Depuis le début du confinement, les colleuses de slogans dans la rue contre les féminicides ont été contraintes de cesser temporairement leur activité militante. Elles s’adaptent désormais en tentant d’envahir les réseaux sociaux avec des montages photos de leurs collages.
« En France, une femme sur dix a été violée ou le sera au cours de sa vie ». Le slogan qui s’affiche en lettres capitales noires sur la façade vitrée du Louvre surprend. Pourtant cette phrase n’a jamais été collée sur le devant du musée. Cette photo, diffusée sur le compte Instagram de Collages Féminicides Paris, a été créée de toute pièce, par des militantes féministes. Le but : continuer de faire vivre les collages qui dénoncent les violences faites aux femmes malgré le confinement et l’impossibilité de réaliser de véritables collages dans les rues.
L’initiative, lancée par la graphiste Emilie Dupas, est simple. Grâce à des logiciels de retouche photo, les militantes mettent en scène leurs slogans sur des lieux aussi symboliques que la tour Eiffel ou un commissariat. Des images qui ont tout pour devenir virales. Une façon également de réaliser virtuellement des collages impossibles à faire dans la réalité, depuis la mise en place du confinement le 17 mars en raison de l’épidémie de coronavirus.
Eva Viallon, graphiste, fait partie des petites mains qui donnent vie à ces collages virtuels : « Je réalise ces collages virtuels depuis fin mars. J’avais déjà fait seulement un collage dans la rue auparavant. Depuis le confinement, je me suis impliquée un peu plus dans la lutte. »
Si les réseaux sociaux ont toujours été un outil de poids pour les colleuses, ils le sont encore plus aujourd’hui pour continuer à médiatiser leur combat. « Les réseaux sociaux sont un peu les nouveaux médias, quasiment tout le monde est sur les réseaux, tu as plus de visibilité. Le confinement fait que l’on passe plus de temps sur les réseaux sociaux, il était donc nécessaire de continuer la lutte afin de toucher encore plus de monde« , poursuit Eva Viallon.
Dès septembre 2019, les photos de véritables collages avaient massivement circulé sur Instagram et Twitter. Ils avaient participé à faire connaître la réalité des violences violences conjugales et l’ampleur du problème.
Militer depuis chez soi
Eva Viallon peut ainsi consacrer jusqu’à deux heures à la réalisation d’un collage virtuel. Elle choisit des images libres de droit ou disponibles sur Google Street View. Ce sont parfois même des proches de victimes qui la contactent directement en choisissant le lieu et le slogan. « Le confinement m’a seulement permis de me donner plus de temps pour mieux comprendre le féminisme et comment m’engager davantage« , explique la militante.
En parallèle de ces collages virtuels, les militantes de Collages Féminicides ont également lancé une initiative à destination des victimes de violences conjugales. Celles-ci étaient encouragées à se prendre en photo avec une phrase de leur compagnon ou mari violent, mais également de leur père, grand-père et même de policier quand elles ont voulu porter plainte.
Les violences faites aux femmes pendant le confinement, une situation préoccupante
Du fait de la promiscuité entre les victimes et leurs agresseurs, le problème des violences domestiques et conjugales a beaucoup augmenté depuis le début du confinement. Début avril, Marlène Schiappa avait annoncé une augmentation de 32% des violences conjugales depuis le 17 mars.
Pour lutter contre cette situation des numéros et des plateformes d’écoute ont également été mis en place. Les femmes victimes peuvent aussi être accompagnées en appelant le 3919.
Face à la fermeture forcée des espaces sportifs à cause du confinement lié au Covid-19, l’offre de coaching en intérieur connaît une croissance fulgurante. Les réseaux sociaux et autres applications deviennent un refuge salutaire pour la population confinée ; un eldorado de circonstance pour les professionnels du secteur.
« Encore une fois, c’est la dernière ! Et on relâche, soufflez bien. » Alors que de fines gouttes de sueur terminent leur course sur le tapis du salon, Charlotte retrouve sa respiration. La séance sportive, qu’elle suivait sur son ordinateur portable, est terminée. Depuis l’interruption de son service civique à cause du confinement, la jeune femme de 22 ans a dû troquer son bureau de l’Opéra national de Paris pour son appartement exigu, situé en banlieue parisienne. Elle remarque avec joie les progrès réalisés depuis sa reprise du sport, échappatoire aux trente mètres carré dans lesquels elle demeure enfermée et à l’isolation physique.
Comme elle, un grand nombre de sportifs néophytes ont décelé en cette période de confinement un moment propice pour s’essayer aux pompes et autres exercices de musculation. Contrer l’inactivité et se défouler ont incité une partie croissante de la population cloîtrée chez elle à user des contenus sportifs sur Internet. A l’heure où piscines, salles de sport et terrains sont fermés, ce sont notamment les réseaux sociaux qui ont accueilli à bras ouverts les professionnels du secteur sportif.
Renouer en direct ou en différé avec l’effort
« Ça m’est venue très naturellement, cette idée de proposer des cours en live sur les réseaux sociaux », s’enthousiasme Erika Arzac. Depuis 2016, la coach sportif met à profit son entrain dans une grande enseigne de salles spécialisées. C’est dorénavant derrière un écran que la pétulante femme de 38 ans offre gratuitement ses services. 30 personnes en moyenne participent à ses séances quotidiennes, diffusées en direct sur Facebook. « Je mets toujours beaucoup de conviction, beaucoup de passion dans la réalisation de ces vidéos. Je m’efforce de rester le plus naturel possible, fais en sorte de reproduire ce que je fais réellement en cours », souligne-t-elle. Corollaire de cette recette authentique gagnante, la croissance galopante du nombre de ses abonnés est constituée de fidèles, mais aussi de petits nouveaux du monde du sport qui ont fait le choix d’investir les réseaux sociaux.
Pour sa part, c’est lors d’une intervention sur un feu que Maxime a décidé de redresser la barre, avant même le confinement. Ce pompier volontaire résidant à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées, a opté pour un entraînement personnalisé via une application. « Elle me permet d’avoir un suivi régulier, je pense que l’intelligence artificielle, un coach virtuel, analyse nos performances et nous envoies sur d’autres exercices afin de progresser », détaille ce directeur de centre de loisirs de 26 ans. Le temps libre octroyé par l’obligation de rester chez lui l’enjoint à conserver sa motivation. Et de ne pas retomber dans des travers peu diététiques. Comme le précise Elodie Dincuff, community manager de l’application à l’échelle européenne, Maxime semble faire partie du pic habituel d’abonnements, en phase avec les bonnes résolutions du Nouvel an et de la rentrée. Reste que l’application a grimpé de la 750e à la 113e place au classement des applications quotidiennement téléchargés sur iPhone, d’après les données analytiques d’App Annie, spécialiste du suivi des industries des applications mobiles.
Face à l’instauration de la limite d’une heure de jogging quotidienne, les pouvoirs publics s’efforcent tout autant de proposer des alternatives sportives en intérieur. Le ministère des Sports, qui recommande une heure d’activité physique par jour pour les enfants, a développé une nouvelle offre en partenariat avec certaines fédérations : la Fédération française de cyclisme (FFC) a ainsi lancé son #RoulezChezVous, tandis que la Fédération française d’éducation physique et de gymnastique volontaire (FFEPGV) propose sur son site des vidéos d’activités supervisés par des professionnels.
Le confinement confirme en parallèle un phénomène autrement plus circonstanciel : une communication accrue entre les différents sportifs à domicile, mus en une communauté à part entière. « Cela a été un facteur décisif dans le choix d’utiliser une application, avec l’entraide et les conseils qui vont avec », confirme Elodie, qui profite de la fin de sa reconversion professionnelle dans la mécanique ferroviaire pour s’atteler à reprendre le crossfit. Preuve que le sport sous-tend un lien social recherché à l’occasion du confinement. « J’ai fortement été surpris de voir que, lors de mes lives, il y avait des gens de ma région normande, mais aussi des gens du Grand-Est, de Lyon, de Marseille et de Paris », explique Erika, dont les vidéos ont fait l’objet de l’engrenage numérique de partages et commentaires. Ce rôle social associé à son métier, la coach sportif s’efforce de le faire prospérer par l’intermédiaire des claviers, entre réconfort pour une motivation défaillante et encouragements.
Contre l’isolation suscitée par le confinement, il y a une unanimité des néo-sportifs d’intérieur sur l’intérêt mental de l’exercice physique. « J’ai tiré parti du confinement pour débuter le sport et dynamiser ma condition physique, mais aussi pour garder le moral et éviter le canapé », confie Charlotte, alors qu’elle conclut ses étirements à l’aide d’une chaise. Tout comme Maxime, elle met en exergue une confiance en soi revigorée et une activité ranimée alors que le spectre de la procrastination n’est jamais loin. « Les journées se ressemblent cruellement toutes. Et la séance de sport est un peu devenu le rendez-vous bien-être du quotidien », ajoute l’étudiante.
Toutefois, le secteur du sport essuie un étonnant contraste dans les conséquences économiques de cette période de confinement. Alors que d’innombrables offres de coaching, par application ou vidéos, font florès, il est encore difficile d’établir le développement financier de ces structures. D’autres demeurent dans l’appréhension, tel Erika Arzac qui a acquis un statut d’autoentrepreneur en 2018. L’ancienne militaire espère ainsi que le déblocage exceptionnel de l’Aide à l’entreprise (ARCE), décidé en mars par le gouvernement, sera reconduit au mois d’avril. « Avec un déconfinement le 11 mai et une réouverture bien plus tardive des salles de sport, j’ai peur des retombées économiques par rapport au fait que, si on ne peut plus disposer de cette aide, cela risque d’être très compliqué », pointe-t-elle. Surtout, la pugnace coach de l’Eure espère retrouver le plus rapidement possible le monde concret, où sport rime, de toujours, avec le plaisir de se retrouver.
Le 26 avril dernier, l’IGPN, souvent appelée la « police des polices », a été saisie de deux enquêtes pour des propos racistes proférés par des policiers lors d’une interpellation en Seine-Saint-Denis. Depuis le début du confinement, des vidéos d’interpellations violentes se multiplient, dans les médias et sur les réseaux sociaux. Pour Sébastien Roché, sociologue et chercheur au CNRS, spécialisé dans les relations entre police et populations, « il faut des outils pour faire évoluer les comportements des agents ».
Sébastien Roché, sociologue et chercheur au CNRS, spécialisé dans les relations entre police et populations, nous explique pourquoi malgré ce recensement inédit des violences policières, le changement des comportements de policiers n’en sera pas accéléré car « beaucoup de maillons manquent« . Pour lui, il faut une « reconnaissance par le Premier ministre du problème. Si le ministre de l’Intérieur n’est pas aussi convaincu du problème de violences dans la police, il n’y aura pas de changement« . Ensuite, « il faut des outils de diagnostic du problème, et des outils pour faire changer la formation« .
Comment expliquer que le confinement donne l’impression d’un accroissement des violences policières, depuis quelques semaines ?
Sébastien Roché : On retrouve des déterminants structurels connus des violences policières dans cette situation de confinement. Le confinement donne un instrument supplémentaire aux policiers, puisqu’il leur permet de vérifier toute personne, en tout lieu, et à tout moment. Il n’y a plus de nécessité pour la police de justifier le contrôle. Et à partir de là, l’outil qui est confié aux policiers est alors dangereux. On leur donne un pouvoir extraordinaire. Mais on voit que le déroulement des vérifications est différent, selon l’endroit où il se déroule. On n’a pas de prise à partie violente dans le 16ème arrondissement de Paris par exemple. Les éléments objectifs matériels que nous avons montrent que c’est le détournement de l’usage de l’outil de surveillance qui est dangereux. Cet usage est limité à certains territoires en pratique : souvent les territoires les plus pauvres, où il y a davantage de mixité ethnique. Aucune personne ne peut se soustraire au contrôle, et les policiers n’ont pas à justifier le motif. De façon alors très soudaine, le niveau de contrôle des comportements devient extrêmement préoccupant.
Par ailleurs, beaucoup d’études montrent qu’il y a une réalité des discriminations sur une base ethnique. Les études de l’Agence européenne des droits fondamentaux, celles du Défenseur des Droits, notamment. On a beaucoup de preuves de la discrimination policière, mais elle n’est pas reconnue en dépit de ces preuves par le ministre de l’Intérieur. Le président de la République l’a d’ailleurs aussi reconnu pendant sa campagne, mais ne le reconnaît plus depuis qu’il a été élu.
De plus en plus de vidéos circulent sur les réseaux sociaux, et permettent un recensement, au moins partiel, des violences policières. Cela a-t-il un effet sur l’institution policière ?
Avant l’usage généralisé des médias sociaux, il n’y avait que des myriades de petites associations, fragmentées, isolées les unes des autres, qui se plaignaient des violences commises par les policiers et essayaient de poursuivre les policiers en justice. Ça concernait alors peu le public. Avec les médias sociaux, et l’épisode des gilets jaunes, il y a eu cet usage beaucoup plus généralisé des vidéos. On a pu constater l’effet que ça a eu sur le gouvernement. La prise de conscience a été longue, mais il est arrivé un moment où le gouvernement n’a pas pu nier les violences policières plus longtemps. Mais aujourd’hui encore, ce n’est pas l’Etat qui est capable de recenser les violences de manière précise : c’est la mobilisation des citoyens qui produit ça. C’est un petit résultat, ça ne changera pas les pratiques des policiers rapidement, mais c’est aussi un énorme changement. C’est la première fois dans l’histoire qu’il y a une sorte de mobilisation à travers cet outil, pour dire que certains comportements ne sont pas acceptables.
La médiatisation des violences policières pourrait-elle apporter un changement radical et rapide à venir dans les comportements policiers ?
Non, ça ne peut pas être rapide. Ces organisations sont énormes. La police, c’est 150 000 agents. Et les outils pour faire changer ces comportements réellement n’existent pas, en fait. Cette sensibilité nouvelle du public ne se transforme pas en une modification quelconque. Beaucoup de maillons manquent pour cela. Quels sont-ils ? La première chose, c’est la reconnaissance par le Premier ministre du problème. Si le ministre de l’Intérieur n’est pas aussi convaincu du problème de violences dans la police, il n’y aura pas de changement. La deuxième chose, c’est qu’il faut des outils de diagnostic du problème, et des outils pour faire changer la formation. Il faut un contrôle sur ces formations et ces jeunes policiers. Et pour l’instant on a rien de tout ça.
En ce qui concerne la formation des policiers, le ministère de l’Intérieur n’a pas d’outils pour diagnostiquer par exemple la bonne connaissance par les agents des droits fondamentaux. Le ministère ne sait pas comment évaluer le fait que les agents ont bien compris ou non comment respecter ces droits. Il n’a pas d’outils pour former les commissaires de police au leadership. Le ministère ne sait pas non plus comment former des commissaires, pour que le racisme n’ait pas sa place dans la police. Ils n’ont pas d’outils pour enregistrer ces phénomènes au niveau local non plus. Il faut qu’une personne se noie pour que l’IGPN enquête. Et c’est trop tard, l’enquête devrait avoir lieu avant le drame.
Les violences policières serait donc un problème intrinsèque à la formation des policiers ?
Ce que nous savons, c’est que les élèves policiers sont plus respectueux de la loi, plus ouverts, plus empathiques envers la population quand ils arrivent à l’école. Le problème est donc en partie dans la formation, mais c’est surtout après le passage en école, que le plus important se déroule. Les élèves font des stages, et sont pris en charge par un tuteur. Ensuite, dans le groupe professionnel, ils désapprennent un certain nombre de choses, les collègues ont tendance à les former autrement encore. Et ça, c’est ce qu’on appelle la culture professionnelle, les normes que partagent les agents. Ce n’est pas en changeant la formation qu’on va changer le système donc.
Il faut changer aussi l’encadrement local, les retours d’expériences. Il faut des outils pour faire évoluer les comportements des agents, on ne peut pas juste changer les nouveaux policiers. Il faut changer aussi ceux qui vont les former. Mais ces retours d’expériences, ces outils, sont peu existants. Cette analyse des pratiques devrait se faire au niveau des commissariats. Le patron du commissariat doit faire en sorte que ses agents réfléchissent à ce qu’ils font. Ce ne serait pas une sanction, ni une formation, mais des pratiques qui permettraient d’analyser la qualité de la police tout au long de l’exercice du métier.
Rebecca Gomes, une Française tout juste diplômée en communication, s’est engagée auprès de femmes en situation de précarité à Manille au sein de l’ONG Life Project 4 Youth. Un projet d’un an, débuté en février dernier, forcément affecté par l’arrivée de l’épidémie de coronavirus dans l’archipel des Philippines.
Rentrer en France ou rester à Manille ? Cette question, Rebecca Gomes, 24 ans, se l’est posée lorsque, le 16 mars, l’épidémie de coronavirus a plongé les Philippines et Manille, sa capitale, dans un confinement général. Mais pour cette jeune femme de 24 ans, volontaire en mission humanitaire auprès de l’ONG Life Project 4 Youth (LP4Y) depuis février, la décision a été prise rapidement : elle restera.
Elle continue donc d’aider ces « Jeunes », des femmes et jeunes mamans issues de Tondo, l’un des quartiers de Manille les plus densément peuplés au monde et l’un des plus pauvres de la mégapole. Sa mission : aider ces personnes, victimes d’exclusion sociale et vivant dans une extrême précarité, à s’insérer socialement et professionnellement. Rebecca accompagne ainsi dix-sept jeunes femmes pour développer leurs compétences et leur confiance en soi en vue d’une future employabilité. Un rôle que la Française, originaire de Seine-Saint-Denis, prend à cœur. D’autant plus que l’arrivée du Covid-19 a rendu son engagement, plus que jamais, utile pour ces populations en difficulté. Elle raconte.
L’épidémie du coronavirus est arrivée sur l’île de Manille en mars. Qu’est-ce qu’elle a changé dans le déroulement de ta mission ?
Rebecca Gomes : En temps normal, les centres LP4Y accueillent les « Jeunes » du mardi au samedi, 7 heures par jour. Depuis l’annonce du confinement, tous les centres ont cessé leurs activités quotidiennes. Néanmoins, nous continuons à garder un suivi quotidien avec elles. Chaque semaine, elles reçoivent des activités pédagogiques à réaliser à distance, ce qui s’avère parfois compliqué sachant que certaines n’ont pas de téléphone. Une fois par semaine, les « Jeunes » viennent au centre afin de récupérer leurs indemnités hebdomadaires, ce qui me permet de débriefer avec elles leur semaine passée et d’évaluer les besoins de celle à venir.
Cette indemnité fait partie intégrante du programme pédagogique et permet aux « Jeunes » de subvenir à leurs besoins primaires et faire des économies en vue de leur intégration professionnelle. En cette période de crise sanitaire et économique, cet argent est devenu l’unique source de revenus de nombreux foyers, et permet avant tout de financer des achats de première nécessité comme l’accès à l’eau potable, de la nourriture et des produits d’hygiène.
Dans ce contexte, le rôle des volontaires en mission humanitaire semble encore plus crucial pour les populations que vous aidez. Mais il faut également que vous vous protégiez. Comment fait-on pour s’adapter à ce contexte ?
Rebecca Gomes : LP4Y a instauré des groupes de travail permettant aux volontaires de participer, réfléchir et débattre sur des thématiques et processus d’amélioration à mettre en place. L’un d’entre eux est chargé d’analyser l’évolution de la situation sanitaire et institutionnelle dans chaque pays, dont les Philippines, et de réfléchir à l’après-crise. Par ailleurs, nous bénéficions d’un budget pour nous équiper de masques et autres gels hydroalcooliques. Nous sommes très précautionneux concernant les gestes barrières et les procédures sanitaires, et nous les rappelons très souvent aux « Jeunes ».
Comment vis-tu cette nouvelle épreuve dans ton travail ?
Rebecca Gomes : Être basée à Tondo est un défi important puisque je travaille aux côtés de personnes en situation d’exclusion et de grande précarité. Nous avons récemment vécu un incendie à Happyland (NDLR l’un des « pires bidonvilles du monde » selon l’HuffingtonPost), à proximité du centre, qui a impacté au total plus de 500 personnes, dont une vingtaine de « Jeunes » du centre de Tondo. Cet incident a complexifié la situation de quarantaine et a rendu notre engagement encore plus porteur de sens. Je ressens une grande motivation face au courage et à la force de ces femmes qui, malgré la perte de tout ce qu’elles possédaient, continuent à sourire et à être pleines de vie.
Le confinement de Manille a été prolongé jusqu’au 15 mai par les autorités. Dans quelles conditions vivez-vous, toi et les autres volontaires ?
Rebecca Gomes : Nous sommes confinés dans notre centre, nous n’accueillons les « Jeunes » que le mardi selon un planning permettant d’éviter les regroupements. Nous ne sortons plus que pour les achats de première nécessité. En ce qui concerne mon quotidien, je m’attelle à rester en contact permanent avec les « Jeunes » via Messenger. Les envois et corrections de travail à distance me prennent beaucoup de temps et je suis aussi impliquée dans un groupe de travail chargé de reprendre contact avec les « Jeunes » ayant quitté le programme avant d’être diplômés [le programme dure 12 mois : 9 mois d’apprentissage puis 3 mois de soutien à l’emploi]. Sinon, je cuisine beaucoup, et nous maintenons autant que possible des moments collectifs avec mes colocataires, eux aussi volontaires pour LP4Y.
Manille est une très grande ville, très densément peuplée. Comment se passe le confinement dans une mégalopole pareil ?
Rebecca Gomes : Metro Manila compte 12 millions d’habitants et de très nombreux quartiers aux réalités disparates. Le district de Tondo, où je me trouve, est formé de plusieurs bidonvilles et de zones plus urbanisées avec une forte densité de population. il est donc compliqué pour les Barangays (mairie de quartier) d’appliquer un confinement strict aux habitants.
« Les Philippins ont pour l’habitude de vivre à l’extérieur, dans des habitations souvent très sommaires et petites. »
Le rapport à la famille est également important, et, pour eux, il peut être compliqué de suivre à la lettre les directives du confinement. Mais elles commencent à être de plus en plus encadrée par l’administration et les forces de police et de l’armée qui imposent des cartes individuelles et des vérifications de température afin de passer les points de contrôle entre les différents quartiers. Concernant les « Jeunes » de mon programme, elles me font part de la difficulté de rester confinées dans de petits espaces et d’un certain ennui mais comprennent la nécessité de ce confinement.
Avec l’arrivée de la pandémie la question de rentrer en France s’est-elle posée pour toi ?
Rebecca Gomes : A vrai dire je ne me voyais pas rentrer et je ne me vois toujours par rentrer. Je tisse au fur et à mesure un lien fort avec les jeunes femmes et mères de mon programme. J’ai plus que jamais l’impression d’être utile, d’autant plus depuis cet incendie qui a ravagé les habitations de sept d’entre elles. Nous nous mobilisons au travers de collectes vestimentaires et LP4Y souhaite mettre en place un fonds d’urgence pour soutenir financièrement la reconstruction des maisons des « Jeunes » qui ont été impactées.
Comment vois-tu l’avenir de ta mission ?
Rebecca Gomes : Je pense que le “retour à la normal” n’arrivera pas tout de suite. J’appréhende un impact économique important qui risque de réduire les opportunités d’embauche des « Jeunes », mais cela ne sera qu’un challenge de plus que l’on parviendra à surmonter ensemble.
Y a-t-il tout de même des enseignements à tirer du coronavirus pour les ONG ?
Rebecca Gomes : Oui je pense que la pandémie du Covid-19 va permettre un apprentissage en matière de gestion de crise et de plan d’action à mettre en place en situation d’urgence. Néanmoins, malgré une bonne préparation, l’ampleur de la crise est telle qu’elle était difficile à anticiper.