Escalader l’Everest, mais à quel prix ?

Le célèbre youtubeur Inoxtag a créé un raz-de-marée dans les salles de cinéma avec la sortie de son film ce vendredi : 200 000 billets ont été vendus en tout, de nombreuses salles sont complètes et beaucoup de gérants le disent : « On n’a jamais vu ça. » « Kaizen » retrace l’ascension de l’Everest du youtubeur, novice en alpinisme. Mais cet engouement autour du film relance aussi le débat : quel est l’impact du tourisme de haute montagne sur l’environnement ?

 

PHOTO NIRMAL PURJA, AP, EVEREST 2019

 

« Ce qu’a fait Inoxtag, ce n’est pas de l’alpinisme, c’est du tourisme de haute altitude », pose d’emblée François Carrel, écrivain et spécialiste de la haute montagne. « Le défaut principal de cette activité, c’est qu’elle génère de la pollution. » Dans son ouvrage Himalaya Business, publié en mai dernier, François Carrel décrit un phénomène qui a commencé depuis une dizaine d’années. Il a mené l’enquête sur les personnes qui, comme Inoxtag, « s’offrent » une ascension au sommet de l’Everest.

Une nouvelle ère : l’himalayisme industriel

« Déjà, il faut prendre l’avion pour se rendre en Himalaya, et ce n’est pas très bon niveau bilan carbone, d’autant que 8 000 personnes s’y sont rendues cette année », explique-t-il. Il précise que ce n’est pas mieux de partir à l’autre bout du monde en vacances. « Ensuite, les agences népalaises acheminent les alpinistes en bas, voire jusqu’en haut des sommets, avec des hélicoptères. Il faut aussi amener les bouteilles d’oxygène. Enfin, plus on est en haute altitude, plus il est compliqué de gérer et de descendre les déchets de tous ces alpinistes. »

Le journaliste a observé le même phénomène ailleurs : « Au Kilimandjaro, par exemple, ces mêmes agences népalaises offrent leurs services. On retrouve aussi ce type d’organisation ‘industrielle’ sur les 7 Summits. »

François Carrel déplore une forme de marchandisation de l’Everest. « Les gens comme Inoxtag achètent leur ascension. Il faut payer entre 30 000 et 100 000 euros pour la prestation. Ils sont ensuite pris en charge à 100 % par les sherpas. Ces guides locaux choisissent l’itinéraire, fournissent les repas, et gèrent toute la logistique et les nuitées. » Pour l’écrivain, il ne s’agit donc plus vraiment d’une prouesse sportive, d’autant que les clients ne réalisent aucun geste technique. Plus besoin de se munir d’un piolet et d’une corde, matériel si cher aux alpinistes.

Et en France ?

Les montagnes françaises, elles, restent globalement épargnées. Si la fréquentation des stations savoyardes en été, par exemple, est en constante augmentation (+2 % cet été), ce n’est pas un problème pour Olan Boucherand, chargée de mission à la Préfecture de Savoie : « Les touristes venant à cette période ont des préoccupations écologiques fortes et sont demandeurs d’activités respectueuses de la nature », analyse-t-il. « Les stations sont obligées de s’adapter. Aussi, comme le nombre de touristes à l’année stagne, nous limitons beaucoup les constructions de nouveaux bâtiments pour les accueillir. Ainsi, il y a moins d’artificialisation des sols. »

Toutefois, ces activités touristiques ont bien un impact sur l’environnement, notamment lorsqu’il y a des épisodes de surtourisme. « En été, par exemple, 5 000 personnes empruntent chaque jour le téléphérique de l’Aiguille du Midi pour se rendre à Chamonix. Il faut réserver parfois des semaines à l’avance », explique Olan Boucherand, avant d’insister : « Le plus gros problème que nous avons, ce sont les lits touristiques. 40 % de ces logements ont un mauvais diagnostic énergétique. En ville, c’est deux fois moins. » Il faut aussi ajouter à cela les coûts supplémentaires liés à un chauffage plus important avec les basses températures en altitude.

 

Que ce soit en France ou ailleurs dans le monde, l’ascension d’Inoxtag a jeté un coup de projecteur sur les montagnes, à la fois moteur d’attractivité et victime de leur succès. François Carrel conclut avec cette formule lapidaire : « Chacun doit être conscient de ce qu’il fait quand il va en montagne. C’est à notre société de remettre le juste prix à ceux qui font cela uniquement pour le prestige social et plus du tout pour le contact avec la nature. »

Fanny Séguéla

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