Une lettre ouverte pour sauver le patrimoine français

A l’occasion du Salon international du patrimoine culturel, plusieurs institutions sont venues présenter cet après-midi leur « Lettre ouverte aux Français et à leurs élus », paru hier. Lors d’une conférence au Carrousel du Louvre, ils ont présenté vingt-deux propositions concrètes pour améliorer la protection du patrimoine français ainsi que sa sauvegarde et contourner les failles du système actuel.

 

C’est sous la forme d’un livret blanc à la couverture épurée que onze institutions de la société civile ont souhaité s’adresser aux Français et à leurs élus. Une vingtaine d’exemplaires sont parfaitement alignés dans la salle de conférence et les spectateurs ne tardent pas à s’en procurer un. Membres d’associations, professionnels du patrimoine ou bien simple amateurs concernés, ils sont venus nombreux afin de découvrir les vingt-deux propositions retenues pour la protection du patrimoine français. Une grande première, comme le souligne Philippe Toussaint, membre de l’association « Vieilles maisons françaises » : « Nous avons réfléchi pendant un an à des propositions utiles pour l’avenir du patrimoine. Et c’est la première fois que différentes institutions se rassemblent pour en faire part ».

 

Une délégation interministérielle pour encadrer cette sauvegarde

Au fil d’une centaine de pages, ces différentes idées reviennent sur quatre grands thèmes : la définition du patrimoine, sa gouvernance, sa transmission et les aspects économiques qui lui sont liés. La date de cette publication n’est pas anodine non plus : les institutions souhaitaient faire paraître leur livre blanc avant 2017 et ses élections, afin de créer le débat et d’attirer l’attention des politiques. Pour Philippe Toussaint une chose est sûre, « il n’y a pas d’action efficace dans le domaine du patrimoine s’il n’y a pas d’action globale ».  Pour se faire, cette lettre ouverte souligne l’importance de l’Etat dans sa mission de protection. Et pour aller plus loin, elle propose également la création d’une délégation interministérielle aux patrimoines et aux sites qui aurait un rôle auprès des politiques, ainsi qu’un certain pouvoir hiérarchique envers les administrations. L’objectif : mettre en valeur les enjeux sociaux, économiques, touristiques et historiques de la politique du patrimoine. Un délégué interministériel pourrait ainsi aider à la coordination des décisions prises pour les sites par exemple.

 

Le « petit patrimoine », ou les failles d’un inventaire exhaustif

Les différentes propositions s’enchaînent et sont décryptées, et plusieurs membres d’institutions prennent la parole. De l’éducation au développement des filières en apprentissage pour transmettre le patrimoine, en passant par la revalorisation des métiers d’art pour le faire perdurer : beaucoup de domaines permettent la sauvegarde du patrimoine français et doivent se développer. Mais cette protection a de nombreuses failles, notamment en ce qui concerne « le petit patrimoine », cette culture de proximité mal recensée qui passe notamment par le bâti rural. « La difficulté du patrimoine non protégé est qu’aujourd’hui personne ne peut le chiffrer », poursuit Philippe Toussaint. Depuis 2005, un processus de décentralisation a confié les services de l’inventaire aux régions, ce qui empêche un recensement exhaustif et identique sur l’ensemble du territoire. Beaucoup de « trésors français » sont ainsi oubliés et se dégradent au fil du temps : en trente ans, un tiers du « petit patrimoine » a disparu. Pour pallier ce problème, la lettre ouverte propose de reconnaître ce patrimoine non-protégé à travers un inventaire, en suivant le modèle allemand. Ce qui faciliterait l’encadrement des travaux et l’attribution des aides financières. Mais à l’échelle des villes, cette notion d’inventaire global dépendra également de l’intérêt des maires pour faire valoir leur patrimoine, comme l’ajoute Alain de la Bretesche, membre de la fédération « Patrimoine et environnement » : « La grande difficulté sera celle des maires de petites communes, il faudra qu’ils défendent leur territoire ».

En attendant 2017 et d’éventuelles nouvelles réformes pour la protection du patrimoine français, cette longue lettre ouverte souhaite prouver que la culture d’hier contribue au dynamisme d’aujourd’hui, en considérant le patrimoine non pas comme une charge, mais comme une richesse.

 

Marie-Hélène Gallay

Prix Goncourt : le tourbillon médiatique

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Baignée d’un soleil hivernal, la Place Gaillon, au coeur de Paris, était le centre de toutes les attentions, ce midi. Une heure avant l’annonce des gagnants des Prix Goncourt et Renaudot 2016, de nombreux journalistes faisaient déjà le pied de grue devant le restaurant centenaire Drouant, rendez-vous traditionnel de l’évènement. Et si, chaque année, c’est le même rituel, l’atmosphère qui y règne est toujours aussi saisissante.

12h30 – hommes de lettres et journalistes se pressent dans le hall de l’établissement, d’où s’élève une rumeur grandissante. Chacun y va de son pronostic, et le nom de la jeune Franco-marocaine Leïla Slimani est dans toutes les bouches. Une masse se forme au pied des marches d’où doit descendre le jury du Goncourt et l’on commence à se marcher dessus, à mesure que l’heure tourne.

Pourtant l’atmosphère est plutôt calme dans l’établissement parisien. Les clients du restaurant affichent un air indifférent, comme s’ils n’avaient pas conscience de l’animation environnante, et les critiques littéraires discutent, accoudés au bar. Seule la foule des journalistes est en pleine effervescence, se préparant à capter le moindre petit détail, le moindre petit mot. On se bouscule déjà, alors que le jury est encore en train de déjeuner et de délibérer dans l’intimité des salons, à l’étage.

Un peu avant 13h, le jury fait son entrée. Du haut de l’escalier, l’écrivain et juré Didier Decoin annonce de manière lapidaire les lauréates du jour. Les pronostics ne se sont pas trompés, le prix Goncourt est décerné à Leïla Slimani pour Chanson douce (éd. Gallimard). Quelques amateurs applaudissent. Ils sont vite rabroués par les journalistes soucieux des images et des sons qu’ils ramèneront à leur rédaction. Le juré reprend, pressé par la foule. La lauréate du prix Renaudot est la romancière et dramaturge Yasmina Reza, pour son roman Babylone (éd. Flammarion). Une fois les noms dévoilés, la masse compacte se disperse pour revenir sur la place, devant le Drouant.

Commence alors une attente impatiente de l’arrivée des deux lauréates, prévenues de leur nomination. Cette fois, malgré le temps clément, l’atmosphère est carrément électrique. Les présentatrices télé piétinent, jetant des coups d’œil inquiets à leur montre, pendant que caméras, perches et micros forment une véritable haie d’honneur au bord de la route. Yasmina Reza est la première à pointer le bout de son nez, Place Gaillon, entourée de deux amies. En quelques secondes, le temps que les journalistes reconnaissent l’auteur-lauréate, la horde l’encercle et l’assaille de questions. Cachée derrière ses lunettes de soleil, elle parvient à s’arracher à la ronde des médias, cramponnée par un voiturier du Drouant, et grimpe vite à l’étage, où l’attendent les jurés.

À l’arrivée de la gagnante du prix Goncourt, la horde se transforme en meute. Sous l’oeil hagard des amateurs venus pour l’occasion, un mouvement de foule se crée autour de Leïla Slimani, qui manque plusieurs fois de se prendre un coup de perche. Bombardée de flashs et de questions, elle finit par abandonner et décide de ne donner aucune réaction avant d’être installée à l’étage, dans le salon gardé par la sécurité.

Après les secousses provoquées par les deux égéries littéraires de 2016, les journalistes quittent les lieux au compte-goutte, tournant les talons sur l’établissement centenaire, laissé en pagaille par ce tourbillon médiatique annuel. Rendez-vous en 2017!

 

Winny Claret

Pour être guide touristique, « il ne suffit pas de regarder sur Wikipédia ! »

Un projet d’arrêté interministériel destiné à élargir l’accès à la profession provoque la colère des guides touristiques, qui craignent l’arrivée d’une horde de concurrents non qualifiés.

 

« Mais elle est où ? Mais elle est où ta formation ? ». Le Conseil d’Etat d’un côté, le musée du Louvre de l’autre. Sur la place du Palais Royal à Paris, les guides-conférenciers étaient mobilisés ce jeudi 3 novembre pour défendre leur profession.

A l’origine de leur colère, un projet d’arrêté interministériel visant à élargir l’accès au métier de guide. Selon ce projet, toute personne avec un master, quel qu’il soit, et un an d’expérience cumulée sur cinq ans dans la présentation du patrimoine pourra prétendre à l’obtention de la carte professionnelle de guide.

Une « aberration » pour les guides. « Comme si un diplômé en biologie pouvait faire des visites » , lance Marie-Paule, qui dresse un parallèle avec les autres secteurs : « Vous imaginez si on faisait pareil pour les médecins ? ». Marie-Paule est guide depuis six ans. Elle travaille aujourd’hui au château de Chantilly dans l’Oise, et a dû pour cela suivre un cursus bien spécifique.

Être guide ne s’improvise pas, plaide Ryoko, agitant une pancarte où est inscrit « Le patrimoine est en danger ». « On étudie un certain temps, on s’investit beaucoup. C’est vraiment un métier de passion : il ne suffit pas de regarder sur Wikipédia ! ». Pour elle, ce projet d’arrêté n’est qu’une stratégie, « très mauvaise », pour réduire les chiffres du chômage « en donnant une carte de guide à tout le monde ».

« Profession sinistrée »

Un peu plus loin, Vincent, guide depuis quinze ans, proteste contre la concurrence déloyale que risque d’instaurer l’arrêté : « On a peur que les agences qui nous emploient ne jouent pas le jeu et embauchent un personnel moins qualifié, qui prétendra à un salaire moins élevé que nous. » Vincent travaille pour Paris City Vision. « Lorsque je parle de notre situation à des clients, raconte-t-il, ils me disent qu’ils veulent des guides qualifiés, comme moi. Mais ils ne sauront pas quelles qualifications a leur guide. »

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La crainte de la précarisation est d’autant plus forte que le secteur du tourisme connaît déjà une période difficile. « Profession sinistrée, enterrez l’arrêté », scandent les manifestants. « La saison a été désastreuse, explique Pascale. Il n’y a pas beaucoup de travail cette année, est-ce que c’est le moment pour un texte comme cela ? On marche sur la tête ! »

Ce n’est pas la première fois que les guides voient leur statut menacé. L’année dernière, une disposition de la loi Macron envisageait purement et simplement la suppression de leur carte professionnelle.

Contre cette nouvelle tentative de déréglementation de leur activité, les guides demandent au gouvernement d’appliquer les normes techniques européennes, qui définissent une formation spécifique pour être guide.

Lundi prochain, une réunion d’information est prévue entre le gouvernement et les principaux représentants de la profession (SPGIC, SNGC, UNSA, FNGIC et ANCOVAR) pour discuter du nouveau texte et de son application.

Richard Duclos

Cannes : ces palmarès qui ont fait parler d’eux

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Moi, Daniel Blake, 2016

Cette année, c’est Ken Loach et son Moi, Daniel Blake, qui remporte la Palme d’or du Festival de Cannes. Un verdict dont la pertinence a été globalement remise en question par la presse depuis hier. Ce qui, en soixante neuf éditions, est loin d’être une première.

“Un palmarès frileux” pour L’Obs, “Une palme navrante et un palmarès inégal” selon Les Inrocks. Côté presse étrangère, il n’est pas non plus difficile de trouver des déçus. Comme avec ce journaliste du Los Angeles Times : “Depuis 11 ans que je me rends au Festival de Cannes, je n’ai pas souvenir d’une pire décision prise par un jury que ce prix”, évoquant Juste la fin du monde, réalisé par Xavier Dolan et qui a reçu le Grand Prix du jury. Ce n’est pas la première fois que les choix d’un jury du Festival de Cannes, sont largement remis en question par les critiques cinéma, ou par les spectateurs. Quand ils ne font pas polémique.

Affiche de la dolce vita
Affiche de la dolce vita, 1960

Immoral. En 1960, la dolce vita de Federico Fellini emporte la Palme d’or. Le film, jugé “immoral”, avait provoqué l’ire du Vatican et du monde ecclésiastique. Son scénario plongeait le spectateur dans la vie d’un journaliste italien, qui profitait pleinement de la vie mondaine de Rome. La presse de gauche se déclarera tout aussi sceptique, le qualifiant de “moralisateur”.

Satan. 27 ans plus tard, Maurice Pialat divise le public du Festival de Cannes en deux, recueillant d’un côté des huées, de l’autre des applaudissements nourris. Son long métrage Sous le soleil de Satan, qui raconte l’histoire d’une jeune femme qui tue son amant, sera vu par certains comme peu abordable. Il répondra dans son discours par une formule pour le moins directe : “Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus”.

Tape-à-l’oeil. Alain Finkielkraut n’a pas attendu Nuit debout pour être polémiste. En 1995 dans Le Monde, il descend Underground, un film d’Emir Kusturica qui retrace l’histoire de l’ex-Yougoslavie, de 1941 à 1992. Sans être le seul à critiquer le versant politique et pro-serbe de l’oeuvre, le philosophe estimera que le jury a “honoré un illustrateur servile et tape-à-l’oeil de clichés criminels ».

Scènes de sexe. Plus récemment, en 2013, c’est La vie d’Adèle d’Abdellatif Kéchiche qui a inspiré de nombreuses Unes de journaux. Conditions de tournage douteuses, mauvaises relations entre actrices principales et réalisateur, scènes de sexe explicites…

Avec des avis qui sont tous négatifs, tous positifs, violents ou excessivement élogieux, la remise des prix est l’occasion chaque année d’échanges passionnés, dans la presse ou dans la rue.

Finalement, c’est peut-être le journaliste Vincent Manilève qui a raison. Dans un article publié lundi sur Slate, il relativise: “Les récompenses cannoises dépendent de la subjectivité de neuf personnes, pas d’un consensus critique”. Inutile de s’enflammer, donc.
Victorien Willaume