Se reconstruire loin du front : l’enjeu est de taille pour les enfants-soldats démobilisés. Traumatisés par les horreurs de la guerre, leur retour à la vie civile s’apparente souvent à un nouveau combat.
Comment réapprendre à vivre normalement lorsque l’on a été « enfant-soldat » ? Chaque année, des centaines d' »enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés », selon la définition des Principes de Paris, sont confrontés à ces questions. Qu’ils se battent en première ligne, arme en main, ou qu’ils soient enrôlés comme messagers, gardes du corps ou espions, ces jeunes de moins de 18 ans souffrent une fois démobilisés des stigmates de la guerre. Selon la psychologue allemande Elisabeth Schauer, interrogée lors du procès devant la Cour pénale internationale de Thomas Lubanga, reconnu coupable du recrutement d’enfants lors du conflit en République démocratique du Congo, 40% des enfants-soldats enlevés en Ouganda qu’elle a pu interroger souffrent de trouble de stress post-traumatique.
Restaurer le lien social et la confiance
Outre l’atteinte à l’intégrité physique des enfants – on pense dans ces cas-là d’abord aux filles, généralement utilisées à des fins sexuelles, elles qui représentent plus d’un tiers des enfants-soldats – l’exposition à la guerre et aux exécutions créent des séquelles psychologiques nombreuses et durables. Anxiété, agressivité, voire perte d’identité sont autant de conséquences de cet enrôlement. A Paris, le Centre Primo Levi a pris en charge, depuis sa création en 1995, entre vingt et vingt-cinq anciens enfants-soldats. « Notre centre réalise tout un travail autour du psycho-traumatisme. Les enfants sont pris en charge une fois par semaine, pour une durée de 45 minutes », explique Joséphine Vuillard, qui travaille au Centre Primo Levi, au CelsaLab. Le suivi est personnalisé, les consultations peuvent être réalisées avec des interprètes. En moyenne, la prise en charge des enfants s’étale sur un à deux ans. « Souvent, ils nous sont envoyés par les services sociaux ou bien par des membres du corps enseignant, qui remarquent des comportements violents ou inadaptés », précise Joséphine Vuillard. Ici, la prise en charge est pluri-disciplinaire : psychologues, médecins, assistants sociaux et juristes œuvrent de concert à la réhabilitation des démobilisés. « Notre but, c’est d’aider les enfants à restaurer le lien social et la confiance, mais aussi de travailler la haine et la culpabilité qu’ils peuvent ressentir », poursuit Joséphine Vuillard.
Car les enfants embrigadés sont nombreux à être contraints de s’en prendre à leurs familles, à leur proches ou des personnes de leur entourage. « Le cœur de ce qui fonde leurs liens sociaux est détruit », explique Eric Sandlarz, l’un des six psychologues travaillant à mi-temps pour l’organisme, sur le site du Centre Primo Levi. Lorsque, par chance, les enfants-soldats réussissent à être démobilisés et que leur famille est toujours en vie, la réunion n’a pas forcément lieu. Les actes commis peuvent entrainer de la défiance, de l’incompréhension et finalement le rejet de retrouvailles ou d’une réintégration.
Mettre l’accent sur l’éducation et l’accès à l’emploi
Le processus « Désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR) mis en place par le Fonds des Nations-Unies pour l’enfance (Unicef) œuvre pour le retour des enfants démobilisés dans leurs familles. Créé en 1990, ce programme négocie la libération des enfants avec les forces armées ou les groupes armés qui les détiennent. Selon les chiffres de l’Unicef, plus de 100.000 mineurs ont bénéficié de ce programme depuis 1998. Une fois la démobilisation actée, l’Unicef tente de retrouver les familles des enfants-soldats, afin que ces derniers soient accueillis dans un univers familier. Puis est enclenché le dernier volet de ce programme en trois temps : celui de la réhabilitation économique est sociale. Parce qu’ils viennent de régions du monde pauvre, les enfants sont tentés par le mirage d’une vie meilleure, plus confortable au sein des milices armées auprès desquelles ils s’enrôlent. C’est pour contrer cet argument fallacieux que l’Unicef met l’accent sur l’accès à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’emploi, en travaillant de concert avec des ONG présentes sur place.
Aujourd’hui, 250.000 enfants de moins de 18 ans seraient embrigadés de force et instrumentalisés dans des conflits armés. Leur multiplication en Afrique, Asie et Moyen-Orient rend la nécessité de la prévention de l’enrôlement d’autant plus nécessaire. Lancée en 2014 par l’ONU, la campagne « Des enfants, pas des soldats », qui devait « prévenir le recrutement et l’utilisation d’enfants en temps de conflit par les forces armées gouvernementales et d’y mettre fin d’ici à 2016″ n’aura, pour cette 14e Journée Internationale des enfants soldats, pas atteint ses objectifs.
Lisa Boudet