Yémen : trois questions à l’avocat pénaliste auteur de la plainte déposée contre Mohammed Ben Salmane

A l’origine de la plainte déposée contre Mohammed Ben Salmane lundi soir, il y a un avocat pénaliste, Me Joseph Breham. En invoquant la Convention contre la torture, que la France a ratifiée en 1987, l’avocat accuse le prince héritier de complicité d’actes de torture.

Dans une interview accordée à "Celsalab", Me Joseph revient sur la plainte qu'il a déposée contre Mohamed Ben Salmane pour "complicité d'actes de torture" de l'Arabie Saoudite au Yémen.
Dans une interview accordée à « Celsalab », Me Joseph  Breham revient sur la plainte qu’il a déposée contre Mohamed Ben Salmane pour « complicité d’actes de torture » de l’Arabie Saoudite au Yémen.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrivé dimanche à Paris pour une visite officielle, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed Ben Salmane pourrait bien garder un goût amer de son voyage. La cause ? Cette plainte déposée par l’avocat pénaliste Joseph Breham pour « complicité d’actes de torture », en raison de l’implication de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen. L’avocat pénaliste représente une association yéménite de défense des droits humains. Que peut-on attendre de cette plainte ? Nous avons posé la question à Me Joseph Breham.

Que contient la plainte que vous avez déposée contre Mohammed Ben Salmane ?

Nous avons porté plainte contre Mohammed Ben Salmane pour des faits de torture au Yémen. La coalition menée par l’Arabie saoudite a sciemment attaqué des populations civiles yéménites. Selon Amnesty International, la coalition s’est rendue responsable de 60% des crimes commis. Selon le comité contre la censure des Nations unies, ces attaques sont une violation de la Convention contre la torture.

On peut également parler de crimes de guerre, mais nous avons préféré parler de torture pour des raisons d’ordre procédural : le crime de guerre peut bénéficier en France de la notion de compétence universelle, mais selon quatre critères. Notamment, le parquet peut s’y opposer. La convention sur la torture nous permet d’attaquer légitimement Mohammed Ben Salmane, et même nous en donne l’obligation, dès lors qu’il pose le pied sur le sol français.

La France est soupçonnée de soutenir indirectement les exactions commises au Yémen en vendant des armes à l’Arabie saoudite… Votre plainte peut-elle avoir des répercussions sur la France ?

Non, il ne devrait pas y avoir de répercussions sur la France. Il n’y a pas, sauf si l’on retrouve un morceau d’arme française sur des documents qui vont servir l’instruction, de répercussions possibles pour la France. Quant à la question des répercussions sur les relations diplomatiques entre la France et l’Arabie saoudite, je ne m’en préoccupe pas. Je m’occupe du droit international, ce n’est donc pas mon problème. Cela dit, j’ai l’espoir qu’Emmanuel Macron évoque le sujet des exactions commises au Yémen avec le prince héritier. Je n’ai cependant pas pas la prétention de penser que c’est ma plainte qui le décidera à le faire.

Que risque Mohammed Ben Salmane ?

La procédure va prendre plusieurs années. Mohammed Ben Salmane encourt désormais des poursuites judiciaires, une mise en examen et un jugement devant les juridictions françaises. Nous espérons que la plainte sera instruite par le Tribunal de grande instance de Paris. En théorie, les peines peuvent aller jusqu’à 20 ans de prison.

Colin Gruel

 

 

Visite de M. ben Salmane : Amnesty demande à E. Macron de mettre le Yémen au coeur des discussions

Ce lundi 9 avril, pendant que le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane déjeune avec Edouard Philippe puis rencontre la ministre des Armées Florence Parly, les associations humanitaires haussent le ton. Sur le parvis du Trocadéro, symbole des droits de l’Homme, Amnesty International a souhaité rappeler la politique répressive de la monarchie saoudienne, et condamner le commerce des armes entre la France et le pays invité. Interview d’Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie saoudite à Amnesty International France.

Quel message adressez-vous aujourd’hui au gouvernement ?

Aurélie Perrier : On veut l’interpeller sur la situation au Yémen, où 22 millions de Yéménites, soit 80% de la population, dépendent du droit humanitaire. Mais ce droit est violé par la coalition menée par l’Arabie Saoudite. On demande à Emmanuel Macron de mettre le Yémen au coeur de ses discussions avec Mohammed ben Salmane pour que l’Arabie saoudite lève son blocus qui empêche l’acheminement des aides humanitaires. Des centres de soin ont aussi été détruits, ce qui fait qu’en 2017, le Yémen a été le siège de la plus grave épidémie de choléra du 21e siècle, avec 1 million de cas déclarés.

Vous pointez également du doigt les contrats de vente d’armes avec la France

Aurélie Perrier : Avant le conflit au Yémen, la France vendait pour 14 millions d’euros d’armes à l’Arabie saoudite. En 2016, c’était passé à 1 milliard d’euros [700 millions d’euros, selon le média challenges]. Aujourd’hui, on ne sait pas ce que la France et l’Arabie vont signer, tout est assez secret, on ne sait pas ce qui est dit.

Amnesty manifeste aussi contre les répressions par le gouvernement saoudien des opposants politiques. Si les opposants sont muselés, si le sujet est secret, comment les organismes humanitaires peuvent-ils communiquer sur le sort des prisonniers ?

Aurélie Perrier : On a beaucoup de chercheurs affiliés à Amnesty qui se rendent sur le terrain. On a aussi beaucoup de contacts avec l’ACPRA, le Saudi Civil and Political Rights Association. Mais presque tous ses membres aujourd’hui sont en prison, certains menacés de mort.

Rien n’a changé du point de vue des droits humains depuis que MBS est devenu vice-premier ministre, en juin. Il y a eu des rafles en septembre, contre des journalistes ou des universitaires. En novembre, 300 hommes politiques ou hommes d’affaires ont été arrêtés, au nom de la lutte contre la corruption. En plus, il y a un manque de transparence, parce qu’on n’a réussi qu’à identifier seulement une soixantaine d’entre eux. Et la loi antiterroriste de 2014 est un prétexte supplémentaire pour arrêter toutes sortes d’opposants politiques.

La libéralisation des droits des femmes, comme l’ouverture en juin du permis de conduire aux femmes, c’est du flafla ?

Aurélie Perrier : On ne peut que la saluer mais il y a encore des discriminations systématiques avec le système du tutorat : pour se marier, s’inscrire dans un établissement d’enseignement supérieur, chercher un emploi ou encore se rendre à l’étranger, la femme a besoin de l’autorisation de son père, de son frère, de son mari par exemple.

Pour le permis de conduire, reste à savoir comment ça va être appliqué : les femmes devront-elles avoir l’autorisation de leur tuteur ? On a du mal à savoir si dans la réalité, la femme subira des pressions. Il y a la loi qui autorise le permis de conduire, mais ça ne suffit pas. Cette libéralisation n’est peut-être que cosmétique, un coup de communication pour plaire à l’Occident.

Mais il faut se rappeler que ces lois libérales envers les femmes, lancées par MBS, profitent à l’économie. Leur faire accéder au permis de conduire ou aux stades sportifs génèrent de l’argent, à un moment ou le prince héritier lance son plan “Vision 2030” : il veut passer d’une économie de la dépendance au pétrole à une économie plus durable basée sur le tourisme, dont les femmes font partie.

Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie Saoudite à Amnesty International France
Aurélie Perrier, coordinatrice Yémen-Arabie Saoudite à Amnesty International France

 

Fanny Guyomard