Travailleurs handicapés : “la distinction ne se fait pas entre les âges mais entre les capacités”

couture

Gérard Zribi est président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT (Etablissement ou service d’aide par le travail), l’Andicat, et auteur de plusieurs ouvrages sur le handicap dont “L’avenir du travail protégé, les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées”. Pour lui, ces structures sont essentielles car elles offrent un cadre de travail protégé à des personnes qui ne pourraient pas s’épanouir dans le monde de l’entreprise ordinaire.

Quelles solutions peuvent permettre aux jeunes en situation de handicap mental de s’intégrer sur le marché du travail ?

Il n’y a pas réellement de distinction entre les âges en ce qui concerne l’accès au travail des personnes atteints de déficiences mentales, la différence se fait plutôt au niveau des capacités. J’ai toujours défendu le droit au travail pour tous ceux qui sont en capacité de travailler et en ont la motivation. L’une des modalités d’intégration est l’ESAT ou établissement et service d’aide par le travail. C’est un organisme à l’articulation sociale et économique qui reçoit à peu près 93% de handicapés mentaux et psychiques et donc peu de handicapés moteurs ou sensoriels. Ces centres proposent des activités professionnelles très variées, couplées d’une formation professionnelle et d’un accompagnement. Les travailleurs sont rémunérés. Les ESAT adaptent les compétences professionnelles à la prise en charge de travailleurs aux pathologies de plus en plus complexes. Elles font un très gros travail d’adaptation.

Il existe également des « entreprises adaptées », financées pour répondre à un but social et destinées à des personnes qui ont eu un emploi dans le milieu ordinaire, des personnes plus autonomes et qui ont des compétences professionnelles. Et enfin, il y a quelques emplois en milieu ordinaire. La France a un beau dispositif social au niveau de l’emploi des handicapés. On entend un discours négatif au niveau national mais on a l’un des dispositifs les meilleurs d’Europe.

Quels domaines de travail sont à privilégier et pour quelles raisons ?

Il faut privilégier des activités qui sont de vrais métiers mais qui ne nécessitent pas de formation poussée : le conditionnement, la couture, le jardinage, la blanchisserie industrielle, l’hôtellerie, le tourisme etc. Et ce sont des domaines qui peuvent être découpés en tâches plus simples ou plus complexes.

Il faut tout de même faire un gros travail de formation à la base du métier et apporter un accompagnement aux travailleurs. Environ 20 à 30% de l’activité de ces ESAT est de la sous-traitance industrielle pour des entreprises qui s’en servent pour respecter les quotas d’embauche de travailleurs handicapés et le reste sont des contrats, notamment pour des collectivités locales

Quelles formations les jeunes peuvent-ils suivre pour accéder à ces ESAT ?

Avant d’intégrer un ESAT, les jeunes sont souvent dans des centres d’apprentissage pratique ou des externats médico-professionnels. Il existe plusieurs filières de formation qui sont en train de s’accentuer et c’est une bonne chose.

 

Propos recueillis par Clara Charles


A lire aussi:

Jeunes handicapés: un chômage à 30%

Entre révolte et incompréhension, le combat d’une mère pour son fils trisomique

A l’IME de Neuilly, des professionnels qui font tout pour intégrer leurs jeunes

« Travailler 35h par semaine, c’est voué à l’échec… »

Les adultes autistes aussi ont besoin d’accompagnement…et de travail

L’autisme évoquant immédiatement une maladie infantile, on oublie qu’à l’âge adulte, les hommes et femmes atteints de cette pathologie se retrouvent très souvent exclus du monde de l’emploi. Mais certaines structures leur proposent d’exercer une activité quotidienne et rémunérée.

Aux Colombages, il y a des autistes qui ne sont ni malades ni patients. Ce sont des travailleurs. Cet établissement du 14ème arrondissement de Paris, gérée par l’Association française de gestion des structures pour personnes autistes est divisé en trois unités : un centre d’accueil de jour (CAJ), un centre d’accueil de jours médicalisé (CAJM), et enfin un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). C’est dans ce dernier pôle que quarante adultes à qui l’on a diagnostiqué des troubles autistiques se retrouvent chaque jour pour exercer une activité professionnelle. Les Colombages leur proposent quatre ateliers : une section jardinage et espaces verts, le travail du bois et la fabrication de meubles, la restauration et la gestion des services de cantine au sein de l’établissement, et enfin le conditionnement avec la mise en place d’une chaîne de fabrication de petits objets, pour des prestataires extérieurs. C’est dans ce dernier atelier que le plus de travailleurs se sentent à l’aise. Ce vendredi 10 avril, ils sont une vingtaine à fabriquer des bracelets pour un bijoutier du Marais, client régulier. Du découpage des fils à l’emballage, les travailleurs s’occupent de toutes les étapes de la production, sous les indications de Flora Join-Lambert, leur « monitrice ». La scène donne l’impression d’être plongé dans une salle de classe, mais si Flora sait et doit se montrer ferme, elle ne rentre jamais dans la peau d’une enseignante ni ne se place au-dessus de ses travailleurs. Elle les vouvoie toujours, même lorsqu’ils la tutoient. Elle préfère demander plutôt que d’ordonner, et laisse à ses ouvriers une autonomie totale une fois leur tâche assignée.

40 travailleurs, 40 pathologies différentes mais pas tout à fait 40 autistes

Mais le vrai défi pour la jeune femme de 34 ans n’est pas seulement de s’occuper d’une vingtaine d’adultes toute seule, mais plutôt de savoir s’adapter à chacun d’entre eux. Car l’ESAT des Colombages est la parfaite illustration des déclinaisons de l’autisme, il n’y a pas deux travailleurs qui présentent exactement les même besoins, ni les même symptômes. A bien y réfléchir, tous les autistes présent dans l’atelier n’ont qu’un seul point commun : une politesse presque surnaturelle. Lorsque l’un des travailleurs se présente à vous, il vous parle avec un respect qui semble répété. Comme si il ou elle avait appris une leçon qu’il vous récitait.  « En revanche on a un vrai problème, c’est que certains ne sont pas autistes, vous verrez », prévient la directrice du centre Charlotte Bonaldi. Du haut de sa quarantaine elle a déjà vécu plusieurs vies. Elle a pris soin d’enfants dans les rues au Brésil, a travaillé à la prison de Fleury-Mérogis, et s’est occupée d’un foyer pour jeune fugueurs dans le 15ème arrondissement de la capitale, entre autres. Mais dans chacune de ces aventures, la directrice a traîné une énergie et une présence impressionnante, renforcée par une vraie stature, ainsi qu’une allergie à la langue de bois. « C’est vraiment n’importe quoi  parfois, on a des erreurs d’aiguillage, et ça ne devrait pas se passer comme ça ! », renchérit-elle.

Shanga et Benjamin, les deux faces d’une même pièce

Shanga lui, est bien autiste. Il a beaucoup de mal à s’exprimer, et doit composer avec un léger retard mental. Mais il se présente toujours en serrant les mains, demande s’il peut vous adresser la parole, et une fois lancé ne s’arrête plus. Il se pose des questions sur une possible réélection de Nicolas Sarkozy en 2017 et se demande si les gens veulent encore voter pour lui. Il estime que François Hollande quittera l’Elysée dans deux ans pour ne pas y revenir. Si l’autiste a un monde bien à lui, il vit également pleinement dans le nôtre. En général les travailleurs présentent comme Shanga des formes d’autisme assez sévères. Benjamin, lui, fait partie de ceux que l’on appelle « autistes de haut niveau ». Nombreux sont les politiciens qui envieraient sa diction, et les orateurs qui envieraient son langage. Le seul indice de son autisme ? Il est capable de nommer les treize plus grandes fauconneries de France et de vous décrire toutes les pièces d’une animalerie qu’il a visitée étant enfant -avec l’ensemble des règles de sécurité prononcées par le guide- le tout en moins d’une minute.

Un manque d’effectifs criant

Mais parfois les choses dérapent. Contrairement aux idées préconçues, les autistes ne manquent pas d’émotion. Bien au contraire, ils les ressentent parfois avec une telle force qu’ils explosent. Comme lorsque Shanga coupe la parole à l’un de ses collègues, et que celui-ci réagit en hurlant à en faire trembler les murs. Sans jamais qu’elle le pousse à la violence physique, on sent chez l’homme une rage qu’il ne peut pas contrôler. Après quelques minutes de discussion avec lui, il ressort qu’il regrette pleinement et sincèrement sa furie, mais elle le dominera pendant encore une bonne vingtaine de minutes. Puis c’est l’effet domino. Un esclandre éclate, dans l’atelier menuiserie, puis encore un autre chez les bijoutiers du jour, amenant Shanga à frapper une table de sa jambe jusqu’à en saigner légèrement. A son tour, après quelques minutes de répit, le jeune homme vient s’excuser de lui-même pour son attitude. Son comportement, comme celui de son collègue, n’a rien d’infantile, et il serait dangereux de les y réduire. Pendant ce temps-là l’équipe d’encadrement, dont le manque effectif devient criant dans une situation comme celle-ci, arrive tant bien que mal à apaiser tout le monde sans se laisser déborder.

Le travail ne guérira jamais l’autisme, mais les Colombages fournissent un véritable cadre à leurs travailleurs, pour vivre une vie au-delà de leur handicap. Et son modèle mérite clairement d’être décliné. Mais comme toutes les formes d’accompagnement d’autisme en France, celle-ci manque de moyens humains. L’animatrice en est d’ailleurs consciente : « j’ai entre 20 et 25 travailleurs à chaque atelier. C’est trop. »

Pour aller plus loin : 

Le témoignage d’une mère de trois enfants autistes

Un cinéma qui accueille des enfants autistes

Enquête : enfin un vrai accompagnement pour les autistes ?

Maëva Poulet et Sami Acef