Chargeur unique : Apple s’oppose à la proposition de la Commission européenne

 

Un projet de réglementation européenne veut imposer un chargeur universel pour smartphones et petits appareils électroniques. Cette annonce de la Commission européenne suscite déjà le mécontentement de l’entreprise américaine Apple.

Smartphones, tablettes, casques audios, enceintes, … Pouvoir recharger tous ces appareils de la même manière, une proposition de la Commission européenne qui souhaite imposer un chargeur universel.

Pour autant, l’idée ne semble pas encore faire l’unanimité. Le géant américain Apple s’est déjà opposé au projet. « Cette réglementation nuirait aux consommateurs en Europe et dans le monde », estime l’entreprise.

La Commission européenne propose un délai de 24 mois pour assurer la transition avec le nouveau port de chargement unique. Une transition précipitée selon Apple, qui invoque le nombre de déchets électroniques qui seront générés après l’application de cette mesure et des filières de recyclage potentiellement dépassées.

Une proposition économique et environnementale

De son côté, au contraire, Bruxelles assure que grâce à cette mesure, les déchets de chargeurs non utilisés devraient passer de 11 000 tonnes par an à 1000. « Une victoire pour l’environnement », selon Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence. De même, les consommateurs européens pourraient économiser au moins 250 millions d’euros par an en achat de chargeurs seuls.

Enfin, selon Apple, cette nouvelle mesure « étoufferait l’innovation au lieu de l’encourager ». La Commission européenne assure quant à elle que l’instauration d’un chargeur universel n’aura pas d’impact sur les projets d’innovants portés par les entreprises. Par exemple, les techniques de chargement sans fil ne sont pas inclues dans ce projet de réglementation. Bruxelles estime que les recherches sur ce nouveau procédé de chargement méritent encore d’être développées.

A.G.

Des soirées aux examens, quand drogue rime avec études

La population étudiante est plus encline à consommer des substances psychotropes que les jeunes du même âge. Que ce soit en soirée, ou face à la pression des concours, les tentations sont grandes. Quels sont les risques auxquels ils font face ? Enquête.

« Je suis addict à la coke ». Alex, étudiant en neurosciences, ose parler de son addiction. Mais il n’est pas le seul. Au moins 41 % des jeunes de 17 ans déclarent avoir pris au cours de leur vie au moins un médicament psychotrope en 2011, selon une expertise collective de l’Inserm parue en 2014. Pour la docteure Edith Gouyon, l’abus de psychotropes peut conduire à la dépendance psychique et physique.

Au-delà du tabac, de l’alcool et du cannabis, les étudiants ont parfois recours à des psychostimulants, des bêtabloquants et des antidépresseurs, notamment pour faire face au stress des études. Les étudiants consomment plus de médicaments que les personnes du même âge non-étudiants. Plusieurs phénomènes expliquent le recours à des substances et des drogues sur ordonnance.

Du plaisir à la gestion du stress

Les drogues prises pendant les soirées sont associées au plaisir. Il s’agit du tabac, de l’alcool, du cannabis et de drogues plus puissantes comme la cocaïne ou la MDMA. Le tabac et l’alcool, ainsi que les boissons énergisantes mélangées à de l’alcool, sont également très présentes chez les populations lycéennes et les jeunes étudiants. À 17 ans, 8,7 % ont déjà une consommation régulière d’alcool.

Par ailleurs, certaines molécules peuvent également être un moyen de faire face au stress : fumer du cannabis pour se détendre, faire des pauses cigarette pendant les sessions de révision ou entre les cours. Les drogues sont même parfois un moyen de se doper pendant les examens.

Drogues et études, psychotropes, stimulants, substances récréativesPour Anne Batisse, docteure en pharmacie au Centre d’Evaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance (CEID), la prise de substances pour faire face au stress est une conduite dopante.

Selon une enquête de l’Observatoire national de la vie étudiante, environ 4 % des personnes inscrites à l’université consommeraient des psychostimulants afin d’améliorer leurs performances ou réussir un examen, soit environ 100 000 étudiants. Dans l’étude COSYS du CEID, 20 % des étudiants utilisant des psychotropes confient le faire pour gérer leur stress. Ils ont alors recours à plus de substance illicites (cannabis) que licites (anxiolytiques).

Dopage aux amphétamines

Plaisir et productivité peuvent même s’entremêler. Certaines drogues ou substances légales sont en effet associées à une volonté de productivité accrue : café, boissons énergisantes (Red Bull), médicaments sans ordonnance comme des vitamines ou des antiasthéniques (Guronsan). Pour améliorer leurs performances aux examens, certains étudiants ont de plus recours à des dérivés d’amphétamines, comme la Ritaline.

Ce médicament, équivalent français de l’Adderall américain, est normalement prescrit dans les cas de troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Consommé pour améliorer les performances, l’Adderall ou la Ritaline permettent de mieux se concentrer. Aux États-Unis, des associations alertent sur les sur-diagnostics d’hyperactivité, conduisant à un véritable dopage généralisé dans le milieu étudiant.

Même la cocaïne peut être prise dans cet objectif de productivité, lors des révisions ou des examens, bien que ses effets soient moins positifs que ceux de la Ritaline. Elle peut en effet entraîner une baisse de la concentration et des conséquences négatives comme une « redescente » douloureuse. D’autres substances illégales retrouvées dans les soirées étudiantes au même titre que la cocaïne, comme la MDMA et l’ecstasy, sont quant à elles plutôt prisées dans ce seul cadre récréatif.

Pour affronter leur stress, les étudiants ont parfois recours à des anxiolytiques (15 % des médicaments les plus expérimentés), normalement prescrits sur ordonnance, voire à des somnifères (11 %) ou des antidépresseurs (6 %). La pression des études est très marquée dans des filières sélectives, comme la première année commune aux études de santé (PACES).

Les carabins, fortement exposés à un impératif de productivité, sont parmi les étudiants prenant le plus de drogues, légales ou non, pour booster leurs performances et gérer leur stress. Dans une thèse sur les prises de stimulants chez les étudiants en médecine, Julie Delay observe en effet que les psychotropes sont principalement pris pour dormir (66,8 %) et contre le stress (56,3 %).

Psychostimulants stress réussite dopage compétitionLa prise de drogues peut débuter dès le lycée ou lors du commencement des études. C’est notamment le cas d’Antoine*, étudiant en classe préparatoire. « J’ai commencé à prendre de la drogue dès la première année où je suis arrivé en étude supérieure. Au lycée j’étais plutôt réservé, j’allais pas trop en soirée. J’ai d’abord commencé par fumer des joints en soirée avec mes potes, puis j’ai rencontré une meuf qui était dans un groupe qui tapait de la coke pour aller en boîte. Après c’est devenu une habitude quand je sortais ou que je faisais des soirées chez moi ». La cocaïne, prise par Antoine comme une substance récréative, est cependant devenue une addiction.

Dépendance ou addiction ?

Plusieurs critères sont à prendre en compte pour qualifier un usage d’addiction. Selon Stéphanie Caillé-Garnier, neurobiologiste de l’addiction à l’Université de Bordeaux, « la chronicité ne va pas suffire à parler de problèmes d’addiction ».

Il s’agit d’un « désordre psychiatrique » caractérisé par « la perte de contrôle, le fait de se mettre en danger, le fait d’avoir des problèmes récurrents dans sa vie sociale à cause de sa consommation, et le « craving », le fait d’avoir toujours envie de consommer en dépit de la connaissance des conséquences négatives ». Répondre au moins à deux de ces critères permet de parler d’une addiction légère. Au-delà de cinq critères, l’addiction est qualifiée de sévère.

La pandémie de Covid-19 a mis un coup d’arrêt brutal aux soirées et à la vie sociale des étudiants. Se retrouvant souvent à suivre des cours depuis chez eux, sur leur ordinateur, la moitié d’entre eux souffrent d’anxiété ou de dépression.

Pour Anne Batisse, « on est dans une période à risque donc pas mal d’étudiants peuvent tomber dans des abus et des usages nocifs ». Elle souligne néanmoins que la reprise d’une vie normale implique bien souvent un abandon de certaines pratiques addictives.

Étudiants, cannabis, drogues, révisions
Drogues et révisions : mélange parfois contre-productif. Illustration. © Pierre Berge-Cia

Antoine sait qu’il est tombé dans l’addiction. « Avec le Covid je ne sors plus, mais je consomme toujours autant. Genre, je vois mon dealer plus que mes potes j’ai l’impression ». L’étudiant garde sa consommation secrète, sauf auprès de ses amis proches.

La docteure Florence Tual, coordinatrice régionale addiction au sein de l’ARS Bretagne, s’inquiète : « Ce qui est clair dans les premiers résultats de nos nouvelles études, c’est que la pandémie de coronavirus a joué un rôle dans l’évolution de la consommation. La première raison, c’est l’isolement. Certaines pratiques ont diminué, comme l’alcool, certaines ont augmenté comme la cocaïne et les psychotropes. Nous observons notamment beaucoup de nouveaux consommateurs. C’est très préoccupant ».

Une situation étudiante globale

Pour Chrystelle Artus, infirmière et intervenante scolaire dans la région d’Annecy, le profil d’Antoine n’est pas unique. Elle relève que les addictions se retrouvent chez tous les étudiants, quelle que soit leur origine sociale. « Là où je suis, il y a des gens qui travaillent en Suisse et gagnent super bien leur vie. Mais les enfants de frontaliers ont les mêmes problèmes que les enfants de salariés d’usine ».

L’infirmière souligne l’importance de la « courbe de déplaisir », pour faire comprendre aux jeunes, dès le lycée, qu’ils sont peut-être tombés dans l’addiction : « pour avoir l’effet que je connaissais sur le mode plaisir, il faut que j’aille prendre plus d’alcool, plus de tabac, plus de trucs ». Ce désir de prendre toujours plus d’une substance, pour obtenir une satisfaction, se retrouve chez de nombreux étudiants, parfois en parallèle de la question de la réussite aux examens.

Les médicaments dérivés d’amphétamines peuvent être associés à un désir récréatif ou à une volonté de gérer la pression. Ils stimulent le système nerveux sympathique et accélèrent son activité, tout en boostant l’humeur. Ils ont par ailleurs un effet coupe-faim, permettant de travailler plusieurs heures sans s’interrompre.

Ces effets ont tous été constatés par Alex, étudiant en neurosciences, lorsqu’il prend de l’Adderall pour la première fois. « Quand je faisais mon premier master, mon meilleur pote est venu pour le 1er de l’an et on a fait une soirée de 24h. Pour le 3 janvier il fallait que je rende un énorme projet de recherche et j’avais encore pas mal de taff. J’étais dans la merde donc j’ai une pote qui m’a dit “si tu veux j’ai de l’Adderall“. C’est un dérivé d’amphétamines donc tu le sens bien. Je me souviens plus où elle l’avait chopé celui-là mais t’as les mâchoires qui se contractent à fond, ça te coupe la faim et tu deviens super concentré ».

Addiction et sevrage

Alex reprendra deux fois de l’Adderall par la suite, mais il décide de ne pas en consommer de façon régulière. Ayant expérimenté de très nombreuses substances psychoactives, cet étudiant réalise rapidement que les dérivés d’amphétamines ne sont pas pour lui.

« L’Adderall, c’est une habitude à prendre, à doser etc. Après moi de base et encore plus en étant en neuro, vu que je prenais déjà beaucoup de drogues d’un point de vue récréatif, j’avais pas envie d’associer ça à mes études car ça aurait été une pente très dangereuse ». – Alex

Préférant réserver sa consommation aux soirées étudiantes, Alex ne cherche pas le secours de molécules chimiques pour améliorer ses performances, sauf dans ce cas exceptionnel d’un projet de recherche à rendre en urgence. Pour ses révisions, il se contente de prendre du café, des médicaments antiasthéniques et des boissons énergisantes.

Cette façon de se « doper » à la caféine rejoint les témoignages d’étudiants en médecine, notamment ceux en PACES, qui confient pour la plupart ne pas avoir recours à des drogues mais qui boivent énormément de café, pour se concentrer pendant des heures.

Pour Aurélie, la prise de Guronsan était de plus associée à une prise de somnifères durant ses deux années de PACES. Bien que le Guronsan cesse rapidement de lui procurer un sentiment d’énergie supplémentaire, elle n’arrive pas à arrêter.

« Je ne pouvais pas ne plus en prendre après. Je sentais que ça ne m’aidait plus à avoir des pics d’énergie mais si j’en prenais pas, j’étais vraiment à plat ». Cette accoutumance s’est traduite par un fort sentiment de manque pendant ses vacances d’été.

« J’avais une grosse envie de caféine pendant deux-trois semaines. Je sentais que j’étais en manque de caféine, j’avais cette envie irrépressible d’en consommer mais je ne me suis pas écoutée et je n’en ai pas pris ». – Aurélie

La dépendance à la caféine d’Aurélie était liée au stress des études. Elle ne s’est pas transformée en addiction. Stéphanie Caillé-Garnier rappelle que pour estimer le potentiel addictif d’une drogue, il faut examiner la proportion de population exposée à cette drogue et qui développe un trouble addictif. La moyenne est de 15 à 20 % pour toutes les drogues confondues. Et puis les données d’épidémiologie donnent également la quantité de personnes exposées au moins une fois dans leur vie (les expérimentateurs), parmi lesquelles les usagers réguliers voire quotidiens.

Deux accros à la cocaïne

Aujourd’hui, Aurélie ne voit pas cette prise de substances caféinées comme un dopage mais comme un supplément à son régime. « Tu prends tout ça comme tu prends des vitamines quand t’as un rhume ».

Elle remarque cependant qu’autour d’elle, ses camarades buvaient également énormément de café (cinq ou six tasses par jour), mais ne consommaient a priori pas de Guronsan.

Pour elle, cette prise de médicaments sans ordonnance était également une façon de pallier une mauvaise hygiène de vie, à dormir mal, sans faire de sport et en ayant « littéralement les fesses posées sur une chaise à ne pas bouger », pendant plus de dix heures par jour.

Drogues et jeunesse étudiante
En l’absence de soirées, l’addiction est plus visible. Illustration. © Pierre Berge-Cia

Même chose pour Alex, qui cherche à améliorer son mode de vie. Suite à un accident de basejump, il s’est fracturé le dos. Immobilisé, il a profité de sa rééducation pour arrêter de fumer, et il fait depuis du sport chaque matin pour lutter contre des douleurs chroniques apparues suite à son opération.

« Au final je me rends compte qu’avoir une alimentation plus saine, ça joue beaucoup sur ma capacité de concentration d’organisation etc. J’aurais bien aimé avoir le courage de faire ça avant dans mes études mais je suis arrivé où je voulais donc je suis content et on va dire que ça va ».

Bien qu’il regarde sans trop de regrets ses nombreuses prises de drogues, Alex prend beaucoup moins de substances illégales aujourd’hui. « Je me suis calmé mais je sais par exemple que tout ça m’a amené à être dépendant, je suis addict à la coke. Je vais pas activement chercher mais si y en a autour de moi je vais en vouloir. Si je suis en soirée et qu’il y en a, il m’en faut… C’est le seul point négatif ». Antoine partage le même constat, mais fait preuve de plus de pessimisme.

« Ça me rend triste quand j’y pense. Je me demande dans quel merdier je me suis mis. Mais vas-y, j’y pense pas trop parce que j’ai des concours quoi, ça sert à rien de me prendre la tête ». – Antoine

Selon la docteure Florence Tual de l’ARS Bretagne, l’un des principaux problèmes de l’addiction chez les jeunes est identifié : l’âge auquel est faite la première expérimentation. « Plus l’on commence tôt, plus l’on risque d’être dépendant. Et c’est valable pour tous les types de produits ».

Futurs médecins et psychotropes

Les étudiants ayant déjà consommé au moins un produit dopant dans leur vie afin d’améliorer leurs performances scolaires sont principalement des étudiants dans le domaine de la santé, selon l’Observatoire de la vie étudiante. Aurélie, ancienne étudiante en PACES, constate qu’autour d’elle, un certain silence est fait autour de la prise de substances. Cette tendance à l’auto-médication s’explique notamment par la forte pression, la compétition et la charge de travail que subissent bien souvent les étudiants de cette filière.

« Les étudiants en santé ont une grosse consommation de médicaments. Ils consomment beaucoup plus de médicaments que les autres étudiants car ils sont plus soumis au stress », précise en effet Anne Batisse, du CEID. Dans sa thèse sur le dopage intellectuel chez les étudiants en santé de Rouen, le pharmacien Yoann Tromeur souligne cet essor de l’usage détourné de médicaments. Parmi les étudiants de filières de santé déclarant prendre des substances illicites, 70 % avouent par ailleurs consommer du cannabis. Les quelques étudiants ayant recours à des amphétamines ou de l’ecstasy sont également tous des fumeurs de cannabis.

Le dark web, marché 2.0 des stupéfiants

Il existe une partie dissimulée d’Internet accessible seulement aux initiés : le deep web. Les moins de 25 ans sont deux fois plus nombreux que les plus âgés à recourir au deep web, sans doute le signe d’une pratique générationnelle. Objet de fantasme chez les jeunes, le dark web est une partie du deep web qui permet aux utilisateurs de naviguer anonymement.

Sur les marchés noirs du dark web, un internaute peut acheter et vendre presque tout, et cela en restant totalement anonyme. Toutes sortes de drogues y sont disponibles : héroïne, DMT, ecstasy, marijuana, etc. Pour obtenir ces substances, l’utilisateur peut payer au moyen de crypto-monnaies, comme le bitcoin. C’est ce qu’a fait Alex, étudiant en neurosciences, pour se procurer de l’Adderall. Selon un rapport publié par Europol et l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) de 2017, le trafic de stupéfiants sur le dark web représente environ deux tiers des échanges de drogues effectués dans le monde.

Pierre Berge-Cia et Jean Cittone

*Le prénom a été modifié.

Quand bien manger vire à l’obsession : enquête sur l’orthorexie

« Le covid, ça m’a ramené dans mes pires sensations » témoigne Anaïs, orthorexique. Photo : ©Gaëlle Sheehan

De nombreuses personnes sur les réseaux sociaux affichent des modes de vie sains et mettent en avant une alimentation biologique ou végétarienne. Ils prônent un idéal de santé qui pourtant peut cacher un trouble alimentaire peu connu : l’orthorexie. Jusqu’où peut mener l’envie de bien manger ?

« Avec la réouverture des terrasses, ça va être l’enfer. Ça m’a stressée quand ils l’ont annoncé. Je vais faire chier tout le monde. » Clemence a 22 ans et étudie à Paris. Elle a peur de retomber dans ses vieux travers : lorsqu’elle était adolescente, elle était obnubilée par son alimentation. « Je calculais tout pour avoir la force physique nécessaire pour faire 10 à 12 heures de sport par semaine. Il fallait absolument que je mange tant de portions de pâtes pour pouvoir tenir. » Aujourd’hui encore, la jeune femme doit contrôler son alimentation pour raison médicale : son endométriose l’oblige à éviter tout sucres, lactose et soja. « Je fais gaffe à tout. Je vérifie les étiquettes maintenant, comme je le faisais avant. C’est horrible ».

Avant de commander, Clémence vérifie la composition des bières pour choisir celle qui contient le moins de sucre. Photo : ©Michèle Bargiel

Cette obsession, les scientifiques lui ont donné un nom : l’orthorexie. Alexandre Chapy, psychologue clinicien, la définit comme « une dépendance ou une tendance obsessionnelle vis-à-vis d’une alimentation “saine » ». Dans son livre La Peur au ventre, le professeur de psychologie Patrick Denoux utilise cette formulation : « l’orthorexique réduit sa vie à un menu ». 

Le terme est nouveau : il a été créé en 1997 par Steven Bratman pour décrire son propre trouble. Pour ce médecin américain, il était inconcevable de manger un légume cueilli depuis plus de 15 minutes. Passé ce délai, il considérait que cet aliment n’était plus assez sain.

« Les patients ont peur d’être empoisonnés »

Un orthorexique est obsédé par l’idée de bien manger, une notion que chacun entend selon des critères propres. Ce comportement excessif se rapproche des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Clemence témoigne par exemple qu’elle « machai[t] soixante fois pour que [s]on cerveau ait l’impression d’avoir mangé plus ». Chaque personne souffrant de ce trouble a donc son régime spécifique, qu’il soit végétalien, simplement sans gluten, la combinaison des deux, voire crudivore (fait de manger uniquement cru). « Les patients ont peur d’être empoisonnés, et éventuellement, à terme, de développer une pathologie et de mourir », continue Alexandre Chapy dans son article.

Jason, américain de 35 ans vivant à Denver, interrogé par visioconférence, explique que son orthorexie a été déclenchée par un diagnostic médical : « En 2015, mon médecin m’a indiqué que j’avais un haut risque de développer un cancer colorectal, et qu’à quelques mois près, j’aurais pu le développer ». Après avoir vécu plusieurs années difficiles, avec notamment le décès de ses parents, ce rouquin au visage émacié décrit sa volonté de reprendre le contrôle sur sa vie par l’alimentation. Tomber dans l’orthorexie à la suite de ce diagnostic en a été la conséquence logique. 

 

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« Une fois que je me suis séparé de mes pensées orthorexiques, j’ai pu voir le monde sous un nouveau jour. Voici quelques exemples. Les féculents, un mal non-nécessaire vs. une source d’énergie. Miel et sirop d’érable, cancérigène vs. une source gourmande de minéraux. Sel, favorise la rétention d’eau et les problèmes de cœur vs. un exhausteur de goût. Doughnuts, une mort certaine vs. une joyeuse liberté. »

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« Dans la tête, c’est comme un blocage : on s’impose une règle et on ne peut plus y déroger», analyse Laetitia Proust Millon, diététicienne nutritionniste en Nouvelle-Aquitaine. Faire une entorse à ce régime alimentaire engendre une forte culpabilité et un sentiment d’échec chez les personnes atteintes. « Si je dérogeais à la règle, je me sentais hyper mal », confie Clémence.

« Mon orthorexie m’a fait perdre cette relation-là »

Mais est-ce si mal d’avoir une hygiène de vie alimentaire saine ? Selon la diététicienne, quand cela vire à l’obsession, cela provoque un isolement social, une exclusion, un repli sur soi voire un mal-être. Comme un piège, posé par la personne elle-même, qui se referme. Charlotte, 29 ans, vit à Singapour et est coach sportif et spécialiste en nutrition fitness. Chevelure rousse, figure svelte aux muscles saillants, cette instagrameuse partage son mode de vie sportif et healthy avec ses dizaines de milliers d’abonnés. Recettes gourmandes et saines, petites séances de sport à faire chez soi, danses acrobatiques et gracieuses accrochée à une barre de pole dance.. Elle confie qu’il y a sept ans, elle souffrait d’orthorexie : « Je suis partie avec mon copain en vacances au Costa Rica et on nous a servi une glace. Je me suis mise à pleurer. Ce n’est pas un comportement normal ! Et mon copain ne supportait plus toutes les contraintes que je m’imposais. Mon orthorexie m’a fait perdre cette relation-là ».

Aller au restaurant ou sortir avec des amis deviennent des épreuves pour les personnes souffrant de ce trouble. « Noël, c’était ma hantise, se souvient Clémence. Aller chez ma grand-mère avec toute la bouffe qu’il allait y avoir… je commençais à stresser une semaine à l’avance. » Les moments de partage et de convivialité que sont les repas deviennent anxiogènes : difficile de contrôler quels aliments sont cuisinés lorsque l’on est invité chez quelqu’un d’autre. Les soirées avec les amis ne sont plus agréables et certains finissent par se priver d’une partie de leur vie sociale.

« Aux soirées, je prenais quand même des chips, déplore Anaïs, 23 ans, Mais je savais que je n’allais pas être bien. Ça m’a coupé de mon entourage. En plus, ça me détruisait le bide et je vomissais à chaque fois. » La jeune femme aux cheveux courts parle d’une voix assurée, celle d’une personne qui a pleine conscience de son trouble. « Des fois, ce qui peut être un travers pour moi, c’est de juger mes proches qui ne mangent pas bien. Quand ils vont au Mac Donald, je ne peux même pas sentir l’odeur. Quand je vois quelqu’un boire du soda, ça me dégoûte par procuration », rigole-t-elle.

« Je m’en fous de mon poids, mais il y a plein de choses qui me dégoutent et c’est ce qui fait que je mange moins« , confie Anaïs. Photo : ©Gaëlle Sheehan

« Au pire de mon orthorexie, je mangeais la même chose matin, midi et soir : des pois chiches, un yaourt grec et un fruit. »

La notion de plaisir venue de la nourriture disparaît pour certains orthorexiques : manger n’est plus qu’une question de survie. « J’ai lentement retiré des aliments, détaille Jason. Le gluten d’abord, puis le lactose, certains fruits et légumes qui étaient trop sucrés, les noix, la viande… Au pire de mon orthorexie, je mangeais la même chose matin, midi et soir : des pois chiches, un yaourt grec et un fruit. Il n’y avait aucun plaisir à manger ».

Selon la diététicienne Laetitia Proust Millon, le risque est de moins s’alimenter, d’être moins à l’écoute de son corps. « Le rassasiement, c’est la fin du plaisir alimentaire. Si on enlève le plaisir, le rassasiement est difficile à trouver. » « Je me souviens parfaitement avoir pensé : ‘si seulement je n’avais pas besoin de manger, les choses seraient tellement plus faciles’, regrette Lydia, étudiante américaine de 21 ans. Elle a souffert d’orthorexie durant ses premières années d’université. C’est difficile de me dire que mes souvenirs de cette période-là ont été volés ».

Pour Clémence, il ne fallait pas laisser entrevoir à ses amis son problème. Tous les moyens étaient bons pour le dissimuler : « Je me rappelle de soirées, notamment au lycée, où j’allais chez des potes. Je faisais semblant de manger alors que j’avais déjà fait un petit repas chez moi : hors de question de grignoter dans la soirée, de boire quoi que ce soit à part de l’eau. Il n’y avait pas de fun. Mais, au bout d’un moment, j’avais du mal à le cacher. Du coup, je mangeais et quand je rentrais chez moi, je me faisais gerber. C’est un cercle vicieux. »

« Comme je n’ai jamais vraiment mangé beaucoup depuis dix ans – quel enfer de dire ça – j’ai rétréci mon estomac » explique Clémence. Photo : ©Gaëlle Sheehan

« À l’extérieur, on m’encensait. À l’intérieur, ça me tuait. »

Pour autant, avoir un régime alimentaire strict est « valorisé par la société », nous explique Alexandre Chapy lors d’un entretien. De nombreux influenceurs et personnalités publiques mettent en avant des modes de vie sains et sont adorés – voire jalousés – de leurs fans pour ces raisons. « J’étais devenue une espèce de modèle pour ma communauté, reconnaît Charlotte. Son activité sur Instagram l’a poussée à adopter des « comportements de plus en plus extrêmes. Jamais malsains, mais toujours plus dans le contrôle » : « Je postais tous les jours, donc je faisais constamment attention. J’avais une pression pour être parfaite. Je me suis laissé emporter là-dedans. Toutes les fois où je n’étais pas parfaite, je m’en voulais. »

Alexandre Chapy relate dans son article que le culte « d’un corps entretenu, sous contrôle et désirable » sur les réseaux sociaux peuvent favoriser l’orthorexie. C’est « lié à l’estime de soi, analyse le psychologue. En mangeant sainement, les patients auraient la sensation de devenir meilleur ». En dehors des réseaux sociaux, bien manger est également valorisé. « De l’extérieur, j’avais l’air en meilleure santé, ma famille et mes amis m’encensaient pour mon alimentation, confie Jason. Mais à l’intérieur, ça me tuait. »

Dans l’orthorexie, la qualité des produits consommés est primordiale tout comme la provenance, la manière de cultiver, les apports en nutriments… Photo : ©Gaëlle Sheehan

Les orthorexiques témoignent ne plus pouvoir supporter les aliments qu’ils avaient retirés de leur régime. « J’ai des patients qui me décrivaient des douleurs physiologiques », se souvient le psychologue Alexandre Chapy. Le rejet mental d’une nourriture jugée malsaine peut se transformer en rejet physique : Anaïs témoigne que durant le premier confinement, elle avait « une fenêtre de 10 minutes où [elle] pouvai[t] manger » : « sinon je n’avais pas faim à cause des nausées ».

« j’oscillais entre orthorexie et anorexie »

La ligne entre orthorexie et anorexie est parfois fine. On considère que l’orthorexique se concentre sur une alimentation saine, tandis que l’anorexique est obsédé par la perte de poids. Mais il est parfois difficile de distinguer les deux. « Est-ce que l’orthorexie ne serait pas placée au milieu sur une échelle, avec l’anorexie et la boulimie aux extrémités ? questionne Alexandre Chapy. Et les orthorexiques fluctueraient d’un côté ou de l’autre. »

Au bout de plusieurs années à vivre avec ce trouble, la maigreur de Jason lui « volé la santé ». « Mon médecin m’a dit que j’avais un souci cardiaque, et que c’était lié à mon poids ». Cette prise en compte lui a fait comprendre l’étendue du problème. « Je pense qu’à un moment donné, j’oscillais entre orthorexie et anorexie ».

 

Pour contrôler la qualité nutritive ou les calories dans leur alimentation, les orthorexiques se tournent vers des applications. « Ça peut encourager l’orthorexie parce que ça donne des chiffres, des ratios, des quotas, des objectifs à atteindre », avoue Charlotte. Clemence s’aidait ainsi de l’application Myfitnesspal pour ne consommer que le strict nécessaire pour étudier, réaliser ses performances physiques, survivre : « À la cantine, je ne mangeais qu’un pain pour ne pas tomber dans les pommes ». Pour Anaïs, garder les yeux rivés sur son application Yuka « rajoutait de la charge mentale » et « [l]’a vite saoûlée ».

« Certains ont l’impression d’être perdus quand ils n’ont plus ces applis-là, explique la diététicienne Laetitia Proust Millon. Ils ont l’impression que ce sont des garde-fous et que s’ils arrêtent de compter, ils vont prendre du poids ». Mais tout est toujours une question de juste mesure selon Charlotte, la coach fitness, et ces mêmes applications peuvent aider à avoir une bonne appréhension de ce que l’on mange. Selon elle, il faut simplement atteindre la modération, faire ce qui nous rend heureux.

Reprendre goût à la nourriture malgré l’orthorexie, est-ce possible ? 

Lydia, 21 ans, anime un compte Instagram depuis 2019 (voir ci-dessous). A travers des photos d’elle toute sourire et des gâteaux gourmands faits-maison, l’étudiante témoigne de ses problèmes psychologiques. Elle y documente son chemin pour sortir de l’orthorexie : « C’est thérapeutique de mettre par écrit ce que je ressens et voir des gens me soutenir. » Malgré tout, elle a toujours cette « petite voix dans la tête qui [la] culpabilise » : « c’est difficile de s’en défaire. Je dois me rendre compte que ce qu’elle me dit est faux et faire confiance à mes amis. Et quand je sens que je rechute, je fais exprès d’aller chercher une pizza pour la faire taire ».

 

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Au début de son traitement, Lydia listait tous les aliments qui lui faisaient peur et expliquait pourquoi. « Il y avait des vidéos qui montraient comment retrouver la paix avec la nourriture. J’allais aussi sur le groupe Facebook “Food Freedom Warriors” (“les guerriers d’une alimentation libérée”) avec une communauté très encourageante. »

Suivi nécessaire

Certains orthorexiques témoignent du fait qu’il est difficile de se soigner. Pour autant, le psychologue Alexandre Chapy estime que des prises en charge pour d’autres troubles du comportement alimentaire (TCA) et troubles obsessionnels compulsifs (TOC) fonctionnent. « Il faut un suivi psychologique pour regarder ce qui a pu amener cette si forte angoisse de mourir ».

Laetitia Proust Millon, diététicienne et nutritionniste, explique que pour réhabituer ses consultants à manger de tout, elle les encourage à « reprendre possession de leur corps par les sensations » en passant par la dégustation.

Sortir des troubles alimentaires : des recettes et une pincée d’émotions

Francesca Baker, 34 ans, est une auto-entrepreuneuse britannique spécialisée dans la communication. Elle a publié le livre de cuisine Eating and living, recipes for recovery en 2016 au Royaume-Uni, pour aider les personnes atteintes de troubles alimentaires (TCA) à reconstruire une relation saine avec la nourriture.

Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre de recettes ?

Je souffre d’anorexie depuis mes dix-huit ans. Lorsque j’étais à l’hôpital avec d’autres personnes atteintes de TCA, on avait comme projet de réunir différentes recettes dans un livre, mais ce n’est jamais vraiment arrivé. J’aimais beaucoup l’idée, donc je l’ai réalisée. J’ai commencé l’écriture en contactant des personnes que je connaissais, et qui avaient un TCA, pour qu’ils partagent une recette et un souvenir. J’ai essayé de comprendre ce qu’ils avaient traversé.

Comment essayez-vous de réconcilier TCA et nourriture ?

Je ne voulais pas que ce soit simplement un livre de cuisine, je voulais raconter des histoires. Je pense que la nourriture a un côté social, c’est lié à des souvenirs en famille ou entre amis. Mais personnellement, je n’aime plus cuisiner ni manger avec des gens. Donc je voulais intégrer ces souvenirs dans la recette, pour pallier ça et aider ceux qui souffrent de TCA. Ça ne pouvait pas être juste des salades. Ce sont surtout des repas qui nous font plaisir et qui nous rappellent des souvenirs, comme du cheddar fondu sur un toast, ou des nouilles sautées au poulet. 

Mettez-vous moins l’accent sur le côté sain de la nourriture ?

Exactement. Je voulais mettre en avant des recettes qui ne sont pas terrifiantes, mais familières. Ça n’a pas besoin d’être des repas nutritionnellement parfaits, il faut que ça soit de la nourriture qui réconforte, pour réinviter les gens à manger. C’est aussi essayer de faire prendre conscience qu’on peut manger quelque chose qui ne soit pas complètement sain, et que ce n’est pas grave.

Par ici pour lire un extrait.

Michèle Bargiel & Gaëlle Sheehan

Burger Mania

Alimentée par les réseaux sociaux, la tendance des burgers n’en est finalement plus une. Le burger est totalement rentré dans les moeurs des Français, et n’est pas prêt de quitter nos assiettes.

 

Le burger, sandwich préféré des Français. (photo Sylvia Bouhadra)

 

Deux tranches de pain, un steak haché, du fromage, des sauces. La recette d’un succès. En 2017, le burger a été élu “sandwich préféré des Français”, devançant le traditionnel jambon-beurre. Il s’en est vendu à pas moins d’1,46 milliards, soit 46 burgers par seconde. Des chiffres pharaoniques, qui se vérifient facilement dans les rues de la capitale. Accoudée devant Le Camion qui fume, célèbre food-truck parisien, Kenya déguste son burger “Barbecue” avec deux amis mexicains, son pays d’origine. « C’est le meilleur burger que j’ai jamais mangé, affirme-t-elle entre deux bouchées. Pourtant je connais bien ceux des Etats-Unis et du Mexique, ils en vendent partout dans les rues ». Kenya raffole tellement de ces burgers qu’il lui arrive parfois de faire 1h30 de trajet depuis son domicile pour venir les déguster. Une habitude qui témoigne de la success story du Camion qui fume, lancé en 2011 et devenu la référence food truck à Paris. Mais comment s’explique réellement cette folie du burger ? Bernard Boutboul, président de Gira Conseil, société spécialisée dans la consommation alimentaire hors-domicile, livre un premier élément de réponse : « Le burger rassemble en un seul produit les quatre aliments préférés des français : le pain, le bœuf, le fromage et les frites ». Il va même plus loin dans son constat, affirmant que le burger « est en train de remplacer petit à petit notre steak-frites national ». L’époque où le burger était l’emblème des fast-foods américains est donc révolue. C’est, en somme, devenu un plat admis dans la gastronomie française.

Depuis l’installation en France de McDonald’s en 1979, le burger est en constante expansion. « C’est plus qu’une simple augmentation des ventes, affirme Bernard Boutboul, parce que les volumes de burgers ont été multiplié par 14 en l’espace de 10 ans. Aucun produit de consommation alimentaire n’a eu cette ascension ». Au début des années 2010, les food-truck se multiplient et le burger prend peu à peu place dans les cartes des restaurants. « Avant que les restaurants se mettent à proposer des burgers, McDo et Quick détenaient 98% du marché. Maintenant, ces enseignes possèdent 21% du marché. » Un phénomène qui, selon lui, n’est pas uniquement de passage. « Le burger n’est pas une mode, les ventes sont continues et ce depuis des dizaines d’années, souligne Bernard Boutboul. Le sushi était un phénomène de mode par exemple, qui est monté et redescendu très vite ». Mais le burger, lui, est fait pour rester.

 

 

Un plat pas si calorique

Longtemps servi exclusivement dans les enseignes de fast-food telles que McDonald’s ou Quick, le burger a l’image d’un plat très calorique et de mauvaise qualité. Un menu Big Mac au McDonald’s pouvant atteindre 1157 kcal. Avec sa démocratisation, celui qui est considéré comme le symbole de la malbouffe et de la junk food (littéralement « nourriture poubelle ») est-il toujours mauvais pour la santé ? « Pour moi c’est un plat sain », répond Sandra Ferreira, diététicienne et nutritionniste. Tout dépend en fait de ce que l’on met entre les deux tranches de pain : « Il faut que les aliments à l’intérieur soient équilibrés. Globalement, l’équilibre d’un repas c’est un féculent, ici le pain, à condition qu’il soit de qualité, une viande, le steak haché ou le poisson, et des fruits et légumes. Un bon burger équilibré peut se consommer plusieurs fois dans la semaine », continue la spécialiste. Attention néanmoins à ce qui accompagne votre hamburger. Si le plat en lui-même peut être équilibré, les frites et la boisson qui vont souvent avec peuvent augmenter drastiquement le nombre de calories. Autre critère pour que le burger sorte de la catégorie malbouffe : le temps que l’on prend à le déguster. Il ne doit pas être mangé sur le pouce mais être savouré tel un vrai plat. « Ça a son importance de s’asseoir et de prendre son temps notamment au niveau du système digestif. Le corps assimile moins les nutriments si on le mange rapidement. » Dans une époque où l’on fait attention à son alimentation, la vogue du burger n’est donc pas paradoxale.

 

« La street-food ça touche tout le monde, même les grands chefs »

Pour suivre la tendance, de nombreux restaurants proposent aujourd’hui des burgers, loin de ceux que l’on trouve dans les chaînes de fast-food. 85% des restaurants français ont un burger à leur carte et le revisitent de bien des manières. Produits biologiques et locaux, originalité des recettes… le burger monte en gamme et devient forcément plus cher. C’est ce que l’on appelle les burgers “gourmets”. Florian est vidéaste sur YouTube et tous les jours, il publie une vidéo où il teste des restaurants et des spécialités culinaires à travers le monde. Sa chaîne “Florian On Air” cumule aujourd’hui 500 000 abonnés. A travers ses “food tours” il a testé une multitude de burgers gourmets : « Quand je voyage en France, chaque région a son burger, les restaurateurs essaient de travailler local. Certains ajoutent du foie gras, il y a des burgers de poisson, au confit ou au magret de canard…Ce n’est pas parce que c’est un burger que ça va être quelque chose de vite fait ou bâclé ». Cette année, le règlement du concours du meilleur burger de France demandait aux participants de proposer une recette valorisant le patrimoine gastronomique français. Le gagnant de l’édition 2017 et patron du restaurant asiatique Goku à Paris, Vincent Boccara, raconte comment il a réalisé le “Black OG”, son burger phare : « Les seuls produits américains dans ce burger sont le cheddar, le bacon, les cornichons, et la sauce BBQ qui est au Jack Daniels. Mais tous les autres ingrédients sont faits avec des produits japonais. Le pain est au charbon végétal, ce qui permet de digérer plus facilement, ajoute-t-il. J’ai mis deux mois à le créer et le mettre au point ». Son Black OG s’est même retrouvé en 2017 à la carte du Mandarin Oriental à Paris, où le double chef étoilé Thierry Marx officie. « Ça a cartonné, ils le vendaient à 38 euros », se réjouit le patron du Goku. Cet intérêt que portent les restaurants gastronomiques pour le burger n’est plus si rare aujourd’hui. A la carte du Meurice à Paris, on peut également le retrouver. « Le burger est un plat simple et international, c’est pourquoi nous le retrouvons dans notre offre de restauration », explique le palace. Même chose pour le Ritz, le Bristol, ou encore le Royal Monceau. Rien d’étonnant pour Vincent Boccara : « Les burgers, tout le monde aime ça. Que tu sois riche, middle class, ou que tu sois pauvre. La street-food ça touche tout le monde, même les grands chefs. »

 

Vincent Boccara a collaboré avec le chef étoilé Thierry Marx en septembre 2017. (photo DR)

 

Le burger, star des réseaux

Cette fascination pour les burgers s’est intensifiée grâce aux réseaux sociaux. Les chaînes de fast-food américaines ont su utiliser des outils comme Twitter et Facebook pour mettre en scène leur arrivée mais aussi leur retour, comme Burger King en 2013. La chaîne Five Guys arrivée en 2016 était quant à elle déjà bien connu des français comme le burger préféré de Barack Obama… rien que ça.  « En France, il y a une certaine fascination américaine, reconnaît Florian. Les réseaux sociaux quel que soit le sujet, prennent le pouvoir dans notre vie et c’est vrai que c’est une façon d’amplifier le bouche-à-oreille », ajoute le vidéaste. Le succès des vidéos de Florian est la preuve d’un certain engouement pour la nourriture sur les réseaux : « Je crois que beaucoup de gens ont plaisir à manger et le fait de voir des trucs qui ont l’air bon à l’écran, ça les met en appétit. Je fais un peu de tout sur ma chaîne mais c’est vrai que tout ce qui est fast-food et surtout les burgers, en général ça marche bien. » D’ailleurs, c’est la vidéo dans laquelle il mangeait un burger à six steaks qui a fait exploser les compteurs de sa chaîne et qui a créé un réel buzz. Vincent Boccara quant à lui ne s’en cache pas, s’il a décidé de mettre un burger à la carte de son restaurant asiatique c’est pour une raison bien précise : « Tu ne buzzes pas sur des nouilles, une salade, ou un curry mais sur ce qui est à la mode, c’est-à-dire un burger. Que ce soit le ramen burger (NDLR : également créé par Goku, les galettes de pain étant remplacées des nouilles japonaises) ou le Black OG, je l’ai fait dans une optique marketing. »Depuis, certains clients viennent exclusivement pour goûter son fameux burger qu’ils ont découvert grâce à Instagram. « Les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidé, un burger c’est très visuel. Tu prends un jambon beurre en photo, ça ne va pas être stylé ! Et ça m’a aidé à gagner en notoriété sur les réseaux, c’est sûr ». Attention néanmoins à ne pas en faire trop. Certains restaurateurs créent des burgers de plus en plus fous seulement pour plaire aux réseaux sociaux. Florian qui a récemment testé un burger dans lequel il fallait ajouter le cheddar soi-même grâce à une seringue, explique : « Il y a de la surenchère. On fait des burgers, on sait que personne ne va le finir, mais on va le faire juste parce que ça buzz sur les réseaux sociaux. C’est un peu l’effet pervers de la chose. »

 

 

Alice Ancelin & Sylvia Bouhadra

 

Pour compléter

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