A l’heure des claviers automatiques et des réseaux sociaux, le niveau d’orthographe des Français se dégrade au fil des années. Pourtant, des solutions existent pour progresser. Être mauvais en orthographe n’est pas une fatalité.
“La semaine dernière, à l’invitation de Rachid Santaki, les Aulnaysiens se sont rendus à la dictée géante au Stade de France et vous savez quoi ? Vous savez quoi ? Il y a eu une gagnante ! Elle est scolarisée au lycée Jean Zay, applaudissez Melinda !” Interrogée par le speaker qui ne manque pas de rappeler qu’elle brille au football club d’Aulnay, l’adolescente revient sur son exploit. “J’ai gagné, alors que j’avais fait des fautes ! C’est dire combien c’était très très difficile.”
Ce samedi après-midi à Aulnay-sous-Bois, l’écrivain et scénariste Rachid Santaki organise sa 184e dictée géante. Les habitants ont répondu présents : plus de 700 personnes de tous âges sont venus a la Ferme du Vieux Pays pour un événement familial en plein air. La semaine précédente, Rachid Santaki avait battu son record en recevant 1490 personnes pour une dictée géante au Stade de France. Le “Bernard Pivot du 93” a la bonne recette. “En général les dictées sont lues par des gens connus alors que moi je suis en interaction avec mon public. Je sais jouer avec. Je pense que c’est vraiment ça la différence.”
Oubliez le stylo à plume et les cahiers à grands carreaux. A la place, une feuille fournie par l’organisation sur laquelle est écrit “Seule la rime paie”, en référence à la célèbre phrase du groupe de rap Lunatic “Seul le crime paie”. Surtout, les participants sont avant tout venus jouer, et tenter de remporter un cadeau. Avant le top départ de la dictée, l’animateur pose un petit quiz au micro. Puis Rachid Santaki énonce lui-même son texte, truffé de mots difficiles comme “pachyderme” ou “kyrielle”. Les enfants, appliqués et concentrés, se prennent au jeu, tandis que les adultes, nostalgiques, se confrontent à la difficulté. Entre la fin de la dictée et l’annonce des gagnants, une équipe de bénévoles assure le ramassage des copies et la correction en temps éclair. Loin du cliché scolaire et de la note sur vingt, l’événement est touchant. “Vu de l’extérieur, ça renvoie à l’école et aux mauvaises notes. La dictée c’est une caricature : on voit le truc super relou, alors que beaucoup de gens viennent. Il faut voir l’engouement, les enfants, les parents… Il faut le vivre pour comprendre. C’est un truc familial qui fédère », indique Rachid Santaki.
Les mauvaises notes ne l’ont pas stoppé. Après l’échec de son bac pro puis des années de “jobs”, il a fondé un journal en Seine-Saint-Denis et commencé à écrire des scénarios. Il assure que l’expression écrite est très importante pour l’insertion sociale. “L’orthographe, la présentation est la première chose que les recruteurs regardent. Le CV sans faute permet un meilleur rapport aux autres. Car écrire c’est structurer sa pensée.” Pour lui, il est essentiel de se frotter à ce type d’exercice pour progresser en orthographe. “Je pense qu’il faut garder les fondamentaux. Il ne faut pas trop s’appuyer sur le digital. La nouvelle technologie c’est stylé, mais il faut garder un bon rapport au manuscrit, un minimum.”
Les Français maîtrisent mal l’orthographe
Car le constat est là : les Français sont fâchés avec leur propre langue. Selon le baromètre du projet Voltaire, publié il y a quatre ans, les Français maîtrisaient 51 % des règles d’orthographe en 2010, contre 45 % de ces mêmes règles en 2015, soit une baisse de 6 points en cinq ans. Le dernier baromètre, publié en juin 2018, conclut que c’est à l’école primaire que les fondamentaux s’installent durablement. Or, d’après une étude du ministère de l’Education nationale, publiée en novembre 2016, le niveau d’orthographe des écoliers français recule au fil des années. Des élèves de CM2 évalués sur une dictée faisaient presque deux fois plus de fautes en 2015 qu’en 1987. La chute du niveau est un phénomène général qui concerne l’ensemble des élèves, quel que soit leur sexe, leur âge ou leur environnement social.
Le constat inquiète. Car entre temps cette baisse de niveau n’a pas été enrayée. Alors qu’elle dispense 10 heures de français par semaine à sa classe, Julie Garnier, institutrice à l’école élémentaire publique Alfred de Musset de Levallois-Perret, constate les difficultés au quotidien avec sa classe de CP. « Un même son peut s’écrire différemment. Les élèves ne comprennent pas toujours la différence entre »mais » et »mes », ou »ses », »ces » et »sait » par exemple », explique-t-elle, en admettant que la langue française est compliquée. Sa collègue, Julie Even, qui enseigne à des CE1 dans le même établissement, remarque que les accords en genre et en nombre ne sont pas acquis.
Une étude du ministère de l’Education nationale montre que la principale source de difficultés pour les écoliers concerne l’orthographe grammaticale, c’est-à-dire les accords entre le sujet et le verbe, les accords dans le groupe nominal ou bien ceux du participe passé. Les erreurs lexicales, bien qu’en augmentation, restent les moins fréquentes. Le niveau en langue française varie selon plusieurs critères. Ainsi, les personnes qui maîtrisent le mieux les règles orthographiques ont plus de 55 ans, lisent souvent et ont appris le latin et le grec. A l’inverse, les plus frileux avec l’exercice ont généralement moins de 18 ans et regardent beaucoup plus la télévision.
Plusieurs facteurs expliquent cette baisse de niveau. Gilles Siouffi, professeur de français à la Sorbonne, pointe les incohérences et les difficultés liées à l’orthographe. « Il y a un écart entre l’écrit et l’oral », explique-t-il en prenant l’exemple du mot doigt, qui ne s’écrit pas comme il se prononce. Au total, la langue française compte 130 graphèmes pour 40 phonèmes. Pour lui, ce décalage est dû à l’histoire de la langue, qui n’a pas su évoluer avec le temps. Et pour cause, onze tentatives de réformes de simplification ont eu lieu au cours du 20e siècle, et seule celle de 1990 est entrée dans l’usage.
La correcteurs automatiques peuvent desservir l’orthographe
Gilles Siouffi remet aussi en cause le système éducatif, qui privilégiait autrefois beaucoup plus la langue française qu’aujourd’hui. « Entre 1870 et 1940, avec les lois Ferry, c’était l’époque de l’enseignement de l’orthographe. On a mis le paquet là-dessus car c’était une preuve d’éducation. Ensuite, on a remarqué qu’on donnait trop de poids à la grammaire et à l’orthographe au détriment d’autres matières, et on a considéré dans les années 50-60 que les bases en français étaient acquises ». La littérature a alors pris plus de place dans les programmes, et l’orthographe n’est désormais enseignée qu’en primaire. « On fait trop de littérature au collège et au lycée, alors que ce n’est pas indispensable ».
A l’école primaire, les conditions d’apprentissage ne permettent pas à tous de réussir. Julie Even explique que même si ses élèves de CE1 sont motivés, il est difficile de faire avancer tout le monde, compte tenu du nombre d’écoliers par classe. «Les classes sont trop chargées. J’ai quatre niveaux différents pour 29 élèves, dont certains sont en situation de handicap », déplore-t-elle. Puis d’ajouter que la technologie et les correcteurs automatiques peuvent desservir l’orthographe. «Aujourd’hui les élèves écrivent des textos en phonétique et perdent l’habitude d’écrire correctement, c’est pour ça que le niveau chute du CE1 jusqu’au collège », indique-t-elle. Les élèves apprennent bien les règles de base en classe, mais écrivent en langage SMS dès qu’ils sortent de l’école. Un phénomène sur lequel les instituteurs ne peuvent pas agir.
Dans certains milieux sociaux, les parents sont moins capables de corriger leurs enfants. A l’école Gilbert Cesbron près de la Porte de Clichy à Paris, trop récente pour être classée REP, une enseignante explique que l’école est le seul lieu où les enfants ont un contact avec la culture. “Pour la majorité, ça va jusqu’en CE1. Mais à partir du cycle 3 (CE2, CM1, CM2), un fossé se creuse avec les enfants issus des milieux populaires ou de familles issus de l’immigration.” Les enseignants doivent alors adapter le projet d’école, formulé pour trois ou quatre ans. L’école Cesbron travaille en priorité la compréhension et la lecture.
Marqueur social, l’orthographe peut être un frein à l’embauche. “Un CV avec des fautes c’est comme venir à l’entretien d’embauche avec un jean troué”, déplore Bernard Fripiat. Cet historien belge de la langue française dispense des stages de rattrapage en orthographe en entreprise pour l’organisme Demos. Carine Coulombel avait suivi l’une de ces formations. Elle était alors secrétaire au sein d’une association pour aveugles. « Dès mon embauche, on m’a dit que j’aurai à suivre un stage. » Désormais, elle dirige le théâtre Stéphane Gildas, dans le 13ème arrondissement de Paris. Etre à l’aise pour assurer la communication du théâtre est indispensable. “Ca fait plus sérieux, auprès des parents d’élèves, par exemple.”
Le projet Voltaire revendique cinq millions de participants. C’est la plateforme d’apprentissage la plus fréquentée. La certification Voltaire, créée en 2010, atteste du niveau en orthographe pour valoriser son CV. Des méthodes distinguées par le CNRS. Pour Bernard Fripiat, le projet Voltaire a tout changé en rendant l’enseignement ludique grâce à “des astuces”. Le jeu, sans doute le moyen le plus agréable pour progresser.
Rachid Santaki : « La langue française nous concerne tous, c’est notre socle commun »
Rachid Santaki est un enfant de la Seine-Saint-Denis. Il a organisé plus de 180 dictées géantes à travers la France. Une initiative qui lui a valu le surnom de « Bernard Pivot des banlieues ». Ce romancier et scénariste de 45 ans veut faire de la dictée un moment populaire qui réunit toutes les générations «parce que la langue française nous concerne tous, c’est notre socle commun».
L’idée lui est venue il y a quelques années lorsque le maire de Clichy-sous-Bois a invité Rachid Santaki à lire un extrait du Petit Prince. « Cela m’a plu et j’ai décidé de reproduire l’expérience et d’organiser la première dictée géante en août 2013, au même endroit, en partenariat avec une association de quartier », explique-t-il.
Lucide, Rachid Santaki sait que la dictée souffre d’un cliché. «Dans l’imaginaire collectif, on pense au prof en blouse grise qui met des mauvaises notes et des coups de règle. Pour sortir de ce stéréotype, il faut que les gens viennent et se confrontent à l’exercice». Au fil des années, le projet a évolué et a pris de l’ampleur. Investi dans le milieu associatif, il anime des ateliers d’écriture en milieu carcéral et se dit très demandé par le ministère de la Justice. Rachid Santaki a su imposer son style. La dictée géante a d’ailleurs battu son record de l’an passé en accueillant 1 490 participants au Stade de France le 6 avril 2019.
Bernard Fripiat : “L’orthographe, c’est surtout un moyen d’emmerder le monde !”
Bernard Fripiat donne des stages d’orthographe en entreprise (chez L’Oréal, Bouygues, la MACIF, la Caisse des Dépôts ou encore la RATP…). Comédien et non pas professeur de français, il revendique ne pas avoir d’état d’âme sur la langue. “Aujourd’hui, l’orthographe, c’est surtout un moyen d’emmerder le monde ! ». Pour lui, dans le monde de l’entreprise, être tatillon sur les fautes est parfois un moyen de décrédibiliser un concurrent. “Certains viennent après des promotions ou après avoir reçu des critiques… Une fois, je faisais un cours individuel à un chef récemment nommé. Il avait eu le malheur d’envoyer un mail en interne avec deux “s” à “nous serons”. Son patron m’a demandé de lui faire cours, en m’expliquant que ça lui avait valu une vraie cabale contre lui dans la boîte !” Mais il reçoit tous types de profils, “de la secrétaire au dirigeant d’entreprise.”
Pour cet historien de la langue française, le discours sur la baisse du niveau est faussement alarmiste. “J’ai même lu un article datant de 1953 où on disait que le niveau d’orthographe baissait, parce que les jeunes se parlaient par téléphone et ne s’écrivaient plus, et qu’ils ne lisaient plus car ils écoutaient la radio !”
En fait, ce n’est pas le niveau qui aurait baissé, mais plutôt la fréquence d’écriture sur ordinateur qui a explosé. Les fautes qu’il voit le plus souvent sont dues à l’inattention.“Avant, au travail, on écrivait quelques courriers et ça partait avant seize heures. Maintenant, on écrit des mails jusqu’à pas d’heure… On en a marre, on a envie que ça foute le camp !” L’agitation de l’environnement professionnel serait donc la cause principale des fautes chez les adultes, mais aussi la démocratisation de l’email. “Et surtout, tout le monde écrit ! Partout, tout le temps ! Il faut juste que les gens apprennent à se connaître, pour savoir quand ils ne sont plus attentifs.”
Ne faites plus l’erreur !
En 2018, des auteurs Belges ont voulu supprimer l’accord du participe passé. Sans cette règle qu’ils ont critiquée, on aurait écrit « critiqué ». Voici une astuce pour enfin maîtriser l’accord du participe passé, cette fameuse difficulté de la langue française. Pour savoir si on accorde le verbe, il suffit de se demander s’il va avec « je lui » ou « je le ». Gardez ceci en tête : avec « je lui », on n’accorde pas.
Exemple : on écrit « nous nous sommes téléphoné » parce qu’on peut remplacer par « je lui ai téléphoné ». Ici, on n’accorde donc pas.
Autre exemple : « les travaux que j’ai effectués » parce qu’on peut remplacer par « je les ai effectués ». Là, on accorde.
Alexandre Cool et Vincent Jaouen