Bioéthique : qu’est-ce qu’un « bébé-médicament » ?

L’Assemblée nationale a mis un terme, lundi 7 octobre, à la technique dite du « bébé-médicament ». En quoi consiste cette technique et pourquoi est-elle controversée ?

La technique du « bébé-médicament » est désormais interdite. ILLUSTRATION / AFP PHOTO / FRED DUFOUR

Légale depuis 2004, l’Assemblée nationale y a finalement mis un terme lundi soir, dans le cadre de l’examen en première lecture de la loi de bioéthique. La technique du « bébé médicament » ou « bébé double espoir », destinée à sauver des enfants atteints d’une maladie génétique, est désormais interdite. Un rétropédalage que Valérie Depadt, maîtresse de conférences en droit et conseillère de l’Espace éthique Ile-de-France, spécialisée dans le domaine de la biomédecine explique de la manière suivante : « ça a de toute façon toujours été disputé. Déjà à la base, c’était présenté comme une exception. » Avant d’expliquer les raisons de telles controverses, il est d’abord nécessaire de définir cette technique.

  • Qu’est-ce qu’un « bébé-médicament » ?

Utilisée pour la première fois en 2001 par une équipe américaine, cette technique, aussi appelée « bébé sauveur » ou « bébé double espoir », consiste à concevoir un nouveau-né capable de sauver son frère ou sa sœur d’une maladie grave. « Lorsque des parents avaient un enfant atteint d’une maladie incurable qui le condamne a courte échéance, ils étaient en droit de recourir à un DPI (diagnostic préimplantatoire) pour sélectionner un embryon qui soit indemne de cette maladie. On transférait ensuite cet embryon dans l’utérus de la mère, détaille Valérie Depadt. A la naissance de l’enfant, les cellules souches étaient alors prélevées dans le cordon ombilical, dans l’objectif de les utiliser pour guérir l’enfant ainé. »

  • Une pratique rare en France

Dans l’hexagone, le recours au « bébé-médicament » a été autorisé à titre provisoire par la loi de bioéthique d’août 2004. En 2011, la nouvelle loi de bioéthique l’a pérennisée : « cette forme de diagnostique a été normalisée. On a supprimé son caractère expérimental », explique l’experte. Cependant, un encadrement strict subsiste. C’est l’Agence de biomédecine (ABM), entre autres, qui est chargée de délivrer les autorisations au cas par cas. Si la pratique a donc été légale pendant plus de 15 ans, très peu de couples y ont eu recours. La pratique reste exceptionnelle : depuis 2007, sur 20 demandes d’autorisation de « bébé-médicament » soumises à l’ABM, 17 ont été validées et trois annulées (chiffres de 2011).

Le 26 janvier 2011, le premier bébé français conçu via cette technique naît à Lyon. Il se prénomme Umut-Talha (« notre espoir » en turc) et il portait en lui le remède permettant à sa grande sœur Asya, atteinte de bêta-thalassémie, une maladie génétique de l’hémoglobine, de guérir.

  • Une technique sujette à controverses

Une technique permettant de concevoir un enfant dans le but d’en sauver un autre est évidemment sujette à débat. Le « bébé-médicament » soulève des enjeux éthiques. Valérie Depadt, elle, n’est pas surprise par sa récente interdiction : « je ne suis pas étonnée que l’on revienne dessus. On s’est toujours posé beaucoup de questions. On a toujours été très prudent avec cette technique. » Pour l’experte, les dangers de cette démarche sont évidents d’un point de vue éthique : « il s’agit de mettre au monde un enfant « utile », utile au traitement d’un enfant déjà né. Certains considèrent que c’est de l’instrumentalisation de l’enfant à naître. Toute la biomédecine est construite sur le grand principe kantien, sur l’impératif catégorique de toujours considérer l’être humain comme une fin et non comme un moyen. »

Elle nuance néanmoins, l’enfant n’est pas nécessairement qu’un « moyen », il peut également être voulu : « il y a en général plusieurs causes à la naissance de cet enfant. Effectivement, c’était de guérir l’ainé, mais les parents pouvaient également souhaiter un autre enfant. » Dans une tribune publiée en 2011 dans Le Monde, La Commission d’éthique de la Société française de pédiatrie défendait ce point de vue : « concevoir un enfant dans l’espoir qu’il puisse guérir quelqu’un n’est pas en soi immoral, pourvu qu’il ne soit pas conçu exclusivement dans ce but. Nous pouvons raisonnablement espérer que des parents aimant leur enfant au point de tout essayer pour le sauver sauront aimer pour lui-même celui par qui leur premier enfant a été sauvé. » L’utilisation du terme « enfant du double espoir » est d’ailleurs préféré par les défenseurs de cette technique. En effet, selon eux, le premier espoir est celui de la naissance d’un enfant sain et le deuxième espoir, celui de guérir l’aîné.

 

Sylvia Bouhadra

Anti-PMA : un air de déjà-vu

Alors que la procréation médicalement assistée pour toutes avait été promis par le candidat Macron, le Comité d’éthique a rendu fin septembre un avis favorable à son extension. Ses opposants, issus de la Manif pour tous, semblent vouloir reprendre le combat là où ils l’avaient laissé en 2013, après l’adoption du mariage pour tous.

Des sympathisants de la Manif pour Tous se rassemblent contre l'ouverture de la PMA.
Des sympathisants de la Manif pour Tous se rassemblent contre l’ouverture de la PMA / wp-caption

Le 25 septembre dernier, la Manif pour tous avait donné rendez-vous à ses sympathisants devant le siège du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Le comité venait de rendre le 18 septembre un avis favorable à l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, ainsi qu’aux femmes seules, et une centaine d’opposants comptaient bien faire entendre leurs voix. « Nous sommes de retour », avertissait alors une manifestante à nos confrères de Libération.

Mais que penser du retour en scène des sympathisants de la Manif pour tous, cinq ans après leur échec contre la loi Taubira ? Et si les opposants au mariage pour tous profitaient du climat actuel pour rejouer le match perdu de 2013 ?

Un engagement de campagne

« On demande simplement le consensus, c’est ce qu’avait promis Macron », soupire Héloïse Pamart, responsable presse de la Manif pour tous, faisant référence à la volonté du président d’instaurer un débat « apaisé » parmi les Français.es. Sans surprise, le discours diffère chez SOS Homophobie, où l’on martèle que l’ouverture de la PMA aux couples de femmes était « un engagement de la part du Président de la République et de tout le gouvernement. »

En effet, le candidat Macron s’était prononcé en ce sens. Sur son site de campagne, on pouvait lire la chose suivante : « Nous sommes favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes seules et les couples de femmes. Il n’y a pas de justification juridique pour que la PMA ne leur soit pas ouverte.  »

Mariage et PMA, même combat ?

Héloïse Pamart le répète à qui veut l’entendre, l’extension de la PMA était prévisible après la légalisation du mariage pour tous : « Depuis 2013, on dit que c’est la conséquence de la loi Taubira et que bientôt, il sera question de la GPA. » En revanche, il ne serait pas ici question de prendre leur revanche sur la bataille perdue de 2013, mais bien de « défendre l’intérêt supérieur de l’enfant ».

Cet intérêt de l’enfant, les sympathisants de la Manif pour tous l’opposent de façon régulière au « droit à l’enfant », brandi, lui, par les pro-PMA. Sur le site de la Manif pour tous, on peut d’ailleurs lire : « Le droit à l’enfant n’existe pas, ni pour les couples homme/femme, ni pour les couples composés de deux personnes de même sexe, ni pour les célibataires. Personne ne peut revendiquer le droit à avoir un enfant au prétexte qu’il désire avoir un enfant. » Car selon les adhérents de la Manif pour tous, l’enfant né de PMA  ne peut pas grandir heureux et épanoui en l’absence de figure paternelle. Ils avaient d’ailleurs lancé le hashtag #PMASanspère, en réponse au « PMA pour tou-te-s » des fervents défenseurs d’une évolution de la loi.

Un « enjeu d’égalité »

Selon SOS Homophobie, la lutte actuelle pour la PMA ne doit pas être associée en permanence à celle du mariage pour tous :  « C’est un vrai combat, aujourd’hui la PMA est réservée aux couples hétérosexuels et l’ouvrir aux couples de même sexe est un véritable enjeu d’égalité. » Et pour le porte-parole de l’association pro-PMA, pas question de se laisser intimider par Ludivine de La Rochère et sa Manif pour tous : « Ce qui compte, ce n’est pas les gens qui s’opposent et descendent dans la rue, ils en ont parfaitement le droit, mais de lutter contre les propos homophobes que certains d’entre eux adressent aux familles homo-parentales. »

Après l’avis favorable du CCNE, un projet de loi devrait être discuté au parlement début 2019.

Caroline Quevrain