Elections législatives : Trois bulletins, quatre candidates, six mouvements dans la huitième circonscription

 

La gare de Meudon Val Fleury, dans la 8e circonscription des Hauts-de-Seine

La huitième circonscription des Hauts-de-Seine voient sa campagne marquée par deux alliances. Celle des partis de gauche formant la NUPES d’un côté et celle des partis de centre-droite, LREM et UDI montant une liste commune pour l’élection. Les Républicains font cavaliers seuls.

Meudon est une ville protégée, je suis venu y vivre pour ça et pour ses espaces verts” raconte Damien, père de 40 ans, assis à la terrasse d’un tabac. Originaire de Marne-la-Vallée, il est désormais l’un des 68 000 électeurs de la huitième circonscription des Hauts-de-Seine, regroupant les communes de Meudon, Chaville, Sèvres, Ville d’Avray, Vaucresson et Marnes-la-Coquette. C’est pour cette même raison qu’a emménagé Nicolas, 33 ans, chef de projet à la Banque Publique d’Investissement. Il a quitté Boulogne-Billancourt il y a un an. Lui aussi était en quête de nature et de calme. 

Étendue depuis la forêt domaniale de Meudon au sud à un bout de celle de Malmaison au nord en passant par les espaces boisés de Fausse-Reposes, cette circonscription est d’abord appréciée pour sa verdure et ses commerces. “Les commerçants ici sont très accueillants !” s’enthousiasme Elisabeth, une aide à domicile de 47 ans, attendant son bus, courses en main. A l’arrêt d’en face, Laura, 31 ans et mère de quatre enfants reconnaît que Meudon est une ville paisible et familiale mais déplore l’absence de bars et de restaurants. Les 12 et 19 juin, elle se rendra aux urnes pour voter aux législatives car elle s’y sent bien représentée. Elle comprend cependant des électeurs comme Damien ou Nicolas qui, s’ils vont voter, le feront plutôt par dépit. 

Résultats des élections législatives de 2017

Le choix doit se faire entre dix candidats dont Annie Larroque-Comoy pour la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale, Cécile Richez pour Les Républicains et Prisca Thévenot pour Ensemble, mouvement issu de la majorité présidentielle. Cette dernière vient prendre la succession de Jacques Maire, actuel député La République En Marche élu par la circonscription. N’étant ni originaire, ni habitante de la circonscription, elle a très vite été attaquée sur ce point par ses adversaires, notamment par la candidate des Républicains Cécile Richez qui se revendique comme une chavilloise de toujours : “Prisca Thévenot ne va même pouvoir voter pour elle !” s’amuse la candidate qui dénonce un parachutage politique. 

Le binôme local et national

La candidate LREM Prisca Thevenot et Virginie Lanlo, sa suppléante UDI

En réponse à ces attaques, Prisca Thévenot a choisi comme suppléante Virginie Lanlo, première adjointe (UDI) au maire de Meudon. Toutes deux avaient déjà rédigé leur lettre de candidature lorsqu’elles ont commencé à échanger. “Nous avons mis nos lettres côtes à côtes. Elles se ressemblaient, avec quelques nuances” raconte Virginie Lanlo qui a choisi de rejoindre la campagne de Prisca Thévenot en tant que suppléante. La candidate de la majorité présidentielle affirme qu’elles forment un vrai binôme. “Sur le socle de fond on est aligné. Sur la méthode, il s’agira de construire ensemble. Virginie représente l’ancrage local et moi l’ancrage national. Nous continuerons de travailler ensemble, au lendemain de l’élection, pour les habitants.” Un fonctionnement en duo qu’elles aimeraient bien voir devenir un modèle sur l’ensemble du territoire.

Pourtant cette alliance n’a pas toujours été de soi. Dans un premier temps, Virginie Lanlo espérait le soutien des Républicains. “Je travaille depuis quatorze ans avec ces villes depuis la mairie et ils ont décidé de manière unilatérale d’investir Cécile Richez sans se préoccuper  de l’UDI. On est resté fidèle parce que c’est notre philosophie mais nos échanges pour une union n’ont abouti à rien. J’avais donc décidé de me présenter en mon propre nom” raconte la première adjointe. Une version entièrement contestée par Cécile Richez. “Je n’ai jamais eu le moindre contact avec Virginie Lanlo et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Il y avait un accord au niveau des Hauts-de-Seine et l’UDI a fait capoter l’accord en décidant de la majorité présidentielle. C’est le score de l’élection présidentielle qui les a décidés à faire cette alliance avec LREM” explique la candidate des Républicains. 

Virginie Lanlo (UDI) explique comment elle a rejoint la course des législatives et comment son parti s’est rallié à la majorité présidentielle : 

La candidate de “l’éducation et du public

Désormais, ces candidates se retrouvent dans leur volonté de faire barrage à “l’extrême gauche”. “La NUPES est une force d’extrême gauche, on ne peut pas se permettre de prendre le risque qu’elle soit élue” affirme Prisca Thévenot. “Auraient-ils qualifié Mitterrand d’extrême gauche ?” ironise la candidate de La France Insoumise. Pour Annie Larroque Comoy, cette attaque montre leur inquiétude. Les scores de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle ont été surprenamment élevés même à Meudon, une ville votant historiquement à droite et où le candidat a remporté 20 % des suffrages. “C’est la preuve que les gens sont malheureux et commencent à se réveiller” d’après celle qui porte les couleurs de la NUPES.

Depuis la terrasse du tabac où il s’est installé, Damien explique que c’est Meudon, c’est aussi l’opportunité pour son fils d’être dans une bonne école. Un point de vue que partage Elisabeth dont la fille est scolarisée dans le quartier de Meudon-la-Forêt, ce qu’elle déplore. Elle préfère la ville du centre qu’elle juge plus sûre et plus agréable à vivre. Ces disparités entre les quartiers, Annie Larroque-Comoy les déplore. “Pour l’école c’est une catastrophe. Les réformes poussent les familles qui ont des moyens à mettre leurs enfants dans des écoles privées. Je suis à fond pour le public” défend la candidate. Elle veut favoriser l’accompagnement autour de l’éducation mais aussi autour de la petite enfance. Plutôt que d’accorder des subventions aux crèches, elle propose que la mairie construise plus de crèches municipales.

L’école Paul Bert, à Meudon

La candidate de “la santé et de l’inclusion” 

L’autre enjeu est celui de la désertification médicale. Nicolas qui vit sur place depuis un an déplore que les médecins traitants ne prennent pas de nouveaux patients. La dernière fois qu’il a eu un problème de santé, il a dû faire appel à SOS médecin. Damien, qui s’est installé à Meudon il y a deux ans, est confronté au même problème. Cécile Richez en a fait son cheval de bataille pour la campagne législative. “Je pense que parmi les urgences il y a  la santé et l’inclusion scolaire des enfants handicapés », explique-t-elle. Elle propose notamment d’affecter 4 000 médecins juniors aux zones en sous carence, recrutés parmi les soignants étant dans leurs deux dernières années d’internat.

Pour Prisca Thévenot et sa suppléante Virginie Lanlo, la priorité reste le pouvoir d’achat. Elles contestent les propos d’Annie Larroque Comoy selon laquelle il n’y aurait presque plus de mixité sociale dans cette circonscription, affirmant que la plupart des communes ont plus de 25 % de logements sociaux. Une affirmation que nuance cependant Cécile Richez. La candidate des Républicain reconnaît des disparités entre les communes, certaines n’ayant que 12 % de logements sociaux. Elle estime cependant que les espaces de ces villes ne sont pas forcément adaptés, rappelant la grande présence de forêts dans les environs. Le seul point sur lequel candidats et habitants semblent tomber d’accord, c’est qu’ils souhaitent tous préserver ces espaces de verdure, propre à la circonscription.

Emma MERIAUX et Tom MALKI

Les candidats de la huitième circonscription des Hauts-de-Seine : 

Frédéric Schneider : Divers

Philippe Henique : Divers extrême gauche

Annie Larroque Comoy : La France insoumise (NUPES)

Laurence Labbé : Écologiste

Miron Cusa : Écologiste

Prisca Thévenot : Ensemble ! (Majorité présidentielle)

Cécile Richez : Les Républicains

Olivier Mario Michel Pittoni : Droite souverainiste

Sarena Habib : Rassemblement National

Chantal Taranne : Reconquête

 

Législatives : Dans la 12e circonscription, la NUPES veut montrer l’union

La 12e circonscription des Hauts-de-Seine, acquise en 2017 à la majorité présidentielle avec Jean-Louis Bourlanges, se voit contestée par la nouvelle alliance de gauche, la NUPES, représentée par Cathy Thomas, qui fait campagne sur les enjeux nationaux plutôt que sur l’ancrage local.

Dans le riche bâtiment de la Maison des Arts de Châtillon, les militants les plus actifs de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) se sont rassemblés mardi dernier pour assister à la réunion publique de la candidate Cathy Thomas portée par la Nupes et issue du parti Révolution écologique pour le vivant (REV). Lustres au plafond, sièges et fauteuils rouge carmin, le décor est somptueux.

Mais les intervenants venus aborder les enjeux à surmonter dans le domaine de la santé, du travail et de l’énergie brossent un portrait beaucoup plus sombre de la société. « La fin du monopole d’EDF [Électricité de France] actée par l’Union européenne a été une catastrophe et un non-sens », martèle Anne Debrégeas, ingénieur-chercheuse au sein de la compagnie publique et porte-parole de la fédération Sud-Énergie. L’état du marché de l’énergie serait déplorable et seul un vote de la Nupes permettrait d’y remédier : sortir du nucléaire grâce à une planification de réduction de la consommation d’énergie.

Paul Benard, syndicaliste et soignant, relate les difficultés qu’il rencontre à l’hôpital public : « C’est la casse de l’hôpital public. Il faut une rupture, on ne peut plus continuer comme ça. La solution, c’est d’avoir un maximum de députés à l’Assemblée prêts à porter ce projet de rupture ».

Oui, Jean-Luc Mélenchon est un vieux briscard – Noria Lapsi, militante

Noria Lapsi, avocate en droit du travail, fustige « le néolibéralisme et le capitalisme qui représente un danger pour la santé et le travail. On a envie de vivre autrement, c’est le moment de reprendre les choses en main ». Les applaudissements se font entendre, mais depuis le début des interventions, les contradictions sont rares. Le public maîtrise déjà ces sujets, longuement abordés lors de la campagne présidentielle. « Je sais que la plupart d’entre vous êtes déjà des militants », souligne Noria Lapsi. Elle sait aussi que s’ils sont rassemblés ce soir, c’est surtout pour éprouver la nouvelle union de la gauche, construite après l’échec de la présidentielle : « Je vais vous le dire, je ne suis pas une militante LFI. Oui, Jean-Luc Mélenchon est un vieux briscard. Mais il a eu le mérite de s’entourer de gens différents de ses idées, et il a fait une union avec des gens qui hier le critiquaient ».

Pour souligner encore l’union, une dizaine d’élus locaux de gauche se rassemblent sur la scène pour prendre la parole chacun leur tour. L’un après l’autre, ils détaillent les problèmes rencontrés en conseils municipaux et concluent sur la nécessité de voter pour le programme de Jean-Luc Mélenchon. Une majorité d’entre eux sont issus du Parti socialiste, comme Pauline Le Fur, conseillère municipale à Fontenay-aux-Roses. « C’est agréable de nous voir réunis quand hier encore, nous n’étions pas tous du même côté, voire vraiment opposés. Mais on s’est retrouvés autour des points communs de la gauche », pointe-t-elle, sourire aux lèvres.

Ce soir, l’objectif était de rassembler toutes les forces devant les militants. – Cathy Thomas, candidate NUPES

La candidate Nupes aux législatives pour la circonscription, Cathy Thomas, restée jusqu’alors très en retrait, conclut la soirée en répétant : « C’est exceptionnel de se retrouver autour d’un programme commun, nous comptons sur vous les 12 et 19 juin pour porter ce beau projet à l’Assemblée ». Ce sont bien des « retrouvailles » qui ont eu lieu ce soir-là. « Ce soir, l’objectif était de rassembler toutes les forces devant les militants. C’était la première fois et ça fait plaisir de voir des gens qui furent un temps opposés être désormais réunis », souligne enthousiaste Cathy Thomas, la soirée terminée.

Une approche des présidentielles avec laquelle les militants sur le terrain semblent être d’accord, en témoigne notre reportage au marché de Clamart.

Montrer l’union et ne mettre en avant que le programme national porté par le candidat Jean-Luc Mélenchon, voilà la stratégie de début de campagne dans la 12e circonscription. Une tactique qui se fait au détriment d’un ancrage territorial et d’un lien fort entre la candidate et ses électeurs. Une distance par rapport au terrain dont le candidat de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), Laurent Vastel, souhaite profiter : « Si je me représente, c’est parce qu’on se retrouve avec des gens déconnectés du terrain du terrain où ils sont investis. Sur des projets importants, le relais des députés dans leur circonscription n’existe plus, et c’est un problème ».

Les députés sont des émirs, ces gens n’ont en commun que le soutien au chef – Laurent Vastel, candidat UDI

Le Maire de Fontenay-aux-Roses insiste sur les faiblesses qu’il croit voir en la candidature de la gauche : « La Nupes va faire une centaine de députés et seront dans une opposition systématique et assez violente. Je suis gêné qu’on devienne une oligarchie, les députés sont des émirs, ces gens n’ont en commun que le soutien au chef ». Mais pour lui, le député sortant, Jean-Louis Bourlanges, ferait preuve des mêmes travers : « La nouvelle candidature de Jean-Louis Bourlanges ne fait pas l’unanimité car on ne l’a que très peu vu, et les gens ne se sentent pas représentés ».

Plusieurs stratégies pour un même enjeu : l’emporter dans une circonscription acquise à la majorité présidentielle face à un candidat qui assume sa déconnexion du terrain. Jean-Louis Bourlanges affirmait en mai, dans un entretien au journal Le Parisien, ne pas être « un porte-voix du territoire ». Pour lui, « la mission d’un député n’est pas de faire le travail d’un conseiller départemental mais de voter les lois, le budget et de contrôler le gouvernement et de l’administration ». Une stratégie similaire à celle de Cathy Thomas, la nécessité de prouver l’union de sa coalition Ensemble ! (majorité présidentielle), en moins.

Reste à savoir laquelle de ces stratégies permettra aux candidats de faire pencher la balance en leur faveur lors d’une élection dont l’issue semble calquée sur celle de la présidentielle.

Jules Bois et Dorian Naryjenkoff

Législatives 2022 : au marché de Rueil-Malmaison, des électeurs méfiants

A l’approche des élections législatives, les candidats de la 7ème circonscription des Hauts de Seine (Rueil-Malmaison, Saint Cloud et Garches) se sont retrouvés au marché de Rueil-Malmaison ce mardi 31 mai. L’occasion de convaincre des habitants pas toujours réceptifs.

Mardi 31 mai. Le soleil surplombe la place Jean Jaurès, il est 10h30. Les habitants de Rueil-Malmaison se sont donnés rendez-vous comme chaque semaine en ce jour de marché. Cette fois, de nouvelles personnes sont présentes. Tracts sous le bras et gilet vert foncé sur les épaules, Christophe Mandereau aborde les passants avec un large sourire. Déclaré comme candidat libre, l’homme d’une cinquantaine d’année est écologiste mais n’est affilié à aucun parti. Natif de Rueil-Malmaison, il souhaite mettre en avant son ancrage territorial : “Ce n’est pas en parachutant quelqu’un sur place qu’on fait de la politique. Ça fait des mois que je prépare cette candidature. Avec ou sans étiquette j’avais la détermination d’y aller”. Arrivé sur la place en vélo, Christophe Mandereau tracte aux côtés de sa fille lycéenne : En étant libre de parti, c’est clair qu’il y a moins de moyens humains et financiers”. David contre Goliath. 

Car ici, nombreux sont les adversaires de taille. La 7ème circonscription des Hauts-de-Seine peut compter sur des habitants relativement aisés qui votent traditionnellement à droite. En 2017, c’est le candidat LREM, Jacques Marilossian qui l’a emporté avec 57,81% des voix face à Eric Berdoatti des Républicains. Pierre Cazeneuve, candidat LREM, espère le même résultat. Pour ce conseiller municipal de la ville de Saint-Cloud et adjoint au Chef de Cabinet d’Emmanuel Macron, l’enjeu est simple : Il faut donner au président de la République une majorité solide pour qu’il puisse continuer de transformer le pays.” C’est aussi ce que souhaite sa sœur, Marguerite Cazeneuve, une ancienne conseillère de Jean Castex qui a également travaillé pour le cabinet McKinsey. Le père de famille, Jean René Cazeneuve, est aussi engagé pour LREM dans le Gers où il est candidat à sa réélection. La politique chez les Cazeneuve est en effet une affaire de famille.

Que ce soit à Garches, Saint-Cloud ou Rueil-Malmaison, Emmanuel Macron est arrivé en tête du premier et second tour à l’élection présidentielle mais la partie n’est pourtant pas jouée d’avance. L’adversaire principal de Pierre Cazeneuve c’est bien lui : Xabi Elizagoyen. Pour l’encarté LR, la considération locale peut faire la différence : Les gens je les connais et ils me connaissent aussi. J’ai toujours privilégié la proximité et l’écoute. Je suis convaincu que les Rueillois, les Garchois et les clodoaldiens ne voteront pas de la même manière qu’en 2017. En 2017 il y avait l’effet nouveauté”. Le candidat est soutenu par les trois maires de la circonscription : “Ils me soutiennent parce qu’ils me connaissent et qu’ils savent que je vais faire avancer les dossiers”. L’entrain du candidat LR a toutefois du mal a s’exporter.

Des habitants peu enthousiastes

A quelques mètres de l’entrée du marché, les commerçants ne semblent pas partager cet enthousiasme. Un boucher de 31 ans raconte les problématiques du marché : “Ici on a un gros problème pour la remballe. Avant on pouvait descendre sur le boulevard Marechal Foch, ca fluidifiait le flux de véhicules. Aujourd’hui, on ne peut plus. On est obligé de sortir par la rue de la réunion. Quand il fait chaud, on a besoin de mettre les matières premières fraîches dans des camions réfrigérés tout de suite. On a beau leur expliquer ils n’en ont rien à secouer”. La semaine dernière, TF1 a réalisé un reportage sur le plus beau marché de France. Ce boucher était sur place comme beaucoup de politiciens et en garde un goût amer : « C’était beau, il y avait des ballons et tout. Mais une fois qu’ils sont partis il n’y avait plus rien”. Un peu plus loin, un couple de vendeurs de vêtements s’indigne : “Nous sommes très déçus de tout. Ils nous emmerdent plus qu’autre chose car ils récupèrent des gens qui se retrouvent devant les stands”. Voter aux élections législatives parait abstrait pour beaucoup. Certains se rendront toutefois aux urnes sans grandes convictions : “J’irai voter par obligation citoyenne” souffle une gérante d’un stand de fromage. 

Du côté des clients, même son de cloche. Assis, un café à la main, Christian, 39 ans, est catégorique : “Il faut se démerder soi-même. Je crois en moi, pas à la politique”. Certains comptent bien voter aux prochaines élections. Hélène, une Rueilloise quinquagénaire, a donné sa voix à Anne Hidalgo lors de la présidentielle et souhaite voter aux législatives “pour faire opposition à Emmanuel Macron”. 

La parti qui souhaite justement faire face au président nouvellement élu est bien la NUPES. Dans la 7ème circonscription des Hauts-de-Seine, c’est le candidat Sandro Rato qui la représente. Pour cet étudiant à la faculté de Nanterre, atteindre le second tour sera une tâche ardue tant le territoire est ancré à droite, d’autant plus que le candidat n’est pas implanté dans le territoire : “Je ne viens pas de cette circonscription mais étant donné que c’est une élection nationale, elles [les circonscriptions] ont été réparties entre les différents candidats des différents partis. Je ne suis tout de même pas étranger à ce département. Je ne suis pas habitant mais je suis engagé et ça ne doit pas m’attirer de critiques de parachutage”, se défend-il. Cela n’est pas du goût de David qui hésite à voter NUPES aux élections législatives. Il avait été a été déçu par la gauche lors de l’élection présidentielle : “Attendre qu’ils aient perdu pour s’unir aux législatives… Il fallait le faire avant…La politique, c’est toujours pareil de toute façon”.

A quelques jours des élections, l’abstention sur déterminante.

Yoanna Shirel Herrera Santos et Antoine Gallenne

 

 

Asnières-Colombes : un électorat fracturé

 

Dans la circonscription d’Asnières-Colombes, une candidate LR du cru tente de s’imposer face à une prétendante LREM parachutée, tandis que la NUPES surfe entre les électorats écologistes et mélenchonistes. L’intrigue a lieu sur fond de fracture entre beaux quartiers et bastions populaires.  

Asnières, c’est la Marseille des Hauts-de-Seine.”, s’exclame Laurent Martin Saint-Léon, d’un ton provocateur. Cet ancien proche de Pasqua, aujourd’hui petit candidat divers droites à la députation de la 2e circonscription des Hauts-de-Seine, connaît bien le paysage politique local. Par cette analogie avec Marseille, il étrille les notables LR du coin. Manuel Aeschlimann, actuel maire LR d’Asnières avec 17 années de mandat à son actif. Et son épouse, Marie-Do Aeschlimann, adjointe à la Mairie, et aujourd’hui candidate aux législatives dans la 2e circonscription des Haut-de-Seine, qui recouvre la ville d’Asnières, et le sud de Colombes. “C’est une candidature népotique !”  persifle Laurent Martin Saint-Léon. “Depuis 1999, ils s’approprient les fonctions politiques à des fins familiales et cumulent les mandats.”

 Des candidats locaux associés à la gestion de la ville

Le cumul des mandats Aeschlimann ne préoccupe pourtant pas ces trois amies asniéroises qui discutent devant l’étal du poissonnier, dans les environs cossus du quartier de la gare d’Asnières. “Aux législatives je vais voter pour la majorité, annonce Hélène, élégante retraitée, boucles d’oreille dorées et col bien repassé, qui vit depuis 40 ans à Asnières. Je vais voter pour le candidat du parti présidentiel. Sinon ça ne sert à rien. » “Eh bien c’est Marie-Do alors” rétorque son amie Catherine, elle aussi habitante du quartier. “Mais non, Marie-Do, c’est LR”, la corrige Hélène. Plus qu’à son étiquette politique, le nom de Marie-Do Aeschlimann est associé à la gestion de la ville.  « Si les gens sont contents de la politique du maire, ils voteront pour Marie-Do », affirme Hélène.

 

En 2017, l’argument du local n’a pas pourtant pas suffi à faire remporter la députation à Mme Aeschlimann. Au second tour des législatives de 2017, le parti présidentiel a remporté la circonscription haut-la-main, avec 65,3% des suffrages face à la candidate LR, sous le nom d’Hadrien Taquet, rapidement remplacé par sa suppléante, Bénédicte Pételle. Mais cette dernière, Asniéroise LREM à la fibre sociale solidement implantée dans les réseaux associatifs de la ville, n’a pas été réinvestie pour l’élection de 2022. Pour cause de conflits internes au parti, explique-t-on. Ce qui pourrait peut-être rebattre les cartes.

« Où sont les Asniérois sur vos photos ? »

Car ici, le nom de de la candidate LREM désignée pour lui succéder ne dit rien à personne. Baï-Laure Achidi, avocate de profession, est élue au conseil municipal de Boulogne-Billancourt, à 10 kilomètres d’Asnières – autrement dit une autre planète -. Et ses adversaires LR ne manquent pas de le rappeler, à renfort de tweets incisifs.

Cyrille Reclus est adjoint à la Mairie d’Asnières. 

Du reste, à défaut d’ancrage local, Baï-Audrey Achidi plaide surtout pour une assemblée aux couleurs du parti gouvernemental. « Avoir un député de la majorité permet de mieux avancer. Mon rôle est de porter le projet présidentiel. », argue-t-elle

Quartiers nord, quartiers sud : la fracture

Pas sûr, pourtant, que l’argument convainque les habitants du nord de la ville.  Car comme la cité Phocéenne, Asnières a ses “quartiers sud » favorisés, et ses “quartiers nord”. Et dans ces derniers, Jean-Luc Mélenchon a triomphé au premier tour de la présidentielle, atteignant 70% dans certains des bureaux de vote, tandis qu’Emmanuel Macron a été massivement plébiscité dans les quartiers sud.

“La sociologie de la circonscription est bicéphale, explique Sébastien Perrotel, petit candidat divers droites, né à Asnières il y a 53 ans. Il y a d’un côté les quartiers extrêmement privilégiés avec des habitats pavillonnaires qui votent majoritairement à droite ou au centre. Et de l’autre, des quartiers d’habitat collectif, qui votent à gauche mais se mobilisent peu. Depuis les années 1960-1970, deux territoires se sont institués et qui peuvent s’opposer. Ces univers ne se mélangent pas. ». « La politique locale ici, me satisfait, même si j’ai l’impression que tous les efforts se concentrent pour les habitants des quartiers nord. », remarque Hélène. 

Ces derniers n’aquiesceraient pas. À quelques stations de bus d’ici vers le nord-est, aux abords de la frontière Genevilloise, Mohammed déguste un café-clope ensoleillé à la terrasse de chez Tonton, en face d’un ensemble HLM de briques rouge style année 1920.  « La Mairie a fait installer des caméras, mais ça ne stoppera pas les trafiquants. », soupire-t-il en désignant, du menton, un appareil flambant neuf suspendu à un lampadaire. « Ici à Asnières-nord, j’ai l’impression que tout se dégrade. La délinquance, le communautarisme… Et rien n’est fait pour les jeunes. » Mohammed n’a pas encore fait son choix de candidat, mais l’élection l’enthousiasme peu : « Je vote à chaque élection car c’est un devoir, mais ça ne changera rien ».

 

Terrain de pétanque et désertification médiale

À quelques stations de bus de là, bien installé à l’ombre des platanes de la place de la République, Louis observe, d’un œil expert, la partie de pétanque que se dispute un groupe d’habitués. Ici, les tours de la cité des Grésillons surplombent des ruelles parsemées de boutiques Lycamobile et de boucheries musulmanes. À l’heure du goûter, aucun enfant ne sort de la maternelle République, qui jouxte la place : le bâtiment a été transformé en centre d’hébergement d’urgence.

Retraité depuis plus de 20 ans, Louis tient à rester dans sa ville natale, qu’il a vu changer au cours de ses 76 années. “Asnières est devenue une ville de béton, regrette l’Ancien. La mairie ne s’occupe pas des quartiers nord, et le fossé se creuse avec le sud plutôt bourgeois. Et ici, il y a moins de sécurité, j’ai peur de sortir le soir. Ça craint à Asnières.” Louis est défaitiste à propos des élections législatives. “Je vais aller voter, mais sans illusions. On ne croit plus à la politique.”

A chaque élection, les boulistes se voient promettre un nouveau terrain de pétanque contre leur vote, mais les années passant, ils n’en n’ont toujours pas vu la couleur. Plus grave : les quartiers nord d’Asnières font face à un phénomène de désertification médicale. “Les médecins s’en vont, déplore Ernesto, dont les origines portugaises transparaissent par son léger accent. Avant, il y avait un centre médico-social juste à côté d’ici. Il a fermé il y a trois ans et depuis il n’y a plus de médecins nulle part. Je ne sais pas où prendre un médecin traitant. » 

 Observateur passif de la partie de pétanque, Abdelkader s’anime dès qu’il entend parler politique. Cet employé du transport bientôt retraité a voté Mélenchon au premier tour, et s’est abstenu au second. « J’ai cru à Macron en 2017 ! C’était le mouvement ! Mais j’ai été déçu, et je suis inquiet pour l’avenir. Je ne vote pas pour la droite ou pour la gauche : je choisis le politicien qui me plaît ».

 À ces mots, son ami Kleber, qui écoute la conversation d’une oreille, s’esclaffe : « Marie-Do, elle me plaît, c’est la plus belle femme d’Asnières ! ». Mais ce n’est qu’une plaisanterie, car le visage de Mme Aeschlimann est le seul qui lui soit familier : « Je ne voterai pas pour elle.  Ici, c’est Asnières-Nord, on est de gauche ! », sourit-il. Avant toutefois d’avertir : « Je ne voterai pas pour la NUPES non-plus… Cet assemblage-là, je n’y comprends rien ».

Climat pour Colombes, Mélenchon pour Asnières

En ces terres acquises à Jean-Luc Mélenchon, pourtant, la Nouvelle union populaire a ses cartes à jouer. Mais justifier la synthèse des gauches est un défi. Et c’est à Francesca Pasquini, enseignante Asniéroise, élue EELV d’opposition au conseil municipal, qu’incombe la tâche. Ce soir-là, la candidate et son équipe tractent à Colombes, à la gare des Vallées. Cette portion de la ville, rattachée à la circonscription d’Asnières, est jalonnée de manoirs rutilants. Très tôt raccordée à la capitale par le train, elle fut, au siècle dernier, une terre de villégiature prisée des Parisiens.

À 18h30, coup de départ de la distribution pour Francesca Pasquini et son équipe. « Votez pour la candidate écologiste aux législatives ! », lance un militant en tendant un papier estampillé « Agir pour le climat ». Écolo, plutôt que NUPES ? Thomas Bury, le directeur de campagne de Francesca Pasquini, expose la stratégie en toute transparence : « Ici, l’électorat de cette zone pavillonnaire, de nature CSP+, oscille d’une sensibilité écolo à une veine plus libérale/centre-droit. Alors, on distribue un tract qui parle climat, et on se présente sous la bannière écolo. ». En 2020, l’écologiste Patrick Chaimovitch a par ailleurs raflé la mairie de Colombes à la LR Nicole Goueta.

« Ce ne serait pas très habile de faire du Mélenchon ici. », concède Thomas Bury. À l’inverse, à Asnières-Nord, où les scores de l’écologiste Yannick Jadot n’ont pas dépassé les 2%, le chef de file de la France insoumise est volontiers mis en avant, et les tracts sont à son effigie.

« Ici, la REM a fait l’erreur de retirer la candidate locale. Peut-être parce qu’elle était trop de gauche pour le parti », spécule Pierre Parreaux, militant vert historique rallié à l’union de la gauche. « Ici rien n’est tranché car c’est un électorat de droite, mais modéré et susceptible d’osciller”. Dans la brèche entre les candidatures LR et LREM, et portée par son élan, l’union populaire tente de s’engouffrer.

Diaporama : Asnières-Colombes de nord en Sud