Union européenne : des inégalités face à la santé

« L’Europe est évidemment l’échelon indispensable à la protection de la santé ». Pour Yannick Jadot, candidat Europe Ecologie Les Verts (EELV), qui a marqué la surprise en obtenant plus de 13% des suffrages en France, l’Union européenne est le garant de l’efficacité des systèmes de santé des pays. Pourtant, en Europe, les disparités sont grandes et creusent les inégalités entre les citoyens européens. En avril dernier, peu avant les élections européennes, la Mutualité française publiait une étude sur « le regard des citoyens européens sur la santé ». On y apprenait notamment que 85% des Français interrogés se sentaient « bien protégés » par leur système de santé face à 27% du côté des Grecs interrogés. Pourtant, à y regarder de plus près, s’il est vrai que la France est le pays qui attribue la part la plus importante de son budget à la santé, il existe encore une forte proportion de Français (8,5%) qui renoncent à accéder aux soins. Un chiffre – largement supérieur à celui de l’Allemagne (2,6%), de l’Espagne (2,8%) ou de la Suède (3,9%) – qui s’explique notamment par le mauvais remboursement des soins optiques et dentaires en France. Ce taux grimpe à 25% si l’on ne prend en compte que ces deux dernières types de soin selon un rapport de l’OCDE de 2017 portant sur les points forts et les points faibles des systèmes de santé des pays européens. Pour autant, selon ce même rapport, la France se situe dans le haut du classement quant à la part des dépenses à la charge des patients (taux le plus bas d’Europe).

Source : OCDE 2017/ Eurostat.

Source : Panorama de la santé 2017.
taux de renoncement
Infogram

Il est donc légitime de penser que la France présente une des meilleurs couverture santé de l’Union européenne avec notamment 100% de ses citoyens couvert par une assurance maladie, et le deuxième (le premier étant en Finlande) meilleur taux d’habitants pour un hôpital en moyenne, avec 21 814 habitants par hôpital en 2016. En Belgique, quelque 63 000 citoyens doivent en moyenne se contenter d’un seul hôpital. Mais la France se révèle être le mauvais élève de l’Europe pour ce qui est de la prévention : en moyenne les pays européens consacrent 3% de leur PIB à la prévention en matière de santé. La France, elle, y consacre moins de 2% de son PIB. Finalement, « Il n’y pas un seul pays européen qui possède un système de santé parfait », a tenu à souligner la direction générale de la Santé de la Commission européenne en 2017… Pas même la France.

Laëtitia Lienhard et Domitille Lehman

Fermeture d’une maternité: 69 élus de l’Indre démissionnent

Le sort de la maternité du Blanc sera scellé le 19 octobre, date à laquelle le conseil de surveillance de l’hôpital se réunira pour décider officiellement de sa fermeture.

Protesters and politicians among which the President of the Centre Val de Loire region Francois Bonneau (3R) and Le Blanc's mayor Annick Gombert (C) hold a banner reading "Our territories too have right a to a future" during a march against the closure of maternity hospital in Le Blanc, central France on September 15, 2018. (Photo by GUILLAUME SOUVANT / AFP)
Mobilisation contre la fermeture de la maternité du blanc dans l’Indre (Photo par GUILLAUME SOUVANT / AFP)

A la maternité du Blanc, les accouchements sont suspendus depuis le mois de juin pour cause de manque de personnel. L’Agence régionale de Santé a préconisé l’ouverture d’un centre de périnatalité, sans accouchements, à la suite d’une rapport publié début octobre. Face à une potentielle fermeture de cette maternité, 19 maires et 50 adjoints de l’Indre ont donné leur démission jeudi soir à la préfecture.

Sur le buste doré de Marianne, ils ont déposé leur écharpe tricolore en signe de protestation, à la préfecture de Châteauroux: « « Pour que le mot égalité de notre devise nationale s’applique aussi aux territoires éloignés des métropoles, il suffirait que vous preniez la décision de maintenir de manière pérenne cette maternité géographiquement isolée », ont-ils déclaré dans une lettre adressée à Emmanuel Macron.

Ce cas s’inscrit dans une réelle crise dans les territoires isolés. De nombreuses communes se vident de leurs médecins et des centres de santé.  A Châteauroux, les femmes enceintes devront faire une heure de route pour accoucher dans la maternité la plus près. Les élus démissionnaires espèrent se faire entendre par leur action choc.

« C’est un SOS pour alerter le gouvernement. Depuis des mois, on demande à être reçus par la ministre (de la Santé, Agnès Buzyn, ndlr) et on le vit comme un profond mépris vis-à-vis des territoires ruraux », a déclaré Mme Gombert, maire du Blanc

Le conseil de surveillance de l’hôpital se réunit le 19 octobre. Il décidera officiellement de la fermeture ou non de la maternité du Blanc.

Zina Desmazes

 

Taxation de l’alcool : une politique de santé publique utilisée avec modération

On estime à 49 000 le nombre de décès liés à l'alcool chaque année en France.
On estime à 49 000 le nombre de décès liés à l’alcool chaque année en France.

Présentée comme une solution pour limiter la consommation d’alcool et supporter les moyens nécessaires à la prévention, la taxation des alcools et spiritueux est quasiment absente du nouveau budget de la sécurité sociale. Un blocage imputé aux traditions françaises, mais surtout à la puissance des lobbys alcooliers.

« N’emmerdez pas les français ! ». La phrase est signée George Pompidou, mais a connu une seconde jeunesse en février dernier. Alors interrogé sur l’éventualité d’un durcissement de la Loi Evin concernant la publicité des produits alcoolisés, Emmanuel Macron reprend le second président de la cinquième République et ajoute : « Je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin ». Une sortie effectuée en marge du salon de l’agriculture qui illustre, selon les professionnels de santé, les difficultés à aborder de front les problématiques de santé liées à l’alcool.

« On fait face à des lobbys extrêmement puissants »

Ce jeudi 11 octobre, neuf médecins et spécialistes des addictions adressent une lettre ouverte à la ministre de la santé Agnès Buzyn. Selon eux, la taxation de l’alcool est la « grande absente » du futur plan de prévention des substances psychoactives (cannabis, alcool, tabac) dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Celui-ci prévoit dix millions supplémentaires alloués à la prévention, financé par le produit des amendes sur la consommation de cannabis mais aucunement par la taxation de l’alcool. Une dichotomie dénoncée par Jean-Claude Tolczak, président de la Fédération Nationale des Amis de la Santé : « Les Ecossais ont opté pour ces taxes et on observe déjà des résultats. Il y a un lobbying alcoolier qui est très fort et une tradition française qui honore le vin, c’est très difficile de toucher à ce qui constitue une partie du patrimoine français ».

En France, on impute 49 000 décès à la consommation d’alcool, première cause de mortalité chez les 15-30 ans. « Ces chiffres attirent l’attention, mais n’évoquent pas l’entièreté du problème. On ne parle pas de tous les cancers et de tous les licenciements » poursuit Jean-Claude Tolczak, alors que le coût social de l’alcool est estimé par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) à 120 milliards d’euros par an. Dès lors, pourquoi les pouvoirs publics n’optent pas pour une politique de santé semblable à celle initiée sur le tabac ? Pour Bernard Basset, vice président de l’Association nation de prévention en Alcoologie et addictologie (Anpaa) et co-signataire de la lettre ouverte à la ministre de la santé, le frein est tout trouvé : « Nous sommes dans un pays producteur d’alcool et notamment de vin, on fait donc face à des lobbys extrêmement puissants ».

« On imagine mal un député de la Côte d’Or se mettre à dos toute une partie de l’économie de sa circonscription »

Contactée par Celsalab, une ancienne lobbyiste du secteur précise le fonctionnement de ces groupes de pression. Pour elle, leur influence s’explique d’abord par le caractère « made in France » de la production : « c’est en cela que le lobby de l’alcool se distingue d’autres lobbys comme celui du tabac. C’est un secteur qui génère beaucoup d’emplois, et c’est un ressort sur lequel s’appuient les lobbyistes. Cela explique aussi la plus forte taxation des spiritueux et des bières comparé au vin, précise-t-elle. On imagine mal un député de la Côte d’Or se mettre à dos toute une partie de l’économie de sa circonscription et ses électeurs ». Outre cet ancrage dans l’économie locale, le secteur du vin compte parmi ceux qui s’exportent le mieux, au même titre que le luxe ou l’industrie automobile. En retrait d’une vision manichéenne qui opposerait par essence professionnels de santé et producteur de vins et de spiritueux, cette lobbyiste estime que ces derniers ont aussi intérêt à une certaine régulation : « les producteurs et lobbyistes craignent qu’une affaire de malformation ou de maladie due à l’alcool éclate et qu’elle fasse la une des médias pendant un an. Dans ce sens ils ont aussi intérêt à une consommation raisonnable et ont sans arrêt le cul entre deux chaises ».

Côté associatif, le son de cloche est différent. Investi dans des négociations auprès des pouvoirs publics en vue d’une plus forte réglementation, Jean-Claude Tolczak détaille : « Rien que lorsqu’il s’agit d’augmenter la taille du pictogramme de prévention pour les femmes enceintes au dos des bouteilles, on bute sur l’opposition de Vin et Société, le plus gros lobby du vin. Sur ce point, on ne peut que constater l’influence de ces groupes de pression auprès du pouvoir. On sait notamment que la conseillère du président sur les questions agricoles, Mme Bourelleau, est l’ancienne Directrice Générale de Vin et Société« .

Des blocages également culturels

Des liens qui contribuent à expliquer les blocages institutionnels, combinés aux facteurs culturels. Membre de Alcool Assistance, Auguste Charnier les constate au quotidien : « lorsque l’on parle de tabac, de cannabis ou d’héroïne, on a une oreille attentive. En revanche, lorsque l’on parle d’alcool il y a un frein naturel. Contrairement aux autres produits, on a beaucoup de chances d’avoir un consommateur en face de nous. Du fait de nos traditions, on n’est pas très à l’aise avec ce sujet. » « Chape de plomb », « pot de fer contre pot de terre », les métaphores d’une lutte disproportionnée se suivent dans les propos associatifs. Alors comment changer les termes du débat ? Reçu à l’Assemblée Nationale ce jeudi 11 octobre, Bernard Basset tente de rester positif : « on reçoit le type d’arguments classiques lorsque l’on ne veut rien faire. Il faut continuer à faire des actions comme celles d’aujourd’hui, à être actifs sur les réseaux sociaux, afin d’alerter l’opinion. »

 

Théo Meunier

 

 

Pour les femmes, la pilule ne passe plus

Depuis 2012, 1,5 million de femmes en France ont arrêté de prendre ce contraceptif, selon l’Agence national de Santé. Scandale de la pilule 3ème génération, phobie des hormones, volonté de retour au naturel… la méfiance grandit autour de ce petit cachet, autrefois considéré comme un symbole de libération sexuelle pour les femmes. Enquête sur le désamour des Françaises pour la pilule.

Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.
Chaque jour, ce sont plus de 59.000 boîtes de pilules qui sont vendues et utilisées par les Françaises.

« La meilleure contraception, c’est celle que l’on choisit ! », peut-on lire sur les prospectus rose bonbon disposés en cercle sur la table basse du Centre de Planification et d’Éducation familiale de la Goutte d’Or, un quartier populaire de Paris. Chaque jour, cet établissement accueille en moyenne une dizaine de femmes. La plupart sont mineures et dans une situation précaire. Ici, elles sont reçues en consultations ou pour trouver une méthode de contraception adéquate. Beaucoup s’y rendent également pour entamer les démarches pour une interruption volontaire de grossesse. Alors, quand Catherine Jouannet entend qu’il existe un « désamour » des femmes pour la pilule, cette sage-femme débordante d’énergie aux cheveux bouclés et grisonnants ne peut s’empêcher de faire la grimace. « Désamour, je n’aime pas tellement ce mot. Même s’il est vrai que les prescriptions de pilule ont diminué ces dernières années », lâche-t-elle avec regret.

En 2010, 50 % des Françaises avaient recours la pilule. Elles ne sont plus que 41% en 2013, selon l’enquête Fécond de l’Institut National d’études démographiques. 2013, une année marquée par le scandale provoqué par la pilule 3ème génération. En décembre 2012, Marion Larat, une étudiante bordelaise de 26 ans, porte plainte contre les laboratoires pharmaceutiques Bayer et contre les autorités sanitaires françaises. Six ans plus tôt, la jeune femme avait fait un AVC qui l’avait laissé paralysée à 65 %. Elle liait alors son accident à sa contraception. La commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents médicaux de la région Aquitaine lui donne raison et impute son AVC à la pilule Méliane, commercialisée par le laboratoire allemand Bayer. Plus d’une centaine de plaintes de femmes victimes d’embolie, d’AVC ou de thrombose suivront. Utilisées par 4,7 millions de femmes en France, la pilule provoquerait 20 décès prématurés et 2.500 accidents similaires par an, selon un rapport diffusé par l’Agence du médicament, en mars 2013.

Crise de confiance

Les quelques cas médiatisés poussent alors certaines femmes à rejeter ce moyen de contraception, y compris les pilules de première et deuxième génération. Maëlle Lafond, journaliste de 24 ans, a arrêté sa pilule il y a deux ans. « Je ne supportais les effets secondaires, et j’ai perdu ma mère qui est décédée d’un cancer du sein ».  D’après une étude élaborée par des chercheurs écossais, la pilule augmenterait en effet les cancers du sein de 20%. « On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer ! », s’insurge Maëlle. Sur le site du ministère de la Santé, il est en effet indiqué que la pilule hormonale est « contre-indiquée  chez les femmes ayant une prédisposition héréditaire de cancer du sein, de thrombose veineuse ou artérielle et d’AVC ». Une évidence pour Agnès Pavard, gynécologue à Marignane (Bouches-du-Rhône), qui s’attache désormais à prévenir les femmes, des risques éventuels liés à la prise de pilule. « Les patientes ont eu très peur. En 2013, on avait l’impression qu’on découvrait qu’il y avait des risques avec la pilule, mais on le savait depuis longtemps déjà. Mais le grand public découvrait ces dangers-là », explique la quinquagénaire, qui reçoit de plus en plus de jeunes femmes cherchant des alternatives. La pilule contient des hormones de synthèse qui peuvent favoriser la formation de caillots dans le sang, pouvant boucher une artère du cou ou du cerveau et provoquer un AVC ou une phlébite. « Aujourd’hui, nous sommes beaucoup plus attentives sur les antécédents familiaux des patientes. En consultation, je prends plus le temps d’expliquer aux patientes les risques éventuels liés à chaque contraceptif. Il y a un vrai travail d’information et de prévention à faire auprès des femmes », ajoute la gynécologue.

« On ne m’a jamais prescrit un seul bilan sanguin pour ma pilule. Or, dans mon cas, une contraception hormonale est déconseillée puisque j’ai des antécédents familiaux de cancer» Maëlle, étudiante de 24 ans

Dans son cabinet cossu, situé dans le XVème arrondissement de Paris, la gynécologue Sadya Aissaoui ne décolère pas contre la presse. « Il y a eu une campagne médiatique d’une violence inouïe contre la pilule. On nous expliquait que c’était mortel et des pilules ont été retirées du marché, comme la Diane 35. On est passé de la ‘’pilule bonbon‘’, que les femmes prenaient sans se poser de questions, à la pilule ‘’danger mortel’’ ». Pourtant, pour ce médecin, la pilule reste un bon moyen de contraception. « Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie ». En effet, la pilule régule les cycles menstruels et réduit les risques de kystes de l’ovaire en bloquant l’ovulation. Pour Alma N, 23 ans, prendre la pilule a été salvateur. La jeune femme raconte avec enthousiasme comment ce comprimé a changé son quotidien. A l’âge de quinze ans, elle commence à prendre la pilule pour apaiser ses règles douloureuses, dues à un dérèglement hormonal qui lui fait enfler les ovaires. L’ovulation engendre, en temps normal, un gonflement des ovaires. Les hormones libérées par la pilule empêchent ce gonflement. Depuis qu’elle prend ce contraceptif, Alma ne ressent plus aucune douleur, ou presque. « Aujourd’hui, je peux vivre normalement. Avant, c’était insupportable, je ne pouvais pas aller en cours pendant mes règles, je prenais de la codéine et je pleurais de douleur », se souvient l’étudiante, l’air grave.

 

« Certaines patientes souffrent de problèmes gynécologiques, comme des kystes de l’ovaire ou des règles abondantes et douloureuses. La pilule leur a offert une très bonne qualité de vie », Sadya Aissaoui, gynécologue

Comme souvent chez les femmes souffrant de kystes ovariens, la pathologie est héréditaire. « Ma grand-mère et ma mère ont vécu un calvaire à cause de cela. Ma grand-mère s’est fait enlever l’utérus après la naissance de ses enfants et ma mère a été malade pendant longtemps. Je suis plutôt chanceuse, en fin de compte », philosophe la jeune femme, désormais en paix avec son corps. « Diaboliser la pilule, ce n’est pas servir les femmes qui vont en bénéficier. Il y a des femmes à qui ça convient très bien et il faut les encourager à la prendre », relativise Alma. Au-delà des questions de santé, la pilule reste un symbole fort d’émancipation pour certaines femmes. L’adoption de la loi Neuwirth autorise la commercialisation de la pilule en 1967 et conforte les slogans féministes de l’époque, « un enfant si je veux, quand je veux ».  « La légalisation de la pilule se produit dans un contexte où l’avortement n’était pas encore légal. C’est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », explique Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP, à l’université de Toulouse.

Une volonté de « retour au naturel »

« Il n’y a pas de contraception miracle », explique Florence Boursier, sage-femme à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône). « Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », explique cette professionnelle passionnée.  Certaines femmes ont profité du scandale de la pilule troisième génération pour arrêter la pilule et se tourner vers d’autres alternatives. C’est le cas de Marie HG, mère de famille de 40 ans. « J’avais des sautes d’humeur, des bouffés de chaleur, j’ai pris du poids. Ma libido a disparu, j’étais dans un état dépressif permanent, mes boutons ont réapparu. Rien n’allait depuis que j’étais sous pilule. » L’élégante quadragénaire se tourne alors vers le stérilet au cuivre, mais quelques mois plus tard, ses règles sont devenues plus abondantes et douloureuses. Depuis, cette adepte du bio utilise les méthodes dites « naturelles ». Cette appellation floue regroupe l’abstinence périodique, durant laquelle les femmes n’ont pas de relations sexuelles ; le « retrait », l’homme se retire avant l’éjaculation, ou encore la prise de température, méthode consiste à repérer la période d’ovulation en fonction de la chaleur du corps. Ces méthodes, utilisées avant la commercialisation des différents contraceptifs concernaient 1,2 % des femmes, en 2010, selon une étude de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), publiée en 2016. « C’est un archaïsme total en 2018 », s’insurge Sadya Aissaoui, qui voit de plus en plus de patientes utiliser ces méthodes. « Le retrait, c’est une catastrophe. Avant l’éjaculation, on peut trouver des spermatozoïdes dans le liquide séminal. Dès lors qu’il y a un contact sexuel, elles peuvent tomber enceinte », rappelle-t-elle, l’air sévère. Alma ironise sur cette méthode, qu’utilisait sa mère, «  la méthode du retrait a très bien marché, ça a donné ma sœur ».

Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet
Les femmes abandonnent de plus en plus la pilule, au profit du dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet

 

« Chaque femme a sa contraception, qui a des inconvénients et des avantages. Tant que les avantages sont supérieurs aux inconvénients, c’est une bonne contraception », Florence Boursier, sage-femme

Les raisons qui poussent les femmes à abandonner la pilule dépassent parfois leur propre bien-être. Certaines sont convaincues que l’arrêt de leur pilule est un geste pour la planète. Pour le docteur Pedro José Maria Simon Castellvi, gynécologue et président de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques, « la pilule contraceptive a depuis des années des effets dévastateurs sur l’environnement en relâchant des tonnes d’hormones dans la nature  à travers les urines des femmes.  » D’après une étude britannique, menée par la biologiste britannique, Susan Jobling de l’université Brunel à Londres, et diffusée dans la revue scientifique Environmental Health Perspectives, 20 % des poissons d’eau douce mâles seraient devenus hermaphrodites et se sont mis à pondre des œufs. En cause, les molécules présentes dans les pilules contraceptives qui sont rejetées dans les rivières. Arrêter la pilule, un geste écolo et militant ? C’est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles Caroline Baudry, étudiante de 23 ans, a décidé d’abandonner ce contraceptif. « Il paraît que la pilule est vraiment dévastateur pour l’environnement, et je ne voulais pas participer à cette pollution. J’avais également entendu parler des risques d’AVC. Je ne voulais prendre aucun risque », explique la jeune femme, avec conviction.

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Abandonner sa pilule, un problème de riche ?

Au Centre de Planification et d’Education familiale de la Goutte d’Or, Catherine Jouannet voit principalement défiler des mineures, qui souhaitent cacher leur sexualité à leur parents, ou des femmes « vulnérables ». « La majorité ne peuvent pas nécessairement dépenser 20 euros par mois pour leur contraception, parce qu’elles ne sont pas toutes remboursées par la Sécurité sociale. Le coût est un facteur de discussion primordial dans notre centre », explique la sage-femme. Pour Leslie Fonquerne, sociologue au Laboratoire CERTOP de l’université de Toulouse, « pouvoir aller chez le gynécologue et avancer les frais n’est pas donné à tout le monde. » Un problème de coût, mais aussi d’éducation. « Une première consultation chez le gynécologue, pour une contraception, devrait durer une heure. Il faut prendre le temps d’expliquer comment cela fonctionne aux jeunes femmes, ce n’est pas évident pour toutes ! », raconte Marie-Françoise J, sage-femme au Centre de Planification et d’Education familiale de l’Hôpital Cochin-Port royal. Le rejet de la pilule concerne en majorité des femmes diplômées, selon l’étude Fécond, pour l’Ined. « Durant la consultation, il faut pouvoir avoir les armes verbales et les informations pour affronter le médecin en posant des questions. Les femmes ne sont pas toutes capables de remettre en question cette relation de pouvoir qu’il peut y avoir vis-à-vis du médecin », explique Leslie Fonquerne. Des femmes éduquées, mais aussi plus jeunes, « La baisse du recours à la pilule concerne les femmes de tous âges mais elle est particulièrement marquée chez les moins de 30 ans. », peut-on lire dans l’étude Fécond.

 « La légalisation de la pilule est un premier pas dans la libération sexuelle des femmes », Leslie Fonquerne, sociologue

A l’exception du préservatif, les contraceptions pour hommes sont très peu mises en valeur et adoptées. La responsabilité de la contraception repose donc exclusivement sur la femme.  « Avant, la méthode la plus utilisée en France était le retrait, les hommes étaient donc plus impliqués dans la contraception. La pilule a changé les rapports hommes–femmes dans ce domaine-là, elle a féminisé la contraception », explique la sociologue Leslie Fonquerne. Mais la pilule masculine pourrait bientôt devenir réalité. Un premier essai clinique a dévoilé des résultats prometteurs, d’après une étude américaine menée conjointement par le Centre médical de l’Université de Washington et le Centre médical de Harbor-UCLA, à Los Angeles. « Une très bonne idée, pour plus impliquer les hommes sur les problématiques de la contraception », pour Florence Boursier. Cette sage-femme reste pourtant dubitative sur l’éventuel succès de cette pilule masculine.  « En France, la vasectomie (stérilisation chirurgicale) reste taboue. C’est culturel, nous sommes un pays de latins, et l’appareil reproducteur est lié à la virilité. Aux Etats-Unis et dans les pays du Nord, la vasectomie est beaucoup plus répandue. » Aucune date de commercialisation d’une pilule masculine n’a été avancée pour le moment. Aujourd’hui, 4.7 millions de femmes avalent leur comprimé tous les jours, faisant de la pilule la contraception la plus utilisée en France.

                                                                                                                                                 Camille Bichler et Caroline Quevrain

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