ENQUÊTE : En France, ces jeunes femmes musulmanes qui choisissent le départ- Vidéo

Face à un climat qu’elles jugent islamophobe, de nombreuses françaises musulmanes envisagent l’exil. Insultées, discriminées, marginalisées, elles cherchent la possibilité de vivre leur foi librement ou de nouvelles opportunités professionnelles. Canada, Malaisie ou Maghreb, deviennent des terres d’espoir, loin d’une France qu’elles aiment… mais qu’elles quittent.

“Retourne en Iran”. C’est l’une des agressions verbales subies par Meriem, étudiante de 21 ans, alors qu’elle se promenait voilée, place de la Bastille à Paris. Comme elle, face à la montée des actes islamophobes en France, de nombreuses femmes musulmanes envisagent de s’exiler seules ou en famille, dans les pays anglo-saxons comme l’Angleterre et le Canada et musulmans, principalement, la Malaisie, les Emirats-Arabes Unies  ou les pays d’Afrique du nord (Maroc, Algérie). 

De nombreuses femmes recherchent des pays où elles peuvent porter le voile dans le milieu professionnel. Crédits : AEI

INFOGRAPHIE : où partent les femmes musulmanes qui décident de quitter la France en raison de « l’atmosphère islamophobe » qu’elles affirment ressentir ?

Source : données statistiques issues de l’ouvrage La France tu l’aimes mais tu la quittes, Enquête sur la diaspora française musulmane, Olivier ESTEVES, Alice PICARD, Julien TALPIN

Cette vague de départs a été mise en lumière en 2024 par une enquête sociologique des chercheurs Olivier Esteves, Julien Talpin et Alice Picard. Elle a fait l’objet d’un livre : La France tu l’aimes, mais tu la quittes. (c.f interview ci-dessous). Et malgré le débat suscité par ce livre, la situation n’a pas changé.

Trois question à Olivier Esteves et Alice Picard, auteurs de La France tu l’aimes mais tu la quittes, Editions du Seuil, 2024

Est-ce que ce phénomène d’exil lié à l’islamophobie est spécifique à la France ?

O.E : Non, ce n’est pas un phénomène totalement spécifique à la France, même si l’ampleur et la forme qu’il prend ici sont particulières. On retrouve des dynamiques similaires dans d’autres pays européens, mais la France se distingue par la centralité du débat sur la laïcité et la visibilité du voile. Par exemple, au Royaume-Uni ou en Belgique, la diversité religieuse est mieux acceptée, même si les discriminations existent aussi. Mais la France, avec son histoire coloniale et son obsession autour du voile, produit une atmosphère particulièrement pesante pour les personnes concernées.

Pourquoi les femmes qui partent sont-elles majoritairement très diplômées ?

A.P : La majorité des personnes interrogées sont souvent Bac+5 ou plus. Ce n’est pas anodin : être diplômé facilite l’installation à l’étranger, notamment dans des pays du Nord ou en Amérique du Nord qui valorisent les compétences et l’expertise. Cela montre que la France perd une partie de ses élites formées, qui auraient pu contribuer à la société, mais qui choisissent de partir à cause d’un sentiment d’exclusion.

O.E : Effectivement, c’est un point essentiel : ce ne sont pas uniquement des personnes en situation de précarité qui partent, mais aussi des profils qualifiés, parfois avec des carrières prometteuses. Leur départ est une perte pour la France, car ils emportent avec eux un capital humain important. Cela souligne aussi que la discrimination touche même ceux qui, sur le papier, ont toutes les chances de réussir.

Le départ est-il toujours définitif, ou observe-t-on des retours en France ?

O.E : On observe ce qu’on appelle des « carrières migratoires » : certains partent, reviennent, puis repartent à nouveau, souvent parce qu’ils réalisent que rien n’a changé en France. Mais, globalement, neuf personnes sur dix ne souhaitent pas revenir. Le sentiment d’être perçu comme « l’autre », même pour des personnes non musulmanes mais à l’apparence arabe, reste un frein majeur au retour.

 

« Aujourd’hui, j’ai envie de dire « pauvre France » ». Mounia, 45 ans.

Quand le départ se concrétise : un nouvelle vie à l’étranger

Pour Mounia, par exemple, partir est un gage de sécurité pour sa famille. Cette mère de deux petites filles est originaire du Maroc. Avec son mari, elle se prépare à déménager à Marrakech : “je vais ouvrir mon agence immobilière là-bas, et mon mari, médecin, son cabinet. Je veux offrir un meilleur avenir à mes filles” déclare-t-elle. Mounia s’est fixé deux ans pour partir, le temps pour ses filles de terminer le collège. 

Émeline Cardon, 28 ans, a fait ce choix. Il y a cinq ans, encore étudiante, elle quitte la France et s’installe à Londres. Aujourd’hui elle est professeure de Français dans la capitale britannique, et peut librement porter son voile au travail. “Ici, ce n’est même pas un sujet de discussion avec mes collègues » se réjouit Émeline Cardon qui s’est tout de suite sentie « bien accueillie » en tant que musulmane et n’envisage « pas du tout » un retour en France.malaisie 

Dans sa nouvelle vie londonienne, Émeline Cardon se réjouit de pouvoir enseigner avec le voile. Crédits : Émeline Cardon

« J’aime ce pays mais je n’ai pas d’autre choix que de le quitter. Des violences islamophobes, je sais que ça va me tomber dessus ici, un jour ou l’autre », Meriem, 21 ans.

Contrairement à ces deux femmes, la plupart des Françaises musulmanes n’osent pas encore franchir le pas et le départ reste souvent un projet. La plupart n’ont jamais vécu à l’étranger et savent que la culture française pourrait leur manquer : “je sais que je pourrais moins sortir pour m’amuser et puis le pain et le fromage ça va me manquer quand même”, sourit Meriem, une étudiante de 21 ans qui prévoit de s’installer en Algérie après ses études. 

 

 

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Niveththika, elle, rêve de s’installer en Malaisie dans les prochaines années. Pour l’instant, elle se contente d’imaginer cette nouvelle vie à travers les réseaux sociaux et les récits de ses amies déjà installées là-bas. Cette destination fait rêver de nombreuses femmes musulmanes françaises : “Je n’ai eu que des retours positifs. Ils n’y a pas de souci par rapport à l’islam », affirme -t-elle. La Malaise lui apparaît comme un lieu “d’ouverture” où l’on peut “pratiquer librement” sa religion. 

Beaucoup de femmes musulmanes s’accordent sur un point :  selon elles, la laïcité n’est pas appliquée de la même manière pour toutes les religions en France. Crédits : AEI

L’islamophobie en France, la grande coupable des départs pour les femmes musulmanes

Le climat d’islamophobie que ces femmes musulmanes ressentent en France devient pour la plupart insupportable. « Aujourd’hui, j’ai envie de dire ‘pauvre France””, s’exclame Mounia. Meriam, elle, encourage toute personne qui le peut à partir : « J’aime ce pays mais je n’ai pas d’autre choix que de le quitter. Des violences islamophobes, je sais que ça va me tomber dessus ici, un jour ou l’autre » regrette-t-elle. Mounia est convaincue « Si je pars, c’est définitif, le départ est vital ». Ces femmes musulmanes se sentent étrangères dans leur propre pays. Pour elles, c’est un « départ par dépit d’un pays lié à la mentalité fermée en France “, note Mounia : « En France, il y a la phobie de tout ce qui est différent de nous, de l’étranger au sens propre du terme.“ Aujourd’hui, être musulman ce n’est même plus vu comme une religion mais comme une origine ». Un climat anxiogène qu’Amira ressent depuis les attentats contre Charlie Hebdo en 2015.

L’islamophobie est la première raison qui poussent toutes ces femmes à partir. Nassima*, étudiante, ne se sent plus en sécurité : “On m’a déjà suivie dans la rue, insultée, craché au visage, parce que je suis voilée.” Entre janvier et mars 2025, 79 actes antimusulmans (agressions physiques, verbales, assassinats, viols) ont été recensés en France par la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), selon le ministère de l’Intérieur. Ces chiffres sont en hausse de 72% par rapport au premier trimestre 2024. Il ne s’agit que d’actes des signalés aux autorités. 

Pour de nombreuses femmes musulmanes considèrent la Grande Mosquée de Paris comme un lieu sûr où elles peuvent pratiquer sereinement leur religion. Crédits : AEI

L’islamophobie est la première raison qui poussent toutes ces femmes à partir. Nassima, étudiante, ne se sent plus en sécurité : “On m’a déjà suivie dans la rue, insultée, crachée au visage, parce que je suis voilée.” Entre janvier et mars 2025, 79 actes antimusulmans (agressions physiques, verbales, assassinats, viols) ont été recensés en France par la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), selon le ministère de l’Intérieur. Ces chiffres sont en hausse de 72% par rapport au premier trimestre 2024. Il ne s’agit que d’actes des signalés aux autorités. 

INFOGRAPHIE : quels sont les principaux motifs qui poussent au départ les femmes musulmanes qui affirment ressentir une « atmosphère islamophobe  » en France ?

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Le voile, un signe religieux au coeur de l’islamophobie ressentie par les femmes musulmanes

Depuis son choix de porter le voile, Nassima s’attriste d’avoir perdu progressivement des amies. Elle a constaté dès l’enfance que le voile de sa mère posait problème : « pour les sorties scolaires, les enseignants trouvaient toujours des excuses pour qu’elle ne vienne pas. En 2023, la proposition de loi pour interdire les signes religieux lors des sorties scolaires, a heurté les musulmanes et suscité des débats médiatiques.

Meriem, elle, est consciente que ce signe religieux va de pair avec de nombreuses idées reçues. Depuis qu’elle porte le voile, elle explique ressentir un changement dans le regard des gens. « On me voit tout de suite comme une femme dure ou coincée. Les gens pensent qu’avec le voile, on pratique la religion à l’extrême. Heureusement, mes amies ont compris que j’étais restée la même » se rassure la française d’origine kabyle. Selon elle, son voile devrait être perçu positivement. « Il m’apporte de la sérénité, je me sens appartenir davantage à une communauté. Il faut rappeler que personne ne nous oblige à le porter, c’est un choix personnel ». De son côté Nassima. s’est parfois étonnée de voir des personnes lui parler comme si elle ne comprenait pas le français. « À cause du voile, j’ai l’impression qu’on est vues comme des bêtes de foire, les gens se croient tout permis ». 

 

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Islamophobie : un phénomène spécifique à la France ?

Toutes, relèvent en France une « obsession » autour des musulmans dans le débat public, tant au niveau médiatique que politique. « En France, les gens sont contre nous. Je pense qu’il y a d’autres problèmes plus importants à traiter dans le média, ils ne parlent que des musulmans, c’est déprimant  » déplore Mounia. Si la mère de famille porte un intérêt plutôt marqué pour l’actualité, elle avoue avoir arrêté de regarder la télévision. « Elle véhicule les mauvais messages sur les musulmans, surtout depuis le 7 octobre 2023, et les gens n’ont pas forcément tous les éléments pour les interpréter ». Meriem pointe du doigt un problème de représentativité de la communauté musulmane à la télévision. « Les femmes musulmanes ne sont jamais invitées sur les plateaux lors des débats sur le voile » s’agace-t-elle.

Pour les femmes rencontrées les principales violences qu’elles subissent dans l’espace public sont initiées par l’identifcation de leur voile. Crédits : AEI

En France, le mot “islamophobie” est loin d’être neutre : il cristallise les tensions et divise jusque dans les plus hautes sphères de l’État. De Sébastien Chenu (Rassemblement national) à Aurore Bergé (ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes), en passant par le député socialiste Jérôme Guedj, nombreux sont les responsables politiques à refuser de l’employer. Au sein du gouvernement, Manuel Valls s’est montré particulièrement virulent sur RTL en avril 2025. Reprenant les arguments de l’essayiste Caroline Fourest, il affirme que le terme aurait été forgé “il y a plus de 30 ans par les mollahs iraniens”, et qu’il ne faut “jamais employer les mots de l’adversaire”. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau parle, lui, d’“actes anti-musulmans”, tout comme Gabriel Attal. Aurore Bergé, elle pense que « islamophobie » « n’est pas un terme approprié ». Une position largement partagée dans la majorité présidentielle. Pourtant, des chercheurs comme Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat rappellent que le mot apparaît dès 1910, utilisé par des ethnologues pour désigner un préjugé occidental à l’égard de l’islam. Le seul membre du gouvernement à avoir publiquement parlé d’“ignominie islamophobe” esT François Bayrou, lui-même chef de ce gouvernement, dans un tweet le 26 avril, après l’assassinat d’Aboubakar Cissé, 23 ans, tué dans une mosquée du Gard.

La laïcité en France : à revoir ?

Ces jeunes femmes s’accordent sur un point : la laïcité n’est pas appliquée de la même manière   pour toutes les religions. « Les chrétiens ou les juifs qui portent une croix ou une kippa posent moins problème que nous, avec le voile. Pourtant, c’est un signe religieux comme les autres, on devrait tous être traités pareils », soupire Meriem. Elle considère que le concept de « laïcité à la française » est à revoir. « Il est temps d’évoluer avec son temps. Il y a des pays qui autorisent la pratique de la religion dans l’espace public, comme dans le modèle anglo-saxon ou canadien. Il faudrait selon moi permettre tous les signes. Ça s’appelle juste le respect de la religion des autres ». Mounia explique : « Pour moi, il n’y a pas de différence entre être musulman ou Français. On est Français, puis après la religion relève de l’ordre du privé ». 

Le voile, entre France, Angleterre et  Iran : trois modèles, trois visions 

France et Angleterre incarnent deux modèles opposés sur la question du voile. En France, la laïcité se traduit par une législation stricte : depuis 2004, les signes religieux ostensibles, dont le voile, sont interdits à l’école publique, et la loi de 2010 bannit le voile intégral dans l’espace public. Cette politique vise à préserver la neutralité de l’espace public, quitte à restreindre la liberté individuelle.

À l’inverse, l’Angleterre défend la liberté religieuse : aucune loi n’interdit le port du voile, qu’il soit simple ou intégral, dans l’espace public ou à l’école. L’Equality Act de 2010 protège le droit d’exprimer sa foi, et la majorité des écoles autorisent le port du voile avec l’uniforme. Les codes vestimentaires existent mais doivent respecter la non-discrimination. Ainsi, le port du voile reste un choix personnel, visible et accepté dans toutes les sphères de la société britannique.

Mais à l’autre bout du spectre, certains pays moins démocratiques rendent le port du voile obligatoire. En Iran, la loi impose le hijab à toutes les femmes, locales ou étrangères, sous peine de sanctions sévères : amendes, emprisonnement, voire flagellation. La récente législation iranienne renforce encore cette obligation, malgré une contestation sociale croissante.

*Le prénom a été modifié

INFOGRAPHIE : qui sont les femmes musulmanes qui décident de quitter la France en raison de « l’atmosphère islamophobe » qu’elles affirment ressentir ?

Source : données statistiques issues de l’ouvrage La France tu l’aimes mais tu la quittes, Enquête sur la diaspora française musulmane, Olivier ESTEVES, Alice PICARD, Julien TALPIN

VIDÉO : 5 minutes pour comprendre nos infographies à propos des femmes musulmanes qui décident de quitter la France

Fatou-Laure Diouf, Elena Vazquez, Ana Escapil-Inchauspé

Cyber-attaque : les victimes face aux répercussions psychologiques

Alors que les cyber-attaques sont de plus en plus récurrentes, les préjudices psychologiques laissés aux victimes sont parfois plus importants que les préjudices financiers. Selon une étude Ipsos, une victime sur dix souffre de dépression, d’anxiété ou encore de perte de confiance en soi.

Les cyber-attaques sont-elles devenues le mal de ce nouveau siècle ? Les entreprises sont de plus en plus souvent victimes de « ransomware », ou rançongiciel, un logiciel espion qui crypte les données et demande une rançon pour les débloquer. Ces attaques, d’après le gouvernement, ont atteint un niveau record depuis quatre ans, tous publics confondus, en augmentant de 12%.

Mais les particuliers sont eux aussi touchés par les cyber-attaques en tout genre. C’est ce que confirme une étude réalisée par Ipsos pour cybermalveillance.gouv.fr, et publiée le 12 septembre. Cette étude révèle, entre autres, qu’une personne sur dix victime de cyber-attaque souffre, en plus, de séquelles psychologiques par la suite, notamment d’anxiété, de dépression ou de perte de confiance en soi. Des séquelles qui peuvent se ressentir à court, moyen ou long terme.

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« Ça fait peur »

Un sentiment partagé par Corentin Reeb. Le jeune homme, âgé de 23 ans, a été victime d’une arnaque à la cryptomonnaie, à cause de laquelle il s’est endetté à hauteur de 5 000 euros il y a trois ans. Pour lui, et bien qu’il peine à l’avouer, l’impact psychologique de cette escroquerie est bien réel. « Ça fait peur, admet-il, tu ne sais pas qui tu as en face, il peut avoir mon adresse et venir à tout moment », se soucie celui qui a l’habitude de perdre de l’argent à cause des paris sportifs. « J’y pense encore trois ans après. Pour rembourser cette somme, il fallait que quelqu’un me prête des sous, sinon, j’étais interdit bancaire. C’est ma tante qui m’a avancé les frais. Aujourd’hui, j’ai encore mille euros à lui rembourser… », détaille le jeune homme. 

Comme lui, en 2023, ils sont plus de 50 000 professionnels et particuliers à avoir cherché de l’aide au sujet du « phishing », ou hameçonnage, une méthode utilisée par les hackers pour récupérer des informations personnelles ou de l’argent. D’après le gouvernement, cette arnaque reste la principale menace en ligne pour toutes les catégories de personnes. Et chaque année, le chiffre progresse.

La peur, c’est aussi le sentiment qui a dominé Lucie Lapalme, jeune ostéopathe animalière de 23 ans, qui s’est fait usurper son identité à quatre reprises sur Instagram. « Se dire que quelqu’un peut avoir mes informations de l’intérieur, avec toutes mes discussions et tout ce qui m’appartient, ça a été un petit peu difficile », se souvient-elle. « Ça m’a vraiment angoissé de me dire que je pouvais potentiellement perdre toute cette partie de mon identité ». Cette angoisse, elle arrive désormais à mieux la gérer, alors qu’une nouvelle tentative d’usurpation peut ressurgir n’importe quand.

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Un impact émotionnel systématique

D’après le gouvernement, en 2023, le piratage des comptes en ligne, qui peut amener, à terme, à « l’usurpation d’identité » et à un « préjudice financier », est une « menace majeure » ainsi que la deuxième cause de cyber-attaque en France.

Selon une étude menée par l’université de Cambridge, qui analyse l’impact émotionnel des arnaques financières sur les individus, « les participants ont systématiquement rapporté que l’impact émotionnel était plus grave que l’impact financier, quel que soit le type de fraude ».

Malgré les résultats de cette étude, l’état de la santé mentale des victimes, après ce type de préjudice, reste tout de même peu documenté et reste difficile à évaluer.

 

Romain Tible

La difficile équation pour les collectivités territoriales de conjuguer transition écologique et renflouement des caisses publiques

Alors que Bruno Le Maire, désormais ancien ministre de l’Économie et des Finances, n’a cessé de réprimander les collectivités territoriales ces derniers jours, les accusant d’être responsable du dérapage des finances publiques, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) estime que les collectivités locales devraient investir encore plus d’argent, à hauteur de 19 milliards d’euros, pour respecter les engagements climatiques nationaux.

Dix-neuf milliards d’euros d’investissement par an, voilà ce que préconise l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) vendredi 13 septembre dans leur constat intitulé « Panorama des financements climat des collectivités locales », à l’ensemble des collectivités territoriales pour que celles-ci atteignent les objectifs climatiques que s’est donné la France d’ici 2030. Une somme relativement moins importante que ce que préconisait en avril dernier l’Inspection générale des finances (IGF) qui évaluait ces investissements à hauteur de 21 milliards d’euros par an.

Un écueil s’oppose toutefois à ces estimations : les critiques répétées des ministres démissionnaires de l’Économie et du Budget, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, qui accusent les collectivités locales d’être à l’origine de 16 milliards d’euros de dépenses non prévues initialement. Dans un communiqué de presse, l’Association des maires de France (AMF) se défend en rappelant que « les collectivités territoriales (régions, départements, communautés de communes, communes), malgré des erreurs de gestion qui peuvent toujours exister, ne sont pas à l’origine des problèmes des comptes publics ». Et d’ajouter : « Les finances locales sont obligatoirement à l’équilibre, car les collectivités (…) ne peuvent pas voter de budget en déficit », tout en concluant qu’il s’agit là d’une « mise en cause grossière » dans un but de « masquer la situation désastreuse des comptes d’État ».

Les calculs réalisés par l’I4EC, qui estiment une hausse des investissements des collectivités (19 milliards d’euros), demanderaient donc un effort plus important que durant l’année écoulée. En effet, comme le détaille pour le Celsalab, Axel Erba, chercheur en économie et climat à l’I4CE, « les investissements totaux en matière de transition écologique s’élève à « seulement » 10 milliards d’euros pour l’année écoulée.»

Une redirection arbitraire des investissements pour mener ces combats à bien

« Les collectivités locales sont cruciales dans la transition écologique pour deux raisons principales, explique le chercheur. Leurs compétences en termes de rénovation du patrimoine (réduire la consommation énergétique des bâtiments, isolation thermique, ventilation, remplacement des chaudières gaz ou fioul etc.) et d’amélioration de la mobilité (achat de matériel décarboné, ouverture de lignes ferroviaires, étendre les dispositifs de transport en commun) leur incombent d’agir efficacement et activement dans ces domaines afin d’atteindre les objectifs demandés. »

Si l’équation semble difficile pour ces collectivités qui doivent accentuer leurs investissements sans que la facture finale ne s’alourdisse, elle n’en est pas pour autant impossible. Dans l’étude rapportée par l’Institut de l’économie pour le climat, quatre piliers distincts pourraient contribuer à atteindre les objectifs de 2030. Cependant, ceux-ci doivent être mobilisés au travers d’une coopération simultanée entre l’État et les collectivités.

« Premièrement, les collectivités doivent accélérer la redirection de certains de leurs investissements actuels en faveur du climat, explique Axel Erba. Ça se réalisera par des décisions arbitraires des communes au détriment d’autres secteurs », admet-il. « Cela n’est pas impossible. Ça dépendra des politiques décidées par les collectivités. » Comme le montre l’étude, un tel changement s’est déjà vu ces dernières années : « Entre 2017 et 2023, les investissements climat sont passés de 9,5 % à 13 % des dépenses. »

Parmi les autres piliers théorisés par l’I4CE, il y a le recours « accru » aux emprunts pour financer ces investissements, « mais cela reste compliqué à estimer au niveau national ».  L’État a aussi un rôle majeur à jouer pour atteindre les objectifs et aider les collectivités à réaliser leur travail. « Le soutien de l’État par les dotations doit être rendu plus stable dans le temps », demandent les chercheurs ayant participé à cette étude.

Le projet de loi de finances 2025, la grande incertitude

Alors que le projet de loi de finances 2025, qui accuse déjà du retard, devrait garder comme priorité le redressement des finances publiques, certains représentants de collectivités craignent déjà des coupes budgétaires sur les aides et fonds alloués à la transition écologique, notamment sur une potentielle diminution du Fonds vert. Pour rappel, le Fonds vert a déjà été amputé d’1,5 milliard d’euros par le gouvernement en toute fin d’été, le faisant passer de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard en 2025.

Les élus représentant les territoires et l’ensemble des collectivités attendent donc le nouveau Premier ministre Michel Barnier au tournant. Début septembre, Benoît Leguet, directeur de l’I4CE, demandait que soit présenter par le gouvernement « un projet de loi de finances compatible avec la planification écologique « sincère » ».

Vincent Danilo

Le théâtre de la justice trouve son public sur le grand écran

Le Fil, Le procès du chien, Anatomie d’une chute, Saint Omer ou encore Le Procès Goldman : les films de procès se multiplient ces dernières années. Et parmi eux, on retrouve notamment des huis clos. Le tribunal se suffit alors à lui-même, où du moins l’histoire qui s’y déroule. Déjà Antoine Reinartz, procureur dans Anatomie d’une chute faisait parler de lui, et maintenant c’est Daniel Auteuil dans la peau d’un avocat qui s’empare des écrans, des panneaux d’affichage et des interviews avec Le Fil.

En France, il semble bien y avoir une vague d’engouement pour les films sur le milieu judiciaires qui s’empare des salles de cinéma. Depuis 2020, les films français sur le monde judiciaire connaissent un grand succès, jusqu’outre atlantique pour Anatomie d’une chute de Justine Triet et sa Palme d’Or 2023. Ce goût pour les histoires de justice ne date pas d’hier, il faut le reconnaître. Mais là où le cinéma français se démarque, c’est dans sa manière de représenter les procès, les audiences et les métiers de la justice.

Etats-Unis de contrats, France de lois

Alors que les procès des États-Unis sont largement relayés sur la toile – la plupart son filmés – en France la loi rend le tribunal beaucoup plus mystérieux pour les néophytes. Dans une interview accordée à Contreligne, Thibault de Ravel d’Esclapon, auteur de La justice au cinéma, explique qu’aux Etats-Unis, si les films sur le système judiciaire sont plus photogéniques, c’est pas ce que « le cinéma américain offrirait le meilleur du film de prétoire, ce qui serait dû à la nature de sa procédure, de type accusatoire ». Il évoque notamment le film Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger. Patrick Maus est délégué général de l’association Cinéfac, organisateur du festival CineComédies et a passé quelques années sur les bancs des facultés de droit. « La différence de traitement des procès dans le cinéma français est lié à une différence de système judiciaire entre la France et les Etats-Unis. En France, normalement on n’a pas le droit de filmer les procès, sauf pour les procès d’exception comme celui de Klaus Barbie, ou de Maurice Papon. Ce sont des procès qui ne sont pas d’abord filmé dans une optique cinématographique mais cela permet de trouver une trace historique ». Alors en France, il y a bien une patte du cinéma sur le monde des tribunaux, « C’est lié à la culture juridique et au fonctionnement de la justice. Dans le cinéma américain, on voit un pays extrêmement contractuel. Il y a une culture du contrat et de compromis aux Etats Unis alors qu’en France c’est une culture de la loi » précise Patrick Maus.

Le tribunal, un théâtre à huis clos

Rares sont les procès desquels on capte des images pour le grand public. Et la seule manière de pénétrer les tribunaux autrement que par la porte, c’est par le grand écran. Lieu de confinement, de débat, cœur d’un système complexe de justice, le tribunal jouit d’une aura particulière et devient le théâtre favori des drames à huis clos. Mais c’est tout de même outre-Atlantique que les « avocats sont plus comédiens. Ils doivent convaincre des jurys composés de civils mais aussi enquêter. On le voit notamment dans Erin Brockovich, seule contre tous(2000) qui met en scène une class action. En France, il s’agit de convaincre le juge d’instruction seulement. » Car aux Assises le procès est essentiellement oral, « il y a donc nécessairement une théâtralité » analyse Patrick Maus. Cela permet d’avoir toutes les histoires racontées dans un seul et même lieu. Si de plus en plus de films traitent de procès avec une cinématographie de huis clos partiel ou total, c’est tout de même assez récent par rapport à nos congénères étatsuniens. Le tribunal français est un lieu peu ouvert au public et chacun y a son rôle. Par exemple, l’avocat doit, dans la majorité des procédures, ne convaincre que le juge et non pas des civils, il ne mène pas l’enquête pendant le procès et n’est sensé parler aux témoins qu’en présence d’un procureur.

Faites entrer la monnaie

Outre un attrait pour les histoires dites de police-justice, il faut également prendre en compte le fonctionnement l’industrie du cinéma actuel. Patrick Maus rappelle qu’il faut aussi « regarder du côté de la télévision et des documentaires ». Un tournant est essentiel à prendre en compte ce féru de cinéma, « le premier procès filmé, celui de Klaus Barbie. Comme cela s’est bien passé, cela a poussé les tribunaux à ouvrir leurs portes ». Puis les séries importées des États-Unis ont contribué à habituer le public au jargon juridique.

Désormais, ce qui fait que l’on voit de nombreux films dont la plupart de l’action se trouve dans un tribunal, c’est aussi parce que « ce sont des films relativement faciles à écrire », souvent inspirés de faits réels, « mais aussi faciles à produire car ils ne demandent pas de gros moyens. Pour les producteurs, ce sont aussi des films qui ramènent un public habitué et qui rassure. Du côté des auteurs, il y a aussi beaucoup d’évènements d’actualité qui inspirent ». Enfin, il ne faut pas laisser de côté un aspect purement pécunier ; les finances du système judiciaire en France faiblissent et Patrick Maus insiste : « On filme de plus en plus de procès, alors qu’avant les tribunaux refusaient. Mais c’est aussi une manière de mettre en valeur un patrimoine – des missions spéciales proposent des salles d’audience aux réalisateurs. Ça rapporte de l’argent et le président d’un tribunal est responsable d’un budget ».

Eléonore Claude