Agressions sexuelles : autour de la parole, le tabou persiste

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Image tirée d’une campagne de sensibilisation aux agressions sexuelles en Italie. source

La récente polémique suscité par un extrait de l’émission « On est pas couché » où la romancière Christine Angot s’en prend violemment à l’écologiste Sandrine Rousseau a relancé le débat sur la parole autour des agressions sexuelles.

#ViolencesdeGenre La situation des victimes d’agressions sexuelles a beau avoir évoluée au cours des décennies, elle n’en est pas pour autant satisfaisante : Seulement 10% des femmes agressées déposent plainte, et 90% des affaires semblables ne donnent lieu à aucune suite. Cela prouve combien il est difficile pour les victimes de parler de ce qu’elles ont subi.

De plus, la parole n’est pas nécessairement salvatrice. Christine Angot et l’élue EELV Sandrine Rousseau l’ont prouvé lors d’un échange houleux durant l’émission « On n’est pas couché » du 30 septembre 2017. Christine Angot a violemment pris à parti l’élue venue promouvoir un livre dans lequel elle raconte avoir été agressée sexuellement par l’ancien député écologiste Denis Baupin (voir la vidéo ci-dessous) .Il se trouve que Christine Angot a également subi une agression sexuelle grave (elle a raconté dans trois de ses romans que son père la violait).

Extrait d’On est pas couché du 30 septembre 2017. (cliquez pour visionner la vidéo)

Il y a là un échange compliqué pour les spectateurs, et douloureux pour les deux femmes. Deux positions s’affrontent : Sandrine Rousseau propose la parole collective comme force de combat tandis que Christine Angot lui oppose l’impossibilité de la parole de groupe pour tenter de surpasser un traumatisme qui est avant tout personnel.

Parler ou se taire ?

Les associations d’aides aux victimes de violences sexuelles doivent sans cesse se confronter à cette posture : « Il est très difficile de recueillir la parole des femmes victimes de violences « , confie Ariane, 23 ans, en service civique au sein de l’association Ni Putes Ni Soumises depuis un an. »Bien sûr il faut d’abord tisser une relation de confiance avec beaucoup de temps et de douceur. Mais très peu expliquent clairement ce qui leur est arrivées. Certaines veulent de l’aide mais refusent en bloc de raconter.  Il est rare de les accompagner pour porter plainte ».

Le silence des victimes pose également la question de l’impunité des agresseurs. Si celles-ci ne s’expriment pas, comment empêcher la récidive ?  » Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, mais parfois les victimes rentrent chez elles en sachant très bien ce qu’il se passera. Lorsqu’elles sont mineures, nous sommes tenus de porter plainte. Mais les femmes majeures, on ne peut pas les empêcher et là il y a des drames « , déclare Ariane.

Pour aller plus loin  : Le clash Rousseau-Angot, quel signal pour les victimes d’agressions sexuelles ?

Christine Angot parle de son oeuvre « L’inceste » chez Thierry Ardisson (1999)

plusieurs facteurs empêchent les victimes de s’exprimer publiquement sur les agressions : le caractère profondément intime du traumatisme, le sentiment de honte, voire de culpabilité, la conviction que personne ne peut comprendre, la peur d’être catégorisé comme « victime » de manière définitive. De plus, de nombreux préjugés subsistent encore sur les agressions sexuelles : en 2015, une étude conduite par le collectif Mémoire Traumatique et Victimologie démontrait que les sphères familiale et amicale étaient les plus favorables aux violences sexuelles, et que les agressions étaient commises par des membres de la famille dans la majorité des cas d’agressions sur mineures. Les résultats transcendent toutes les catégories sociales. Rien à voir avec le mythe de l’agresseur isolé et inconnu dans une ruelle sombre.

Ainsi, le clash entre Christine Angot et Sandrine Rousseau a eu le mérite de mettre en lumière la difficile parole sur les agressions sexuelles, mais aussi les nombreux tabous qui pèsent encore sur notre société. Pour libérer la parole des femmes victimes de violences sexuelles, il faut d’abord libérer les femmes tout court.

Asmaa Boussaha

Portrait d’une Rom citoyenne

Iasmina Dragomir travaille à l'association Intermèdes Robinson en tant qu'animatrice à Chilly-Mazarin (Essonnes).
Iasmina Dragomir travaille à l’association Intermèdes Robinson en tant qu’animatrice à Chilly-Mazarin (Essonnes).

 Iasmina Dragomir a vécu dix ans à Corbeil-Essonnes dans l’un des plus grands bidonvilles de la région parisienne. Aujourd’hui, elle travaille en CDI dans l’association qui lui a tendu la main.

 

Il est quatorze heures, et dans les locaux de l’association Intermèdes Robinson à Chilly-Mazarin (Essonne), les bénévoles viennent à peine de lever le pied. À peine visible derrière le plan de travail, une jeune Roumaine de vingt trois ans au look décontracté astique les moindres recoins de l’évier. « Iasmina, il y a du monde pour toi ! », lance Abdel, bénévole à l’association.

« Mon pays c’est la France »

 

« Je voulais être enseignante en école maternelle, » explique Iasmina Dragomir. Née à Resita en Roumanie près de la frontière serbe, elle n’a que quatorze ans lorsqu’elle rejoint la France avec son frère aîné pour fuir la pauvreté et poursuivre sa scolarité. Si elle évoque en parallèle des « problèmes familiaux », le sujet demeure sensible. Tout comme celui de la Roumanie. « Depuis que je suis arrivée en 2003, je n’y suis retournée que deux fois – mon pays c’est la France, » ajoute la jeune femme aux longs cheveux bruns, les yeux rivés sur ses baskets roses.

Iasmina Dragomir est arrivée en France à l'âge de 14 ans. Elle a vécu dix dans le bidonville de Moulin-Galant (Essonnes).
Iasmina Dragomir est arrivée en France à l’âge de 14 ans. Elle a vécu dix dans le bidonville de Moulin-Galant (Essonnes).

Les choses se sont accélérées depuis sa première installation dans le bidonville de Moulin-Galant, à Corbeil-Essonnes. Poussée par son ambition et l’envie de fuir l’insalubrité des camps dont elle est expulsée tous les deux ans, Iasmina Dragomir apprend le français. Elle débute un service civique en tant qu’animatrice dans l’association Intermèdes Robinson, et décroche une bourse de 500 euros pendant un an pour financer sa formation au BAFA.

 

« Un pilier de l’association »

 

« J’organise toutes sortes d’animations pour les enfants : du jardinage jusqu’à l’écriture de musiques en roumain », développe la jeune Rom souriante et fière. Mais en 2014, le bidonville de Moulin-Galant est détruit. Alors maman d’une petite fille de trois ans, Iasmina Dragomir reçoit un avis d’expulsion lui indiquant de quitter le territoire sous deux mois. Impressionné par le parcours de l’animatrice, Martin Hirsch, président du service civique, se saisit du dossier et lui évite le départ.

 

« Iasmina est une femme forte et courageuse, elle est devenue l’un des piliers de l’association, » s’émeut Laurent Ott, président d’Intermèdes Robinson. Aujourd’hui embauchée en CDI, la jeune Rom s’attèle à créer des ateliers d’animations dans les bidonvilles installés en Essonne, une manière pour elle de rendre ce qu’on lui a donné.

 

 

 

Garance Feitama et Clothilde Bru

Migrants : « Il faut élargir la mobilisation citoyenne »

Aurélie est coordinatrice d’Utopia 56, une des deux associations qui gèrent le centre d’accueil pour migrants de la Porte de la Chapelle (XVIIIème). 

 

Comment les migrants prennent-ils connaissance de l’existence du centre ?

C’est majoritairement les passeurs qui les informent de l’existence du centre : ils sont présents autour des lieux de rassemblement (Stalingrad, Pajol, Gare du nord, Gare de l’Est), étant eux-mêmes réfugiés. Ils leur font miroiter beaucoup de choses, et tirent énormément partie de la communication sur la bulle {le surnom du centre, NDLR}.

Selon-vous, les mesures d’accueil sont-elles à la hauteur dans la capitale ?

Plus on accueille de migrants, plus on risque d’en voir arriver. Il faut un accueil uniformisé pour toute l’Europe, sinon les pays de bonne volonté seront en constante saturation. Il ne pourra pas y avoir d’accueil correct tant que chaque pays ne fera pas sa part. Voilà pourquoi ouvrir plus de centres à Paris n’est pas une solution aujourd’hui.

Que préconisez-vous pour l’avenir ?

Il faut qu’on élargisse au maximum la mobilisation citoyenne. L’État ne veut et ne peut pas tout faire. Le centre c’est un projet intéressant mais notre association croit davantage dans un accueil un peu plus humain. Les réfugiés pourraient par exemple être accueillis par des familles, pour mieux s’intégrer.

Propos recueillis par Antoine Colombani