En France, les entreprises qui se lancent dans l’élevage d’insectes se multiplient et lèvent des millions d’euros. Pourtant, la demande des consommateurs reste très faible, les normes sont limitées et les arguments environnementaux sont remis en cause. Des conditions qui laissent penser que les insectes ne sont peut-être pas l’avenir de notre alimentation.
Depuis maintenant plusieurs années, les insectes sont prédits comme fondamentaux pour l’avenir de notre régime alimentaire. Meilleurs pour l’environnement, bons pour la santé et transformables à l’infini (poudre, steak, grillade), les insectes permettraient de nourrir en protéines les humains, toujours plus nombreux. Et cette hypothèse semble très convaincante puisque les start-ups qui se lancent dans l’élevage d’insectes se multiplient sur le marché français. Innovafeed, une foodtech française, vient justement de lever 250 millions d’euros pour développer son activité aux Etats-Unis et en France.
Encore hors des habitudes de consommation
Côté Occident, ces petites bêtes sont exclues de nos habitudes alimentaires. Pourtant, manger des insectes est loin d’être absurde dans certains pays. En Asie ou en Afrique, on estime que 2 milliards de personnes pratiquent l’entomophagie (la consommation d’insectes par l’être humain). « En France, le niveau d’acceptabilité devant l’idée de manger des insectes est très bas » explique Tom Bry-Chevalier, doctorant en économie de l’environnement, spécialisé dans les protéines alternatives. Début 2022, une étude de l’Institut CSA démontre que 39% des personnes interrogées sont complètement opposées à goûter un insecte. Pour Tom Bry-Chevalier, « c’est un produit qui est vendu pour vivre une expérience sympa, lors d’un apéro entre copains, et pas pour une consommation régulière. » D’ailleurs, les denrées vendues par les marques phares du marché, comme Jimini’s ou Micronutris, se retrouvent souvent au rayon apéritif, et à des prix élevés.
Au-delà de l’absence de demande, les normes imposées par l’Union Européenne ne facilitent pas le développement de ces sociétés spécialisées en insectes comestibles. En 2021, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a autorisé trois insectes à la consommation humaine : le ver de farine, le criquet et le grillon. Avant cela, il était interdit d’en consommer. Déjà limitées par cette restriction, les entreprises doivent aussi jongler avec les normes sanitaires très strictes. L’ANSES (l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), pointe divers dangers notamment sur les allergènes, très présents dans les insectes, et réclament plus de recherches.
Un élevage pas si respectueux de l’environnement
Le premier argument exposé lorsque l’on parle d’entomophagie reste l’argument environnemental. Un élevage d’insectes serait nettement moins impactant pour la planète qu’un élevage intensif classique. Pour Tom Bry-Chevalier, « c’est plus ou moins vrai, ça dépend de plusieurs facteurs. » Le spécialiste en protéines alternatives explique d’abord que la majorité des insectes d’élevage en France sont nourris avec des céréales : « Ces denrées pourraient servir à la consommation humaine ou animale, sans que nous ayons besoin de passer par les insectes ». Autre point négatif, les insectes ont besoin de chaleur pour se développer et produire des protéines. Les centres d’élevage doivent donc être chauffés lors des saisons froides.
Face aux règles strictes de l’Union Européenne, de nombreuses entreprises d’élevage produisent des insectes destinés à l’alimentation animale. Problème : « des études montrent que l’impact environnemental est moindre quand on nourrit les animaux avec des céréales qu’avec des insectes » explique Tom Bry-Chevalier. Innovafeed, société lancé en 2016 et qui prévoit d’atteindre une production de 100 000 tonnes d’insectes d’ici 2024, est dans ce cas. La mouche soldat noire, espèce choisie par l’entreprise, n’est pas dans la liste de l’Union Européenne. Innovafeed produit donc uniquement de l’alimentation pour les animaux d’élevage ou de compagnie. Mais cela pourrait changer prochainement, la foodtech a déposé un dossier de demande pour que sa mouche soit autorisée à la consommation humaine.
D’autres alternatives plus plausibles
Alors même si les entreprises ne cessent de capitaliser sur les insectes, il semblerait que ces derniers se retrouveront plus vite dans l’assiette de nos animaux que dans les nôtres. « À moins d’un énorme coup marketing, les consommateurs n’ont pas prévu d’intégrer les insectes dans leur quotidien » ironise Tom Bry-Chevalier. Pour lui, il vaut mieux se tourner vers d’autres alternatives pour remplacer la viande et ses exploitations polluantes, énergivores : « la protéine végétale est nettement moins impactante pour la planète que n’importe quel autre substitut » Pour le chercheur, il est essentiel de réduire notre consommation de viande, et cela n’est pas possible sans prendre en compte les goûts des Français. « C’est déjà un défi d’introduire ces protéines dans les habitudes de consommation, mais ça paraît plus facile de passer d’un steak bovin à un steak végétal, que de passer directement à un steak d’insectes », explique-t-il.
Alors la situation peut encore beaucoup évoluer, d’autant plus que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) s’est récemment prononcée en faveur du développement de l’élevage d’insectes à grande échelle. Pour l’organisation, il s’agit d’une solution viable pour relever le défi de nourrir la planète en 2030. Le secteur de l’insecte comestible va continuer de grandir et faire parler de lui, jusqu’à peut-être convaincre les consommateurs les plus réticents.
Héloïse Bauchet