Porno dès l’enfance : une addiction qui fait des ravages

 

La pornographie est illégale en France pour les moins de 18 ans. Mais ils sont toujours plus nombreux à en consommer à cause du numérique. Une pratique qui n’est pas sans conséquences sur leur rapport à la sexualité une fois adultes.

«Lors de son premier rapport sexuel, un adolescent n’est souvent pas très à l’aise avec son corps, mais en ayant pour référence des images faussées, c’est encore pire». | Photo : franco alva via Unsplash

En tapant «porno» dans la barre d’un moteur de recherche, des centaines de sites internet nous sont proposés. Pornhub, TuKif, ou encore Xhamster… tous proposent du contenu pornographique en libre accès, la plupart du temps gratuitement. Une fois sur la page d’accueil, des dizaines de catégories aux appellations crues apparaissent. Il n’y a qu’à cliquer.

En France, visionner de la pornographie est légal pour les personnes âgées de 18 ans ou plus. Mais cela n’empêche pas les mineurs d’accéder à ces sites internet qui ont, dans le meilleur des cas, une fenêtre pop-up nous demandant si l’on est mineur comme seul filtrage. Une simple case à cocher, «oui» ou «non», avant d’accéder au site en question.

«Même un enfant curieux peut taper des mots qu’il a entendus, comme “pénis” ou “vulve” sur internet, et tomber sur du contenu qui n’est pas adapté à son âge», explique Céline Vendé, sexologue et thérapeute à Bordeaux. Une réalité permise par les écrans mis à disposition aux enfants. «Leur donner l’accès à un téléphone portable, c’est aussi leur donner la possibilité de tomber sur du contenu pornographique». Et ils sont nombreux à le faire : en France, 83% des mineurs regardent du contenu pornographique sur un smartphone, a révélé une étude publiée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en 2023. 

Difficile pourtant d’appliquer une législation visant à éviter l’accès à ce contenu en ligne. «On ne peut pas réguler internet. Si les enfants ne peuvent pas aller voir du porno sur internet, ils le trouveront dans la cour de récré ou autre part, avance Christine Barois, pédopsychiatre à Paris. Mais il y a surtout une méconnaissance des parents. Ils ne s’imaginent pas du tout ce que leurs enfants peuvent voir.» Pour la spécialiste, leur rôle dans la découverte de la sexualité est central. «C’est aux parents d’expliquer “tu vas tomber sur des images parfois, mais ce n’est pas la réalité. Le sexe n’est pas forcément quelque chose de violent, ça peut aussi être très beau.”»

Une surexposition à hauts risques

Si l’exposition des mineurs aux films, vidéos ou images pornographiques n’est pas un phénomène nouveau, la surexposition, induite par le numérique, l’est. Selon l’Arcom, 2,3 millions de mineurs ont consulté des sites porno en 2022 : ce chiffre a augmenté de 36% en cinq ans. De quoi pousser les spécialistes, craignant les conséquences, à tirer la sonnette d’alarme. «Les enfants voient des images qui ne sont pas réelles, au même titre que les dessins animés, mais ils ne savent pas forcément dissocier ce qui est vrai ou faux en fonction de leur âge», prévient Christine Barois.

Des images qui vont éveiller leur sexualité, sans pour autant qu’ils sachent ce qu’il se passe en eux. «Les enfants qui vont tomber sur du contenu pornographique ne sont pas en capacité de comprendre ce qu’il se passe dans leur corps, alerte Céline Vendé. Ils vont ressentir une sensation de plaisir, qu’ils vont chercher à reproduire ensuite avec ce qui leur a donné cette sensation la première fois : le porno.» 

La pornographie devient alors la première porte d’entrée vers la découverte de la sexualité, et beaucoup de jeunes s’en servent comme référence pour leurs futures relations sexuelles. «Lors de son premier rapport sexuel, un adolescent n’est souvent pas très à l’aise avec son corps, mais en ayant pour référence des images faussées, c’est encore pire», ajoute Christine Barois.

«Pour les hommes adultes qui ont développé une addiction au porno dès l’adolescence, le processus de soin est très long.»

Céline Vendé, sexologue et thérapeute à Bordeaux

En cause notamment la représentation «catastrophique» de la femme dans ces films, mettant en avant «sa soumission» à l’autre. «Le porno est fait par des hommes, pour des hommes», ajoute Céline Vendé. Cette pratique n’est pourtant pas sans conséquences pour eux. «Regarder du porno en étant jeune peut altérer l’image de la nudité, de la sexualisation des corps», explique-t-elle.

En devenant une addiction, cette consommation a également des incidences sur le long terme.. Que ce soit d’un point de vue amoureux, relationnel ou sexuel, les conséquences négatives sont nombreuses pour ceux qui sont accros au porno dès l’adolescence. «On va utiliser l’autre uniquement pour atteindre ces performances vues dans le porno —qui restent pourtant des mises en scène avec des produits et substances injectés par les acteurs, complète la sexologue. Il n’y a pas de consentement ni même de respect de son propre corps.»

À l’âge adulte, les hommes accros peuvent alors souffrir de «dysfonctionnements sexuels» difficiles à soigner : «Pour ceux qui ont développé une addiction au porno dès l’adolescence, le processus est très long. Il est parfois plus difficile de se détacher de cette addiction si elle commence tôt. Ce n’est pas pareil pour un patient ayant développé cette addiction à l’âge adulte.» 

Le rôle de l’éducation sexuelle dès l’enfance

Pour les professionnels, la prévention et l’éducation sexuelle deviennent alors incontournables. «Il faut en parler à son enfant avant l’âge de dix ans, conseille Céline Vendé. On peut évoquer la sexualité, pas uniquement pour parler de la reproduction, mais en nommant les parties du corps et les parties génitales par exemple.» Pour la sexologue, le constat actuel est sans appel : «Il y a un effort à faire pour l’éducation sexuelle.»

Si un programme de 36 séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Eras) est mis en place à l’école, de la classe de sixième à la terminale, les élèves n’ont que 3,2 séances en moyenne au cours de leur scolarité, a révélé le quatrième baromètre de l’éducation des Apprentis d’Auteuil. «Ce n’est pas uniquement le rôle de l’école de parler de ça, c’est aussi celui des parents», explique la sexologue bordelaise. Mais lorsque les adolescents se posent des questions et ne trouvent personne pour y répondre, ils cherchent par eux-mêmes.

C’est là qu’internet entre à nouveau en jeu, en tant qu’allié des jeunes cette fois-ci. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de comptes —la plupart du temps gérés par des femmes— parlent sans tabou de sexualité, d’amour et même de plaisir sexuel. Sur Instagram, @mercibeaucul_ parle de «sexualités conscientes et positives». Au fil des posts, on y trouve des réponses aux questions des internautes («comment savoir si on est en train de jouir» ou «pourquoi tu galères à lâcher prise pendant le cul») mais aussi des conseils («guider son/sa partenaire», «5 choses sur la sexualité si tu as un pénis» ou encore «5 trucs qu’on t’a pas dit sur l’orgasme»).

«La série “Sex Education” permet de détabouïser le sexe. Elle est parfois caricaturale, mais elle est bien faite.»

Céline Vendé, sexologue et thérapeute à Bordeaux

Des comptes suivis par des dizaines voire centaines de milliers de personnes, qui n’hésitent pas à laisser des commentaires. Sous une vidéo Instagram sur l’assexualité publiée par @lecul_nu, un compte Instagram qui parle de contraception, d’orientation sexuelle ou encore de santé gynécologique, on retrouve un «merci et bravo de publier sur le sujet, trop peu connu. Il est bon d’aider les personnes concernées à se sentir moins seules.»

Sous un autre post concernant les pertes blanches, une autre internaute écrit «heureusement que quelqu’un est là pour nous expliquer! En SVT [cours de sciences, ndlr], j’ai travaillé (en première) sur les règles (bon c’est quand même resté assez vague je trouve) mais ça, jamais on en parle! Donc il faut avoir le réflexe de soi-même s’informer, en parler… Ce que peu de personnes font.»

 

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Une publication partagée par Manon lugas (@lecul_nu)

Une libération de la parole également permise par le succès de la série anglaise Sex Education, dont la quatrième et ultime saison vient de sortir sur la plateforme de streaming Netflix. Céline Vendé a d’ailleurs remarqué un «avant» et un «après» Sex Education, dont les retombées lui semblent positives : «Elle permet de détabouïser le sexe. Même si parfois elle est un peu caricaturale, il y a énormément d’informations qui sont données dans cette série.»

Une manière d’attiser la curiosité des jeunes et de leur permettre d’en apprendre plus par la suite sur leur sexualité, quelle qu’elle soit. «La série est très inclusive, chacun peut s’identifier en fonction de son genre ou de son orientation sexuelle par exemple. Par rapport à ce qu’on avait l’habitude de voir dans les séries destinées aux jeunes adultes, qui étaient très hétéronormées et reproduisaient souvent le même schéma, Sex Education est une série qui est bien faite.» Finalement, le numérique n’est pas uniquement un grand méchant dans la découverte de la sexualité, le tout est d’avoir le bon accompagnement et les bons outils.

Elena GILLET

CARTES. Où en est le droit à l’IVG dans le monde ?

La France a marqué les esprits avec l’inscription de l’avortement dans sa Constitution. Depuis quelques années, ce droit est en recul dans d’autres pays.

Plus de 700 millions de femmes en âge de procréer résident dans des pays où l’IVG est restreinte. | Photo : Manny Becerra via Unsplash

En y apposant le sceau de la République, la France est devenue le premier pays au monde à inscrire l’avortement dans sa Constitution. Par cet acte, l’État reconnaît depuis le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, « la liberté garantie de la femme de recourir au droit à l’interruption volontaire de grossesse » (IVG).

Si l’avortement était déjà légal en France, c’est un événement outre-Atlantique qui a motivé l’initiative du projet de loi initial : celui de l’abrogation en juin 2022 de l’arrêt « Roe vs Wade » aux États-Unis. Cet arrêt, en vigueur depuis 1973, garantissait à toutes les Américaines de pouvoir avorter légalement au niveau national. Dans la première année qui a suivi ce retrait, 14 États américains ont interdit l’IVG selon le Center of Reproductive Rights (CRR). Un événement qui a inquiété les défenseurs de l’avortement du monde entier.

Source : Center of Reproductive Rights

Troisième cause de mortalité maternelle

Il n’y a pas qu’aux États-Unis que le droit à l’avortement est désormais restreint voire inexistant. Dans le monde, près de 41% des femmes en âge de procréer — soit plus de 700 millions — résident dans des pays où l’IVG est restreinte selon un rapport du Sénat publié en 2023. Une réalité qui peut mettre en danger leur santé puisque les avortements clandestins restent la troisième cause de mortalité maternelle, précise Amnesty International.

41% des femmes en âge de procréer résident dans des pays où l’IVG est restreinte.

Dans le monde en 2023, 75 pays autorisent pleinement l’interruption volontaire de grossesse. Au total, ce sont plus de 50 pays qui ont changé leur législation pour permettre aux femmes d’avoir accès à ce droit ces 25 dernières années. Mais trois pays ont aussi fait marche arrière avec les États-Unis : c’est le cas du Nicaragua, du Salvador ou encore de la Pologne.

Source : Center of Reproductive Rights

Et dans l’Union européenne ?

La Pologne fait figure d’exception au sein de l’Union européenne (UE), puisqu’elle est la seule à être revenue sur le droit à l’avortement. Parmi les 27 pays membres, 25 autorisent l’avortement. Depuis 2021, la Pologne n’autorise l’avortement que sous certaines conditions : en cas de viol, d’inceste ou lorsque la vie de la mère est en danger. Des conditions qui sont aussi en vigueur à Malte depuis 2023. Avant cela, le pays restait le seul de l’UE à interdire complètement l’avortement.

La question du délai pour avorter varie cependant entre les pays. Il n’est que de 10 semaines de grossesse au Portugal ou en Croatie et peut aller jusqu’à 24 semaines aux Pays-Bas.

Source : Center of Reproductive Rights

Pour autant, même dans les pays où avorter est autorisé sans conditions, la réalité peut être tout autre. C’est le cas en Italie par exemple où la clause de conscience des médecins complique l’accès à l’IVG pour les femmes. Selon Arte, 71% des médecins italiens exercent ce droit, poussant certaines femmes à se tourner vers des avortements clandestins ou à se rendre à l’étranger.

Elena GILLET

Personnes nées par PMA: à la recherche de ses origines

Le premier rapport annuel de la Cappad, publié vendredi, a dévoilé 434 demandes recevables d’accès à l’identité du donneur. Une quête des origines qui se révèle avoir un conséquent fond psychologique.

La Cappad (Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs) a publié officiellement vendredi son premier rapport annuel dans lequel elle déclare avoir reçu 434 demandes recevables d’accès à l’identité du donneur de spermatozoïdes, d’ovocytes ou d’embryons, qui a permis leur naissance.

Cette commission créée il y a un an pour permettre aux personnes nées d’un don anonyme de gamètes d’accéder à des informations sur le ou la donneuse n’a pourtant pu envoyer que trois réponses positives, selon l’AFP.

À noter également que les femmes constituent 74% des 434 demandes recevables, tandis que l’âge moyen des demandeurs est stable à 33 ans en 2023 contre 34 ans en 2022.

Un nombre infime
Toutefois, pour Alexandre Mercier, président de l’association PMAnonyme qui milite pour « l’accès aux origines », ces 434 demandes ne constituent qu’un nombre infime par rapport aux 70,000 cas d’enfants nés par PMA (procréation médicalement assistée) depuis la création des banques de spermes et d’ovules en 1973. Ce qui pourrait être dû selon lui au fait que « nombreuses personnes ne sont pas conscientes, à ce jour, de leur mode de conception; un sujet longtemps considéré comme tabou dans nos sociétés ».
Il considère notamment que divers périples administratifs aussi bien que psychologiques séparent les enfants nés par PMA de la découverte de leur réelle identité.
Une quête d’identité

La recherche de l’identité du parent biologique s’inscrit dans la quête d’identité personnelle, selon Dr. Manuela Braud, psychologue et chercheure en Sciences de l’éducation et co-fondatrice de Planète Résilience. Les personnes nées par PMA «même s’ils entretiennent une très bonne relation avec les parents qui les ont éduquées, ont besoin de savoir d’où ils viennent pour savoir un peu où ils vont », assure-t-elle.

Pour la spécialiste, cette quête ne se borne point au fait de découvrir l’identité des parents biologiques mais s’accompagne de la volonté de comprendre certains décalages, parfois même culturels, entre l’enfant et son entourage, soit la famille qui l’a éduqué.

Un décalage et une difficulté à se comprendre et à se cerner qui peut dans certains cas faire naître chez la personne en question une pénible sensation de vide.

« Certains patients me confient qu’ils ont l’impression de marcher tous les jours sur un sol qui n’est pas stable parce qu’il demeure quelque chose de leur identité de base qui leur reste inconnu », explique la psychologue usant de l’image d’un arbre sans racines.

Établir une filiation

 Outre l’exclusive quête d’identité, existe une volonté de la personne d’établir une filiation, de retracer sa lignée. Une volonté qui, selon Manuela Braud, peut émerger quand la personne devient à son tour parent.

 « La recherche de l’identité du donneur peut être un moyen pour la personne née par PMA de s’ancrer dans une forme de filiation et de transmission. Devenus à leur tour parents, ces personnes en question veulent souvent retracer leur lignée afin de savoir mieux expliquer leurs origines à leurs enfants », détaille la spécialiste.

Le parent fantasmé

 Pourtant cette quête identitaire peut se révéler comme étant un réel périple psychologique basé sur fond d’illusions.

« Parfois, les personnes qui recherchent leurs origines fantasment totalement le parent inconnu. Ils recherchent souvent dans ce parent fantasmé non connu la compensation des failles des parents qui les ont éduqués », affirme Manuela Braud établissant une comparaison avec le cas des personnes adoptées.

Selon elle, ces personnes considèrent fréquemment que les parents biologiques sont forcément de meilleurs parents que ceux qui les ont éduqués. Autrement dit, ils sont dans une recherche illusionnée de ce qu’ils n’ont pas.

« Certes ces personnes peuvent être plutôt satisfaites de découvrir d’où elles viennent mais il y a souvent une sorte de déception lors de la rencontre. Le contraste entre la réalité et le fantasme peut être réellement bouleversant », ajoute-t-elle.

Conflit de loyauté

 Sur cette quête d’identité personnelle vient se forger une peur de la personne de briser le lien avec les parents qui l’ont éduquée, ce qui peut parfois dissuader la fameuse quête des origines. Une peur qui relève selon Manuela Braud de « l’ordre du conflit de loyauté envers les parents ».

 « Bien souvent des personnes adultes qui recherchent leurs origines n’en parlent pas à leurs parents au début. La volonté de la recherche naît et se fait en premier lieu dans le secret », explique la spécialiste.

Elle dévoile notamment que certaines fois ces personnes, en comparaison avec les personnes adoptées, ne dévoilent leur recherche à leurs parents qui les ont éduqués que quasiment la veille de leur rencontre avec leur parents biologiques.

« Cette recherche est complètement légitime. Si la personne retrouve ses origines cela ne veut pas dire que le lien affectif avec les parents qui l’ont éduquée va se rompre. Bien au contraire », assure-t-elle définissant ces cas par ce qu’elle appelle une parentalité additive.

Yara EL GERMANY