La presse quotidienne régionale fragilisée par le confinement

La chute des revenus publicitaires et des ventes des journaux depuis le début du confinement pourrait affecter durablement la trésorerie des quotidiens régionaux français qui, pour certains, étaient déjà en difficulté avant l’épidémie de coronavirus. 

Entre la réduction des tournées postales et la chute de fréquentation des tabac-presse et des revenus publicitaires, l’épidémie de coronavirus affecte durement l’économie des titres de presse quotidienne régionale. Crédit: Zoetnet

C’est l’un des dégâts collatéraux de la crise du coronavirus : les ventes et les revenus publicitaires des journaux ont considérablement chuté. Des difficultés économiques subies de plein fouet par les titres de la presse quotidienne régionale dont le modèle économique est déjà fragile.

Après six semaines de confinement, Jean-Michel Baylet, PDG du groupe La Dépêche du Midi et président du syndicat de la presse quotidienne régionale, a fait un état des lieux de la situation sur France Inter: « Le bilan est dramatique puisque nous avons perdu en moyenne 80% de nos recettes publicitaires et la diffusion a baissé de 20%. […] Nos comptes sont dans le rouge. […] Si rien n’est fait ça sera une véritable hécatombe ».

Paris-Normandie en liquidation judiciaire

Les conséquences de cette crise n’ont pas tardé à se faire sentir. Le journal Paris-Normandie, déjà lourdement endetté, annonçait, jeudi 16 avril, sa demande de placement en liquidation judiciaire. Le quotidien anticipait trois millions d’euros de déficit dû à la crise sanitaire, après avoir vu ses revenus publicitaires chuter de 90%. Il a été autorisé par la justice à poursuivre son activité pendant trois mois, le temps de trouver un éventuel repreneur.

Le journal Sud-Ouest qui distribue un peu moins de 200 000 exemplaires quotidiens dans sept départements connaît, lui, une baisse de la distribution de 12%. « Ce n’est pas si mal par rapport à nos estimations qui étaient entre 6 et 9% et il y a très peu de désabonnements », constate le secrétaire général de la rédaction, Rémi Monnier.

« Acheter le journal, ce n’est jamais vital et encore moins maintenant »

Ce qui tire les chiffres vers le bas, ce sont les ventes au numéro qui ont chuté de 20% en moyenne. « Acheter le journal, ce n’est jamais vital et encore moins maintenant, d’autant plus qu’il y a la queue devant certains tabac-presse, ce qui peut décourager nos lecteurs d’y aller et le journal est peut-être considéré comme dégradé par certains lecteurs », explique Rémi Monnier.

En effet, les conditions sanitaires contraignent considérablement le travail des rédactions qui ont dû s’adapter en réduisant leurs effectifs et leur pagination. Chez Sud-Ouest, tous les journalistes sont en chômage partiel et la vingtaine d’éditions locales a été regroupée en une seule édition. « Que vous achetiez le journal à Bayonne ou à La Rochelle, ce sera le même, avec deux à quatre pages consacrées à chaque département », illustre le secrétaire général du journal.

La publicité locale, particulièrement affectée

Les revenus publicitaires sont essentiels pour les quotidiens régionaux. Or, alors que les Français ne peuvent plus sortir de chez eux pour consommer, les annonceurs nationaux et locaux ont pour la plupart retiré leurs publicités des pages des journaux.

Pour Sud-Ouest, les revenus de la publicité extra-locale ont baissé de 20%. Mais, c’est la publicité locale qui est la plus affectée avec une diminution de 80% ce qui représente un manque à gagner de 2,4 millions d’euros au mois d’avril. « C’est essentiellement dû à l’annulation des événements et à l’arrêt du tourisme », précise Rémi Monnier.

Un report sur le numérique?

Sur le site Internet de Sud-Ouest, « il y a eu un pic pendant les dix premiers jours de confinement mais depuis ça s’est tassé », souligne Rémi Monnier. Le journal compte plus de 25 000 abonnés numériques, avec 3 000 abonnés supplémentaires au mois de mars et 2 000 au mois d’avril.

Une hausse des abonnements qui va dans le sens de la stratégie économique du journal qui cherche, comme tous les quotidiens régionaux, à accroître son audience sur le web alors que la diffusion papier ne cesse de diminuer. « Coronavirus ou pas, ce n’est pas avec le papier qu’on va se sauver, aujourd’hui les entreprises de presse cherchent à gagner de l’argent avec le web et l’événementiel », précise le secrétaire général de Sud-Ouest.

Face à la crise conjoncturelle qu’elle traverse, la presse quotidienne régionale cherche à réinventer son modèle économique en se diversifiant. Une priorité que la crise sanitaire actuelle a d’autant plus mis en évidence.

 

Juliette Guérit

Coronavirus : le moral des ménages connaît une chute historique en avril

Après plus d’un mois de confinement, l’enquête de l’Insee publiée ce mardi indique que les ménages français n’ont jamais été aussi pessimistes quant à leur avenir économique.

La confiance des ménages envers le niveau de vie futur connaît, en avril, une baisse inédite. Unsplash – Markus Spiske

Le coronavirus n’est pas venu seul et apporte avec lui son lot d’inquiétudes : chômage à venir, impossibilité d’épargner, hausse de l’inflation et baisse du niveau de vie. Comment les Français perçoivent-ils leur avenir économique ? L’indice de confiance des ménages en France, publié ce mardi par l’Insee, montre une chute historique en avril après la mise en place des mesures de confinement pour lutter contre le coronavirus.

C’est d’abord la confiance des ménages dans la situation économique qui chute fortement par rapport à début mars : l’indicateur qui la synthétise perd 8 points, soit sa plus forte baisse depuis la création de l’enquête en 1972. Par ailleurs, la proportion de ménages estimant qu’il est opportun de faire des achats importants chute lourdement. Le solde correspondant perd ainsi 43 points et atteint son plus bas niveau depuis la création de l’enquête.

Peu de perspective d’épargner

Depuis le début de la crise sanitaire, et la fermeture conjointe des commerces, les Français considèrent qu’ils ont eu l’opportunité d’épargner (+4 points d’opinion). Pourtant, le solde d’opinion des ménages sur leur capacité d’épargne future diminue légèrement et perd 2 points.

Cette inquiétude envers les possibilités futures d’épargner va de pair avec l’anticipation de l’inflation estimée par de nombreux ménages. Ce mois-ci, ils sont nettement plus nombreux que le mois précédent à estimer que les prix vont augmenter au cours des douze prochains mois. Le solde correspondant au prédiction d’inflation augmente ainsi de 27 points.

L’ombre portée du chômage

Les craintes concernant le chômage à venir sont en forte hausse en avril. Le solde correspondant gagne 42 points et atteint un niveau inégalé depuis juillet 2015.

Graphique de l’Insee issu de l’enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages – avril 2020

Les Français se montrent ainsi globalement inquiets quant à l’avenir économique du pays. Interrogés sur le niveau de vie futur en France, les ménages paraissent nettement plus pessimistes qu’en mars (-35 points). Cette baisse de confiance est la plus forte jamais enregistrée sur un mois.

Les résultats de l’Insee illustrent toutefois que les Français ont tendance à s’inquiéter davantage pour l’avenir global de la nation que pour celui de leur propre foyer.

Morgane Mizzon

Maisons d’enfants à caractère social : « Le confinement a permis d’expérimenter des nouveaux modes de relations »

En cette période de confinement, tous les enfants faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance ne sont pas rentrés chez eux, notamment dans les Maisons d’enfants à caractère social (MECS). Benjamine Weill, formatrice consultante pour un organisme de conseil auprès des secteurs sociaux, revient sur la gestion de la protection de l’enfance au moment de la crise du coronavirus. 

Maison d’enfants à caractère social à Aulnay-sous-bois dans le 93.

Sur les 300.000 mineurs français qui font l’objet d’une mesure de protection de l’enfance, 55 000 sont placés dans les Maisons d’enfants à caractère social. Et nombreux sont ceux qui sont restés dans ces structures au moment de la mise en place du confinement le 17 mars pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. « C’est important de rappeler que le confinement a permis d’expérimenter des nouveaux modes de relations. On ne retire pas que du mauvais, au contraire« , explique Benjamine Weill, formatrice consultante pour un organisme de conseil auprès des secteurs sociaux. Interview.

Réduction des effectifs des éducateurs, plus d’école ni de stages pour les adolescents, rupture de longue durée avec la famille… Comment les Maisons d’enfants à caractère social ont-elles réagi face aux mesures de confinement ? 

Benjamine Weill : Dans le secteur de la protection de l’enfance, les éducateurs sont restés très impliqués. La plupart des travailleurs sociaux ont continué à travailler, certains en ont même fait plus que d’habitude. Ils se sont notamment placés en mode séjour en restant 24h/24 dans les foyers pour limiter le risque de contamination avec leurs familles. En réponse à la crise, chaque structure a développé des modalités spécifiques. Une directrice a par exemple fait le choix de renvoyer certains enfants chez eux, notamment ceux qui étaient concernés par un retour prévu avant la fin de l’année. Les juges n’ont pas toujours été satisfaits mais les directions ont dû rapidement agir, faute de décision des autorités compétentes… 

Au sujet des autorités compétentes, la protection de l’enfance relève du département, notamment des directions des solidarités. Quelles réponses ont-elles apporté ? 

Benjamine Weill : Chaque département décide de ses modalités d’action. La plupart se sont retrouvés le bec dans l’eau parce que la protection de l’enfance n’était pas leur priorité à l’origine. La priorité est souvent donnée aux secteurs les plus visibles. C’est la raison pour laquelle le secteur social est systématiquement le parent pauvre. Les départements ont mis plusieurs semaines à réagir. Certaines Mecs n’ont pas reçu de consignes qui leur étaient spécifiques, seulement les gestes barrières à appliquer.

Comment expliquez-vous cela ? 

Benjamine Weill : Avant même la crise du coronavirus, l’enveloppe sociale accordée aux départements est problématique. Identique depuis 15 ans, la répartition de cette enveloppe dépend d’un vote. Les départements peuvent par exemple décider d’axer le financement sur la prévention en caméra de surveillance. Le système de la protection de l’enfance devrait être harmonisé au niveau national, la décentralisation créée de trop grandes inégalités entre les territoires. Il est temps de se rendre compte que ces enfants ont besoin d’un accompagnement réel. C’est épuisant de passer son temps à bricoler pour des enfants qui sont déjà en vrac. On répare un vase avec du scotch.

Finalement, qu’est-ce que le confinement a changé dans l’organisation au sein des Mecs ? 

Benjamine Weill : C’est important de rappeler que le confinement a permis d’expérimenter des nouveaux modes de relations. On ne retire pas que du mauvais, au contraire, cette période a permis de renforcer le lien entre les parents et les équipes éducatives, notamment à travers la multiplication des appels téléphoniques lorsque les enfants étaient de retour chez eux. Les éducateurs ont pu prouver aux parents que le travail social est là pour les aider et pas pour leur retirer leurs enfants. Du côté des adolescents restés en foyer, certains ont compris qu’ils pouvaient faire sans drogue. La mise en place d’activités collectives a également permis aux jeunes de penser le placement en tant que séjour et non pas comme un enfermement.

Propos recueillis par Victoire Radenne

 

Confinement : les maraîchers bio tirent leur épingle du jeu

L’épidémie de coronavirus et le confinement mis en place ont modifié la manière de consommer de nombreux Français. Une opportunité pour l’agriculture biologique qui a su notamment adopter de nouvelles pratiques de distribution. 

Le coronavirus, une aubaine pour les fruits bio (Photo flickr)

Pour pallier la chute de leur chiffre d’affaires, certains producteurs ont mis sur pied de nouveaux modes de distribution. C’est le cas du maraîcher « Les jardins de l’hermitine », à Vittefleur en Seine-Maritime. Vincent Cavelier qui dirige cette ferme biologique, a mis en place un service de livraison dans sept communes situées à proximité de son exploitation. Tous les jours, le maraîcher se rend dans un village différent pour distribuer ses paniers de légumes. « Nous avons mis ce procédé en place pour compenser la perte de chiffre d’affaires due à la fermeture des marchés », raconte le producteur.

Coronavirus oblige, cette distribution mise en place avec l’aide des mairies répond à des normes très précises. « Toute personne ne respectant pas la distance sociale d’un mètre, ou n’ayant pas passé de commande au préalable se verra refuser le droit de commander un panier », précise la brochure distribuée par Vincent Cavelier à sa clientèle.

Les paniers sont disposés sur une table installée par le producteur devant les différentes mairies. Pendant une heure, les clients se succèdent pour récupérer leurs provisions. Cette formule mise en place à l’occasion du confinement a séduit de nombreux habitants.

« Notre nombre de clients a augmenté, on touche une clientèle plus large »

« Les gens sont plus sensibles aux circuits courts »

A l’origine de cet engouement figure une remise en cause du mode de consommation traditionnel ; une aubaine pour des exploitations locales et biologiques comme celle de Vincent Cavelier.« C’est sûr qu’aujourd’hui les gens sont plus sensibles aux circuits courts, ils rechignent à se rendre dans les grandes surfaces », confirme le maraîcher.  « Je ne peux plus aller au marché et je préfère acheter localement. C’est une occasion formidable pour moi d’acheter directement au producteur. C’est vraiment un circuit court »,  abonde Claire de Maupeou, une des clientes hebdomadaires des Jardins de l’Hermitine.

Ce nouveau mode de consommation, qui fait la part belle aux productions locales, va t-il résister au déconfinement ? C’est la question que se pose Vincent Cavalier, qui espère bien profiter de cette nouvelle dynamique. « Maintenant que j’ai fait connaissance avec ce producteur, je reviendrai le voir », avance Claire de Maupeou. Malgré cet engouement, l’heure n’est pas aux réjouissances prématurées. « Peut-être que 50% des gens vont garder une certaine mentalité vertueuse, mais je pense que les vieux réflexes vont revenir très vite », relativise Vincent Cavelier. « C’est avec le temps qu’on va le découvrir », conclut-il.

Paul de Boissieu