ENQUÊTE : En France, ces jeunes femmes musulmanes qui choisissent le départ- Vidéo

Face à un climat qu’elles jugent islamophobe, de nombreuses françaises musulmanes envisagent l’exil. Insultées, discriminées, marginalisées, elles cherchent la possibilité de vivre leur foi librement ou de nouvelles opportunités professionnelles. Canada, Malaisie ou Maghreb, deviennent des terres d’espoir, loin d’une France qu’elles aiment… mais qu’elles quittent.

“Retourne en Iran”. C’est l’une des agressions verbales subies par Meriem, étudiante de 21 ans, alors qu’elle se promenait voilée, place de la Bastille à Paris. Comme elle, face à la montée des actes islamophobes en France, de nombreuses femmes musulmanes envisagent de s’exiler seules ou en famille, dans les pays anglo-saxons comme l’Angleterre et le Canada et musulmans, principalement, la Malaisie, les Emirats-Arabes Unies  ou les pays d’Afrique du nord (Maroc, Algérie). 

De nombreuses femmes recherchent des pays où elles peuvent porter le voile dans le milieu professionnel. Crédits : AEI

INFOGRAPHIE : où partent les femmes musulmanes qui décident de quitter la France en raison de « l’atmosphère islamophobe » qu’elles affirment ressentir ?

Source : données statistiques issues de l’ouvrage La France tu l’aimes mais tu la quittes, Enquête sur la diaspora française musulmane, Olivier ESTEVES, Alice PICARD, Julien TALPIN

Cette vague de départs a été mise en lumière en 2024 par une enquête sociologique des chercheurs Olivier Esteves, Julien Talpin et Alice Picard. Elle a fait l’objet d’un livre : La France tu l’aimes, mais tu la quittes. (c.f interview ci-dessous). Et malgré le débat suscité par ce livre, la situation n’a pas changé.

Trois question à Olivier Esteves et Alice Picard, auteurs de La France tu l’aimes mais tu la quittes, Editions du Seuil, 2024

Est-ce que ce phénomène d’exil lié à l’islamophobie est spécifique à la France ?

O.E : Non, ce n’est pas un phénomène totalement spécifique à la France, même si l’ampleur et la forme qu’il prend ici sont particulières. On retrouve des dynamiques similaires dans d’autres pays européens, mais la France se distingue par la centralité du débat sur la laïcité et la visibilité du voile. Par exemple, au Royaume-Uni ou en Belgique, la diversité religieuse est mieux acceptée, même si les discriminations existent aussi. Mais la France, avec son histoire coloniale et son obsession autour du voile, produit une atmosphère particulièrement pesante pour les personnes concernées.

Pourquoi les femmes qui partent sont-elles majoritairement très diplômées ?

A.P : La majorité des personnes interrogées sont souvent Bac+5 ou plus. Ce n’est pas anodin : être diplômé facilite l’installation à l’étranger, notamment dans des pays du Nord ou en Amérique du Nord qui valorisent les compétences et l’expertise. Cela montre que la France perd une partie de ses élites formées, qui auraient pu contribuer à la société, mais qui choisissent de partir à cause d’un sentiment d’exclusion.

O.E : Effectivement, c’est un point essentiel : ce ne sont pas uniquement des personnes en situation de précarité qui partent, mais aussi des profils qualifiés, parfois avec des carrières prometteuses. Leur départ est une perte pour la France, car ils emportent avec eux un capital humain important. Cela souligne aussi que la discrimination touche même ceux qui, sur le papier, ont toutes les chances de réussir.

Le départ est-il toujours définitif, ou observe-t-on des retours en France ?

O.E : On observe ce qu’on appelle des « carrières migratoires » : certains partent, reviennent, puis repartent à nouveau, souvent parce qu’ils réalisent que rien n’a changé en France. Mais, globalement, neuf personnes sur dix ne souhaitent pas revenir. Le sentiment d’être perçu comme « l’autre », même pour des personnes non musulmanes mais à l’apparence arabe, reste un frein majeur au retour.

 

« Aujourd’hui, j’ai envie de dire « pauvre France » ». Mounia, 45 ans.

Quand le départ se concrétise : un nouvelle vie à l’étranger

Pour Mounia, par exemple, partir est un gage de sécurité pour sa famille. Cette mère de deux petites filles est originaire du Maroc. Avec son mari, elle se prépare à déménager à Marrakech : “je vais ouvrir mon agence immobilière là-bas, et mon mari, médecin, son cabinet. Je veux offrir un meilleur avenir à mes filles” déclare-t-elle. Mounia s’est fixé deux ans pour partir, le temps pour ses filles de terminer le collège. 

Émeline Cardon, 28 ans, a fait ce choix. Il y a cinq ans, encore étudiante, elle quitte la France et s’installe à Londres. Aujourd’hui elle est professeure de Français dans la capitale britannique, et peut librement porter son voile au travail. “Ici, ce n’est même pas un sujet de discussion avec mes collègues » se réjouit Émeline Cardon qui s’est tout de suite sentie « bien accueillie » en tant que musulmane et n’envisage « pas du tout » un retour en France.malaisie 

Dans sa nouvelle vie londonienne, Émeline Cardon se réjouit de pouvoir enseigner avec le voile. Crédits : Émeline Cardon

« J’aime ce pays mais je n’ai pas d’autre choix que de le quitter. Des violences islamophobes, je sais que ça va me tomber dessus ici, un jour ou l’autre », Meriem, 21 ans.

Contrairement à ces deux femmes, la plupart des Françaises musulmanes n’osent pas encore franchir le pas et le départ reste souvent un projet. La plupart n’ont jamais vécu à l’étranger et savent que la culture française pourrait leur manquer : “je sais que je pourrais moins sortir pour m’amuser et puis le pain et le fromage ça va me manquer quand même”, sourit Meriem, une étudiante de 21 ans qui prévoit de s’installer en Algérie après ses études. 

 

 

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Niveththika, elle, rêve de s’installer en Malaisie dans les prochaines années. Pour l’instant, elle se contente d’imaginer cette nouvelle vie à travers les réseaux sociaux et les récits de ses amies déjà installées là-bas. Cette destination fait rêver de nombreuses femmes musulmanes françaises : “Je n’ai eu que des retours positifs. Ils n’y a pas de souci par rapport à l’islam », affirme -t-elle. La Malaise lui apparaît comme un lieu “d’ouverture” où l’on peut “pratiquer librement” sa religion. 

Beaucoup de femmes musulmanes s’accordent sur un point :  selon elles, la laïcité n’est pas appliquée de la même manière pour toutes les religions en France. Crédits : AEI

L’islamophobie en France, la grande coupable des départs pour les femmes musulmanes

Le climat d’islamophobie que ces femmes musulmanes ressentent en France devient pour la plupart insupportable. « Aujourd’hui, j’ai envie de dire ‘pauvre France””, s’exclame Mounia. Meriam, elle, encourage toute personne qui le peut à partir : « J’aime ce pays mais je n’ai pas d’autre choix que de le quitter. Des violences islamophobes, je sais que ça va me tomber dessus ici, un jour ou l’autre » regrette-t-elle. Mounia est convaincue « Si je pars, c’est définitif, le départ est vital ». Ces femmes musulmanes se sentent étrangères dans leur propre pays. Pour elles, c’est un « départ par dépit d’un pays lié à la mentalité fermée en France “, note Mounia : « En France, il y a la phobie de tout ce qui est différent de nous, de l’étranger au sens propre du terme.“ Aujourd’hui, être musulman ce n’est même plus vu comme une religion mais comme une origine ». Un climat anxiogène qu’Amira ressent depuis les attentats contre Charlie Hebdo en 2015.

L’islamophobie est la première raison qui poussent toutes ces femmes à partir. Nassima*, étudiante, ne se sent plus en sécurité : “On m’a déjà suivie dans la rue, insultée, craché au visage, parce que je suis voilée.” Entre janvier et mars 2025, 79 actes antimusulmans (agressions physiques, verbales, assassinats, viols) ont été recensés en France par la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), selon le ministère de l’Intérieur. Ces chiffres sont en hausse de 72% par rapport au premier trimestre 2024. Il ne s’agit que d’actes des signalés aux autorités. 

Pour de nombreuses femmes musulmanes considèrent la Grande Mosquée de Paris comme un lieu sûr où elles peuvent pratiquer sereinement leur religion. Crédits : AEI

L’islamophobie est la première raison qui poussent toutes ces femmes à partir. Nassima, étudiante, ne se sent plus en sécurité : “On m’a déjà suivie dans la rue, insultée, crachée au visage, parce que je suis voilée.” Entre janvier et mars 2025, 79 actes antimusulmans (agressions physiques, verbales, assassinats, viols) ont été recensés en France par la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), selon le ministère de l’Intérieur. Ces chiffres sont en hausse de 72% par rapport au premier trimestre 2024. Il ne s’agit que d’actes des signalés aux autorités. 

INFOGRAPHIE : quels sont les principaux motifs qui poussent au départ les femmes musulmanes qui affirment ressentir une « atmosphère islamophobe  » en France ?

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Le voile, un signe religieux au coeur de l’islamophobie ressentie par les femmes musulmanes

Depuis son choix de porter le voile, Nassima s’attriste d’avoir perdu progressivement des amies. Elle a constaté dès l’enfance que le voile de sa mère posait problème : « pour les sorties scolaires, les enseignants trouvaient toujours des excuses pour qu’elle ne vienne pas. En 2023, la proposition de loi pour interdire les signes religieux lors des sorties scolaires, a heurté les musulmanes et suscité des débats médiatiques.

Meriem, elle, est consciente que ce signe religieux va de pair avec de nombreuses idées reçues. Depuis qu’elle porte le voile, elle explique ressentir un changement dans le regard des gens. « On me voit tout de suite comme une femme dure ou coincée. Les gens pensent qu’avec le voile, on pratique la religion à l’extrême. Heureusement, mes amies ont compris que j’étais restée la même » se rassure la française d’origine kabyle. Selon elle, son voile devrait être perçu positivement. « Il m’apporte de la sérénité, je me sens appartenir davantage à une communauté. Il faut rappeler que personne ne nous oblige à le porter, c’est un choix personnel ». De son côté Nassima. s’est parfois étonnée de voir des personnes lui parler comme si elle ne comprenait pas le français. « À cause du voile, j’ai l’impression qu’on est vues comme des bêtes de foire, les gens se croient tout permis ». 

 

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Islamophobie : un phénomène spécifique à la France ?

Toutes, relèvent en France une « obsession » autour des musulmans dans le débat public, tant au niveau médiatique que politique. « En France, les gens sont contre nous. Je pense qu’il y a d’autres problèmes plus importants à traiter dans le média, ils ne parlent que des musulmans, c’est déprimant  » déplore Mounia. Si la mère de famille porte un intérêt plutôt marqué pour l’actualité, elle avoue avoir arrêté de regarder la télévision. « Elle véhicule les mauvais messages sur les musulmans, surtout depuis le 7 octobre 2023, et les gens n’ont pas forcément tous les éléments pour les interpréter ». Meriem pointe du doigt un problème de représentativité de la communauté musulmane à la télévision. « Les femmes musulmanes ne sont jamais invitées sur les plateaux lors des débats sur le voile » s’agace-t-elle.

Pour les femmes rencontrées les principales violences qu’elles subissent dans l’espace public sont initiées par l’identifcation de leur voile. Crédits : AEI

En France, le mot “islamophobie” est loin d’être neutre : il cristallise les tensions et divise jusque dans les plus hautes sphères de l’État. De Sébastien Chenu (Rassemblement national) à Aurore Bergé (ministre déléguée chargée de l’Égalité femmes-hommes), en passant par le député socialiste Jérôme Guedj, nombreux sont les responsables politiques à refuser de l’employer. Au sein du gouvernement, Manuel Valls s’est montré particulièrement virulent sur RTL en avril 2025. Reprenant les arguments de l’essayiste Caroline Fourest, il affirme que le terme aurait été forgé “il y a plus de 30 ans par les mollahs iraniens”, et qu’il ne faut “jamais employer les mots de l’adversaire”. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau parle, lui, d’“actes anti-musulmans”, tout comme Gabriel Attal. Aurore Bergé, elle pense que « islamophobie » « n’est pas un terme approprié ». Une position largement partagée dans la majorité présidentielle. Pourtant, des chercheurs comme Marwan Mohammed et Abdellali Hajjat rappellent que le mot apparaît dès 1910, utilisé par des ethnologues pour désigner un préjugé occidental à l’égard de l’islam. Le seul membre du gouvernement à avoir publiquement parlé d’“ignominie islamophobe” esT François Bayrou, lui-même chef de ce gouvernement, dans un tweet le 26 avril, après l’assassinat d’Aboubakar Cissé, 23 ans, tué dans une mosquée du Gard.

La laïcité en France : à revoir ?

Ces jeunes femmes s’accordent sur un point : la laïcité n’est pas appliquée de la même manière   pour toutes les religions. « Les chrétiens ou les juifs qui portent une croix ou une kippa posent moins problème que nous, avec le voile. Pourtant, c’est un signe religieux comme les autres, on devrait tous être traités pareils », soupire Meriem. Elle considère que le concept de « laïcité à la française » est à revoir. « Il est temps d’évoluer avec son temps. Il y a des pays qui autorisent la pratique de la religion dans l’espace public, comme dans le modèle anglo-saxon ou canadien. Il faudrait selon moi permettre tous les signes. Ça s’appelle juste le respect de la religion des autres ». Mounia explique : « Pour moi, il n’y a pas de différence entre être musulman ou Français. On est Français, puis après la religion relève de l’ordre du privé ». 

Le voile, entre France, Angleterre et  Iran : trois modèles, trois visions 

France et Angleterre incarnent deux modèles opposés sur la question du voile. En France, la laïcité se traduit par une législation stricte : depuis 2004, les signes religieux ostensibles, dont le voile, sont interdits à l’école publique, et la loi de 2010 bannit le voile intégral dans l’espace public. Cette politique vise à préserver la neutralité de l’espace public, quitte à restreindre la liberté individuelle.

À l’inverse, l’Angleterre défend la liberté religieuse : aucune loi n’interdit le port du voile, qu’il soit simple ou intégral, dans l’espace public ou à l’école. L’Equality Act de 2010 protège le droit d’exprimer sa foi, et la majorité des écoles autorisent le port du voile avec l’uniforme. Les codes vestimentaires existent mais doivent respecter la non-discrimination. Ainsi, le port du voile reste un choix personnel, visible et accepté dans toutes les sphères de la société britannique.

Mais à l’autre bout du spectre, certains pays moins démocratiques rendent le port du voile obligatoire. En Iran, la loi impose le hijab à toutes les femmes, locales ou étrangères, sous peine de sanctions sévères : amendes, emprisonnement, voire flagellation. La récente législation iranienne renforce encore cette obligation, malgré une contestation sociale croissante.

*Le prénom a été modifié

INFOGRAPHIE : qui sont les femmes musulmanes qui décident de quitter la France en raison de « l’atmosphère islamophobe » qu’elles affirment ressentir ?

Source : données statistiques issues de l’ouvrage La France tu l’aimes mais tu la quittes, Enquête sur la diaspora française musulmane, Olivier ESTEVES, Alice PICARD, Julien TALPIN

VIDÉO : 5 minutes pour comprendre nos infographies à propos des femmes musulmanes qui décident de quitter la France

Fatou-Laure Diouf, Elena Vazquez, Ana Escapil-Inchauspé

“La plus grande des force, c’est de fuir”: le parcours du combattant des anciens adeptes de sectes

Chaque année, en France, des centaines de personnes quittent un groupe sectaire. Si la fuite marque la fin de l’endoctrinement, elle n’ouvre que rarement la voie à un retour apaisé à la vie « normale ». Isolement, précarité, absence de soutien… Témoignages et éclairages sur un vide institutionnel que dénoncent associations, rescapés et juristes.

Lydia Hadjara a 25 ans lorsqu’elle est frappée par le déclic qui va changer sa vie. Un sentiment de honte, une prise de conscience, puis une soudaine envie de vomir. L’intuition qui la tourmentait depuis si longtemps se mue en une évidence brutale : « Il faut que je m’en aille. » Comme des milliers de personnes en France, Lydia était victime de dérives sectaires. 

Elle a vécu plus de vingt ans chez les Raëliens, un mouvement né dans les années 1970 en France sous l’impulsion de Claude Vorilhon, dit « Raël ». En tant que prophète et messager des « Élohims » (extraterrestres divins à l’origine de l’humanité), Raël rassemblera autour de lui plusieurs milliers de fidèles au fil des années. Il met en place parmi ces derniers un groupe de femmes appelées les « anges », entièrement dévouées à son bien-être – y compris sexuel. Lydia était l’une d’entre elles. Elle est conduite chez les Raëliens à l’âge de quatre ans par sa « génitrice » – qu’elle se refuse aujourd’hui à appeler mère.

 

 

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Lydia décrit une enfance en apparence normale, malgré un décalage profond ressenti vis-à-vis des autres enfants : « Je ne trouvais pas ma place, parce qu’on m’inculquait que ceux qui n’étaient pas dans le mouvement n’avaient pas la vérité », explique-t-elle. À treize ans, elle est agressée sexuellement par l’un des “guides” du mouvement. Une « initiation », ayant pour but d’apprendre à la jeune fille comment satisfaire Raël à l’avenir. Une preuve de dévotion envers le prophète. Si son mal-être est évident, elle le réprime, se raccrochant à l’idée d’être privilégiée, de faire partie d’un groupe d’élus : « Je me culpabilisais de me dire que ça pouvait potentiellement être faux. Mais quand j’avais des doutes, en un quart de seconde, je m’autoflagellais. Je me disais : “Tu redescends sur Terre, tu es quand même dans la dernière des religions.” »

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Le dîner de la rupture

Elle luttera contre ces doutes jusqu’à ce soir d’octobre 2007, lors d’un dîner au restaurant avec Raël et les autres anges. Placée en bout de table, elle est punie pour avoir manqué une réunion du mouvement plus tôt dans la journée. On lui fait comprendre qu’elle n’est pas digne de l’honneur qui lui est fait, qu’elle n’est personne pour se permettre ce genre de liberté. Une « humiliation », se rappelle-t-elle encore aujourd’hui. « J’ai déçu le prophète, j’ai déçu les anges, je n’ai pas rempli mon rôle correctement », se dit-elle à l’époque.

Mais cette honte laisse rapidement place à un sentiment de dégoût. Un instinct de survie jusque-là assoupi se réveille en Lydia. Comme si les fils de son cerveau se reconnectaient pour la première fois depuis longtemps. « J’ai vu les autres anges regarder Raël, et physiquement, ça a été compliqué », raconte-t-elle. « Je me suis rendu compte que je le regardais de la même manière. Et ce n’était pas un regard sain. » Sa décision est prise : elle partira le lendemain matin, sans jamais revenir.

Son départ mettra fin à un calvaire qui aura duré plus de deux décennies. C’est néanmoins le début d’une nouvelle épreuve pour Lydia : celui de la reconstruction. « [Chez les Raëliens] il n’y avait pas de barreaux aux fenêtres… Ils étaient dans ma tête. Et ceux-là sont encore plus durs à enlever. »

Comme beaucoup d’anciens adeptes, Lydia doit d’abord affronter une réalité difficile à admettre : reconnaître qu’elle a été victime du mouvement. Une prise de conscience aussi essentielle que douloureuse, explique Pascale Duval, directrice de l’Union nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (UNADFI). « [Les anciens adeptes] ont plutôt l’impression d’avoir été victimes d’une escroquerie, ou d’avoir été trop faibles face à un abus. Ils ne relient pas leurs mésaventures à un problème sectaire. » Même après avoir pris conscience de l’emprise, « beaucoup préfèrent se taire, par honte : honte d’avoir été manipulés, d’avoir perdu le contrôle », déplore-t-elle.

Pour Lydia, il a fallu affronter « le regard et le jugement des gens », y compris de ceux qui se demandent « comment on peut être assez débile pour croire et entrer dans un tel mouvement ». Il aura fallu près de dix ans et un rendez-vous chez une psychologue – pour un tout autre motif – pour qu’elle parvienne à mettre un mot sur ce qu’elle avait vécu : l’emprise. « Je ne connaissais pas ce terme, ni ce mécanisme. Et en moi, ça a fait comme un second déclic : je me suis dit “mais en fait, ce n’est pas toi le problème”. »

Un accompagnement institutionnel quasi inexistant

Elle contactera la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) afin d’obtenir leur aide. Sans succès. « J’aurais rêvé d’un accompagnement, mais je me suis retrouvée complètement seule. » C’est là que le bât blesse : bien que la Miviludes estime à 500 000 le nombre d’adeptes à des mouvements sectaires, les dispositifs publics sont loin d’être à la hauteur afin d’accompagner les victimes. Sollicitée pour préciser les dispositifs d’aide existants, la Miviludes n’a pas donné suite à nos demandes.

En l’absence de soutien institutionnel, des associations comme le Centre Contre les Manipulations Mentales (CCMM) et l’UNADFI se retrouvent en première ligne. Pascale Duval, directrice de cette dernière, souligne la difficulté à proposer un accompagnement individualisé. Les victimes de sectes présentent souvent des profils très isolés : elles ont vécu en marge de la société pendant des années. Une fois sorties, elles se retrouvent sans famille, sans emploi, ni logement. « Certains ont besoin d’un psychologue, d’autres d’un avocat pour entamer une procédure », explique-t-elle. Une mission difficile à accomplir, d’autant plus que ces dépenses sont entièrement prises en charge par l’association, « sans subvention supplémentaire de l’État », note la directrice de l’UNADFI. La réinsertion professionnelle est également un enjeu de taille pour les anciens adeptes. « La hiérarchie est vécue comme une menace : le chef [d’entreprise] est vu comme un gourou », observe Pascale Duval. Plus généralement, la confiance envers l’autre est difficile à construire pour ceux à qui on a inculqué que « tout ce qui est extérieur est dangereux », ajoute-t-elle.

Le CCMM – à travers la voix de sa vice-présidente Francine Caumel – plaide pour une prise en charge renforcée. « L’emprise mentale n’est prise au sérieux qu’en cas de catastrophe, comme l’affaire du Temple solaire. » La mort de 74 personnes lors de suicides collectifs avait contribué à durcir la législation française, notamment à travers la loi de 2001 chargée de définir l’emprise psychologique.

En l’absence de « structure dédiée » à l’accompagnement des victimes, la vice-présidente du CCMM explique que son association est « complètement démunie ». « On agit au cas par cas, avec les moyens du bord », déplore-t-elle. Elle souhaiterait qu’un dispositif similaire à celui mis en place pour les victimes de violences conjugales, avec hébergement d’urgence et accompagnement social, voie le jour en France. Mais le phénomène sectaire n’est, selon elle, pas encore reconnu comme une problématique sociétale d’envergure.

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Le témoignage comme outil de réparation

Livrée à elle-même, Lydia Hadjara décidera 18 ans après son départ des Raëliens de mettre des mots sur ses blessures avec J’étais son esclave (éditions City), son ouvrage coécrit avec la journaliste Elsa Levy paru en 2025 — un livre cathartique, écrit comme un acte de survie et de reconstruction. Il fallait qu’elle transforme son expérience en quelque chose de positif, une question « de survie », selon elle. Plus qu’un combat, l’engagement de Lydia fonctionne comme un « médicament ». « C’est ma réparation, ma thérapie. Ça va aider les gens, mais c’est surtout pour moi, pour me réparer. »

Quelques mois après la sortie de son livre, Lydia sera attaquée en justice par Claude Vorilhon, qui exerce aujourd’hui ses activités au Japon, pour diffamation – elle l’avait comparé à Adolf Hitler lors de son passage sur l’émission Clique de Mouloud Achour. « Je m’y attendais… parce que c’est quelqu’un de très procédurier. » En revanche, ce qu’elle a eu du mal à digérer, c’est le témoignage de sa « génitrice » en sa défaveur dans les dépositions. « Même si je savais qu’elle était complètement là-dedans, je ne pouvais pas imaginer qu’elle puisse dire des choses contre moi. »

Si elle a continué à entretenir une relation sporadique avec sa mère après avoir quitté les Raëliens, Lydia décide de définitivement exclure cette dernière de sa vie après la naissance de son premier enfant. « Je suis mère de famille, et je ne comprends pas. Parce que quand on devient maman, quand j’ai mis mon fils au monde, je lui ai donné un amour inconditionnel tout de suite. Il était impossible que je puisse comprendre le comportement qu’elle a eu vis-à-vis de moi, et qu’elle ne m’ait pas protégée. »

Le doute, même après la fuite

À 43 ans, le doute est toujours au cœur de la vie de Lydia. C’est même le premier mot qu’elle dirait si elle devait se définir. Le doute constant. Sur son rôle de mère, son départ des Raëliens, mais également sur les poursuites judiciaires qu’elle a entamées à l’encontre de son premier agresseur. Elle raconte un moment marquant : après avoir échangé avec quatre autres femmes, elles aussi victimes du même homme, elle éclate en sanglots dans le métro. « Le mec s’est enfui, il habite en Afrique maintenant, et pour le moment personne ne va aller le chercher. Il vit sa meilleure vie, alors que nous, on est là à se battre », résume Lydia. Dans ces moments de désespoir, elle se met à douter : « Si ça se trouve, ce sont eux qui sont dans le vrai, tellement ils sont protégés. »

Pour autant, Lydia s’efforce de voir le verre à moitié plein malgré la dureté de ce qu’on lui a fait subir : « J’aime à croire qu’il y a des gens gentils. Je pense qu’au fond l’être humain n’est pas mauvais. Ça me fait du bien. »

Quitter une secte, ce n’est pas refermer une parenthèse. C’est en ouvrir une autre, souvent marquée par la solitude, la précarité et le silence institutionnel. Alors que les mécanismes d’emprise sont mieux compris, l’après reste une zone grise, un désert mal balisé. « La plus grande des forces, c’est de fuir », répète Lydia Hadjara. Encore faut-il, une fois dehors, trouver un monde prêt à accueillir ceux qui ont eu le courage de partir.

Alexis Rey-Millet & Ismaël Anani

ENQUÊTE : Retour volontaire : le faux choix du départ

Faute de perspectives en France, certains étrangers en situation irrégulière décident d’accepter l’Aide au retour volontaire proposée par l’État. Ce dispositif prévoit un soutien financier et un billet d’avion en échange d’un départ du territoire. Officiellement présenté comme un choix, il est souvent accepté dans un contexte de précarité administrative et sociale.

“Ça ne sert à rien de rester et de me battre pour ma régularisation. Parce que le combat va durer, je le sais”. Découragé, Wissam*, 36 ans, a baissé les bras après que la préfecture des Vosges a refusé sa demande de régularisation par le travail. Venu d’Algérie avec un visa de travail, le technicien supérieur chauffagiste a décidé d’entamer une procédure d’aide au retour volontaire (AVR) auprès de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Avec ce dispositif, il pourrait obtenir une somme d’argent et des billets d’avion pour quitter le territoire français : “Je ne peux rester ici sans rien faire, sans être régularisé”, ajoute celui qui a dû stopper toute activité professionnelle du jour au lendemain en raison du refus de sa demande. Installé en France depuis 2021, Wissam est marié et a deux jeunes enfants, nés sur le territoire français. 

Lors d’un rendez-vous avec l’Ofii le 20 mai 2025, il a décidé d’accepter l’aide financière de 600 € par personne, en échange d’un départ vers l’Algérie. “Ils nous ont dit qu’on pourrait partir avant le 30 juin, mais nous sommes le 7 et nous n’avons toujours pas de nouvelles…”, se désole le père de famille. N’ayant plus de salaire, la famille a dû quitter son domicile et loger chez des proches. Un hébergement temporaire qu’ils devront quitter dans quelques jours : “Nous n’avons pas encore de solution pour la suite”, s’inquiète Wissam, dans l’attente de bénéficier de l’aide au retour. Comme d’autres, le technicien a abandonné ses espoirs de construire une vie stable en France. Pour Christophe Pouly, avocat au barreau de Paris, “saisir l’aide au retour volontaire, c’est signe d’avoir lâché l’affaire.” En vingt ans d’exercice, l’avocat n’a été confronté qu’à un seul client qui a saisi cette ARV. “Je fais en sorte de faire rester mes clients. Notre rôle est de trouver une solution, pas de les encourager à partir.”

Les personnes en situation irrégulière sont automatiquement informées de l’Aide au retour volontaire.

Instaurée pour la première fois en France en 1977, l’Aide au retour volontaire a été modifiée à plusieurs reprises au fil des années. A ce jour, l’Etat français propose jusqu’à 1 850 €, ainsi qu’un billet d’avion à toute personne étrangère, majeure ou mineure, qui veut quitter la France après avoir passé plus de trois mois sur le territoire. Le demandeur doit être en situation irrégulière et faire l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est l’Ofii qui s’occupe d’attribuer cette aide, à travers ses 1 400 agents répartis en directions territoriales, dans les principales villes de France.

Part d’éloignements forcés et volontaires selon les années : 2019 – 2023

En 2024, environ 7000 personnes sont retournées définitivement dans leur pays d’origine avec une ARV. “L’objectif serait d’atteindre les 10 000 par an”, ambitionne Didier Leschi, directeur de l’Ofii. En complément, une aide à la réinsertion peut aussi être accordée pour les ressortissants de 23 pays, comme le Cameroun, l’Inde ou encore la Côte-d’Ivoire. Un chèque pouvant atteindre les 10 000 €, selon la Cour des comptes. 

Un dispositif avantageux pour l’Etat français

Quelle différence avec une expulsion forcée ? L’ARV permet de faire des économies : “Les retours contraints coûtent au moins le triple”, affirme Didier Leschi. La Cour des comptes ajoute même que “ce dispositif présente un rapport coût-bénéfice très favorable.” Le coût d’un éloignement forcé avoisine les 14 000 €, contre 3 000 € pour l’ARV. Pour Jean-Pierre Cassarino, politologue au Collège d’Europe, ce dispositif offre un autre avantage aux pouvoirs publics : un allègement au niveau judiciaire. En acceptant un retour volontaire, la personne renonce définitivement à accéder à l’asile. Autrement dit, si une demande d’asile était en cours, elle est automatiquement annulée.

Clara Lecadet, anthropologue au CNRS, souligne que l’ARV permet de donner une meilleure image de l’action de l’Etat. “Le gouvernement pourra dire : “regardez comme je suis efficace !” Les gens ont seulement besoin de réponses, pas de savoir si celle-ci est adéquate”, alerte Jean-Pierre Cassarino. 

Je suis déçue de la finalité des choses »

Hébergée au centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) d’Asnières-sur-Seine, Amina* est l’une des rares personnes à suivre le processus d’aide au retour volontaire. Accompagnée par cette structure, gérée par France Terre d’Asile, la jeune femme de 29 ans a décidé de regagner le Tchad après avoir été déboutée de sa demande d’asile il y a quatre mois. Arrivée en décembre 2023 sur le territoire français après avoir fui le pays avec son quatrième enfant, empoisonné par la coépouse de son mari alors qu’il n’avait que 11 mois. Depuis un an et demi, elle attend d’obtenir l’asile pour que ses trois autres enfants la rejoignent en France. 

Après avoir épuisé tous les recours pour obtenir l’asile, Amina a abandonné l’idée de rester en France. “J’ai quitté le pays en espérant avoir la protection française et faire venir mes enfants, mais ça n’a pas marché. Je suis obligée de repartir malgré les problèmes qui m’attendent là-bas”, explique-t-elle avec regret, dans le bureau où elle vient régulièrement échanger avec les employés du CADA. Désormais, “le plus important, c’est de rejoindre mes enfants”, assure la jeune femme d’une voix serrée. C’est avec certitude qu’elle explique avoir accepté les 1600 euros proposés par l’Ofii “Je leur ai dit que je pouvais partir dès le 28 juin, j’attends qu’ils m’envoient les billets d’avion.” Un vol vers ses enfants, mais aussi vers son passé et des traumatismes, à la mention desquels Amina ne peut retenir ses larmes. “J’ai peur de retrouver la même situation qu’à mon départ. Je dois revenir pour éviter que mes enfants restent en danger avec la femme qui leur a fait du mal”. Une fois sur place, la jeune mère pourra retirer l’argent promis par l’Ofii, grâce à un code Western Union ne permettant de récupérer l’argent que dans le pays de retour. Mais après son atterrissage à N’Djamena, rien ne lui est assuré : “Je ne sais pas si je vais pouvoir travailler”, s’inquiète Amina. Employée des douanes avant son départ de la capitale tchadienne, elle sait qu’elle ne sera pas réembauchée après un an et demi d’absence. C’est le retour dans la vie qu’elle avait souhaité quitter. “Je suis déçue de la finalité des choses, mais aujourd’hui je ne m’y retrouve plus ici”, regrette-t-elle, tout en reconnaissant l’aide apportée par France Terre d’Asile. Dans un mois, Amina aura normalement quitté la France et les couloirs du CADA, faute d’alternative viable pour elle et ses enfants dans l’Hexagone. 

Un exemple très minoritaire d’une bénéficiaire de l’Aide au retour volontaire parmi les deux tiers de demandeurs d’asile à l’OFPRA en 2024 déboutés de leur demande. Karine, bénévole au pôle “éloignement” de l’antenne de la Cimade des Batignolles, à Paris, témoigne en effet d’un très faible nombre de personnes intéressées par l’aide au retour. “Je les informe toujours de cette possibilité, mais jamais personne ne m’a dit être intéressé”, explique-t-elle. Selon la retraitée habituée des locaux de l’association située boulevard de Clichy, “cette aide reflète le durcissement de la politique migratoire de ces dernières années”. Un retour dans son pays d’origine peut-il alors vraiment être volontaire ? 

 

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« Leur parcours est dans une impasse »

Clara Lecadet considère que dans un “contexte politique marqué par une coercition extrême pour les étrangers sans papiers”, la terminologie de “retour volontaire” est à remettre en question. “Il est difficile d’invoquer la volonté individuelle et le libre-arbitre”, souligne la spécialiste des migrations. Le politologue Jean-Pierre Cassarino note également un durcissement du système d’asile en France qui joue sur sa confiance dans l’ARV. “On propose ce programme à des personnes dont les perspectives d’insertion dans la société sont de toute manière très réduites. Il n’y a rien de moins volontaire qu’un retour volontaire”. Un constat partagé jusque dans les bureaux de la direction de l’Ofii : “Si ces gens acceptent l’aide au retour volontaire, c’est parce que leur parcours est dans une impasse”, admet Didier Leschi. 

Jacqueline est interprète pour ISM interprétariat : une entreprise qui travaille régulièrement avec l’Ofii. Cette spécialiste de la langue serbo-croate assiste et traduit de nombreux entretiens par téléphone, entre des agents de l’Ofii et des ressortissants du Kosovo, de la Bosnie, ou encore de la Serbie. Après 10 ans à écouter des récits d’exil variés, Jacqueline l’assure, “je n’en ai connu aucun prêt à revenir en arrière après de telles galères”. 

Au sein du processus d’aide au retour, on distingue toutefois, selon François Héran, sociologue, démographe et professeur au Collège de France, un “effet d’aubaine” pour certains de ses bénéficiaires. “Ce sont les personnes qui bénéficient du dispositif de l’Etat pour recevoir de l’argent supplémentaire, alors qu’ils avaient déjà prévu de partir” En cause, les personnes décrites par Clara Lecadet, suite à ses observations de recherche, “de la classe moyenne qui sont un peu plus aisés matériellement, et qui font un séjour en immigration dans des conditions tout autres qu’un immigré malien sans papiers par exemple”. Ce dispositif serait ainsi détourné par certains “de manière un peu opportuniste, sans que ce soit forcément négatif, par exemple pour aider à démarrer un petit projet professionnel après des études à l’étranger après lesquelles on avait déjà décidé de revenir”. Tandis que pour d’autres, l’aide au retour ne serait qu’une expulsion masquée, selon Jean-Pierre Cassarino. 

Une proposition peu attractive

Contrairement à Oussama et Amina, pour la majorité des personnes éligibles à l’ARV, l’option d’un retour n’est pas envisageable. C’est le cas de Richard*, un cinquantenaire originaire de Côte d’Ivoire, qui s’est vu refuser l’asile il y a quelques semaines, après un recours devant le tribunal. Ce vendredi 6 juin, il a rendez-vous avec le chef de service du CADA de Vaux-le-Pénil, Freddy Matundu Lengo, où il est hébergé. Dans ces locaux implantés en Seine-et-Marne, une dizaine de jeunes bénévoles en effervescence s’empresse d’accueillir les rendez-vous de la journée. 

Installé dans le bureau de M. Matundu Lengo, Richard apprend la nouvelle : il dispose de trois semaines pour quitter son hébergement. Le choc est dur à encaisser : “Ça n’est pas facile”, souffle-t-il, le regard tourné vers ses baskets. Pour cet homme, déjà passé par la Tunisie et l’Italie, la France était porteuse d’espoir. “Moi je veux bien tout faire, sortir les poubelles, nettoyer le métro…”, assure-t-il.

Richard a reçu sa notification de sortie du CADA de Vaux-le-Pénil.

Face à lui, derrière son ordinateur, le gérant du CADA l’informe qu’il pourrait bénéficier de l’aide au retour volontaire pour retourner en Côte d’Ivoire. “Je suis désolé monsieur. Je sais que vous êtes quelqu’un de bien, vous nous avez aidé à plusieurs reprises.”, ajoute-t-ilLorsque ce dernier quitte la pièce, Richard confie ne pas avoir l’intention de saisir cette aide : “J’irai au rendez-vous proposé par l’Ofii, mais ce n’est pas possible pour moi de repartir. Là-bas les gens s’entretuent, j’ai déjà été menacé.”

Au-delà des conditions de vie difficiles dans de nombreux pays, le psychanalyste Davide Giannica affirme qu’un retour peut être vécu comme un échec. “Il y a une forme de contrat migratoire entre l’immigré et la famille qui a investi dans le départ”, explique-t-il. Dans certains pays, il observe que la figure du migrant est encore très valorisée. “Avoir un fils migrant, c’est comme avoir un fils médecin. Il apporte une image narcissisante. Alors, face au retour, certains préfèrent la mort physique à la mort sociale dans leur pays d’origine”. Le retour est d’autant plus déstabilisant “qu’on ne retrouve jamais ce qu’on a laissé derrière soi : c’est comme un deuxième exil”, ajoute le chercheur. Pour lui aussi, l’illusion du choix masque une contrainte réelle du dispositif : “Les conditions d’accès aux soins, d’obtention des papiers ou d’asile sont devenues de plus en plus difficiles à obtenir en France. Alors, quand on offre la possibilité de choisir, c’est en réalité un non-choix.”

Un « marketing » du retour volontaire

Pour François Héran, l’attractivité du dispositif de l’ARV dépend aussi du pays en question. “Il ne suffit pas de recevoir de l’argent, il faut que le pays de retour sécurise les projets financiers des personnes. Il y a beaucoup d’endroits où le droit de propriété n’est pas vraiment garanti.” L’efficacité des dispositifs et leur cohérence sont ainsi très variables selon les contextes nationaux. 

Au Cameroun, l’Association des rapatriés et de lutte contre l’émigration clandestine (ARECC) participe à l’accueil des migrants de retour, en partenariat avec l’OIM. Son directeur, Robert Alain Lipothy, explique les aider à “bâtir des business plans”, en accompagnement d’un soutien psychologique, mais reconnaît recevoir très peu de bénéficiaires de l’aide au retour volontaire depuis la France. L’association, majoritairement composée d’anciens migrants, déplore aussi un manque d’investissement de l’État camerounais dans la réinsertion de ses ressortissants. Selon Jean-Pierre Cassarino, peu de pays ont véritablement intégré ces retours dans leurs politiques publiques, illustration de l’échec de la procédure. “Comment se fait-il qu’il n’y ait aucune insertion dans le paysage institutionnel concernant le retour volontaire ?”, souligne-t-il. 

Même lorsqu’un retour est assorti d’une aide financière, celle-ci ne garantit pas la réussite d’un projet : entre formations inadaptées, absence d’insertion durable et reconversion subie, beaucoup peinent à transformer ce soutien en véritable nouveau départ. “Derrière l’image d’un retour préparé se cache souvent un marketing du retour volontaire”, considère Jean-Pierre Cassarino. Une stratégie qui ne parvient pas à masquer le sentiment d’abandon éprouvé par ceux qui, comme Amina ou Wissam, doivent repartir avec une modeste somme, mais sans perspective. “Ma famille n’est pas au courant de mon retour”, explique Amina. Incertaine quant à son avenir à N’Djaména, elle souhaite avant tout retourner auprès de ses enfants. “C’est le seul choix qui me reste.”

Elisa Dutertre et Zoé Vezyroglou

Université des Antilles : des formations encore limitées malgré une diversification

c/Alix Wilkie

Avec quelque 4 500 étudiants inscrits chaque année, l’Université des Antilles reste le principal acteur de l’enseignement supérieur en Martinique. Sur le campus, les filières généralistes — lettres, droit, sciences humaines, économie ou biologie — structurent une offre académique classique. À cette base s’ajoutent des formations plus professionnalisantes, proposées notamment à l’IUT avec des BUT en informatique, logistique ou gestion des entreprises.

Dans le champ de la santé, la filière médecine attire un nombre croissant d’étudiants, avec environ 200 places proposées. Mais comme pour d’autres disciplines, le parcours reste partiel : au-delà des premières années, les étudiants doivent poursuivre leur cursus en Guadeloupe ou en métropole. Même contrainte pour les études de pharmacie ou de kinésithérapie, inexistantes localement.

L’université dispose également d’un pôle de formation aux concours de l’enseignement, avec des préparations aux concours du professorat des écoles, du CAPES ou de l’agrégation. Elle développe par ailleurs des partenariats à l’international, notamment via le programme Erasmus+, offrant aux étudiants des possibilités de mobilité en Europe ou aux États-Unis.

Malgré ces évolutions, l’offre reste insuffisante pour répondre à la diversité des aspirations étudiantes. Faute de masters spécialisés, d’écoles intégrées ou de filières dans le domaine de l’ingénierie, des arts ou des sciences politiques, plusieurs centaines de bacheliers quittent chaque année le territoire pour poursuivre leurs études ailleurs. Un départ souvent présenté comme provisoire, mais qui s’inscrit dans un phénomène de mobilité durable, voire définitive, faute de conditions suffisantes de retour.