La mode de l’exploration sur YouTube inquiète les puristes

McSkyz fait partie de ces « youtubeurs-urbexeurs » / Capture d’écran

Elles ne cessent de se multiplier sur la toile. Sur YouTube, nombreuses sont les vidéos et chaînes dédiées à l’exploration urbaine. Un phénomène qui fait le bonheur des internautes en quête de sensations fortes mais qui dénaturerait la pratique de l’Urbex selon les puristes.

McSkyz, Jack’s Universe, Daftintin… Sur la plateforme, presque tous les youtubeurs-explorateurs ont un pseudo. Une question d’image mais aussi et surtout d’anonymat comme l’explique zeib qui tient à protéger son identité : “On me voit très peu dans mes vidéos d’ailleurs, la magie du montage aide beaucoup”, confie-t-elle.

La plupart de ces youtubeurs justifient leur démarche par le fait de pouvoir partager leurs expériences à des personnes qui n’auraient pas forcément le courage ou les moyens d’aller dans ces lieux. Mais ce qui est critiqué, c’est l’abus de titres racoleurs qui ne reflète pas la mentalité des urbexeurs : “Le problème est que 90% de ces vidéos sont faites sous l’angle de la peur […] Ça ne m’intéresse pas car quand on visite un lieu de jour avec des potes, c’est juste hyper calme, il fait beau on est tranquille et ça ne fait pas peur du tout”, déplore Timothy Hannem, urbexeur depuis près de 30 ans.

Autre reproche fait à leur encontre : le non respect des règles de l’Urbex comme la confidentialité des lieux : “Il n’y a souvent aucun montage. Ils filment simplement leur visite d’un manoir par exemple. Ils arrivent dans une pièce où il y a pleins de trucs par terre et ils filment de près les enveloppes où on voit le nom de la ville et tout ce qui permet de localiser le lieu”. De ces comportements résulte la médiatisation de spots qui attirent de nombreux curieux ne venant pas forcément visiter, “Certains viennent seulement pour dégrader ou voler. Ça c’est juste catastrophique”, poursuit “Tim”.

“Il y a forcément des personnes qui critiquent et qui disent qu’à cause de moi le lieu va tourner, que des gens vont s’y rendre et y voler des choses alors que je ne donne aucune indication”, se défend Raphaël, urbexeur et youtubeur depuis deux ans. Le jeune homme déplore que certains de ses camarades vidéastes ne préviennent pas leurs abonnés des dangers de l’Urbex : “Il y a beaucoup d’enfants sur YouTube et en vulgarisant la discipline ils donnent l’impression d’une activité qui s’apparente à un jeu. Mais ça ne l’est pas, il y a des risques.”

A cela s’ajoute préparation, tournage et post-production des vidéos. Un travail conséquent pour ces youtubeurs, mais un fardeau plus qu’autre chose pour Anoushka : “Je ne vois pas trop l’intérêt d’avoir une chaîne YouTube, ça gâche un peu la visite car ils se sentent obligés de parler et de commenter tout ce qu’ils voient. Même la photo parfois je me dis que ça gâche le moment présent.”

Hugues Garnier

Timothy Hannem, l’urbexeur qui remue le passé

La Maison d'Enfants de l'Avenir Social (Orgemont, Essonne), aussi connue sous le nom de "L'Orphelinat Sans Avenir" / © glauqueland.com
La Maison d’Enfants de l’Avenir Social (Orgemont, Essonne), aussi connue sous le nom de « L’Orphelinat Sans Avenir » / © glauqueland.com

C’est con, mais tu te sens un peu utile”. C’est en ces mots que Timothy Hannem résume son plus beau fait d’armes. Tout commence en 2007. “Tim” est un passionné d’Urbex, et raconte toutes ses explorations en dessins, photos, vidéos et textes sur ses différents blogs. À cette époque, il reçoit un mail dévoilant l’existence d’un orphelinat abandonné : la Maison d’Enfants de l’Avenir Social, à Orgemont (Essonne). Aucune information n’existe sur cet endroit. Après plusieurs repérages, “Tim” adapte ses explorations sur place en une petite BD à l’été 2008. Mais cette fois-ci, l’homme prend soin de bien mentionner le nom du lieu. Il a une idée derrière la tête : “Comme ça, d’anciens pensionnaires pouvaient facilement retrouver le lieu sur Internet et commenter ma note”. Et ça marche. Deux semaines après, plusieurs anciens résidents réagissent aux petits dessins de “Tim”. Le blogueur assiste virtuellement à des retrouvailles vingt ans plus tard. “C’était assez émouvant”, confie-t-il. Printemps 2011, le dessinateur reçoit un mail d’un homme de 35 ans. “Il m’explique qu’il avait sept/huit ans lorsque l’orphelinat a fermé”, détaille “Tim”. « Il m’a proposé de le rencontrer sur place pour tout me raconter”. Avec trois autres anciens pensionnaires, l’homme fait revivre au blogueur cette nuit de janvier 88, où des membres de la CGT ont mis tout le monde à la porte. Une histoire de conflit du travail qui aboutit à cette tragédie et à l’abandon du domaine. En divulguant l’adresse, “Tim” a violé un règle fondamentale de l’Urbex. Sans regrets.

Sébastien Rouet

3 questions à… Thomas Bys, infirmier-urgentiste et “nurbexeur”

 

© Thomas Bys
Pouvez-vous définir ce qu’est le “nurbex” ?

Le nurbex est l’alliance entre l’urbex et la photographie de nu artistique. Lorsque j’ai créé le groupe Facebook “Nurbex – Nude in Urban Exploration Urbex” il y a deux ans, aucun autre ne portait ce terme sur la plateforme. Cependant, le terme existait déjà sur le web, mais n’était pas très répandu. C’est le monde francophone qui utilise le plus cette appellation.

Quelle relation entretenez-vous avec les autres explorateurs ?

Nous croisons de plus en plus d’urbexeurs car la discipline se popularise fortement. Mais cela se passe généralement toujours bien sur le terrain, parce que les gens que nous croisons sont souvent les plus gênés face au modèle contrairement à ce que l’on pourrait croire. En revanche, nous sommes complètement décriés sur la toile car beaucoup ne nous considèrent pas comme des urbexeurs “puristes”. Une minorité estime que l’on manque de respect vis-à-vis des lieux. Pourtant, nous avons les mêmes règles morales qu’eux : on ne casse rien, on ne vole rien, on ne bouge rien.

Comme l’urbex, le nurbex connaît-il des dérives ?

Je le vois sur le groupe Facebook que j’administre, le nu artistique fait toujours face au problème de la vulgarité. Il y a en effet des photographes qui utilisent le prétexte du lieu abandonné pour réaliser ce type de photo. Les soucis les plus récurrents sont soit un modèle qui ne domine pas la photo, soit il n’y a pas l’esthétisme nécessaire pour faire de l’érotisme. On se retrouve finalement avec de la photo brute, et parfois limite porno, ce qui est à des milliards de kilomètres de notre démarche.

Cliquez ici pour voir le travail de Thomas Bys !

Sébastien Rouet

Le business opaque d’Instagram

Et si la plateforme de partage de photos et de vidéos Instagram n’était en réalité qu’un immense spot à visée publicitaire ? Depuis près de deux ans, marques et agences sont unanimes: le réseau social est le nouvel outil incontournable pour vendre grâce aux nouvelles égéries 2.0: les influenceurs.
Feed (publications) Instagram @Paulettedittout (33,6 K abonnés)
Feed (publications) Instagram @Paulettedittout – 33,6 K abonnés

Ils s’appellent Stylnoxe, Callmevoyou, Paulettedittout, ou encore Paola Locatelli. Hommes ou femmes âgés de 14 à 50 ans , leur point commun est de rassembler une communauté d’abonnés sur instagram, large de 5000 à plus d’un million de comptes. Véritables stars émergées grâce aux réseaux sociaux, ils se sont fait connaître par leurs blogs ou leur chaîne Youtube, sur lesquels ils ont commencé quelques années plus tôt à partager leur vie de férus de mode, d’écologie ou de cuisine. Ceux qu’on appelle les influenceurs plaisent pour le rapport amical qu’ils entretiennent avec leur audience.

Des dizaines de colis par jour

Cette relation n’a pas longtemps laissé les annonceurs indifférents. Depuis deux ans, les marques approchent ces égéries peu coûteuses correspondant à leurs produits, en proposant des partenariats publicitaires.  “J’ai été contactée par les marques quand j’ai commencé à avoir 5000 followers sur insta” raconte Heloïse Monchablon, maquilleuse professionnelle reconvertie en “inspiratrice” à temps plein spécialisée dans la beauté bio et naturelle.

Depuis, comme beaucoup d’autres confrères sur Instagram, son quotidien est rythmé par les dizaines de colis offerts chaque semaine par des marques, quand d’autres proposent des partenariats sur plusieurs jours, semaine ou bien à l’année. L’objectif : demander aux instagrammeurs de publier une ou plusieurs photos en positionnant le produit de façon précise, en mentionnant le nom de la marque dans la description. En échange de ces services ? Le produit en cadeau et une rémunération fixée au pro-rata du nombre d’abonnés, une fois la publication instagram validée par la marque. “En règle générale on doit te rémunérer à 10% de ton nombre d’abonnés, donc moi normalement c’est 150 euros par photo. Mais c’est rare qu’on me paie, car malgré ce ratio je reste une petite influenceuse” explique Callmevoyou, influenceuse à 15 000 abonnés. Si le contrat relève davantage de la “collaboration”, la jeune bloggeuse reçoit dans sa boîte mail environ 50 propositions par jour. Une façon de monétiser sa présence sur les réseaux sociaux, sans en faire un moyen de revenu principal.

 

 

De nombreuses plateformes de mises en relation entre marques et influenceurs existent depuis peu afin de permettre aux blogueurs qui le souhaitent de demander eux-même un partenariat. Parmi elles, le site Octoly fait figure de référence chez les micro et nano influenceurs, ayant respectivement moins de 100 000 et 20 000 abonnés. Avec pour slogan “Faire de ta passion un succès” en première page de leur site, Octoly propose une application où les jeunes égéries peuvent choisir, en fonction de leur audience, des produits qu’ils souhaiteraient recevoir chez eux en échange d’une ou plusieurs photos.

 

“On gère toute leur vie professionnelle de A à Z”

A plus de 33 000 abonnés, Paulettedittout reçoit “beaucoup, beaucoup, beaucoup de produits à tester. On ne peut même pas tout montrer, publier”. L’auteure du blog culinaire “pas de salades entre nous” en a fait son activité principale. Sur instagram, la plupart de ses contenus font désormais référence à une marque, souvent bien éloignée du monde de la cuisine. Citroën, Oral-B, Clinique, Netflix, ou Nespresso: les sponsors de la vie de la jeune femme sont aussi variés que nombreux. Si elle assure travailler uniquement avec les marques qui lui plaisent, l’honnêteté de son expérience de consommatrice critique est dure à évaluer.

Conseil ou placement de produit? Les influenceurs jouent sur l’ambiguïté de leur statut, et se révèlent être de vrais professionnels dans ce qui apparaît devenir l’un des business les plus florissants. Face à eux, de très nombreuses agences de conseil en publicité qui assurent la mise en relation entre l’instagrameur et les marques ont vu le jour. Et le travail ne manque pas, puisque le marché des influenceurs représente aujourd’hui près de 10 000 influenceurs, et 30% du contenu total d’instagram. Label d’influence, l’agence Foll-ow travaille à la fois pour des influenceurs et pour des marques, soucieuses par ailleurs de ne pas se faire piéger par de “faux influenceurs” . Le label représente une vingtaine de “talents” français avec des profils rassemblant au minimum 100 000 abonnés. « On gère toute la partie opérationnelle, donc toute leur vie professionnelle de A à Z : de la validation à la modification du texte qu’ils vont devoir dire sur la photo pour qu’il soit adapté à l’influenceur, savoir si tous les éléments lui convienne ou non, la date de publication,  et la création de contenu. Au besoin on a une équipe créative qui est là pour les aider” explique Sarah Le Menestrel, en charge du pôle Influence pour le label. Prenant une marge fixe de 30% sur chacun des contrats de partenariat avec une marque, les agents assurent en échange une gestion 360 degrés de la vie de leurs “chouchou”, pour qui ils se rendent disponibles à toute heure du jour et de la nuit.

 

 

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Une partie des « talents » français représentés par le label d’influence Foll-ow. Ces influenceurs ont au moins 100 000 abonnés.

Outre les cadeaux offerts par les marques pour séduire les influenceurs dans l’espoir de créer un partenariat, il y a des rémunérations dont les fourchettes sont variables. « Les blogueurs ont leur propre grille tarifaire, ils sont un peu tous alignés selon leur audience” explique Caroline Fulgraff, consultante digitale chez ZMIROV.  “De 10 000 à 30 000 abonnés tu touches en moyennes 250 euros, jusqu’à 70 000 tu peux avoir entre 500 et 1100 euros, et au delà les montants s’élèvent de 800 à 1300 euros” explique-t-elle. Mais pour les influenceurs dépassant les 100 000 abonnés, les tarifs peuvent se négocier à hauteur plusieurs de milliers d’euros. Institutionnalisés depuis peu, ces contrats reposent sur l’assurance que les influenceurs possèdent un statut d’auto-entrepreneur, afin qu’il ou elle puisse déclarer ses revenus. Un prérequis qui ne peut se vérifier partout, puisque tous ne travaillent pas en relation avec des agences.

 

Autre point d’interrogation, celui du statut des mineurs, qui sont de plus en plus nombreux à devenir célèbres sur Instagram. L’agence Foll-ow en compte près d’une dizaine, dont la plus jeune, Paola Locatelli, 715 000 followers et qui vient de fêter ses 14 ans. Théoriquement sous l’autorité de leurs parents, ils ne possèdent pas toujours de statut clair, ce qui embarrasse certaines agences. “Les mineurs ne sont pas toujours au courant de leur statut d’auto entrepreneur donc on leur fait des formations, et parfois on prend même leurs parents au téléphone” explique sereinement Caroline Fulgraff. Reste à savoir si tous les parents sont au courant de cette activité professionnelle, qui pour la plupart se résume à des photos “lifestyle”.

Services, hôtels et restaurants sur le coup

Au-delà du maquillage, nourriture, vêtements et bijoux, les entreprises de service ont également flairé la tendance. Les influenceurs et influenceuses sont invités dans les hôtels et restaurants en échange de posts, stories, et témoignages. “J’organise bientôt un voyage presse pour des influenceurs. L’hôtel leur offre 2 nuitées et 2 dîners et nous on leur paye les billets de train et on leur offre une enveloppe et en échange ils publient deux posts sur l’hôtel et deux posts sur la marque Havaïanas” détaille Caroline Fulgraff. Consommation gratuite et vie de star, certaines “grande” influenceuses sont mêmes invitées sur le tapis rouge du festival de Cannes, ou bénéficient de tarifs très intéressants dans la prestigieuse clinique des champs-elysées pour se faire refaire le postérieur en échange d’une publication sponsorisé.

 

 

Mais en coulisses, certains veillent à ne pas accepter n’importe quels partenariats, malgré la dépendance financière au réseau des influenceurs de métier. Heloïse de Chablon est lucide : « Je tiens à être bien sûre des produits que je partage. Il ya de fortes chances de devenir une publicité ambulante. Et vis à vis des autres marques; si on accepte tout, on a plus de valeur…on est plus intéressant. » Paulettedittout regrette que “certaines marques, qui se croient un peu au-dessus de tout, demande beaucoup pour pas grand-chose. Quand on vient te demander pour travailler, sans parfois de budget, et qu’on te traite un peu comme de la m**** j’avoue, que maintenant, c’est plutôt: merci, au revoir !” Les demandes de collaboration trop directives ou intrusives sont connues des influenceurs, cibles des marques qui se positionnent sur le business récent du marketing d’influence, terriblement efficace et désormais incontournable pour les entreprises.

 

« Le marketing d’influence est en train de révolutionner la manière de faire de la communication” constate une cheffe marketing du groupe L’oréal, « avant tu faisais une grosse pub à la télévision avant le 20 heures, ton chiffre explosait. Maintenant on est obligés de miser aussi sur l’influence”. Cette stratégie “sans égérie” font émerger de petites marques qui bouleversent les plus grosses. La marque de cosmétiques NYX par exemple, née de cette digitalisation, dispose d’un spectre d’audience immense avec entre autre 6 499 272 références de la marque sur instagram. Ce principe du “bouche à oreille” numérique est « le meilleur moyen publicitaire que tu puisses avoir pour les petites entreprises, qui n’ont pas les moyens de se payer des gros spots publicitaires” conclut une responsable marketing digitale d’une start-up berlinoise.

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Clara Losi et Caroline Baudry