L’Assemblée nationale aux trois-quarts vide a voté ce lundi 8 février vers 22h la constitutionnalisation de l’état d’urgence par 103 voix contre 26 et 7 abstentions. Le texte initial a notamment subi deux modifications: la fixation de la prorogation de l’état d’urgence à quatre mois maximum et l’impossibilité de dissoudre l’Assemblée nationale pendant cette période. Deux mesures qui ont fait des vagues au sein de l’Hémicycle.
Le premier round du projet de révision constitutionnelle a été tranché à l’issue de plusieurs heures de débat et d’un vote fortement marqué par l’absentéisme. Il s’agit du premier article d’un projet de révision hautement symbolique qui inclue notamment la déchéance de nationalité. Pourquoi inscrire l’état d’urgence dans la loi des lois ? Ce qui va changer en 3 points.
Quatre mois renouvelables
C’est une question au moins aussi polémique que la déchéance de nationalité : l’état d’urgence doit-il être prolongé ? Par définition, cet état ne peut être que temporaire. Sa durée initiale est actuellement fixée à 12 jours. Mais le Parlement peut, comme il l’a fait à la suite des attentats du 13 novembre, décider de le prolonger. Le Sénat planche d’ailleurs ce mardi 9 février sur une reconduite d’une durée de trois mois à partir du 26 février prochain. Le premier article de la révision constitutionnelle voté ce lundi 8 février fixe un nouveau cadre pour cette prorogation. Désormais, elle ne pourra excéder une durée de quatre mois mais reste, en revanche, renouvelable après un vote du Parlement. C’est un amendement UDI, avec un avis favorable du gouvernement, qui est à l’origine de cette restriction. Pour justifier le choix des quatre mois, le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde a établi un parallèle avec le délai qui préside aux interventions militaires de la France. De son côté, Manuel Valls, s’il estime que cet amendement « ne repose pas sur des éléments précis » a salué une durée « raisonnable » qui donne « suffisamment de temps pour faire face au menace ».
Une Assemblée nationale indissoluble
Mais c’est un autre amendement qui aura réussi à provoquer l’ire du Premier ministre. En marge du premier article de la révision constitutionnelle, les députés ont également voté en faveur de l’indissolubilité de l’Assemblée nationale pendant l’état d’urgence sur proposition socialiste. Une mesure fustigée par les députés LR présents lors du vote mais également par le gouvernement. Le député Les Républicains des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti, a ainsi immédiatement fustigé la mesure sur Twitter.
La suppression de la dissolution pendant l’état d’urgence votée par la majorité constitue une faute grave#directAN
— Eric Ciotti ن (@ECiotti) February 8, 2016
Manuel Valls, appuyant à demi-mots la position de Ciotti, a affirmé que la mesure ouvrait « trop de problématiques » et qu’il fallait s’en tenir « au cadre tel qu’il a été défini dans un souci d’unité et de rassemblement ». Le locataire de Matignon peut pousser un soupir de soulagement. Le cadre a été globalement respecté. Les parlementaires ont par exemple refusé qu’une loi organique, et non une simple loi ordinaire, fixe les mesures de police administrative autorisées. Un refus qui n’a pas été du goût des députés EELV. Face aux assauts répétés de Cécile Duflot en faveur d’un encadrement plus strict de l’état d’urgence, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a vivement réagi, non sans ironie : « comme si l’état d’urgence était le danger, pas le terrorisme ».
Un article liberticide ?
Et le locataire de Beauvau d’égrainer les chiffres de l’après-13 novembre. 83% des assignés à résidence et 61% des perquisitions ont concerné « des personnes de l’islamisme radical » qui étaient fichées, et le reste portait sur des « réseaux délinquants » pouvant être en lien, a-t-il affirmé. Des chiffres loin d’emporter l’adhésion des 26 députés qui ont voté contre le premier article du projet de révision constitutionnelle. Parmi eux, des écologistes, des socialistes « frondeurs » ainsi que des députés LR. Ils ont tour à tour condamné un article synonyme de « recul de nos libertés » selon les mots de Noël Mamère (groupe écologiste). Faux, répond le gouvernement par le biais de son nouveau garde des Sceaux. D’après Jean-Jacques Urvoas, avec le vote de cet article, « les libertés publiques ne pourront que mieux se porter ». Et le ministre de la Justice d’ajouter que « dans toutes les législations européennes, les états d’exception figurent dans la Constitution ». La France ne devrait donc plus faire office d’exception si cet article venait à être entériné par le Sénat puis par le Congrès. Et il a de bonnes chances de l’être. La réforme de l’état d’urgence n’avait pas été débattue depuis sa création en 1955, en pleine guerre d’Algérie.
Rania Berrada