Quitter les réseaux sociaux : un choix radical pour reprendre les commandes

Alors que les plateformes numériques se sont immiscées partout dans notre quotidien, beaucoup tentent de s’en déconnecter. Qu’est-ce qui explique le choix radical de ces exilés volontaires, encore minoritaires ?

« Twitter a été la source d’une dépression profonde jusqu’à mes 17-18 ans. » Pour Ariel, 26 ans, loin d’un espace de sociabilisation, les réseaux sociaux se sont révélés être un enfer. Aujourd’hui, cet étudiant en master de Géopolitique de l’art et de la culture à Sorbonne-Nouvelle, installé dans son canapé, respire : « Ça fait quatre ans que je n’ai pas Twitter. J’ai un compte Instagram qui traîne, mais j’ai bien écrit qu’il était inactif. »

Selon une étude réalisée par le think tank Destin commun, en 2024, un Français sur deux préférerait vivre dans un monde où les réseaux sociaux n’auraient jamais existé. Pourtant, selon le Digital Report 2025 de We Are Social, seuls 9,5 % des Français de seize ans et plus qui utilisent internet sont absents des plateformes numériques. Ariel fait partie de la minorité de personnes qui ont pris leurs distances avec ces dernières. Un choix d’autant plus radical qu’il a passé la majeure partie de son adolescence en ligne : « J’ai commencé avec Orkut et Facebook à 11 ans, puis ma vie c’était Twitter de mes 14 à mes 22 ans. » David-Julien, 41 ans, rédacteur en chef adjoint à L’ADN était aussi un « fervent utilisateur de X depuis 2011 », mais l’application n’est plus sur son téléphone « depuis un peu moins d’un an ». Pour d’autres, cette séparation s’est faite sans déchirement. Clara, 21 ans, a quitté les réseaux dès la troisième. « Ça ne m’a jamais vraiment manqué par la suite. Ce que je rate n’est pas important pour moi », avoue la stagiaire en urbanisme. Même chose pour Camille : « Instagram me prenait beaucoup de temps pour rien », un temps précieux pour cette étudiante en médecine de 24 ans.

Un ras-le-bol dû à une ambiance nocive

Si ces exilés volontaires se multiplient, il n’existe pas d’estimations précises de leur nombre. « Il est difficile de dire s’il y a eu un phénomène massif de départ des usagers » d’après Servanne Monjour, chercheuse en humanités numériques. Cela s’explique par l’absence d’études approfondies sur le sujet, le cumul de plusieurs comptes entre les mains des mêmes utilisateurs et la prolifération des faux comptes, ou bots. X serait « l’exemple clé » de ce dernier phénomène : on y trouve « près de 50 % » de faux utilisateurs. Cette prolifération « s’inscrit dans un mouvement plus général d’emmerdification du web ». D’après l’experte, les fils de discussion se retrouvent ainsi pollués par de nombreux contenus non sollicités. Quant aux bots, ils sont devenus des « agents d’influence et de retournement des opinions parfois très agressifs ».

D’où une ambiance délétère sur les réseaux, à l’origine d’un ras-le-bol chez les internautes. « Je me suis rendu compte que Twitter était une course à la popularité », déplore Ariel. Selon lui, les compteurs de likes et de retweets encouragent les utilisateurs à vouloir être les plus sarcastiques et les plus caustiques. Lui-même reconnaît avoir « pu être toxique à des moments », même s’il n’était pas « la personne la plus drôle ». Sur Twitter, Ariel a aussi été témoin de « guerres d’identité » : « Les gens se regroupent entre personnes qui pensent la même chose. » Ce qui, loin de renforcer les liens sociaux, exacerbe les tensions d’après l’étudiant.

Cette idée est renforcée par le mécanisme inhérent aux plateformes : « Il y a aujourd’hui un phénomène de dégradation de la qualité des services des grands réseaux sociaux devenus hégémoniques », pointe Servanne Monjour. Depuis le rachat du réseau X par Elon Musk en 2022, David-Julien a l’impression « d’ouvrir les portes de l’enfer » à chaque fois qu’il s’y rend. Le milliardaire est selon lui responsable d’une « viralité de bas étage » qui entretient la haine sur la plateforme : « Il y a évidemment plus de racisme, plus d’avis catastrophiques que jamais. » Pour Clara, cette toxicité concerne tous les réseaux. Le cyberharcèlement, notamment, y est légion : « On risque d’être impacté par des gens qui ne sont même pas là. » Elle regrette également « l’impunité sur les réseaux sociaux », qui permet d’assumer des comportements aussi problématiques que « l’exhibitionnisme » via l’envoi de photos non sollicitées.

« Parfois, la sidération te fait passer dix secondes devant un contenu »

À cela s’ajoute la surcharge informationnelle, source de frustration et d’énervement à laquelle les utilisateurs ne consentent pas forcément. « Le fait de se rendre toujours disponible devient une vulnérabilité », dénonce la jeune femme, qui assume de ne répondre aux messages que lorsqu’elle le souhaite. Un sentiment d’être « submergée » que dénonce également Camille : « Tomber sur des stories de mes amis en vacances alors que je suis bloquée à Paris pour mes études aggrave encore mon état », souffle-t-elle. Elle se sent aussi dépassée par l’actualité anxiogène qui circule sur les réseaux sociaux et cite des « vidéos d’enfants palestiniens » qui l’affectent particulièrement. Face à ces contenus, Ariel est catégorique : « Je n’ai pas envie d’y avoir accès, tout comme je n’ai pas envie de constamment donner mon opinion et prendre part à des combats. On n’est pas obligé de réagir à tout. » Mais le jeune homme n’est pas dupe et sait que le fonctionnement des plateformes numériques joue contre leurs utilisateurs : « Parfois, la sidération te fait passer dix secondes devant un contenu, ce qui fait qu’on te le recommande encore plus. »

Quoiqu’anodin, le geste de supprimer un réseau social de son smartphone peut demander un certain effort. © Margot Mac Elhone/Celsa

Les géants du numérique mettent volontairement en place ce genre de mécanismes pour capter l’attention des utilisateurs, dont dépend leur chiffre d’affaires. Par exemple, TikTok possède « un fonctionnement algorithmique fondé sur le principe des “putaclics” », affirme Servanne Monjour. À cette fin, les plateformes privilégient également les contenus courts et dynamiques.

Addicts aux réseaux ?

Ce mécanisme est bien connu des médecins : « Le design des réseaux sociaux est fait pour maintenir l’attention », affirme Victor Leroy, psychiatre addictologue à Clinic Les Alpes en Suisse. Certes, « il n’y a pas encore de consensus » sur l’existence d’une addiction à ces plateformes. Mais des points communs s’observent entre les personnes victimes d’addictions et certains internautes, à savoir « des comportements incontrôlables qui créent de la détresse avec des symptômes de manque ». Le médecin estime ainsi qu’environ 15 % de la population mondiale est touchée par cette dépendance. De plus, elle concerne tous les profils, les réseaux se voulant « les plus inclusifs possible ».

Au niveau du cerveau, les plateformes numériques sécrètent des « hormones du plaisir » et activent « les mêmes circuits » que l’héroïne ou la cocaïne. Leur capacité à capter l’attention repose aussi sur un « système de récompense », fondé notamment sur une « quête du like qui provoque un renforcement positif extrêmement puissant », ajoute le médecin. Camille, qui aspire à devenir psychiatre, en a fait le constat : « Tu scrolles et tu te rends compte que tu as passé trente minutes à scroller pour rien. Je me sens comme devant un paquet de chips vraiment addictives, sauf que le paquet se finit à un moment, alors que tu peux faire défiler les contenus à l’infini. » 

Une spirale infernale qui a durement impacté la vie d’Ariel dans son adolescence. « Reclus » dans sa chambre, le jeune homme faisait défiler les contenus de Twitter. D’après Victor Leroy,  le fait d’avoir recours à ces « comportements à risque » est « toujours une solution à un problème masqué » auquel il faut d’abord s’attaquer. Par exemple, l’addiction aux réseaux sociaux est souvent une manière de soulager une phobie sociale : « Mes amis étaient exclusivement en ligne », se remémore ainsi Ariel. Ce mode de vie hyperconnecté suscite une vulnérabilité constante à laquelle s’ajoute le risque de cyberharcèlement, dont l’impact sur les jeunes est d’autant plus « terrible » qu’il « commence à l’école et poursuit l’adolescent jusqu’à la chambre à coucher », selon Victor Leroy. Cela exacerbe certaines pathologies mentales et en sortir n’est pas chose aisée : « La majorité des gens vivent d’abord énormément de frustration, d’énervement et d’anxiété. »

Se reconnecter au réel

En guise de solution, le gouvernement français a lancé en mai le défi « Dix jours sans écran » à destination notamment des enfants et des adolescents. Victor Leroy est quant à lui partisan du principe de pause numérique, qui sera instauré dans tous les collèges de France à compter de septembre 2025. Les élèves devront déposer leurs téléphones portables dès leur entrée dans l’établissement et ne les récupéreront qu’à la fin des cours. « Faire une pause et ne pas pouvoir s’y tenir est le signe que l’on a un problème. C’est très bien pour faire du dépistage », affirme le médecin. Multiplier les pauses régulières permettrait ainsi de prendre conscience de ses difficultés et d’exercer son cerveau à pratiquer d’autres activités.

De fait, réussir sa déconnexion se révèle souvent bénéfique. Depuis qu’il est parti, Ariel est de meilleure humeur, se sent moins susceptible et investit mieux son temps et son énergie. Il s’intéresse notamment aux contenus longs qui lui « rendent de la concentration », comme les jeux vidéo hors ligne et les « vidéos de huit heures sur YouTube », où il évite les espaces commentaires. « J’ai l’impression d’être plus humain ; j’ai resitué le réel dans ma tête. » Il a aussi appris à cesser de s’enfermer dans des groupes et à exprimer ses biais avant ses opinions : « Je me suis rendu compte que c’était comme ça que j’avais réussi à développer mon identité d’aujourd’hui. »

Depuis qu’il a quitté les réseaux sociaux, Ariel consacre davantage de temps aux jeux vidéo, dont il possède une grande collection. © Margot Mac Elhone/Celsa

De son côté, Clara emploie son temps à lire, à écouter de la musique voire à ne rien faire. « Les gens ne savent plus s’ennuyer », regrette-t-elle. Un constat partagé par Camille, bien que l’étudiante exploite au maximum le temps que lui accorde la désintoxication numérique. « Quand tu enlèves les cinq minutes que tu passes par-ci par-là sur les réseaux, ça fait trois heures en plus dans ta journée. J’en profite pour faire autre chose : je lis, je joue du piano… » Comme Ariel, elle privilégie les formats longs comme les films et les séries plutôt que le scrolling : « De manière générale, un contenu intéressant, tu ne le fais pas en une minute. La plupart des contenus courts sont un peu débiles. »

Vivre avec les réseaux : une fatalité ?

Pourtant, l’étudiante ne quitte les réseaux que ponctuellement, pour une durée de « dix jours à deux semaines », lorsqu’elle a « d’autres choses à penser », examens ou problèmes familiaux. Elle a ainsi trouvé un équilibre : hors périodes de déconnexion, elle utilise Instagram « deux heures et demie par jour en moyenne ». Vivre sans les réseaux n’est donc pas une sinécure. Ariel l’a vécu : il a supprimé Twitter une première fois à l’âge de quinze ans, ce qui coïncidait avec ses premières visites chez le psychiatre. Six mois plus tard, il était de retour sur la plateforme avec un compte en privé cette fois-ci, ce qui ne l’empêchait pas d’être confronté à des contenus toxiques. S’il a mis un terme à son usage non professionnel des réseaux, ses études le retiennent sur Instagram : « Je ne l’utilise que pour contacter des gens dans le cadre de mes recherches. »

Pour David-Julien, la situation est encore plus compliquée. En qualité de spécialiste des usages du numérique, il ne peut pas s’en passer : « Vu que le web est mon terrain d’enquête et de travail, j’ai du mal à me déconnecter complètement. » Le journaliste a donc dû s’adapter : il se rend désormais sur X « uniquement pour le travail » et opte pour des alternatives. Parmi elles, Reddit, une plateforme qu’il décrit comme « un endroit où l’on peut discuter un peu plus en profondeur » et qui serait « mieux modérée que X ».

Il faut dire que les réseaux jouent désormais un rôle prépondérant dans nos sociétés. Les utilisateurs s’en servent pour se maintenir en contact avec leurs proches et en dépendent beaucoup pour se renseigner au quotidien. En témoigne l’émergence de la FOMO (fear of missing out), la peur de passer à côté de quelque chose, que Camille a pu éprouver. Elle évoque certains restaurants qui ne passent plus que par les plateformes, notamment Instagram, pour présenter leur carte. En outre, « il y a beaucoup de lieux de communauté queer que je fréquente et qui postent leurs évènements uniquement sur les réseaux sociaux. » Pour préserver sa vie sociale, la jeune femme est obligée de s’adapter : « Je préviens par une story que je vais partir pour quelques temps et je passe par d’autres moyens de communication comme les SMS. »

La déconnexion est d’autant plus compliquée que certaines communautés en ligne « favorisent l’accès à l’aide » selon Victor Leroy : « Quand on tape “suicide” ou “anorexique” sur Instagram, on met la personne en lien avec des ressources de soutien. » Le médecin souligne aussi l’empathie de la nouvelle génération, plus connectée donc plus ouverte aux problèmes de chacun.

Sans compter le coût social de ce mode de vie : « Les gens qui n’utilisent pas de smartphones doivent se justifier auprès de ceux qui s’en servent », souligne Victor Leroy. Clara en a payé le prix : « Pendant mon stage, ma cheffe passait tout son temps sur TikTok. Elle me disait que j’étais une intellectuelle parce que je n’étais pas sur les réseaux sociaux », relate-t-elle avec amertume. Si certaines personnes réussissent à quitter les plateformes numériques, la majorité les relègue ainsi au rang de marginaux.

Margot Mac Elhone et Eliott Vaissié

DES MOTS SUR DES MAUX

Emmerdification :

Traduction du mot anglais « enshittification », créé en 2022 par le blogueur canado-britannique Cory Doctorow. Dégradation de la qualité des services sur les plateformes numériques.

FOMO :

« Fear of missing out » (peur de rater quelque chose). Sentiment désagréable de passer à côté d’une actualité ou d’un événement important (fête, match, concert) lorsque l’on se distancie des réseaux sociaux.

Infobésité :

Aussi nommée surcharge informationnelle. Excès d’information propre à l’ère du numérique (Le Robert).

Putaclic :

Principe publicitaire visant à rendre un contenu numérique (texte, image, vidéo) particulièrement attirant afin d’inviter un maximum d’utilisateurs à cliquer dessus.

Story :

Contenu publié par un internaute sur un réseau social et visible pendant une durée limitée.

Streameur : 

Personne qui diffuse en direct des vidéos sur Internet tout en interagissant avec sa communauté d’internautes. (Larousse)

 

Vidéo : ces stars des réseaux qui ont choisi la déconnexion

Bien que les réseaux sociaux soient le cœur de leur activité professionnelle, certains influenceurs, sous la pression de la notoriété, ont fait le choix de s’en éloigner. C’est par exemple le cas du streamer Zod ou de l’influenceuse Léna Situation.

Témoignage : victime de « brouteur », ces escrocs de l’amour en ligne

En permettant l’anonymat, les relations virtuelles sont un terrain rêvé pour les arnaqueurs, se servent des rencontres en ligne. Ils pullulent sur les réseaux sociaux, et le petit ami de Sofia en a fait les frais, alors que l’histoire du jeune couple venait tout juste de débuter. “Un jour, après une sieste, je suis venue le rejoindre dans le salon et je l’ai trouvé très inquiet.” Au départ, il ne veut rien confier, mais finalement, il avoue. “Pendant 24h, il avait tchaté sur Instagram avec une fille qu’il ne connaissait pas du tout. Très rapidement, il lui a envoyé des nudes”.La jeune femme ne comprend pas cette démarche, qu’elle trouve complètement irréfléchie, en plus de s’apparenter à “une petite infidélité”. Il s’avère finalement que sous les traits de cette jeune femme virtuelle se cache un escroc. “Cette personne a menacé de divulguer ses photos auprès de sa famille, de ses amis, de son boss même, si on ne lui envoyait pas 300€.”

Finalement, après avoir échangé, le couple décide de ne rien envoyer à cet arnaqueur anonyme. “Au final, il n’y a pas eu de conséquences graves. Juste, ça a mis un froid entre nous pendant quelque temps.” Parfois, comme ici, la stratégie est celle du revenge porn, ou du chantage aux images intimes. D’autres fois, il peut s’agir d’arnaque aux sentiments, ou ce que l’on appelle un “brouteur”, qui va faire croire à sa victime qu’ils nouent une véritable relation, pour lui extorquer de l’argent sous des prétextes fallacieux.

L’an dernier, un brouteur vivant dans le Val-de-Marne a été condamné à 4 ans de prison ferme pour avoir dépouillé ses victimes d’environ 300 000€. Un autre fait d’extorsion s’est déroulé en mars dernier, dans le Nord-Pas-de-Calais, alors que Nicolas tue sa compagne Alicia pour rejoindre son amante rencontrée sur les réseaux sociaux. Lors de son arrestation, l’homme se rend compte que sa maîtresse n’est en fait qu’un escroc.





Injections illégales de botox et réseaux sociaux, zone d’influence

Deux sœurs ont été jugées hier au tribunal de Valenciennes pour avoir injecté illégalement du botox et de l’acide hyaluronique à une centaine de clients. Pour les attirer, le processus était toujours le même : des vidéos de présentation sur le réseau social Snapchat et des prix divisés par trois.

On les surnomme « les sœurs botox ». A la barre du tribunal de Valenciennes, deux sœurs de 25 et 22 ans. En cause : des injections illégales de botox et d’acide hyaluronique sur des centaines de clients, dont au moins 30 se sont portés partie civile. Une pratique de plus en plus courante, dans un contexte où depuis 2019, les 18/34 consomment plus d’actes esthétiques que les 50/60 ans.

Ariane Riou et Elsa Mari, journalistes au Parisien, ont enquêté sur ce basculement dans leur livre « Génération bistouri ». « Les réseaux sociaux ont naturellement leur part de responsabilité », pointe Ariane Riou en précisant que le corps y est présenté comme un produit. Ce sentiment est favorisé par les influenceurs qui vantent et banalisent le recours aux injections pour profiter de lèvres pulpeuses, poitrines bombées et fesses rebondissantes.

C’est justement par le biais des réseaux sociaux que les injections illégales se sont popularisés à travers des photos avant/après saisissantes et des prix jusqu’à trois fois inférieures à ceux pratiqués par un chirurgien plasticien. L’exercice illégal de la médecine est pourtant passible de deux ans de prison et de 30.000 euros d’amende. La promotion de ce genre de pratique sur les réseaux sociaux est passible de sept ans de prison et de 770.000 euros d’amende.

« Les réseaux sociaux doivent réagir »

Sur Instagram, il suffit de taper « injection » dans la barre de recherche pour trouver des pseudos docteurs. « Nous avons fait le test nous-même en se faisant passer pour des clientes potentiellement intéressées et on s’est aperçu que c’était très simple, en une heure, trois rendez-vous étaient prévus », illustre Ariane Riou. Une fois sur les lieux, les deux journalistes se rendent bien compte que les conditions sanitaires sont déplorables. Dans les échantillons récoltés qui appartenaient aux deux sœurs, le taux de bactéries était 50 fois supérieur au maximum autorisé. 

Dans une interview pour France Info, le président du Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique, Adil Louafi, a demandé aux réseaux sociaux d’être « beaucoup plus proactifs sur le sujet et de prendre l’initiative de fermer ce qui, manifestement, ne sont pas des comptes de deux médecins ». Problème : dans leur enquête, Ariane Riou et Elsa Mari se sont rendu compte que « quand la police trouve des victimes qui acceptent de déposer plainte, il est très complexe de collaborer avec le groupe Meta (ndlr : qui possède Instagram) pour récolter les données ».

L’acide hyaluronique toujours en vente libre

Les conséquences d’une injection illégale peuvent être dramatiques si la piqûre touche une artère  : nécrose, déformation, et même AVC. Il est tout de même possible d’acheter de l’acide hyaluronique en pharmacie. « Dans le cadre de notre enquête, on a facilement réussi à acheter des seringues pour 60 euros », soulève Ariane Riou. Un constat qui hérisse les poils d’Adel Louafi lorsqu’il est interrogé à ce sujet sur RMC : « C’est une anomalie réglementaire (…) moi-même qui suis chirurgien, je ne peux pas m’injecter l’acide, même si je connais l’anatomie, parce que je ne peux pas faire les gestes de sécurité ».

Au tribunal de Valenciennes, l’aînée qui se présentait comme le «docteur Lougayne» a été condamnée à quatre ans de prison, dont trois avec sursis pour « mise en danger d’autrui » ou encore « exercice illégal de la profession de médecin ». Sa cadette, qui a reconnu l’avoir assistée, a quant à elle été condamnée à deux ans de prison avec sursis. Ariane Riou espère que cela fera jurisprudence « pour montrer aux jeunes qu’il faut faire attention à son corps ».

Antoine Gallenne

Après Tumblr, le retour des « pro-anorexie » sur Tik Tok

Ce vendredi 2 juin se tient la Journée Mondiale des Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). Si depuis des années les réseaux sociaux tentent de réguler les contenus pour éviter la propagation d’un discours en faveur de la perte drastique de poids, le phénomène persiste, notamment sur Tik Tok. 

L’application Tik Tok, très appréciée des jeunes, regroupe aussi des contenus dangereux, comme des comptes pro-anorexie / Crédits : Pixabay

En rentrant chez elle après les cours, Nina, 19 ans, se jette sur son téléphone pour parcourir inlassablement les dernières vidéos publiées sur Tik Tok. Elle s’est inscrite en 2020, « pendant le confinement« . L’application composée de vidéos courtes et de musiques utilise des codes proches de ses prédécesseurs, Tumblr et Instagram : une grande importance est donnée à l’esthétique et le contenu est très en lien avec les tendances actuelles. Doté d’un algorithme très sensible, Tik Tok oriente ses propositions en fonction des préférences des utilisateurs.

Dès le confinement, Nina raconte s’être trouvée emportée par un flux de contenus l’incitant à profiter de ce temps libre pour perdre du poids : « Entre les vidéos de plats sains et les programmes sportifs, j’ai commencé à culpabiliser« . Elle commence alors à restreindre son alimentation et à faire énormément d’exercice physique. Après quelques mois, une autre habitude s’installe : « J’ai commencé à me peser une fois par semaine, puis une fois par jour, et ensuite c’est devenu obsessionnel« . La jeune femme raconte qu’elle a mis beaucoup de temps à se défaire de ses troubles alimentaires. Aujourd’hui, elle a pris du recul sur son expérience : « J’ai compris que j’avais déjà été influencée par les réseaux sociaux quand j’avais 13 ans : je me trouvais grosse alors que j’avais une corpulence normale, je ne pensais pas que je retomberais dans ces travers aujourd’hui« .

@_lead_by_faith_ today was a good day #ama #proama #notprojustusingtags #edtumblr #wienad #weightloss #wl #stepcount #cals #calories #viral #amabuddies #anabuddie ♬ original sound – Henry n Ralph r boyfriends 🙌

L’émergence d’une communauté pro-anorexie sur les réseaux sociaux a commencé sur Tumblr vers 2010.  Sur certains blogs, les citations tourmentées et les rapports quotidiens de perte de poids accompagnent les photographies de silhouettes décharnées. Portant le nom d' »Ana », la maladie est personnifiée. À la fois douloureuse et familière, elle réunit de nombreux adolescents en souffrance. En 2012,Tumblr a dû adopter une nouvelle politique de modération face au fléau en interdisant l’apologie de la maigreur. Les utilisateurs n’ont pas le droit de « poster du contenu qui glorifie l’automutilation, l’anorexie, la boulimie et le suicide« .

 

Tumblr a vu naître les premières publications pro-anorexie sur les réseaux sociaux / Crédits : Tumblr

« Je reposte car Tik Tok a supprimé »

Le mouvement du « body positive », prônant l’acceptation de soi, a occupé une certaine place sur les différents réseaux sociaux, mais il n’a pas remplacé les contenus pro-anorexie. La plateforme a aussi pris soin de supprimer tous ces contenus et d’afficher un message d’alerte : « Si toi ou une personne que tu connais êtes préoccupé(e)s par ton ou vos images corporelles, la nourriture ou l’exercice physique, il est important que tu saches que de l’aide est disponible et que tu n’es pas seul(e)« .

Elle propose ensuite quelques conseils et peut renvoyer à des numéros d’urgence comme Suicide Ecoute. Cependant, les utilisateurs arrivent à contourner l’interdiction et à publier des contenus incitant à la perte de poids. Les hashtags #proama et #size0 remportent un certain succès. Ysabel Gerrard, maîtresse de conférence à l’université de Sheffield, souligne au magazine britannique DAZED : « Il ne faut pas plus de 30 secondes pour trouver un contenu pro-trouble de l’alimentation sur Tik Tok et une fois qu’un utilisateur suit les bonnes personnes, leur page For You sera rapidement inondée de contenus provenant d’utilisateurs similaires« .

@ellie_higgins_ Reposting as tik tok deleted #mentalhealth #ED #depressed #proama ♬ original sound – ✨ Ellie ✨


En 2021 en France, 72% des 18-24 ans pensent que les troubles alimentaires les touchent particulièrement et l’anorexie mentale observe un pic d’incidence entre 13-14 ans et 16-17 ans selon un communiqué de la Fondation pour la Recherche Médicale. Aussi, selon les statistiques fournies par Tik Tok, 72% des utilisateurs français de l’application ont moins de 24 ans en 2022. En somme, le public de Tik Tok est majoritairement à risque face aux troubles du comportement alimentaire et bien que la plateforme tente de réguler ses contenus, le nombre de vidéo et l’ingéniosité des utilisateurs permettent toujours de partager des idées dangereuses.

Léa warrin

 

@unculturedswinewho im 5’2 #fyp ♬ So You Think I’m Skinny? – Derk The Dog