« Je dois ma reconversion au confinement » : ces cadres devenus artisans grâce au Covid-19

L’épidémie de Covid-19 et ses conséquences sur l’économie française semblent avoir été un moteur de reconversion dans l’artisanat, en particulier chez les cadres.

Perte d’emploi, chômage partiel, travail à distance, chute brutale du chiffre d’affaires, contraintes sanitaires, réorganisation des entreprises… Le Covid-19, et les trois confinements auxquels les Français ont été confrontés en un peu plus d’un an – entre mars 2020 et mai 2021 –, ont considérablement modifié le marché du travail dans le pays. Cette situation inédite a non seulement impacté les entreprises mais aussi le ressenti et les aspirations des travailleurs. « Aujourd’hui, je m’accorde du temps, j’avais besoin de donner du sens à mon métier et de me recentrer sur moi-même », explique Camille Lassin, ancienne cadre désormais artisan brodeuse. 

Alors cheffe de projet marketing dans un grand groupe de cosmétiques, elle se met à la broderie pendant le premier confinement. Puis décide, lors du deuxième confinement, de vendre ses créations – des broderies sur des vêtements – sur Etsy et Instagram. Un pari gagnant : en avril 2021 lorsqu’elle se rend compte qu’elle peut vivre de la broderie, la Lyonnaise pose sa démission auprès de son employeur pour se consacrer à plein temps à son auto-entreprise créée en janvier 2021.

« Ce qui était un passe temps durant le confinement est devenu une passion puis mon métier », résume-t-elle. Finies les contraintes horaires, la jeune femme de 29 ans travaille désormais chez elle. Surtout, la broderie lui apporte cet aspect créatif qui lui manquait. « Ce métier me donne une grande satisfaction et un nouveau sens à ma vie car on produit chaque jour quelque chose, poursuit-elle. On se sert de ses dix doigts ! Je me sens tellement plus heureuse. »

20% des nouvelles entreprises artisanales créées par des cadres reconvertis

Comme elle, de nombreuses personnes se sont lancées dans l’aventure artisanale pendant ou après la crise sanitaire. Selon l’Institut supérieur des métiers (ISM), le nombre d’entreprises artisanales créées a augmenté de 18,2% entre 2018 et 2022, passant de 44 000 à 52 010. Alors qu’un peu plus de 10% d’entre elles avaient été créés par des cadres reconvertis il y a cinq ans, ce cas de figure représentait plus de 20% des nouvelles entreprises artisanales l’année dernière. 

Peut-on y voir un effet Covid-19 ? Oui, selon Antoine Dain, auteur de la thèse “Changer de travail pour être heureux? Reconversions professionnelles des cadres, mobilité sociale et rapport au travail ». « Parmi la centaine de reconvertis que j’ai interrogés, la crise sanitaire et les confinements ont été des moteurs de reconversion. Ils ont accéléré une tendance déjà ancrée en particulier chez les cadres », expose le doctorant en sociologie à l’Université Aix-Marseille, également rattaché au LEST (Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail). Exercer un métier plus proche de ses passions, donner une nouvelle orientation à sa vie professionnelle ou encore donner plus de sens à sa vie : telles sont les principales raisons évoquées par les personnes souhaitant se reconvertir, c’est-à-dire changer de métier – et parfois même de secteur.

« J’ai redonné un sens à mon métier »

Mais sauter le pas n’est pas toujours évident. Pendant quatre ans, Pierre Passirot a envisagé de quitter son emploi dans la finance, qui lui permet de gagner confortablement sa vie, pour devenir pâtissier, ce métier qui le fait tant rêver depuis le lycée mais que ses parents n’auraient pas aimé le voir exercer à l’époque. Ce n’est qu’en 2020, à l’aube de ses quarante ans et après avoir trouvé le temps d’y réfléchir et de pratiquer sa passion en amateur grâce à la crise sanitaire, qu’il se donne enfin ce défi. « Je dois ma reconversion au confinement et aux vidéos de Cyril Lignac sur Instagram ! », s’exclame le Montpelliérain.

Le voilà désormais aux fourneaux depuis près de deux ans, avec un CAP pâtisserie en poche – une formation d’une année qu’il a financée avec son épargne, lui qui n’a pas d’enfants. Si son ancien et nouvel emplois sont, à première vue, aux antipodes, il leur trouve pourtant des points communs. « Les deux ont des horaires décalés, je n’ai plus de soirées entre amis mais j’ai redonné un sens à mon métier”, fait-il valoir, assurant que malgré cette contrainte, il « ne regrette rien »

Mais avant de poursuivre son rêve, Pierre Passirot s’est confronté à la réalité et s’est interrogé sur la faisabilité et la viabilité de son projet de reconversion. “Je ne me serais pas reconverti si ce n’était pas vers un métier où j’étais assuré d’un emploi derrière, précise-t-il. La pâtisserie embauche beaucoup et c’est une sécurité. Cela rassure énormément [… ] et ça m’a aidé à me projeter et à faire ce choix. »

Le bâtiment et l’alimentation plébiscités par les reconvertis

D’après l’Insee, l’artisanat regroupe toutes les personnes physiques ou morales exerçant à titre principal ou secondaire une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestations de services. Un conducteur de taxi est donc artisan, tout comme un boulanger, un maçon, un plombier ou un photographe. L’activité artisanale rassemble ainsi une large palette de métiers. Les secteurs les plus plébiscités sont le bâtiment et l’alimentation.

En 2021, trois activités du BTP figurent parmi les 10 premières activités de création artisanale, selon l’étude sur la démographie des établissements réalisée par l’Insee.  “Ce sont les secteurs qui recrutent le plus, cela explique pourquoi il y a beaucoup de reconvertis dans ces secteurs”, commente le chercheur Antoine Dain. D’après l’Institut supérieur des métiers, près de 58% des reconvertis se dirigent vers l’artisanat du bâtiment ou de l’alimentation en 2021.

Si l’on constate bien une augmentation des cadres reconvertis créateurs d’entreprises artisanales depuis la crise sanitaire, il est difficile de connaître la tendance globale des reconvertis dans l’artisanat. “Nous avons besoin encore de recul sur les trois dernières années pour savoir s’il y a une véritable recrudescence de reconvertis après la crise sanitaire”, tempère Antoine Dain. 

Et d’ajouter cependant : “La crise sanitaire, bien que source d’incertitudes à de nombreux égards, n’aurait par ailleurs pas découragé les bifurcations et aurait même pu en susciter de nouvelles.” Selon le troisième baromètre de la formation et de l’emploi (Centre Inffo / CSA), 21% des actifs préparaient une reconversion en janvier 2022. Des opportunités qu’ils n’auraient peut-être pas saisi sans cette crise.

Juliette Picard & Laura Pottier

Réchauffement climatique et empreinte carbone, quels enjeux pour l’habitat de demain ?

Du 22 au 24 septembre se tient à Paris la 1ère édition du Salon de l’immobilier bas carbone (SIBCA), où se rencontrent les géants du secteur. L’occasion de parler neutralité carbone et habitat de demain.

L’affiche de la première édition du Salon de l’immobilier bas carbone (SIBCA)

« L’immobilier bas carbone c’est une évidence parce que nous n’avons plus le choix ». Ce sont les mots de Julien Denormandie, ancien ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, de la Ville et du Logement. En visite au Salon de l’immobilier bas carbone (SIBCA), le ministre a affiché son soutien aux acteurs d’un marché en pleine en expansion. « J’ai toujours cru en l’immobilier bas carbone », confit-il à CelsaLab. 

Fraîchement engagé aux côtés de la start-up Sweep, leader de la gestion de l’empreinte carbone des entreprises, Julien Denormandie explique : « La donnée climatique va devenir aussi importante que la donnée financière ». Il ajoute fièrement : « Il n’y a plus d’investissement sur lequel on ne demande pas l’impact environnemental. La France est championne du monde dans l’immobilier bas carbone ». Et pour cause, pendant son mandat, l’ancien ministre avait travaillé à la création de la réglementation environnementale « RE2020 », qui sert à mesurer les émissions de carbone des bâtiments neufs. Il conclut : «  Atteindre la neutralité carbone en 2050 est un objectif incroyablement ambitieux, mais incroyablement nécessaire ».

https://www.ecologie.gouv.fr/re2020-nouvelle-etape-vers-future-reglementation-environnementale-des-batiments-neufs-plus 

Des mastodontes face aux start-up

De part et d’autre du salon, les stands de Vinci, Bouygues Immobilier, Nexity ou encore BNP Real Estate, côtoient ceux de PME et de start-up. Comment de tels géants peuvent-ils alors prétendre à la neutralité carbone dans le secteur immobilier, quand le reste de leurs activités ne semblent pas concernées par de tels enjeux ? BNP Paribas avait par exemple été épinglé pour ses financements des énergies fossiles, à hauteur de 142 milliards d’euros entre 2016 et 2021. Bouygues et Vinci avaient, quant à eux, fait l’objet d’un scandale écologique et financier en 2014, dans le cadre du projet de la « nouvelle route du littoral » à la Réunion, entre malfaçons dissimulées et destruction de la biodiversité littorale. 

https://www.liberation.fr/environnement/climat/financement-des-energies-fossiles-par-les-banques-francaises-les-bons-et-les-mauvais-eleves-20220330_7XM7Y6HW2VH6RFF7ZAQSOQDI6E/ 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/25/contentieux-retards-et-malfacons-a-la-reunion-les-affres-de-la-route-du-littoral_6099819_3234.html 

« Si on veut maintenir le réchauffement climatique à 1.5°, il va falloir que chaque français divise par cinq son empreinte carbone. » soutient Marc Lafont, directeur général de WO2, promoteur de bâtiments bas carbone. Il l’assure, c’est bien « l’envie de faire collective » qui fera bouger les lignes. Pour lui, ce sont ces entreprises traditionnelles, plus connues du grand public, qui représentent la plus grosse part du marché. Il ajoute : « C’est une excellente chose que nous soyons entourés d‘acteurs plus traditionnels de la construction. Ça montre que le bas carbone n’est plus un marché de niche, c’est l’affaire de tous ». Il dit compter sur la coopération de chaque acteur de l’industrie, dans l’optique d’abaisser l’émission de Co2 de chaque Français à deux tonnes par an, contre dix actuellement. Et cela devrait passer par le logement, l’immobilier traditionnel représentant 30 % des émissions de gaz à effet de serre.

La création d’un label pour encourager l’immobilier bas carbone

Alors, pour rendre l’immobilier plus pérenne, le secteur s’est regroupé autour d’un seul et même label : le BBCA (Bâtiment Bas Carbone). Depuis 2016, celui-ci permet aux acteurs de la chaîne de mesurer l’émission carbone d’un bâtiment. Ainsi, en France, on retrouve 450 constructions labellisées et 3 millions de mètres carrés certifiés bas carbone. En tête du classement, le groupe Nexity, suivi par le WO2 de Marc Lafont, dont 80 % des constructions sont certifiées, puis Bouygues Immobilier. Eric Pliez, maire du 20e arrondissement, croit dur comme fer à l’habitat bas carbone : « Si on peut rénover à Bagnolet, dans un quartier populaire comme on l’a fait, alors c’est possible partout ». 

 

Agnès Robini

Comment l’affaire PPDA pourrait être relancée malgré la prescription

Patrick Poivre d’Arvor à Deauville, lors de la 45e édition du Festival du film américain, en 2019 (LOIC VENANCE / AFP)

Ce vendredi, Hélène Devynck sort son livre intitulé « Impunité », portant sur l’affaire PPDA et le viol présumé subi par la journaliste. L’occasion de revenir sur le rebond judiciaire que le dossier pourrait connaître grâce à de nouveaux témoignages et malgré la prescription. Explications.

Actuellement, deux procédures sont en cours contre Patrick Poivre d’Arvor pour viols et agressions sexuelles. Pour l’une, il s’agit d’une enquête préliminaire portant sur sept témoignages accusant PPDA. Cette enquête a d’ailleurs permis l’audition libre du journaliste en juillet dernier. Pour la seconde, il s’agit d’une instruction judiciaire ouverte avec la seconde plainte de Florence Porcel, en novembre 2021, pour des faits prescrits. Première femme à témoigner, elle décrit des viols remontant à 2004 et 2009 alors qu’elle était jeune journaliste.

#MeTooMédias : Florence Porcel porte à nouveau plainte pour viol contre PPDA, avec constitution de partie civile cette fois

Quelle est la durée de la prescription dans cette affaire ?

En France, pour une personne majeure, la prescription est de six ans pour une agression sexuelle, et de vingt ans pour un viol. Or, dans le cas de Florence Porcel, la prescription au moment du premier viol présumé était de dix ans. Dans l’affaire PPDA, de nombreux faits sont ainsi prescrits, mais pourraient bien se voir pris en compte à l’avenir, grâce au principe de l’acte interruptif ou « sérialité ». Cela désigne l’action, pour une Cour de cassation, d’interrompre la prescription si les faits sont liés à une autre affaire. C’est le cas de Florence Porcel.

PPDA : des poursuites pourraient être engagées malgré la prescription

Quelle est l’utilité pour les victimes de témoigner, malgré la prescription des faits ?

Pour la plaignante, il s’agit de se faire connaître par la Justice et de sortir du silence. Dans ce genre d’affaire, même s’il y a prescription, le Parquet ouvre systématiquement une enquête pour vérifier qu’il n’y ait pas d’autres victimes.

Ainsi, grâce à l’acte interruptif, ou « sérialité », la prescription peut revenir à zéro si de nouveaux éléments sont apportés à l’enquête. La sérialité repose sur trois piliers : le mode opératoire, le profil des victimes, et l’auteur. Dans l’« Impunité », Hélène Devynck décrit un mode opératoire bien rôdé : « le coup du plateau ». PPDA invite de jeunes femmes, parfois mineures, à assister au JT qu’il présente. Puis, il les invite dans son bureau, au cœur de la rédaction de TF1. C’est ainsi qu’il aurait opéré pendant trente-cinq ans. De plus, le profil des victimes est toujours le même : de jeunes femmes, journalistes ou non, vulnérables face à la puissance de l’ex-présentateur.

PPDA et le « coup du plateau » : « Il vous retrouvera dans son bureau »

Pourquoi un tel retournement de situation dans l’affaire PPDA ? Ce principe de sérialité rend-il la prescription relative ?

Alexandre*, assistant de Justice parisien, explique : « Si l’acte interruptif est utilisé dans cette affaire, c’est bien parce que Florence Porcel décrit des faits datant de 2009, donc non prescrits. Or, elle a également porté plainte pour un viol datant de 2004, donc à priori prescrit. » Cet été, la Cour d’appel de Versailles avait alors estimé que les deux infractions étaient connexes, dépendantes l’une de l’autre et répondaient aux critères de sérialité. Dans ce cas précis, l’annulation du classement sans suite par la Cour d’appel de Versailles interrompt nécessairement la prescription, en utilisant l’argument sériel.

« Dans cette affaire ultra-médiatique qui fait suite à #MeToo, l’argument de la prescription est quasi-inaudible par l’opinion publique. Il ne s’agit donc pas tant d’un profond bouleversement de la Justice, mais plutôt d’un sauvetage de la procédure grâce à l’acte interruptif, de plus en plus répandu dans ce genre de dossier concernant des crimes prescrits », ajoute Alexandre.

Depuis 2021, l’ancien présentateur de TF1 fait l’objet de nombreuses plaintes pour violences sexistes et sexuelles. En juin dernier, vingt femmes prennent la parole sur le plateau de Mediapart. Elles dénoncent des « comportements problématiques » à leur encontre, allant du harcèlement sexuel au viol.

 

 

*Le nom a été modifié

 

Agnès Robini