Mariage forcé en France: pour le meilleur, mais surtout pour le pire

En France, le mariage forcé est passible de 3 ans de prison et 45.000€ d’amende. © Héloïse Bauchet

En France, 200 000 mariages forcés sont toujours signalés chaque année. Pourtant les associations luttent et les victimes témoignent. État des lieux d’une tradition violente passée sous silence.

 

« Un jour, il me dit : “toi je vais te marier”, je rigolais, je pensais qu’il me taquinait. »  Dans la salle communale de Noisiel, près de Paris, l’assemblée se fige aux premiers mots de Diaryatou Bah. À 14 ans, la jeune Guinéenne est mariée de force dans son pays et envoyée en Europe pour y vivre avec un homme de 45 ans. 22 ans plus tard, elle témoigne au café-débat sur le sujet, organisé le 12 mai 2022 par l’association d’aide aux femmes, Djama Djigui. Autour d’elle, deux autres victimes, une représentante d’une association et une avocate discutent de la lutte contre le mariage forcé en France.

Chaque année, 200.000 mariages forcés sont signalés auprès des associations françaises. Un chiffre, en deçà de la réalité, qui regroupe « celles qui ont osé parler, celles qui ont osé aller jusqu’au bout », pointe Nana Camara, directrice régionale du GAMS (groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles), qui lutte contre les unions non consenties. Détecter un mariage forcé reste difficile aujourd’hui. Les célébrations sont majoritairement religieuses et coutumières, hors des radars de l’État français. Même dans le cas d’un mariage civil, la contrainte est impossible à qualifier puisque selon l’article 146 du code civil « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».

Aujourd’hui, le mariage d’amour prédomine dans notre société alors que pendant des siècles le mariage arrangé était la norme. Or, le mariage contraint existe encore en France. Mais « on en parle beaucoup moins en pensant que c’est acquis désormais », se désole Maître Khadija Azougach, spécialisée dans le droit de la famille. 

Les témoignages de victimes, comme celui de Diaryatou, persistent. Afshi Rani, partie en voyage dans son Pakistan d’origine pour de simples vacances, s’est rapidement retrouvée « prise au piège ». Entourée de ses tantes, aussi bienveillantes que manipulatrices, la jeune française a d’abord refusé fermement la proposition de mariage qu’on lui offrait, puis s’est laissée convaincre de rencontrer un prétendant, de se fiancer… « En un mois et demi j’étais mariée avec un homme que je ne connaissais pas », raconte la jeune femme alors âgée de 25 ans. Pour de nombreux jeunes issus de la deuxième génération d’immigrés, il faut se marier au pays « pour l’honneur de la famille ». Comme une dette envers l’ethnie d’origine, « pour que mes parents puissent dire fièrement : “elle a grandi en Europe mais elle n’a pas oublié sa culture” », explique Afshi.

Mais tous les mariages forcés n’ont pas lieu à l’étranger. Saly Diop, élue à l’agglomération de Meaux et présidente de l’association Imany, a elle-même évité un mariage forcé à l’âge de 15 ans. Cela devait être avec son cousin, lui aussi français, âgé de trois ans de plus. Une proposition « normale » pour la jeune femme qui a grandi avec les codes de sa communauté d’origine, une « petite Afrique » qui abritait entre autre la polygamie, les excisions et les unions forcées. Pour cette fois, le mariage n’aboutira pas, mais pour d’autres Françaises, les traditions communautaires et les choix des patriarches l’emportent sur la liberté, symbole de la France.

Cette liberté est pourtant une promesse faite aux jeunes femmes et hommes envoyés de force en Europe pour s’y marier. À 19 ans, Irani* y a cru. « C’est pour ton bien, pour ton futur. C’est un businessman français », lui répétaient ses parents. Elle accepte finalement de quitter son Asie du Sud qu’elle aimait tant en 2017. Une fois arrivée en France, le businessman est en réalité restaurateur, et elle n’est pas étudiante comme on lui avait promis, mais esclave du foyer, condamnée à faire les tâches ménagères.

Promesse d’un avenir meilleur, tradition communautaire ou dette au pays d’origine, si les raisons sont multiples, les histoires sont les mêmes, bien loin de l’image d’Epinal du mariage heureux. D’abord, un sentiment d’isolement envahit la victime, coincée avec une personne inconnue ou presque, loin de ses proches. Parfois dans un autre pays où les gens parlent une autre langue. « À 13 ans quand je suis arrivée en Hollande j’avais des clichés sur l’Europe en tête, et la réalité était décalée », raconte Diaryatou qui a dû déménager un an plus tard en France. Irani, elle, passait ses journées enfermée « à réfléchir aux études qu’[elle] ne pourrai[t] pas continuer ». Alors pour s’occuper et surtout parce qu’il faut obéir aux ordres de leur mari, elles deviennent les ménagères de la maison. Un rôle qui peut leur valoir des coups, « je ne savais pas faire à manger à mon âge, ni nettoyer, si je le faisais mal, il me battait », raconte Diaryatou.

La violence est aussi psychologique. Le chantage et la manipulation se mêlent à l’emprise du mari violent. L’honneur de la famille repose sur les épaules de la jeune mariée, un conflit de loyauté qui empêche la victime de vouloir partir. « C’est une chose de vouloir se protéger, c’en est une autre de porter plainte contre ses parents », explique Carole Chotil, responsable du lieu expérimental Pow’her qui accompagne des jeunes femmes victimes de violences intrafamiliales. Les pressions liées à l’intimité sont les plus fortes. Diaryatou en a vite pris conscience quand son mari a décrété qu’elle n’était pas vierge : « tu dois être ma soumise pour que ça reste entre nous, sinon tu vas être la honte de ta famille et ta mère va te répudier ».

Des paroles qui ont choqué la jeune fille : « à 13 ans, qu’est-ce qu’on connaît de l’amour ?  On ne m’avait pas dit comment être avec un homme ». Comme elle, la plupart des victimes ont subi des violences sexuelles dès le début de la relation. « Tout rapport sexuel dans le cadre d’un mariage forcé est considéré comme un viol », explique Carole Chotil. Mais la sexualité, forcée, reste associée au mariage tant elle est importante pour assurer une descendance aux familles. Les jeunes femmes sont condamnées à subir ces viols répétés. Face à cette fatalité, certaines espèrent qu’un enfant changera la situation. « Je pensais que j’allais donner la vie et qu’après il serait peut être plus doux avec moi, plus gentil », se souvient Diaryatou.

Au LAO de Pow’her, les femmes peuvent venir avec leurs enfants. © Héloïse Bauchet
© Héloïse Bauchet

Avoir un enfant est aussi un moyen d’obtenir les papiers français pour les victimes venues de l’étranger, essentiels face à la menace de l’expulsion. Car si la nationalité française est promise avant le mariage, il n’en est régulièrement rien une fois sur le territoire. Impossible d’aller au commissariat ou à l’hôpital, et cela fournit un argument de fer au conjoint pour empêcher la victime de partir. Quand Diaryatou annonce à son mari qu’elle va le quitter, il lui rétorque : « de toute façon tu n’as pas de papiers, tu vas revenir, ils ne feront rien pour toi ».

Les victimes de mariage forcé subissent des violences de toutes natures. Diaryatou parle de ses trois grossesses inachevées, Afshi du lien brisé avec sa famille, Irani des violences physiques à répétition… Un enchaînement de traumatismes qui ont poussé ces jeunes femmes, à avoir un déclic, à dire non, à enfin partir.

« Il me disait que j’avais des problèmes pour avoir des enfants, que c’était de ma faute, là ça a été le déclic », souffle Diaryatou. Elle venait de perdre son troisième bébé, à quatre mois de grossesse, après des « coups de ceinture sur le ventre ». Un jour, alors que son mari est en Guinée pour l’accouchement d’une de ses autres épouses, Diaryatou tombe sur une émission qui raconte l’histoire d’une Marocaine, victime de mariage forcé. La jeune femme en retient deux lettres salvatrices, « AS », pour assistante sociale. Elle obtient un rendez-vous d’urgence avec celle du secteur. « J’ai découvert que j’avais une force et que je pouvais me battre », s’illumine Diaryatou, à la mémoire de ce souvenir. Elle multiplie alors les rendez-vous, notamment avec l’association Voix de rebelles à Saint-Denis, et prépare son départ, qu’elle retarde pour confronter son persécuteur : « si je partais avant qu’il rentre, c’est comme si je fuguais, je ne voulais pas que ça retombe sur ma mère ». Munie seulement d’un sac poubelle, elle parvient à partir et reste six mois dans la rue, à 17 ans.

La rue, c’est aussi le refuge qu’a trouvé Irani « partie avec [sa] robe sur le dos et c’est tout » après un coup de trop. L’association SOS Femmes lui vient vite en aide. Pour Diaryatou, ce sera le foyer de jeunes travailleurs. En France, de nombreuses associations fournissent un accompagnement psychologique et administratif aux victimes de mariage contraint. « 17% des 350 jeunes femmes qu’on a reçues nous sollicitent dès le départ pour du mariage forcé, mais au fil des rendez-vous on découvre qu’elles sont 26% à être concernées », explique Carole Chotil, de l’association Pow’her. Apprendre le français, trouver un travail, « savoir faire un chèque » pour être indépendante, régulariser les papiers, les défis sont nombreux et fastidieux. Pourtant, c’est en France que leur avenir s’écrit enfin, faute de pouvoir rentrer : « dans mon pays d’origine, le divorce est très mal vu, et refaire sa vie après ça est impossible », regrette Irani.

Louiza, mariée de force en France dans les années 70, a « payé les conséquences » du divorce qu’elle a entrepris 10 ans plus tard. « C’est moi qui te répudie » a-t-elle lancé à son mari avant de partir. Une phrase qui lui a coûté sa relation avec ses frères (sauf le plus jeune) et surtout avec ses enfants, kidnappés de France et élevés en Algérie, confiés par son mari à des membres de sa famille. Aujourd’hui, elle a peu de contact avec ses deux enfants et ne connaît que le nombre de ses petits-enfants, trois.

Louiza B a écrit un livre « Femme, donc coupable », pour témoigner sur son mariage forcé. © Héloïse Bauchet

Alors pour éviter d’en arriver à ce stade, « il n’y a que la sensibilisation », martèle Nana Camara de la fédération Gams. Les associations organisent régulièrement des formations destinées aux travailleurs sociaux et aux institutions. Pour les victimes, visibiliser ce phénomène est un combat de tous les jours. Afshi en a fait « sa mission de vie » sur le réseau social TikTok, où elle partage son expérience pour « briser les silences ». De même Saly, Diaryatou et Louiza ont toutes trois mis sur papier leur vécu. L’écriture, une véritable « thérapie » pour les trois femmes qui ont témoigné avec le besoin « que ça n’arrive plus jamais à une petite fille ».

Quand la sensibilisation ne suffit pas, la justice prend le relais. En France, des outils juridiques sont mis en place pour lutter contre le mariage forcé. L’interdiction de sortie du territoire permet d’éviter un mariage à l’étranger. « Il faut que les choses soient faites en amont », assure Saly Diop, élue à Meaux. « En tant qu’adjointe, j’ai célébré des mariages. Une fois, je me suis retrouvée devant une fille en larmes durant toute la cérémonie, on sent que ce ne sont pas des pleurs de joie ». L’audit séparé des deux futurs époux peut être demandé par l’officier d’état civil pour éviter l’union. Mais ces outils sont limités. L’ordonnance de protection par exemple, peut être demandée par les victimes de mariage forcé au titre des violences intrafamiliales. Dans ce cas, les parents sont assignés alors que l’ordonnance de protection est plus souvent utilisée contre un conjoint violent. Donc, « très peu d’avocats l’utilisent dans ce cadre, et le juge ne sait pas faire » regrette Maître Azougach.

Sortir d’un mariage forcé laisse des séquelles, « mais il n’y a pas de fatalité, une autre vie est possible », assure Saly qui a attendu ses 39 ans pour faire un mariage d’amour. Aujourd’hui, ces femmes luttent au quotidien contre le mariage forcé. Un engagement qui définit leur personnalité et irradie leur entourage. Avec fierté, Diaryatou raconte « encourager ses petites sœurs à être autonomes, à faire des études ». 18 ans après son divorce, elle vit en France avec deux enfants en bas-âge, et s’est mariée avec un homme vivant à Londres. Sa priorité, aider sa fille à avoir un diplôme et encourager son fils « à être respectueux avec sa future femme ». Aujourd’hui, elle est animatrice au sein de l’association Aurore qui accompagne les personnes en situation de précarité ou d’exclusion. « Aider les femmes qui ont un parcours comme le mien, c’est ce qui a donné un sens à ma vie, je veux redonner ce qu’on m’a donné », insiste Diaryatou.

© Héloïse Bauchet

Depuis février, Louiza parcourt les associations pour présenter son livre avec une volonté : « s’il y a une femme sur mille qui prend conscience de sa situation, je n’aurais pas vécu pour rien ». Après une formation, Irani a trouvé du travail auprès de personnes âgées et a « rendez-vous avec une avocate à la fin du mois pour enfin obtenir des papiers français ». Elle garde l’espoir de fonder un jour une famille. De son côté, Afshi reprend contact avec ses proches mais reste indépendante : « Aujourd’hui, je me respecte et mes choix passeront avant tout, quitte à ce que je me retrouve seule ».

Toutes veulent briser le tabou du mariage forcé en France, mais les témoignages ne suffisent pas à mettre en lumière cette réalité, « il faut plus d’écoute » insiste Maître Azougach. Si le nombre de mariages contraints a baissé depuis 20 ans, « on risque d’avoir une nouvelle augmentation à cause du covid et de la situation géopolitique mondiale (guerre en Afghanistan et en Ukraine) qui a précarisé des familles les précipitant vers le mariage forcé », s’inquiète Isabelle Gillette-Faye, directrice nationale du GAMS. Des initiatives publiques, comme le café-débat de Noisiel, permettent aux victimes et aux associations d’être entendues et visibles. Enfin, du discours saisissant de Diaryatou, subsiste une phrase : « Ce n’est pas parce qu’on n’en voit plus et qu’on n’en parle plus, que ça n’existe plus. »

* Le prénom a été modifié

Romantiser le mariage forcé : des fictions pour fuir la réalité

« Aujourd’hui c’est le jour que je considère comme le pire jour de ma vie : mon mariage. Je vais épouser l’idiot de Natsu Dragneel », raconte le personnage imaginé par l’autrice @perlede. Sa fiction intitulée « mariage forcé » cumule 91 900 vues sur la plateforme de lecture Wattpad. Dans cette histoire, Lucy, une jeune fille de 22 ans, est destinée à se marier avec un homme dont elle finira par tomber amoureuse.

Sur les réseaux sociaux, les fictions qui romantisent l’union contrainte pullulent. Le groupe Facebook « mariage forcé » totalise plus de 11 500 membres. Dessus, pas de messages d’associations ou de témoignages, on y retrouve une trentaine d’extraits de fictions publiés chaque jour. 

Pour inventer ces histoires, les rédactrices s’inspirent de situations qu’elles ont vécues ou observées, mais ajoutent une dimension romantique. Une possibilité pour celles-ci de garder espoir face à une réalité difficile. 

Mariage précoce : l’ambitieux programme de lutte de l’ONU

12 millions de filles se marient encore chaque année avant leur majorité. Face à ce constat, l’ONU a lancé depuis 2016, un programme mondial de l’UNFPA (Fond des Nations Unies pour la population) et de l’UNICEF pour mettre fin aux mariages d’enfants d’ici 2023. Cette initiative d’ampleur se concentre sur douze pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud. Elle prévoit de sensibiliser de nombreux acteurs comme les familles, les éducateurs, les prestataires de santé, les gouvernements et les chefs religieux. 

L’objectif  est de renforcer l’accès à l’éducation et aux services de santé, créer des partenariats pour le soutien économique aux familles ou encore appliquer les lois qui fixent à 18 ans l’âge minimum du mariage. 

Une situation globale déjà jugée urgente par l‘ONU en 2020 qui prévoyait 120 millions de filles mariées avant leur 18ème anniversaire d’ici 2030. Aujourd’hui, la récente pandémie risque d’engendrer 10 nouveaux millions de mariages précoces supplémentaires. 

 

 

 

 

L’âge nubile est l’âge selon lequel une personne est déclarée « apte » à être mariée.

De son côté, la majorité matrimoniale désigne l’âge auquel une personne a le droit de se marier librement selon la loi.

Historiquement, l’âge nubile était plus jeune que l’âge matrimonial puisque les parents prenaient la décision du mariage. La majorité matrimoniale était plus tard, lorsque les personnes pouvaient se marier sans l’accord  de la famille.

 

Johanne Mâlin, Héloïse Bauchet