Asnières-Colombes : un électorat fracturé

 

Dans la circonscription d’Asnières-Colombes, une candidate LR du cru tente de s’imposer face à une prétendante LREM parachutée, tandis que la NUPES surfe entre les électorats écologistes et mélenchonistes. L’intrigue a lieu sur fond de fracture entre beaux quartiers et bastions populaires.  

Asnières, c’est la Marseille des Hauts-de-Seine.”, s’exclame Laurent Martin Saint-Léon, d’un ton provocateur. Cet ancien proche de Pasqua, aujourd’hui petit candidat divers droites à la députation de la 2e circonscription des Hauts-de-Seine, connaît bien le paysage politique local. Par cette analogie avec Marseille, il étrille les notables LR du coin. Manuel Aeschlimann, actuel maire LR d’Asnières avec 17 années de mandat à son actif. Et son épouse, Marie-Do Aeschlimann, adjointe à la Mairie, et aujourd’hui candidate aux législatives dans la 2e circonscription des Haut-de-Seine, qui recouvre la ville d’Asnières, et le sud de Colombes. “C’est une candidature népotique !”  persifle Laurent Martin Saint-Léon. “Depuis 1999, ils s’approprient les fonctions politiques à des fins familiales et cumulent les mandats.”

 Des candidats locaux associés à la gestion de la ville

Le cumul des mandats Aeschlimann ne préoccupe pourtant pas ces trois amies asniéroises qui discutent devant l’étal du poissonnier, dans les environs cossus du quartier de la gare d’Asnières. “Aux législatives je vais voter pour la majorité, annonce Hélène, élégante retraitée, boucles d’oreille dorées et col bien repassé, qui vit depuis 40 ans à Asnières. Je vais voter pour le candidat du parti présidentiel. Sinon ça ne sert à rien. » “Eh bien c’est Marie-Do alors” rétorque son amie Catherine, elle aussi habitante du quartier. “Mais non, Marie-Do, c’est LR”, la corrige Hélène. Plus qu’à son étiquette politique, le nom de Marie-Do Aeschlimann est associé à la gestion de la ville.  « Si les gens sont contents de la politique du maire, ils voteront pour Marie-Do », affirme Hélène.

 

En 2017, l’argument du local n’a pas pourtant pas suffi à faire remporter la députation à Mme Aeschlimann. Au second tour des législatives de 2017, le parti présidentiel a remporté la circonscription haut-la-main, avec 65,3% des suffrages face à la candidate LR, sous le nom d’Hadrien Taquet, rapidement remplacé par sa suppléante, Bénédicte Pételle. Mais cette dernière, Asniéroise LREM à la fibre sociale solidement implantée dans les réseaux associatifs de la ville, n’a pas été réinvestie pour l’élection de 2022. Pour cause de conflits internes au parti, explique-t-on. Ce qui pourrait peut-être rebattre les cartes.

« Où sont les Asniérois sur vos photos ? »

Car ici, le nom de de la candidate LREM désignée pour lui succéder ne dit rien à personne. Baï-Laure Achidi, avocate de profession, est élue au conseil municipal de Boulogne-Billancourt, à 10 kilomètres d’Asnières – autrement dit une autre planète -. Et ses adversaires LR ne manquent pas de le rappeler, à renfort de tweets incisifs.

Cyrille Reclus est adjoint à la Mairie d’Asnières. 

Du reste, à défaut d’ancrage local, Baï-Audrey Achidi plaide surtout pour une assemblée aux couleurs du parti gouvernemental. « Avoir un député de la majorité permet de mieux avancer. Mon rôle est de porter le projet présidentiel. », argue-t-elle

Quartiers nord, quartiers sud : la fracture

Pas sûr, pourtant, que l’argument convainque les habitants du nord de la ville.  Car comme la cité Phocéenne, Asnières a ses “quartiers sud » favorisés, et ses “quartiers nord”. Et dans ces derniers, Jean-Luc Mélenchon a triomphé au premier tour de la présidentielle, atteignant 70% dans certains des bureaux de vote, tandis qu’Emmanuel Macron a été massivement plébiscité dans les quartiers sud.

“La sociologie de la circonscription est bicéphale, explique Sébastien Perrotel, petit candidat divers droites, né à Asnières il y a 53 ans. Il y a d’un côté les quartiers extrêmement privilégiés avec des habitats pavillonnaires qui votent majoritairement à droite ou au centre. Et de l’autre, des quartiers d’habitat collectif, qui votent à gauche mais se mobilisent peu. Depuis les années 1960-1970, deux territoires se sont institués et qui peuvent s’opposer. Ces univers ne se mélangent pas. ». « La politique locale ici, me satisfait, même si j’ai l’impression que tous les efforts se concentrent pour les habitants des quartiers nord. », remarque Hélène. 

Ces derniers n’aquiesceraient pas. À quelques stations de bus d’ici vers le nord-est, aux abords de la frontière Genevilloise, Mohammed déguste un café-clope ensoleillé à la terrasse de chez Tonton, en face d’un ensemble HLM de briques rouge style année 1920.  « La Mairie a fait installer des caméras, mais ça ne stoppera pas les trafiquants. », soupire-t-il en désignant, du menton, un appareil flambant neuf suspendu à un lampadaire. « Ici à Asnières-nord, j’ai l’impression que tout se dégrade. La délinquance, le communautarisme… Et rien n’est fait pour les jeunes. » Mohammed n’a pas encore fait son choix de candidat, mais l’élection l’enthousiasme peu : « Je vote à chaque élection car c’est un devoir, mais ça ne changera rien ».

 

Terrain de pétanque et désertification médiale

À quelques stations de bus de là, bien installé à l’ombre des platanes de la place de la République, Louis observe, d’un œil expert, la partie de pétanque que se dispute un groupe d’habitués. Ici, les tours de la cité des Grésillons surplombent des ruelles parsemées de boutiques Lycamobile et de boucheries musulmanes. À l’heure du goûter, aucun enfant ne sort de la maternelle République, qui jouxte la place : le bâtiment a été transformé en centre d’hébergement d’urgence.

Retraité depuis plus de 20 ans, Louis tient à rester dans sa ville natale, qu’il a vu changer au cours de ses 76 années. “Asnières est devenue une ville de béton, regrette l’Ancien. La mairie ne s’occupe pas des quartiers nord, et le fossé se creuse avec le sud plutôt bourgeois. Et ici, il y a moins de sécurité, j’ai peur de sortir le soir. Ça craint à Asnières.” Louis est défaitiste à propos des élections législatives. “Je vais aller voter, mais sans illusions. On ne croit plus à la politique.”

A chaque élection, les boulistes se voient promettre un nouveau terrain de pétanque contre leur vote, mais les années passant, ils n’en n’ont toujours pas vu la couleur. Plus grave : les quartiers nord d’Asnières font face à un phénomène de désertification médicale. “Les médecins s’en vont, déplore Ernesto, dont les origines portugaises transparaissent par son léger accent. Avant, il y avait un centre médico-social juste à côté d’ici. Il a fermé il y a trois ans et depuis il n’y a plus de médecins nulle part. Je ne sais pas où prendre un médecin traitant. » 

 Observateur passif de la partie de pétanque, Abdelkader s’anime dès qu’il entend parler politique. Cet employé du transport bientôt retraité a voté Mélenchon au premier tour, et s’est abstenu au second. « J’ai cru à Macron en 2017 ! C’était le mouvement ! Mais j’ai été déçu, et je suis inquiet pour l’avenir. Je ne vote pas pour la droite ou pour la gauche : je choisis le politicien qui me plaît ».

 À ces mots, son ami Kleber, qui écoute la conversation d’une oreille, s’esclaffe : « Marie-Do, elle me plaît, c’est la plus belle femme d’Asnières ! ». Mais ce n’est qu’une plaisanterie, car le visage de Mme Aeschlimann est le seul qui lui soit familier : « Je ne voterai pas pour elle.  Ici, c’est Asnières-Nord, on est de gauche ! », sourit-il. Avant toutefois d’avertir : « Je ne voterai pas pour la NUPES non-plus… Cet assemblage-là, je n’y comprends rien ».

Climat pour Colombes, Mélenchon pour Asnières

En ces terres acquises à Jean-Luc Mélenchon, pourtant, la Nouvelle union populaire a ses cartes à jouer. Mais justifier la synthèse des gauches est un défi. Et c’est à Francesca Pasquini, enseignante Asniéroise, élue EELV d’opposition au conseil municipal, qu’incombe la tâche. Ce soir-là, la candidate et son équipe tractent à Colombes, à la gare des Vallées. Cette portion de la ville, rattachée à la circonscription d’Asnières, est jalonnée de manoirs rutilants. Très tôt raccordée à la capitale par le train, elle fut, au siècle dernier, une terre de villégiature prisée des Parisiens.

À 18h30, coup de départ de la distribution pour Francesca Pasquini et son équipe. « Votez pour la candidate écologiste aux législatives ! », lance un militant en tendant un papier estampillé « Agir pour le climat ». Écolo, plutôt que NUPES ? Thomas Bury, le directeur de campagne de Francesca Pasquini, expose la stratégie en toute transparence : « Ici, l’électorat de cette zone pavillonnaire, de nature CSP+, oscille d’une sensibilité écolo à une veine plus libérale/centre-droit. Alors, on distribue un tract qui parle climat, et on se présente sous la bannière écolo. ». En 2020, l’écologiste Patrick Chaimovitch a par ailleurs raflé la mairie de Colombes à la LR Nicole Goueta.

« Ce ne serait pas très habile de faire du Mélenchon ici. », concède Thomas Bury. À l’inverse, à Asnières-Nord, où les scores de l’écologiste Yannick Jadot n’ont pas dépassé les 2%, le chef de file de la France insoumise est volontiers mis en avant, et les tracts sont à son effigie.

« Ici, la REM a fait l’erreur de retirer la candidate locale. Peut-être parce qu’elle était trop de gauche pour le parti », spécule Pierre Parreaux, militant vert historique rallié à l’union de la gauche. « Ici rien n’est tranché car c’est un électorat de droite, mais modéré et susceptible d’osciller”. Dans la brèche entre les candidatures LR et LREM, et portée par son élan, l’union populaire tente de s’engouffrer.

Diaporama : Asnières-Colombes de nord en Sud

 

 

 

Législatives : dans la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, Gabriel Attal en terrain conquis ?

Devant la station de métro « Plateau de Vanves », les militants LREM tractent pour la candidature de Gabriel Attal aux élections législatives. ©Héloïse Bauchet

Plus que quelques jours avant le premier tour des élections législatives. Dans la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, tout semble sourire au candidat LREM et membre du gouvernement Gabriel Attal. Mais la NUPES s’organise et l’abstention menace le résultat du scrutin.

« Gabriel est souvent sur le terrain, dans les écoles, à la sortie des métros… Les tracts, les habitants les ont depuis longtemps ! On fait ça pour leur montrer qu’on est toujours là pour les législatives », explique Martin Garagnon, conseiller national En Marche et animateur du groupe « Vanves En Marche ». Mercredi 1er juin, dès 7h45, un groupe de militants s’est retrouvé au métro « Plateau de Vanves », tracts en main et vêtus de sweat shirts floqués « Gabriel Attal avec vous ». Ce matin, « Gabriel » n’est pas là, mais un grand drapeau à son effigie flotte devant la station. Les marcheurs sont « les seuls », selon Martin Garagnon, à avoir cet équipement de campagne sur toute la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine. Cette dernière regroupe les villes de Vanves, d’Issy-les-Moulineaux mais aussi la partie sud de Boulogne-Billancourt et la partie nord de Meudon.

A Vanves et à Issy-les-Moulineaux, les deux principales communes de la 10ème circonscription des Hauts-de-Seine, les militants LREM et NUPES tractent à la rencontre des électeurs. ©Héloïse Bauchet

Un candidat populaire

À Vanves, la plus petite commune des Hauts-de-Seine, Gabriel Attal s’est lancé dans la campagne sans trop d’appréhension et de difficulté. Ici, il jouit d’une forte popularité. « Il habite à une rue de chez moi ! Il faut le reconnaître, il connaît le territoire et on le voit souvent tracter à Vanves. Ici, il fait un peu l’unanimité », assure Chloé, 22 ans, qui s’apprête pourtant à voter pour la Nouvelle Union Écologique et Sociale (NUPES), plus en accord avec ses valeurs. En 2017, l’ancien porte-parole du gouvernement avait déjà remporté les législatives à plus de 60% au second tour. Mais cette année, les élections ne sont pas encore tout à fait gagnées pour celui qui vient d’être nommé ministre délégué aux Comptes publics.

Dans la circonscription, et en particulier à Vanves, Jean-Luc Mélenchon est arrivé juste derrière Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle. L’insoumis y avait recueilli 27% des voix contre 35,6% pour le président sortant. Alors, pour faire face à LREM, l’union des gauches s’organise. « Il faut mobiliser les électeurs de gauche ! Rien n’est écrit ! », lance Cécile Soubelet, la candidate étiquetée NUPES, en tendant un tract à une mère de famille qui sort de l’Intermarché d’Issy-les-Moulineaux. Accompagnée de Michael, militant La France Insoumise (LFI) d’une trentaine d’années, elle s’est rendue sur ce lieu de passage mardi 31 mai. Dès qu’elle le peut, cette salariée en communication prend sur son temps libre pour rencontrer les électeurs et affirmer la présence d’un vrai parti d’opposition. Sur les panneaux électoraux de la circonscription, seules quelques affiches du parti animaliste semblent nuancer l’impression d’un duel politique entre la NUPES et LREM. Les sept autres candidats y sont souvent absents et ne font pas réellement campagne dans la 10e circonscription.

Sur les panneaux électoraux de Vanves, les affiches sont peu nombreuses. Seules celles du parti animiste viennent concurrencer celles de NUPES et de LREM. ©Héloïse Bauchet

Une alliance stratégique avec la droite

Les candidatures de droite sont aux abonnés absents. Pourtant, ce territoire est marqué par la forte présence du parti politique de centre-droit, l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI). En témoigne la figure politique centrale d’André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, qui réalise actuellement son 8ème mandat. Rivaux au second tour des dernières législatives, l’UDI s’est cette fois-ci rangée aux côtés de LREM. Une alliance scellée par la candidature de Claire Guichard, adjointe à la mairie d’Issy depuis 25 ans, en tant que suppléante de Gabriel Attal. Compte tenu du poste de ministre de Gabriel Attal, c’est elle qui siègera à l’Assemblée en cas de victoire.

Le candidat marcheur a fait alliance avec Claire Guichard, adjointe à la Mairie d’Issy-les-Moulineaux. ©Héloïse Bauchet

Avec un candidat LREM plutôt très apprécié à Vanves et sa suppléante bien implantée à Issy-les-Moulineaux, la coalition semble relever d’une stratégie politique bien réfléchie, qui pourrait convaincre. « Je n’aime pas Gabriel Attal mais j’adore Claire Guichard. J’ai travaillé avec elle, c’est une femme géniale », lance Nathalie, une ancienne fonctionnaire d’Issy-les-Moulineaux, qui habite la commune depuis plus de 50 ans. « Mais ce n’est pas une tactique électoraliste ! », assure Martin Garagnon, plutôt une alliance qui assure la bénédiction du candidat marcheur par André Santini, figure influente s’il en est. « Si le maire va derrière Gabriel Attal, je le suis », explique ainsi Angel, un homme d’une cinquantaine d’années qui a passé la quasi-totalité de sa vie dans la ville. Comme la plupart des personnes interrogées dans la circonscription, il aime sa commune. Chloé aussi est « très attachée à Vanves » et n’a aucune intention de déménager. Pourtant, les villes de la 10ème circonscription ont beaucoup changé ces dernières années. « Il y a 50 ans, Issy c’était un village », explique Nathalie. Depuis, des immeubles ont poussé un peu partout, de grandes entreprises se sont installées. Le territoire est devenu plus attractif et les prix de l’immobilier ont augmenté. 

Un électorat idéal pour En Marche

Des évolutions qui ne semblent pas inquiéter outre-mesure les habitants, surement parce qu’ils jouissent d’un niveau de vie supérieur à celui du reste des Français. C’est le cas d’Angel, chef d’entreprise, qui « gagne très bien [sa] vie ». Selon l’INSEE, les habitants de la 10ème circonscription sont très diplômés (40% d’entre eux ont un diplôme de niveau bac+5, contre 15% à l’échelle nationale) et exercent majoritairement des professions de cadres (plus de 45% d’entre eux, contre un peu plus de 15% dans la reste de la France). Le portrait de l’habitant-type qui se dessine semble correspondre à la sociologie de l’électorat de LREM mise en avant par un sondage Sopra Steria. Mais pour Cécile Soubelet, « le territoire est quand même assez hétérogène. Il y a pas mal de logements sociaux notamment vers le Pont-de-Sèvre, la partie la plus à gauche de Boulogne-Billancourt. » C’est auprès des électeurs de ces zones que la NUPES espère aussi récolter des voix, même s’ils y craignent un fort taux d’abstention.

 

À l’échelle de la circonscription, les candidats s’attendent à une abstention avoisinant les 50%. Un élément de réponse : le relatif désintérêt de la population pour les élections législatives. « J’ai l’impression que ce sont des élections qu’on laisse un peu de côté par rapport à la présidentielle », observe Tom, un militant en marche de 18 ans venu lui aussi tracter devant la station de métro Vanvéenne. Pour ces élections, Gabriel Attal va donc devoir faire face à l’abstention mais aussi à la campagne assidue de la NUPES. Un combat d’autant plus crucial pour le candidat qu’en cas de défaite, il devra démissionner de son poste de ministre au gouvernement. 

Nikita Guerrieri et Héloïse Bauchet

 

 

Hauts-de-Seine : la 6e circonscription, véritable « Game of Thrones » des élections législatives

Mercredi 1er juin à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Le candidat LR Patrick Pessis (à gauche), l’élu et soutien de la candidate Fayza Basini, Emmanuel Canto (à droite) et un militant Reconquête (centre) distribuent des tractes. (© Imane Lyafori).

Dans la 6e circonscription des Hauts-de-Seine (Neuilly-sur-Seine, Puteaux, Courbevoie sud), 12 candidats se lancent dans la course aux élections législatives, dont le premier tour se tiendra le 12 juin prochain. Une multiplicité de profils, à gauche comme à droite, qui révèle des dissidences au sein de la majorité présidentielle et menace les voix des Républicains.

« Casse toi ! », fustige un passant, en levant le bras au ciel. Martin*, militant de la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale (NUPES), ne se décourage pas pour autant. Une nouvelle masse de personnes se dirige vers la sortie de la gare de Puteaux (Hauts-de-Seine). Le trentenaire repart aussitôt à l’attaque. « Bonjour monsieur, votez pour la justice sociale ! », tente-t-il en tendant des tractes. De l’autre côté des marches, Julie Barbaux, professeure des écoles et candidate NUPES aux élections législatives dans la 6e circonscription des Hauts-de-Seine (Neuilly-sur-Seine, Puteaux, Courbevoie sud), se charge de ceux qui seraient passé entre les mailles du filet. « Dès que je sors du travail, je me dépêche de rouler avec mon vélo jusqu’aux lieux de tractage. Heureusement que ça ne dure que quelques semaines », lance-t-elle en riant.

Un exercice de taille dans cette circonscription traditionnellement à droite où pas moins de 12 candidats, dont huit allant du centre à l’extrême droite, se présentent. La candidate sortante Constance Le Grip, ex-Les Républicain (LR) aujourd’hui investie par la majorité présidentielle, est à la tête des villes de Neuilly-sur-Seine, Puteaux et Courbevoie depuis son élection comme députée en 2017. Une victoire qu’elle avait obtenue avec 53,8% des voix contre son opposant de l’époque, Laurent Zameczkowsi (LREM) avec 46,1%. Des chiffres loin des résultats obtenus par La France Insoumise (LFI) qui n’avait séduit que 4,96% des votants au premier tour. « On a encore une chance de faire passer des lois qui ne sont pas destructrices pour ce pays », soutient Martin, pour qui les élections législatives du 12 et 19 juin prochain peuvent « aider les gens à faire le bon choix ».

La 6e circonscription des Hauts-de-Seine représente les villes de Neuilly-sur-Seine, Puteaux et de Courbevoie sud et compte 117 731 habitants. (© Adrien Chapiron).

La macronie s’invite chez Les Républicains

Changement d’ambiance radical au théâtre des sablons (Neuilly-sur-Seine). La candidate sortante Constance Le Grip affiche ses nouvelles couleurs macroniennes. Selon elle, cette investiture était nécessaire pour faire « face aux extrêmes, de gauche comme de droite ». Tout est mis en œuvre pour présenter l’ancienne députée européenne comme « une élue locale en phase avec les réalités [du] département ». Un récit déroulé tour à tour par les différents élus réunis autour d’une table placée face au public. Les vidéos de soutien de l’actuel ministre délégué chargé de l’Europe Clément Beaune et du ministre de l’Economie Bruno Le Maire en impressionnent certains dans la salle. Des invités de taille qui réussissent à convaincre quelques futurs votants. « Le discours de Mme. Le Grip est vrai, sincère et cohérent. C’est devenu très rare en 2022 », insiste Carole, 61 ans, qui arbore l’un des tee-shirts à l’effigie de la candidate.

Mardi 31 mai à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Des tee-shirts à l’effigie de la candidate Constance Le Grip sont distribués lors de sa réunion publique tenue au théâtre des sablons. (© Imane Lyafori).

C’est aussi une manière pour l’ancienne députée LR d’assoir sa légitimité. « Les ministres m’ont spontanément proposé leurs soutiens. Ça montre que je suis une personne fiable et crédible », assure-t-elle. Pour cause, une autre candidate marcheuse de la première heure, soit depuis 2016, aurait dû être investie par la majorité présidentielle. Du moins, c’est ce que défend Fayza Basini, candidate dissidente LREM, qui aborde le sujet avec un sourire crispé. « Le succès d’En Marche attire des candidats, forcément. Mais personne ne connaît le nom de Constance Le Grip. Moi-même, si je n’étais pas engagée en politique, je ne la connaîtrais pas », lance-t-elle.

Du côté des soutiens de Fayza Basini, les mots sont plus durs envers l’ancienne LR. « On vit très mal ce ralliement de dernière minute », confie Emmanuel Canto, chef du groupe municipal d’En Marche Puteaux. « Il paraît que Nicolas Sarkozy est intervenu pour la faire investir », chuchote l’élu. « Mais bon, entre l’original et la contrefaçon… », ajoute Eric Becque, ancien président du comité de Neuilly-sur-Seine, en levant les yeux aux ciel. Mais hors de question de changer de cap pour la marcheuse « chiraquienne et juppéiste » qui assure ne pas avoir été exclue par la majorité présidentielle mais bien s’être retirée de son plein gré. « Ça fait plus de 10 ans que je suis engagée sur ce territoire. Je connais les dossiers ».

Mercredi 1er juin à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Emmanuel Canto tracte pour la candidate dissidente Ensemble !, Fayza Basini. (© Adrien Chapiron).

A la suite de cette annonce, Paul s’est engagé auprès de la candidate dissidente. Tous les matins, entre huit et neuf heures, le salarié de 29 ans essaye tant bien que mal d’aborder les passants très pressés de l’avenue Charles de Gaulle. « Pour moi, Fayza Basini est la meilleure candidate pour la circonscription. Elle porte les valeurs progressistes qui me sont chères. Contrairement à Constance Le Grip et son positionnement autour du mariage pour tous », affirme-t-il en distribuant des tracts. En 2014, l’ancienne élue LR, à l’époque députée européenne, avait signé la charte de la Manif pour tous où les principes étaient de « défendre le mariage et la filiation en cohérence avec la réalité sexuée de l’humanité ». En 2017, la candidate avait également co-signé une proposition de loi « visant à la protection de l’enfant », associant la pédopornographie et le mariage entre personnes du même sexe.

Une campagne sur fond de querelles familiales 

Dès 10h30, la place du marché est prise d’assaut par les différents candidats et leurs tracteurs respectifs. Tous se positionnent à différents points de passages stratégiques. Impossible de continuer son chemin sans repartir avec quelques brochures. Les républicains et les macronistes se font face. « Ici, c’est comme un petit Game of Thrones », avance Patrick Pessis, candidat LR et scénariste. Mais rien de bien décourageant pour Sasha, 18 ans. « LR c’est la vraie droite. Je resterai fidèle à ce parti, quoi qu’il arrive », prévient le tracteur.

Le remplaçant express de Constance Le Grip dénonce une « inconstance » chez son ancienne collègue. « Ça faisait un mois et demi qu’on tractait pour Constance. Il y a deux semaines, un dimanche soir, on apprend par la presse qu’elle se rallie à la majorité présidentielle. Le matin même, elle nous demandait de tracter pour elle », se souvient le candidat. Une trahison qui ne passe pas. « La manière de faire est tout de même assez basse. Elle nous a trompés sans négociation. Je pense qu’elle a fait ça par opportunisme », juge Patrick Pessis.

Bien loin des soucis de familles que rencontrent certains, Franck Keller, candidat Reconquête, mise sur les 18,75% de Neuilléens ayant voté pour Éric Zemmour à l’élection présidentielle. « Les idées avancées par Éric Zemmour reçoivent un écho important au sein de la population de Neuilly-sur-Seine, sachant que le Rassemblement national, sur cette circonscription, n’a jamais fait de score important », assure-t-il, confiant. En 2017, le Rassemblement national n’a récolté que 3,9% des voix au premier tour. Un score qui justifie sans doute la candidature de Marie-Caroline Le Pen. Contacté à ce sujet, la candidate n’a pas donné suite.

Imane Lyafori

À Nanterre et Suresnes, la lutte de la Nupes pour convaincre les électeurs

Lors des précédentes élections législatives en 2017, la gauche a perdu pour la première fois depuis 2002. Cette année, Sabrina Sebaihi, candidate de la Nupes, et ses équipes de campagne redoublent d’effort pour convaincre et refaire basculer Nanterre et Suresnes de leur côté.

À Suresnes ce mercredi 1er juin, quelques affiches de campagne sont déjà présentes sur les panneaux d’affichage électoraux près de la mairie. Celles de “la candidate d’Emmanuel Macron”, Isabelle Florennes, députée sortante ; de Florence Muller, candidate du parti Reconquête d’Éric Zemmour ; mais aussi de Sabrina Sebaihi, choisie pour représenter la Nupes (Nouvelle union populaire, écologique et sociale) aux élections législatives. Dans la ville voisine, Nanterre, la situation est bien différente. Les affiches de la candidate de la Nupes sont les plus nombreuses, et rares sont les autres candidats à apparaître sur les murs ou les panneaux d’affichage aux alentours du centre-ville.

Pendant quinze ans, la 4e circonscription a été un bastion de la gauche : jusqu’en 2017, c’est Jacqueline Fraysse, figure emblématique du Parti communiste français, qui représentait les villes de Nanterre et Suresnes à l’Assemblée nationale. Mais en 2017, c’est Isabelle Florennes, la candidate du MoDem soutenue par La République en Marche d’Emmanuel Macron, qui est élue députée. Un coup dur pour la gauche qui, pour ces nouvelles élections législatives, espère reprendre la circonscription en main. 

C’est dans cette optique que la candidate de la Nupes multiplie les actions. Porte-à-porte, distribution de tracts, réunions publiques : “On est mobilisé tous les jours, explique Béchir Saket, membre de la direction de campagne de Sabrina Sebaihi. D’habitude, ce rythme est atteint trois jours avant le premier tour.”

La Nupes rassemble les principaux partis à gauche de l’échiquier politique français, tels qu’Europe-Écologie-Les-Verts (EELV), la France insoumise ou le Parti socialiste. Pourtant, dans la 4e circonscription, sept candidatures étiquetées à gauche viennent s’ajouter à celle de Sabrina Sebaihi. “Ce sont des candidatures qui participent à la division de la gauche, regrette Béchir Saket. Ça nous inquiète, mais on accepte.” 

On espère qu’elles seront suffisantes pour faire valoir les idées de gauche mais pas assez pour diviser la gauche.” – Béchir Saket

Le matin du 31 mai, Marcel, retraité nanterrien, est venu faire son marché place du Maréchal Foch. Équipé d’un chapeau blanc et de sa canne, il se dirige vers les étalages de fruits et légumes, en plein soleil. Installé à Nanterre depuis les années 1970, il n’est pas étonné de voir autant de candidatures à gauche. “Nanterre est une ville de gauche, le maire a longtemps été communiste,” explique-t-il. Selon lui, la division risque de faire perdre la gauche aux législatives. C’est ce qu’espère d’ailleurs la députée sortante Isabelle Florennes. À la question “la division de la gauche peut-elle vous faire gagner ?”, la réponse est claire et assurée : “Oui. D’autant plus que j’ai la chance de réunir Les Républicains et Renaissance.”

Alexis Martin, directeur de campagne de Sabrina Sebaihi, est cependant plutôt confiant quant au passage de sa candidate au 2nd tour. Il voit en ces multiples candidatures “un réservoir de voix”. Valéry Barny, candidat du “parti underground” Citoyen Responsable, classé à gauche, rejette fermement cette idée : “Les gens ont la liberté de penser et d’agir. Je ne suis personne pour leur dire quoi faire.” Pour lui, pas question de soutenir la Nupes : “Ce n’est pas un bon message pour les Français, estime-t-il. On regroupe des personnes qui hier se sont affrontées !”

Faire baisser le taux d’abstention de Nanterre

Mais si la candidate de la Nupes et ses équipes ne s’inquiètent que peu de la concurrence à gauche, c’est parce que la véritable menace est l’abstention. “Nanterre a tendance à moins voter que Suresnes,” constate Alexis Martin. Il ajoute que ce sont surtout les habitants des quartiers populaires qui se déplacent le moins lors des élections législatives. Un vrai problème pour Sabrina Sebaihi car ce sont ces habitants qui, lors des grandes échéances telles que l’élection présidentielle, votent le plus à gauche. Face à une ville comme Suresnes, très ancrée à droite, les militants tentent de mobiliser les électeurs nanterriens. “Moins les gens voteront, plus ce seront les habitants de Suresnes qui donneront le la, explique Béchir Saket. Le jour des résultats, on saura si on a gagné ou non dès qu’on verra l’estimation du taux d’abstention.”

Pour tenter de pallier cette faible participation, la candidate de la Nupes mène “une campagne de proximité”. En fin de journée, le 31 mai, elle allait à la rencontre des habitants de Suresnes en faisant du porte-à-porte, pendant qu’une partie de son équipe faisait de même dans le quartier du Chemin de l’Île  à Nanterre. Le rendez-vous est fixé devant l’école Émile Zola. À peine arrivée, Christine, retraitée de 71 ans, commence à distribuer des tracts à quelques passants. Elle sera rejointe par Perrine, Alexis et Nicolas. Un groupe à l’image de la nouvelle coalition de gauche : Nicolas et Christine sont de l’Union populaire tandis que Christine et Alexis sont d’EELV. « Une cohabitation qui se passe à merveille », lâchent Nicolas et Perrine, en plaisantant. Cela fait près de quinze jours qu’ils arpentent les marchés, se postent devant les écoles et les gares de la circonscription pour faire connaître leur candidate, mais surtout convaincre les habitants d’aller voter, en particulier dans les quartiers populaires.

Le porte-à-porte est un moyen efficace, qui a fait ses preuves, notamment pendant l’élection présidentielle, s’accordent à dire le quatuor. Jean-Luc Mélenchon avait récolté 32,97% des voix. Durant 1 h 30, le groupe part à la rencontre des habitants des bâtiments Ouessant et Quiberon. Si certaines portes restent fermées, d’autres s’ouvrent et donnent lieu à des discussions encourageantes. À l’image de cet habitant qui a appris grâce au passage des militants qu’il y avait des élections les 12 et 19 juin, et qui compte aller voter. Une mini victoire pour les militants qui, au cours des porte–à-porte, essayent de convaincre les plus déçus de la politique et de faire de la pédagogie en rappelant sans cesse les dates des scrutins et l’importance des élections législatives. “Plus on aura de députés à gauche, plus on aura de chance de faire élire Jean-Luc Mélenchon Premier ministre”, explique Alexis aux habitants.

Convaincre les habitants des quartiers populaires, et en particulier les plus jeunes. À 18h30 ce mardi 31 mai, Kenzy Gauthiérot-Pancarte attend quatre personnes au quartier général de la campagne de Sabrina Sebaihi, pour la “réunion jeunes” qu’il a organisée. “La semaine dernière on était une dizaine, mais aujourd’hui les étudiants ont fini leurs partiels et sont partis en vacances”, regrette-t-il. Il a malgré tout prévu des jus de fruits, du café et quelques gâteaux pour accompagner les discussions. Dans le petit local, où quelques chaises côtoient une pile de prospectus de campagne, ils seront en effet quatre à venir. Malo, étudiant en deuxième année de licence de droit et militant d’EELV. Pierre, qui travaille depuis un an dans le domaine de l’intelligence artificielle et est venu à cette réunion par curiosité. Et enfin Loïc et Adrien, lycéens d’à peine 18 ans, venus après avoir rencontré Kenzy Gauthiérot-Pancarte quelques semaines plus tôt.

Eux n’y connaissent rien en politique : “ça ne me rapporte pas d’argent et on ne m’en a jamais parlé, donc je ne m’y suis jamais intéressé”, reconnaît Loïc. Pendant près d’une heure pourtant, il a tenté de comprendre ce qu’est la Nupes, mais aussi le fonctionnement général de la vie politique ou la différence entre chaque parti politique. À plusieurs reprises, Kenzy Gauthiérot-Pancarte a tenté de faire comprendre aux deux lycéens qu’eux aussi ont un rôle à jouer dans le monde politique. “On a besoin de vous, martèle-t-il. Ce ne sont pas les plus vieux qui doivent dicter les choses, vous êtes ceux qui subiront le plus les décisions politiques.

À 20h30, alors que le local s’assombrit au fur et à mesure que la nuit tombe, Adrien, bien moins bavard que son camarade, se libère : “C’est agréable de discuter avec vous, on se découvre nous-aussi.” Loïc et lui sont prêts à revenir la semaine suivante. Pour en apprendre plus sur la politique, mais surtout pour profiter des pizzas proposées par Kenzy Gauthiérot-Pancarte et en apprendre plus sur la marche à suivre pour devenir député et profiter du salaire assorti à la fonction. L’organisateur de la soirée est heureux de les avoir vu ce soir, et surtout de savoir qu’ils reviendront. “Même si ce n’est pas pour les bonnes raisons”, reconnaît-il.

Keisha Mougani et Laura Merceron