Le journaliste de la chaîne d’information CNews suivait Emmanuel Macron depuis la campagne de 2017 et se retrouve aujourd’hui porte-parole du groupe Renaissance. Un cas loin d’être isolé et qui pose question
Si le terme « pantouflage » est le plus souvent associé aux aller-retours entre le secteur privé et public des personnalités politiques, celui-ci peut aussi s’employer à propos des départs des journalistes de leur rédaction pour s’engager en politique. C’est ainsi que Philippe Ballard rejoint le Rassemblement National en 2021, après 27 ans sur la chaîne LCI, ou que l’éditorialiste Bruno Roger-Petit a quitté le magazine Challenges pour devenir en 2017 porte-parole d’Emmanuel Macron, alors en pleine campagne. Dernière reconversion en date, celle de LoÏc Signor, révélée par le journal du Figaro. Chargé du suivi de l’Élysée depuis 2017 pour CNews, l’ex-journaliste a déclaré mardi rejoindre le parti de la majorité présidentielle Renaissance en tant que porte-parole.
Une reconversion comme une autre ? Difficile à concevoir pour un public plus que jamais défiant vis-à-vis des médias, qui pourrait facilement y voir un accord informel entre l’intéressé et le parti d’Emmanuel Macron. Ce qui est certain, c’est que la plume conciliante d’un journaliste, si toutefois elle est avérée bien-sûr, donnerait vraisemblablement du poids à sa candidature si jamais il décidait de postuler à un poste prestigieux au sein du parti concerné. Qu’il s’agisse de suspicions extravagantes ou de doutes raisonnables, le risque d’un conflit d’intérêt est réel et alimente le complotisme. Aucune loi n’existe néanmoins en la matière.
La presse locale particulièrement à risque
« C’est le droit de tout citoyen de s’engager en politique. Mais ce type de transfert a un impact sur l’opinion que se font les gens des médias et la proximité entre journalistes et politiques. Ça donne le bâton pour se faire battre. », remarque Yann Guegan, vice-président du Conseil de Déontologie des Journalistes et de Médiation (CDJM). L’instance de régulation, fondée en 2019, émet des avis sur les productions journalistiques sans toutefois disposer d’un pouvoir de sanction. Si elle ne peut se prononcer sur le cas de Loïc Signor du moment qu’il a cessé ses activités de journaliste, son vice-président concède que ce type de reconversion pose souvent question.
« Ce genre de chose est plus fréquent au niveau local, remarque le journaliste à Contexte. Si vous êtes par exemple journaliste politique, que vous vous présentez aux municipales et que vous perdez, la question de l’après peut se poser, car ça veut dire que vous devez écrire sur la personne qui vous a battu, or il peut y avoir de la rancœur. Comme les mandats municipaux ne sont pas à plein temps, il arrive que des gens élus continuent leurs activités journalistiques en parallèle, ce qui peut poser problème. » En mars 2021, le CDJM a ainsi rendu ses conclusions après une saisie à propos de l’hebdomadaire Faucigny (Haute-Savoie), confirmant que celui-ci n’avait « pas tenu compte des règles déontologiques concernant les journalistes en situation de conflit d’intérêts ». En cause, un article rédigé par un élu municipal sur l’abandon d’un projet de liaison routière entre deux communes.
« L’autre dernier exemple flagrant en date, ça a été Anna Cabana, la femme de Jean-Michelle Blanquer (ancien ministre de l’Éducation nationale, ndlr), qui a animé sur I24News en janvier dernier un débat sur son mari après une polémique. Je pense qu’elle aurait dû se déporter, ou à minima préciser sa position aux téléspectateurs. » Rien de comparable dans le cas de Loïc Signor, qui a quitté ses fonctions chez CNews.
« Base de la liberté d’expression »
« Certes, cela alimente le complotisme, reconnaît Yann Guegan. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que pour pouvoir bien traiter un sujet, il faut en être proche. Être dans le contact et la distance, c’est là toute l’ambiguïté du métier de journaliste. »
Une instance devrait-elle pour autant être créée pour statuer sur ce genre de question ? « Ce n’est pas souhaitable selon moi, confie-t-il, car le journalisme est censé être une profession ouverte, et non réglementée à la manière celle des avocats. C’est une base de la liberté d’expression. Interdire à un journaliste de changer sa carrière, ça me parait compliqué en termes de droit. Il faudrait déterminer qui est journaliste et qui ne l’est pas. Or, le journalisme peut être exercé par tout citoyen s’intéressant à l’information. » Particularité du domaine, il n’est pas nécessaire de posséder une carte de presse professionnelle ou d’avoir fait une école de journalisme pour s’en réclamer.
Une instance existe à contrario pour les personnalités politiques souhaitant rejoindre le secteur privé : la Haute Autorité pour la Transparence à la Vie Politique (HATVP). Celle-ci a à ce titre recalé le 24 mai dernier un projet de reconversion de l’ancien ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebarri, au sein de la société de transport maritime CMA-CGM, dont-il avait rencontré à huit reprises des responsables au cours de son mandat. « Pour la suite d’une carrière politique, l’existence d’une telle instance se comprend, car les concernés ont eu accès à des informations importantes, voire sensibles. Ça les place dans une position de conflit d’intérêt quand ils rejoignent un groupe privé, c’est pourquoi il est au moins préférable de laisser passer un certain temps avant de prendre ses nouvelles fonctions. Mais un journaliste n’exerce pas le pouvoir, il le raconte », conclut le vice-président du CDJM.