parlent d’une même voix

À Paris, la gare du Nord a été l’un des principaux foyers de mobilisation ce mardi 10 septembre, dans le cadre de la journée d’action du collectif « Bloquons tout ». Plusieurs milliers de partisans du mouvement ont convergé vers le bâtiment et tenté d’y entrer.

 

Difficile de rentrer dans la gare du Nord, à Paris, ce matin : faute de pouvoir y accéder, la foule compacte converge devant l’édifice, tandis que des CRS sont postés à chaque entrée. En entendant les exclamations qui s’en dégagent, on comprend rapidement que le lieu est devenu un point de ralliement anti -macroniste pour dénoncer les mesures budgétaires adoptées sous l’égide du président. La jeunesse, représentée en nombre, scande des slogans devenus fameux par leur caractère politique : « siamo tutti antifascisti » (nous sommes tous anti-fascistes), et «  Même si Macron ne le veut pas nous on est là ». Dans l’air, des devises telles que « le peuple se soulève », flottent comme des étendards. À contre-courant, les voyageurs souhaitant rejoindre leurs trains sont compressés, l’accès se faisant au compte-gouttes.

La jeunesse en première ligne

L’appel à manifester émanait de la SNCF, mais vers 11h, ce sont en majorité des étudiants ou jeunes travailleurs qui confluent vers la gare, après des tentatives de blocages infructueuses un peu partout dans Paris. « Ce matin, je suis passé à porte de Montreuil, puis à porte de Vincennes, mais ces mouvements ont été bloqués par les CRS », témoigne Stan, jeune intermittent du spectacle s’étant alors tourné vers ce nouveau lieu de rendez-vous. L’édifice devient un point de ralliement pour tous les partisans du mouvement « bloquons tout » lancé cet été sur les réseaux sociaux, tandis que les cheminots tiennent une assemblée générale au Technicentre SNCF de Châtillon avant de le rejoindre. L’incertitude règne quant aux principaux intéressés, comme on peut l’entendre ici ou là : « ils sont où? », « Elle est finie, leur AG? »

En les attendant, une étudiante vêtue de jean face à la foule en noir lance des appels à la « solidarité avec tous les travailleurs » pour « bloquer l’économie » face aux réformes budgétaires : les mesures annoncées par l’ex-Premier Ministre François Bayrou, dont le gouvernement a chuté lundi, est dans tous les esprits. Robin, arborant fièrement sa pancarte « taxez les riches », approuve : «  le gouvernement nous somme sans arrêt de faire plus d’efforts, que l’on fait déjà, alors que les inégalités deviennent de plus en plus flagrantes et qu’on manque d’argents dans les hôpitaux, dans les écoles ». «  Le passé nous a montré que le peuple peut gagner lorsqu’il se mobilise dans la rue », veut croire l’étudiant en histoire.

Devant la gare du Nord, point de rendez-vous du mouvement « bloquons tout », la jeunesse prend les devants avant l’arrivée des cheminots

« On a l’impression que nos votes ne servent à rien » : de la manifestation à la colère sociale

«  Il est de plus en plus difficile de s’organiser, d’avoir un vrai lieu de discussion, en raison de tous ces policiers postés partout » tempère Camille, intermittent du spectacle. Sa casquette de cuir vissée sur le crâne, le cinquantenaire se dit néanmoins « fier et optimiste » à la vue de cette jeunesse mobilisée, et se remémore avec nostalgie des manifestations de 2003 contre l’accord sur l’assurance chômage des intermittents du spectacle : « à l’époque, il était encore possible d’obtenir des victoires dans la rue. Aujourd’hui, les décisions se font de plus en plus contre le peuple, venant d’en haut ».

Une conviction regroupe tous ces manifestants : la nomination de Sebastien Lecornu au poste de Premier Ministre ne « changera rien » à la situation. « C’est un fidèle de Macron, qui suivra la même politique. On a l’impression que nos votes ne servent à rien », s’agace Lancelot, brandissant sa pancarte « Stop Pub » aux cotés de son ami Robin.

Lancelot et Robin sont venue depuis l’Aveyron pour prendre part au mouvement « bloquons tout », ce matin devant la gare du Nord.

Les cheminots rejoignent la foule

Les voix se font de plus en plus fortes et des fumigènes de couleur flottent dans l’air lorsqu’arrivent les cheminots, vers 11h40. Microphone à la main, Anasse Kayib, membre de leur syndicat et du parti Révolution Permanente, martèle au cours d’un débrief express : « Nous espérons qu’aujourd’hui est la première journée d’un grand mouvement ». «  S’il n’y a pas un train qui part de gare du Nord, pas un avion qui sort de Roissy, on sera obligé de nous entendre », scande à son tour Marcel, conducteur de tramway. Selon Émile, technicien de maintenance, l’AG de Châtillon a été « une réussite » : « nous étions 150 et avons cherché à mobiliser tous nos collègues. Depuis 2014, nous n’essuyons que des défaites mais nous pensons que ce mouvement peut changer les choses : le taux de grévistes a été estimé à 40%, et nous avons massivement voté pour la reconduire le 18 septembre ». Émile se dit aller dans le sens des revendications portées par la CGT cheminots, portant sur « une augmentation générale des salaires, l’abrogation de la contre-réforme des retraites de 2023, l’arrêt de toutes les réorganisations et suppressions d’emplois », face à une politique « d’austérité », comme l’indique un communiqué posté hier.

Marcel et Emile, conducteur de tram et technicien de maintenance pour la SNCF, se sont rendus à la mobilisation de la gare du Nord suite à l’Assemblée générale des cheminots.

Annasse Kayib appelle la foule à s’asseoir, et à qui le souhaite de venir prendre la parole. Le parvis de la gare du Nord se transforme alors en Assemblée Générale géante, où les revendications des cheminots se mêlent à celles de lycéens ou professeurs, déplorant l’insalubrité des établissements scolaires et le manque de personnel.

Vers midi, une réunion entre partisans du mouvement « bloquons tout » s’est improvisée sur le parvis de la gare du Nord

«  On a compris les revendications, il faut maintenant s’organiser pour faire bouger les choses! », s’irrite un homme, la réunion devenant manifestement un peu trop longue à son goût. Comme pour lui répondre, la foule se lève comme un seul homme vers 13h30 pour rejoindre l’ultime rendez-vous du mouvement : Châtelet-les-Halles.

Margot Mac Elhone