« Je ne sors plus de chez moi avec la peur d’être agressée » : à Angers, un dispositif accueille des réfugiés LGBTQ+

Depuis octobre 2019, la fondation Le Refuge accueille des personnes LGBTQ+ ayant fui leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Un dispositif spécifique situé à Angers, mettant à disposition des logements à une trentaine de personnes et assurant un accompagnement en vue de s’insérer dans la société. 

Plus de 9 000 kilomètres. C’est la distance qu’aura dû parcourir Arthur pour vivre librement son homosexualité. Originaire de l’Ouganda, il risquait la prison à vie. Cet état africain a l’une des législations les plus répressives au monde en termes de droits LGBTQ+. Depuis mai 2023, l’homosexualité est même devenue passible de la peine capitale. 

« L’enfer a commencé en secondaire lorsque j’ai eu ma première relation avec un garçon et que les gens autour de moi l’ont appris », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 29 ans. Séquestration et maltraitance par sa famille, thérapie de conversion, expulsion de son école, agressions de groupe, pressions policières : Arthur a vécu des années de violences, qu’il raconte avec peine. C’est suite à un passage à tabac par un groupe d’hommes et une garde à vue, que le jeune homme a décidé de fuir en Europe. Après un bref passage à Madrid puis au Havre, il arrive au DENH d’Angers (Maine-et-Loire), en juillet 2020. 

La fondation Le Refuge, spécialisée depuis 2003 dans la prévention de l’isolement des jeunes LGBTQ+, a créé en 2019, ce dispositif spécifique destiné aux réfugiés de 18 à 30 ans, ayant fui leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. « C’est un public particulièrement vulnérable, encore plus que les autres réfugiés, car en plus d’avoir une histoire compliquée et souvent traumatique, ils ne bénéficient pas du soutien d’un groupe ethnique en France, duquel ils sont aussi exclus », souligne Johanne Jahier, chef de service du DENH. 

 Dans la salle d’accueil de la permanence de l’association, une carte du monde accrochée au mur montre les pays d’origine des 73 personnes accompagnées par le dispositif depuis sa création. Afghanistan, Russie, Colombie, Cuba, Pakistan, République démocratique du Congo et bien d’autres : les quatre coins du monde sont représentés. « La problématique des réfugiés et demandeurs d’asile LGBTQ+ a commencé à être prise en compte par l’État, notamment grâce aux associations qui se sont battues pour cela. Le Refuge s’est positionné sur cette question après s’être rendu compte que, sur sa ligne d’écoute, il y avait un certain nombre de personnes avec ce profil », explique Johanne Jahier. Le DENH fait partie du dispositif national d’accueil et reçoit donc des fonds publics qui lui permette de financer une partie de ses activités. Jusqu’à 2022, le dispositif accueillait aussi des demandeurs d’asile LGBTQ+, mais ils sont aujourd’hui pris en charge par une autre structure.

Un accompagnement global dans un espace sécurisant

Le service, composé que quatre travailleurs sociaux, accompagne une trentaine de jeunes dans leurs démarches d’insertion professionnelle, d’accès au logement autonome et aux soins médicaux. Un logement à titre quasi-gratuit leur est également mis à disposition durant toute la période de suivi, variant selon les besoins des bénéficiaires. « Nous dispensons un accompagnement global pour ces jeunes afin de les aider à s’intégrer dans un espace safe, dans lequel ils ne se sentent pas jugés. En partant de leur projet de vie, nous avons un rôle de médiateur pour leur apprendre à faire valoir leurs droits en France et à s’autonomiser », explique Emmanuel Smaïl, assistant social au sein du DENH d’Angers depuis juin 2020. 

Après plus d’un an d’accompagnement, Arthur vit aujourd’hui dans un logement autonome à Angers, il a trouvé un emploi dans un fast-food et poursuit une formation dans le domaine du commerce. « Je suis beaucoup plus épanoui depuis que je peux exprimer mon homosexualité sans crainte ». Son parcours, comme celui de nombreux autres, donne beaucoup d’espoir quant au futur des réfugiés bénéficiant actuellement du dispositif. Daniela, femme transgenre jamaïquaine, souligne aussi les bienfaits de l’aide qu’elle reçoit de l’association depuis début 2022. Ayant quitté son pays natal pour des raisons de sécurité, elle qualifie son arrivée en France de « libération ». 

La Jamaïque punit l’homosexualité d’une peine de prison et la transidentité n’est nullement reconnue. « Au-delà de la loi, l’homophobie et la transphobie sont ancrées dans la société jamaïquaine, les violences envers la communauté LGBTQ+ sont très fréquentes et banalisées. Depuis qu’elle est arrivée en France, elle se sent beaucoup plus à l’aise pour exprimer son identité. « Je ne sors plus de chez moi avec la peur d’être agressée », affirme-t-elle. Ce mardi 22 août, la jeune femme de 23 ans est stressée : elle commence un nouvel emploi en tant qu’agente d’entretien dans des bureaux de la banlieue d’Angers.

« Nous ne sommes pas comme une structure militante »

Malgré les retombées positives du dispositif, la fondation est tout de même confrontée à des obstacles. « Même si nous avons recours à l’interprétariat, la barrière de la langue complique les démarches. Le manque le personnel médical et la dégradation des conditions de travail de nos partenaires rendent aussi les choses plus difficiles », regrette Emmanuel Smaïl, soulignant la collaboration essentielle avec le tissu associatif local. Le travailleur social évoque également l’existence de discriminations envers les bénéficiaires de l’association lors de certaines démarches, pour leur identité de genre, leur orientation sexuelle, mais surtout leur statut de réfugié. 

Ces discriminations, Yanicelys, femme transgenre cubaine accompagnée par le DENH, en a fait les frais. Récemment, elle a été victime de racisme et de transphobie de la part d’une banque, alors qu’elle souhaitait ouvrir un compte. Dans ce type de cas, le DENH préfère le dialogue à la confrontation. « On nous attend parfois sur un volet activiste que nous n’assurons pas. Nous sommes un organisme d’accompagnement des jeunes LGBTQ+ réfugiés, mais nous ne nous revendiquons pas comme une structure militante », se justifie Johanne Jahier. Une vision des choses qui ne fait pas l’unanimité, y compris auprès de certains bénéficiaires. 

Marie Scagni

Reportage rédigé en août 2023, lors d’un stage à L’Humanité, mais qui n’a pas été publié.

Dix ans après Charlie Hebdo, l’enseignement de la liberté d’expression et de la laïcité pose toujours question

Les 10 et 11 janvier 2015, des marches républicaines se déroulaient dans toute la France en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo, survenus quelques jours plus tôt. Ces événements, ainsi que l’assassinat de Samuel Paty en 2020, ont durablement bousculé l’enseignement de la laïcité et la liberté d’expression.

Il y a dix ans, douze journalistes étaient tués devant la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo, pour avoir diffusé des caricatures de Mahomet. Un souvenir collectif qui ravive aussi celui de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie assassiné en octobre 2020, pour avoir montré ces mêmes caricatures à ses élèves. Depuis, les enseignants ont été contraints de repenser leur manière d’aborder la laïcité et la liberté d’expression en classe.

« J’ai introduit la question de la liberté de la presse dans mon chapitre sur la démocratie. J’évoque désormais l’importance du rôle du journalisme et des caricatures », explique Fabrice Collot, enseignant de philosophie au lycée Marc Chagall, à Reims (Marne). Frédéric Darnaud, enseignant au lycée Camille Vernet de Valence (Drôme), a lui aussi augmenté la récurrence de ces sujets dans ses cours d’histoire-géographie. « Je montre davantage de caricatures. Peut-être par défi, mais je ne cherche pas à choquer forcément. C’est surtout pour expliquer qu’elles sont indispensables à la bonne marche de la société ».

D’autres enseignants restent sur leur ligne habituelle, considérant que ces questions sont suffisamment traitées. « Je continue de suivre le programme, je ne traite pas davantage ni différemment de la liberté d’expression. Pas plus tard qu’hier, je l’ai abordé dans mon cours », affirme Michel Vignard, professeur de philosophie, au lycée Jean Rostand à Villepinte (Seine-Saint-Denis).

Tous les enseignants interrogés conviennent de l’importance de l’école dans la protection de la liberté d’expression. « La mort de Samuel Paty a montré que les enseignants avaient un rôle essentiel dans l’accompagnement des futurs citoyens dans la société », souligne Frédéric Darnaud. L’enseignant d’histoire-géographie, juge que les réseaux sociaux ont tendance à avoir un rôle néfaste quant à la perception de la laïcité par les lycéens. « Certains jeunes peuvent lire de fausses informations en ligne et cela peut créer des confusions. Il est donc indispensable de dire, redire, sensibiliser et expliquer », explique-t-il. 

Plus de la moitié des enseignants s’est déjà autocensurée  

L’assassinat de Samuel Paty en 2020 a eu pour conséquence d’augmenter l’appréhension des enseignants à aborder des sujets liés à la laïcité et à la religion. Selon un sondage Ifop pour la revue « Écran de veille », paru en décembre 2022, 52 % d’entre eux se sont déjà censurés pour éviter des incidents sur les questions de religion. C’est plus qu’en 2020, où ce chiffre était de 43 %. Le phénomène d’autocensure serait particulièrement marqué chez les enseignants d’histoire-géographie (64 %) et  les jeunes professeurs (60 % chez les moins de 30 ans).

 

L’autocensure est aussi beaucoup plus importante chez les enseignants d’établissements faisant partie du réseau d’éducation prioritaire. Et cette tendance est en hausse ces dernières années.

 

L’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, n’a probablement pas inversé cette tendance. Pourtant, de nombreux enseignants continuent de donner cours sans craintes, y compris en REP. « Le fait religieux n’est pas un tabou dans mes cours, je l’aborde régulièrement. J’ai déjà montré des caricatures en classe, notamment après les attentats. Je voulais les désacraliser et montrer qu’elles n’étaient pas si horribles que ce que certains imaginaient », témoigne Marie Chapuis, professeure d’histoire-géographie au lycée Jean Rostand, classé REP, à Villepinte (Seine-Saint-Denis). « J’explique délicatement ces sujets pour ne pas heurter la sensibilité des élèves, mais je ne m’autocensure pas », ajoute-t-elle.

L’enseignante insiste toutefois sur l’importance de définir clairement ce que sont la liberté d’expression et la laïcité, deux sujets souvent incompris des élèves. « Certains ont parfois l’impression que la laïcité est la censure de tout sentiment religieux. Quand ils comprennent que ce n’est pas le cas, c’est un soulagement pour eux », affirme-t-elle. Selon la jeune titulaire, s’il y a une crainte, elle se situe davantage à l’égard des familles des élèves : « J’ai pris conscience de l’importance qu’il n’y ait aucun malentendu sur ces questions, car les élèves peuvent répéter des propos erronés à leurs parents. »

Des incidents témoignent, en effet, de cette problématique familiale. Le 9 décembre 2024, un enseignant du lycée Jean-Victor Poncelet de Saint-Avold (Moselle) a été menacé par le père d’un élève après une sanction disciplinaire attribuée à son fils. « Je vais le choper et lui casser la tête. Avec des profs comme ça, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des Samuel Paty », aurait affirmé le parent du lycéen. Deux ans plus tôt, le 4 octobre 2022, un professeur d’un lycée de Thann (Haut-Rhin) avait aussi reçu des menaces de mort de la part de l’oncle d’une de ses élèves, après avoir abordé en classe la liberté d’expression et les caricatures de Charlie Hebdo.

Une formation du ministère à destination des enseignants

Face à ce phénomène, le ministère de l’Éducation nationale avait annoncé, en juin 2021, la mise en place d’une formation obligatoire à la laïcité pour les enseignants et autres personnels des établissements scolaires. Un module consistant à donner une ligne directrice sur le respect de la laïcité à l’école, à travers des mises en situation. 

Mais selon une enquête du syndicat SE-Unsa parue en juin 2024, sur 5 000 répondants, la moitié des personnels de l’Éducation nationale n’aurait reçu aucune formation. Les jeunes titulaires sont ceux qui en ont le plus bénéficié, puisque depuis 2022, un module sur cette question a été ajouté à leur cours pour devenir enseignant.

Par ailleurs, même pour ceux ayant suivi la dite formation, cela est jugé insuffisant. « C’est une bonne initiative, mais cela n’apporte pas vraiment les réponses nécessaires pour gérer des cas du quotidien. Comment faire lorsqu’une jeune fille ne veut pas se mettre en maillot de bain pour un cours de natation ? C’est délicat… », regrette Christian* qui donne des cours d’Éducation physique et sportive dans un collège de Seine-et-Marne.

Marie Scagni

*Le prénom a été modifié à la demande de l’interlocuteur. 

Article rédigé le 10 janvier 2025. 

L’avionneur Boeing dans les turbulences après la décision d’une grève massive

Coup dur pour Boeing, le géant de l’aviation américaine. Vendredi 13 septembre 2024, les salariés de la firme concurrente d’Airbus ont voté largement pour une grève à effet immédiat, dans une usine de Seattle aux États-Unis, berceau de l’entreprise depuis 1916. La raison? Un désaccord sur leur nouvelle convention collective qui n’avait pas été changé depuis 2008.

Le syndicat de machinistes de Boeing, situé à Seattle, a décidé de se mettre en grève, vendredi 13 septembre 2024. LUC OLINGA / AFP.

La situation ne semble pas s’améliorer pour l’avionneur américain Boeing. À Seattle, sur la côte ouest des États-Unis, le syndicat des machinistes a voté une grève à effet immédiat avec une écrasante majorité: 96 %. Cette décision n’est pas sans justifications et trouve ses racines dans les négociations salariales découlant d’une nouvelle convention de la direction. Cela faisait 16 ans que cette dite convention n’avait pas été changée, date à laquelle la dernière grève a eu lieu durant 57 jours.

Un grand syndicat

À l’origine de ce mouvement social, le syndicat des machinistes IAM-District 751 (Association Internationale des Machinistes), comptant environ 33.000 membres dans la région de Seattle: « Nous ferons grève à minuit (heure locale) », annonce le syndicat dans une publication sur leur compte X (Twitter).


Il y a quelques semaines, l’IAM réclamait une augmentation des salaires d’au moins 40 % sur l’espace de trois ans, ainsi que de meilleurs avantages, notamment sur les retraites. D’après Jon Holden, président du syndicat, les salaires « stagnent depuis des années, malgré une inflation massive ».
Sous la menace d’une grève depuis plusieurs mois, l’avionneur et le syndicat avaient pourtant trouvé un accord quant à cette nouvelle convention collective en début de semaine. IAM-District 751 réclamait 40 % de hausse des salaires, la direction avait décidé qu’elle serait de 25 %. Jon Holden s’était d’ailleurs félicité de ces négociations, « c’est le meilleur contrat que nous n’ayons jamais eu ».

Boeing dans la tourmente

Ces efforts n’ont pas convaincu les machinistes qui ont rejeté cette convention à une majorité écrasante de 94.6 %. Cette décision est un coup dur pour Boeing, la grève va entraîner la fermeture de deux grandes usines de la firme dans la région de Seattle. Contacté, le siège de Boeing France n’a pas souhaité en dire plus sur la suite des événements. Quelques heures après le vote des salariés, le groupe Boeing, au travers d’un communiqué, assure entendre les réclamations: « Le message a été clair (…). Nous restons déterminés à rétablir nos relations avec nos employés et le syndicat, et nous sommes prêts à retourner à la table des négociations pour parvenir à un nouvel accord. »
Bien « qu’engagés » dans la négociation, les jours à venir sont encore incertains pour le géant de l’aviation déjà dans la tourmente

Jon Holden, le président du syndicat des machinistes IAM-District 751, jeudi 12 septembre 2024. JASON REDMOND / AFP.

L’affaire des 737 MAX

En plus de la grève massive, l’affaire de son modèle phare, le 737 MAX, ne fini de faire parler de lui avec les différentes affaires, l’une des dernières en date, l’incident début janvier sur un 737 MAX d’Alaska Airlines qui avait perdu une porte en plein vol.
Autorisé à voler en 2017 par le régulateur américain de l’aviation, le 737 MAX devait faire la fierté de Boeing. Le premier accident sur ce modèle intervient l’année d’après, en 2018, avec le crash d’un Boeing de la compagnie Lion Air faisait 189 morts. La flotte des 737 MAX est par la suite clouée au sol pendant plusieurs mois dans le monde entier. Tous ces déboires ont précarisé la situation financière du constructeur, en concurrence directe avec Airbus, dont la réputation ne cesse de chuter.
Selon les analystes de TD Cowen, banque d’investissement américaine, une grève de 50 jours priverait Boeing de 3 à 3.5 milliards de dollars de liquidités et aurait un impact de 5.5 milliards sur le chiffre d’affaires. Dans les échanges électroniques avant l’ouverture de la Bourse de New York vendredi, le titre du constructeur chutait d’ailleurs de près de 4 %.

Yan Daniel

Vendredi 13: bénédiction ou malédiction ?

La tradition chrétienne a donné une mauvaise réputation au vendredi 13. La croyance s’est largement répandue au point de faire disparaître le chiffre 13 de certains avions, rues et hôtels. Mais le jour maudit est peu à peu devenu un jour de chance… Pour comprendre l’histoire de cette superstition, le Celsalab a interrogé un sociologue et une numérologue.

Croisez un chat noir en passant sous une échelle aujourd’hui et vous serez au comble de la poisse ! Si l’on en croit les superstitieux, le vendredi 13 est synonyme de mauvais présages. Selon un sondage réalisé par la Française des jeux, la superstition touche 34% des Français. Cette croyance a de vraies conséquences : des compagnies aériennes comme AirFrance n’ont pas de rangées “13” dans leurs avions, et optent pour une rangée “12 bis” ou “14a” et “14b”. Certains pilotes refuseraient aussi de voler un vendredi 13. De nombreux hôtels ne comptent pas d’étages ni de chambres portant le chiffre 13 par crainte de la superstition des clients. La World Trade Center contenait 13 étages…Mais d’où vient donc cette peur du chiffre 13 ?

« La croyance naît dans un contexte d’angoisse »

Pour Dominique Desjeux, sociologue des croyances et des rites, « c’est très compliqué d’expliquer comment une croyance naît », mais il existe quand même une structure propre à celles-ci. « La croyance naît dans un contexte d’angoisse, ses fondements sont l’inquiétude et la peur. Dans ce climat, les hommes ‘inventent’ une histoire pour expliquer, justifier les malheurs », explique l’expert. « La croyance autour du vendredi 13 a des origines chrétiennes » : il faut remonter au passage de la Cène, dans la Bible, où Judas arrive en treizième au dernier repas du Christ. Le 13 est associé au disciple qui trahit Jésus, en le livrant aux Romains. Quant au vendredi, il est associé au jour de la crucifixion de Jésus. « C’est pour cela qu’aujourd’hui, personne n’invite treize convives à déjeuner », explique l’expert.

D‘autres raisons non religieuses pourraient expliquer le désamour pour la date fatidique. Pour certains, le chiffre 13 souffrirait du fait de succéder au chiffre 12, le plus “parfait” dans l’Antiquité, où le système duodécimal régnait. Le vendredi était aussi le jour des exécutions au Moyen Âge en Angleterre. L’arrestation des Templiers par le roi Philippe IV le Bel, le vendredi 13 octobre 1307, participerait à la mauvaise réputation de la date. Le monarque décide ce jour-là d’arrêter plusieurs milliers de moines soldats sous l’inculpation d’hérésie, marquant ainsi la fin de l’Ordre qui était né deux siècles plus tôt en Terre Sainte.

« Peur déraisonnée »

Pour la numérologue Evelyne Lehnoff, le vendredi 13 est un “cocktail de superstition, de traditions et de croyances”, et peut donc être « un jour de chance ou de malchance selon ce qu’on décide de retenir ». Les personnes qui voient en cette date un jour de malheur le font par “peur déraisonnée”’ selon elle. “Ils retiennent les mauvaises dates du passé”.  

Le vendredi 13 est en effet teinté de malchance si l’on retient les dates tragiques dont il est l’anniversaire : le crash du vol 571 de la Fuerza Aérea Uruguaya dans les Andes – poussant les survivants à des actes de cannibalisme – a eu lieu un vendredi 13. L’assassinat du rappeur Tupac Shakur et le naufrage du navire de croisière Costa Concordia au large de la Toscane, qui a causé 13 morts, ont aussi eu lieu à cette date. Et plus récemment, les attentats du vendredi 13 novembre 2015.

Comme évoqué plus haut, les croyances ont de vrais effets dans la vie réelle. Et varient selon les cultures et les pays. « Par exemple en Chine, la prononciation du chiffre quatre est similaire à celle du mot mort. Vous ne trouverez aucun ascenseur avec un étage 4 ou un étage 14 », explique le sociologue. Est-ce de la superstition ? « On appelle superstition la croyance de l’autre », précise Dominique Desjeux.

Un jour de chance ?

Mais, curieusement, le vendredi 13 est devenu un jour de chance. Dominique Desjeux l’explique par un « rituel d’inversion », effectué à des fins marketings par la Française des jeux selon lui. Au lieu de s’ancrer dans l’angoisse, cette « croyance symétrique » vient apporter la sécurité et rassurer les personnes. Même si elle n’est « pas plus vraie que la première croyance », elle a du succès car fait croire à un dénouement positif. Ainsi, cette année, comme tous les vendredis 13, la FDJ propose un Super Loto de 13 millions d’euros. Et elle y gagne : 80 % des personnes interrogées déclarent jouer à un jeu de tirage à l’occasion d’un vendredi 13 – soit le même succès que le grand loto de Noël- selon une étude réalisée par le groupe. « On attend une hausse de près de tiers de participation un vendredi 13 que pour un tirage Loto classique », détaillait un responsable de la société de lotos et de paris sportifs ce matin au micro de Franceinfo.

Même la numérologue Evelyne Lehnoff ne considère pas le vendredi 13 comme une mauvaise date. « Le 13 est une décomposition du 1 et du 3, or 1+3=4, et le 4 représente la vigueur et le travail acharné, c’est donc plutôt positif”. Même chose pour le chiffre 13, qui “annonce une transformation, une renaissance, l’occasion de faire des changements”. Aujourd’hui serait même une « journée 3 », ce qui signifie que « les bonnes énergies rendent le moment propice à postuler à un emploi ou de tenter sa chance à un jeu” pour la consultante en « arts divinatoires ». Elle n’a cependant pas constaté une évolution notoire de sa fréquentation aujourd’hui.

Le deuxième et dernier vendredi 13 aura lieu en décembre cette année. L’unique vendredi 13 de 2025 aura lieu en juin.

Domitille Robert