Les « benzo », première substance dans les cas de soumission chimique

La famille des benzodiazépines est la première substance utilisée avec en tête le zolpidem (Stilnox), suivi du diazépam (Valium) et du bromazépam (Lexomil).

Hallucinations visuelles, trous de mémoire, après avoir fini son verre Maxie ne sent pas très bien. L’étudiante se souvient parfaitement de son état lors de cette soirée en boîte de nuit il y a quatre ans. Elle a également en mémoire l’homme avec qui elle discutait quelques minutes avant, et de sa main au-dessus de son gobelet. Maxie a vécu une soumission chimique, soit l’administration à des fins criminelles ou délictuelles de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace. Beaucoup pensent au Ghb, la fameuse « drogue du violeur », mais la substance la plus utilisée est celle des benzodiazépines. En 2017, dans 42% des cas de soumission chimique une « benzo » était retrouvée dans le sang de la victime d’après l’Agence nationale de sécurité du médicament, l’ANSM. En 2012, l’établissement public décide de colorer de bleu les gouttes du Rivotril, qui est alors un des médicaments les plus utilisés. Depuis, son détournement se fait plus rare et les cas de soumission chimique aux benzodiazépines ont diminué, passant de 57% en 2013 à 42% en 2017. Ils restent néanmoins prédominant avec le recours en particulier au Stilnox et au Valium.

VOIR AUSSI: Anxiolytiques: drogues sur ordonnance ?

Bertille Van Elslande et Clara Gilles

Et pour les hommes, ça a changé quelque chose Me Too ?

Me Too a-t-il eu un réel impact ? A en croire les hommes qui circulent à la Gare de l’Est ce jour-là, les avis divergent. Pour Mohamed, 39 ans, Me Too a remis en cause certaines choses : « Il y a eu un questionnement de ma part, mon rapport aux femmes a changé, et je réfléchis avant d’agir ». « Toucher à une femme pour moi, c’est grave », renchérit Jean-Michel, qui estime que « Me Too, ce n’est pas assez ». L’homme de 58 ans interroge quand même le côté « extrême », du mouvement. « Je connais quelqu’un qui a fait une blague. Et la personne a porté plainte. Maintenant, il va presque se faire virer », détaille-t-il.

Tous ne sont pas d’accord. Frédéric, 29 ans, se dit favorable à l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant, il ne se sent pas « impacté par le féminisme », malgré la volonté de ses amies de débattre de ces questions. Il avoue même ne pas être prêt à « militer dans la rue en faveur de plus de place pour les femmes ».

Pauline Weiss

Le féminisme et le cyber-harcèlement

D’après un rapport des Nations unies, 73% des femmes dans le monde ont été exposées à une forme de violence numérique. « Quand on prend des positions féministes sur les réseaux sociaux on se fait vite harceler ou tourner en ridicule », estime Marion Charpenel, auteure d’une thèse consacrée aux mémoires féministes. Pourtant, dans la loi, l’injure publique est passible de 12 000 € d’amende. Dans les faits, il est compliqué d’obtenir justice.

Les Internettes est un collectif qui encourage les femmes à investir l’espace numérique. Éléonore Maugais explique que la sous-représentation des femmes sur YouTube est liée au cyber-harcèlement : « Même s’il y a peu de cas, ils sont très violents et très médiatisés », ce qui intimide celles qui voudraient se lancer. Alors pour lutter, Les Internettes essayent de créer de la solidarité : « Par la bienveillance, on arrivera à s’en débarrasser : il faut que ceux qui aiment une vidéo le disent, pour noyer le flots de gens qui n’ont rien de mieux à faire que d’insulter ».

Iris Tréhin

Le nouvel élan du féminisme

En 2019, la parole des femmes s’est libérée. Une nouvelle génération de féministes a repris le flambeau. Ces nouvelles activistes investissent les réseaux sociaux et s’engagent sur de nouveaux terrains.

« Une génération bien énervée se prépare », se réjouit Anaïs Bourdet, créatrice de Paye ta schnek, le réseau qui recense, depuis 2012, des témoignages de femmes harcelées dans la rue. Elle s’exprime ce soir au Carreau du Temple, à Paris, dans le cadre du cycle de conférences Présent.e.s. La salle est comble et le public presque exclusivement composé de femmes. Elles sont majoritairement jeunes et représentent bien cette nouvelle génération de féministes qui reprennent le flambeau de leurs aînées. Elles veulent mettre fin au harcèlement de rue, voir plus de femmes à des postes de pouvoir et obtenir l’égalité salariale en entreprises. Elles veulent aussi briser les tabous qui entourent la vie de nombreuses femmes : les règles, le refus d’être mère, le plaisir féminin… En un mot, elles veulent obtenir une égalité réelle entre femmes et hommes.

Lauren Bastide et Anaïs Bourdet lors de la conférence sur le harcèlement de rue. (Photo Pauline Weiss)

« Tu as l’impression que les choses ont bougé ? » questionne Lauren Bastide, la journaliste qui reçoit ce soir Anaïs Bourdet. « Le seul moment où je pourrai dire que ça a avancé, c’est quand on pourra dire que le harcèlement a reculé », répond la graphiste et militante. « L’évolution qu’il y a eu, en six ans, c’est que les femmes ont pris conscience que ces comportements sont anormaux. Mais ils n’ont pas disparu », pointe du doigt Lauren Bastide.

Comment décrire ce nouvel élan, représenté par une grande diversité de femmes ? Des Femen aux Antigones, toutes les militantes n’ont pas le même mode d’action. Le mouvement Femen est né en Ukraine en 2008. Arrivé quelques années plus tard en France, il vise à lutter contre « les trois piliers du patriarcat » : dictature, religion et industrie du sexe. Leurs actions sont spectaculaires : seins nus et poing levé, la tête ornée d’une couronne de fleurs, slogans scandés et peints sur le corps. Un mode d’action très médiatisé qui propulse leur revendications sur le devant de la scène.

En 2016, Iseul, qui appartient au groupe Les Antigones, infiltre le mouvement Femen. Pendant deux mois, la jeune femme observe les militantes et participe à certaines actions. Elle diffuse ensuite une vidéo pour montrer combien les revendications des Femen sont aux antipodes de celles des Antigones. Ces deux mouvements montrent deux visages du nouveau féminisme français. Les Antigones se positionnent comme « différentialistes ». Pour elles, femmes et hommes sont naturellement différents. Elles se considèrent féministes, mais sont très critiques des mouvements actuels qui, selon elles, « prennent les formes imposées par les sphères médiatiques et politiques du jour : obsession du buzz, réaction émotionnelle à l’actualité sans recul critique, absence de réflexion de fond », explique Anne Trewby, présidente des Antigones.

Pour les femmes, se revendiquer féministe est moins simple qu’il n’y paraît. Marion Charpenel, docteure en sciences politiques est auteure d’une thèse consacrée aux mémoires féministes. Elle estime que le mouvement Me Too, né en octobre 2017 après l’affaire Weinstein, a permis à de nombreuses femmes et hommes de s’assumer comme étant féministes. « Mais cela reste un terme qui est toujours un peu connoté négativement ». Elle explique : « Le fait que la question des violences faites aux femmes prenne plus de place dans le débat public a fait que de nouvelles militantes ont rejoint le mouvement, de nouveaux collectifs ont vu le jour et des personnes qui n’étaient initialement pas du tout proches du mouvement féministe ont commencé à s’impliquer ».

Depuis quelques mois, le nombre de comptes féministes explose sur Instagram. En parlant de sexualité, de plaisir, de la place des femmes dans la société, des règles et du corps féminin, les « nouvelles féministes 2.0 » se sont emparées des réseaux sociaux. Marie Bongars en est un exemple. Suivie par plus de 14 400 personnes, elle propose quotidiennement, sur Instagram, une revue de presse sur la place des femmes dans le monde. En parallèle de son métier de kinésithérapeute, elle a également lancé un podcast Une sacrée paire d’ovaires. Chaque semaine, elle y présente une femme et son histoire. Cet engagement féministe a été renforcé par son expérience professionnelle : « En travaillant dans un univers quasi exclusivement masculin, j’ai dû me forger un caractère et être capable de répondre à toutes les stupidités ». L’activité de Marie Bongars sur Instagram est partie d’un constat, celui de la faible représentation des femmes dans les médias.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

C’est pour ça qu’il est PRIMORDIAL de se battre tous les jours ✊🏿✊🏼✊🏽

Une publication partagée par Marie Bongars (@mariebongars) le

Selon une étude menée par l’Institut National de l’Audiovisuel, les femmes n’occupent en moyenne qu’un tiers du temps de parole à la télévision et à la radio. Ce chiffre a « révolté » la journaliste Lauren Bastide et c’est d’ailleurs ce qui l’a poussée à lancer son podcast La Poudre, dans lequel elle donne la parole à une femme artiste, activiste, politique… Pour elle, c’est une « proposition de compensation » face à la sous-représentation des femmes dans les médias.

Les podcasts et les activités des militantes sur les réseaux sociaux ont un impact énorme sur les jeunes qui les écoutent ou les suivent. Âgées de 20 à 40 ans, ces nouvelles porte-paroles du féminisme ne se revendiquent pas comme héritières des icônes classiques. Fiona Schmidt avoue ne jamais avoir lu Simone de Beauvoir. Son icône à elle serait plutôt Virginie Despentes.

De son côté, Sarah, étudiante de 23 ans, s’inspire des nouvelles figures des réseaux sociaux qui animent des comptes féministes, comme l’illustratrice Diglee et Dora Moutot, du compte tasjoui. Elle a réellement découvert le féminisme au début de ses études en histoire de l’art, « sensibilisée par des amies ».  Mais la « vraie » révélation survient l’été dernier.  Pour Sarah, c’est tout ou rien : elle suit aujourd’hui plus d’une centaine de comptes sur Instagram et passe des heures à écouter des podcast tels que Quoi de meuf, Mansplaining et Les couilles sur la table. «  C’est un lieu où on se cultive, on apprend des choses. C’est un relai d’actualité culturel et politique », explique-t-elle. Son engagement féministe est désormais bien ancré : « C’est comme si j’avais mis des lunettes et que je voyais désormais le monde à travers ces lunettes que je ne peux plus enlever ». Scroller son fil Instagram serait-il devenu une activité militante ?

Parmi les comptes Instagram récemment créés, 28 jours compte 48 700 abonnés. (Photo Pauline Weiss)

Irenevrose, son pseudo, étudiante en arts de 20 ans et féministe, partage sur les réseaux sociaux son combat contre la précarité menstruelle. « La société ne considère pas que les protections hygiéniques sont un besoin ». Pour prouver le contraire, en février dernier, la jeune femme a passé une journée dans Paris, sans protection hygiénique. Elle a laissé son sang tâcher son pantalon clair. « Je ne demande pas la prise en charge des protections périodiques réutilisables pour toutes les personnes menstruées. Je l’exige. Vous n’êtes pas d’accord. Je tâche. Le sang coule et le sexisme tâche », écrivait-elle alors.

Parler librement des règles, c’est aussi l’objectif du documentaire 28 jours, sorti en octobre dernier. Il a été pensée par Angèle Marrey, Justine Courtot et Myriam Attia pour « briser un tabou ». Justine Courtot alimente le compte Instagram 28 jours qui « décomplexe les règles ». Sa « petite pierre à l’édifice », basé sur la collaboration, recense les questions que les intéressés lui posent. Elle informe avec des textes, des témoignages, des conseils, mais également des illustrations. « Beaucoup de mamans me remercient et me disent que grâce à moi, elles auront un support à montrer à leurs filles quand elles auront leurs règles », détaille la journaliste de 23 ans.

L’autre tabou brisé par 28 jours, c’est l’endométriose. Cette maladie touche aujourd’hui plus d’une femme sur dix. Un chiffre largement sous-estimé, selon la gynécologue obstétricienne Laura Berlingo. L’endométriose, c’est lorsque les cellules de l’endomètre (le sang qui s’écoule pendant les règles) vont, de manière aléatoire, dans des endroits où elles ne devraient pas aller : la vessie, les ovaires, le rectum… « Au moment des règles, ces cellules saignent aussi et font très très mal. Mais les douleurs peuvent aussi survenir lors des rapports sexuels ou en dehors des règles », explique la gynécologue. Elle ajoute qu’il y a « un très grand décalage entre les premiers signes et le diagnostic », environ sept ans.

Emma, créatrice du compte Féminise ta culture, est âgée de 25 ans. L’année dernière, elle a été diagnostiquée de l’endométriose.  « Le fait de mettre un mot dessus c’est un soulagement, jusque-là on disait que c’était dans ma tête ». Elle en parle sans tabous, mais ses proches ne comprennent pas toujours son état de fatigue chronique : « C’est une maladie invisible, donc je passe pour une flemmarde. Même ma mère ne comprend pas que j’ai parfois besoin de dormir 11 heures par nuit. »  

Pour la gynécologue Laura Berlingo, les maladies des femmes sont négligées par rapport à celles des hommes et ce, même dans la recherche. Après un accouchement difficile, certaines femmes ayant subi une épisiotomie [incision du périnée pour éviter les déchirures]  ont été mutilées. Elle a aussi pris conscience que dans les hôpitaux, les chefs de service sont souvent des hommes et qu’en cas de harcèlement, ils sont protégés. Laura Berlingo dénonce une « culture du secret réelle et forte, ce qui freine la libération de la parole ». Face à tout cela, elle a décidé de transmettre son savoir à travers des podcasts, tels que Coucou le Q et Qui m’a filé la chlamydia.

Dans son cabinet, la naturopathe Ilhame Boirie reçoit essentiellement des femmes. Souvent, leurs « problèmes de santé sont liés à des traumatismes suite à des agressions sexuelles », témoigne la praticienne. « Force est de constater que ces agressions sont donc très répandues », ajoute-t-elle. Selon une enquête réalisée par l’Institut national d’études démographiques, 1 femme sur 7 est agressée sexuellement au cours de sa vie. Cela touche particulièrement les jeunes femmes, et les violences sont très souvent perpétuées par un proche.

D’après le ministère de l’Intérieur, les plaintes pour viol ont augmenté de 17% en 2018. Le chiffre monte à 20% pour les agressions sexuelles. Une hausse sensible certainement liée au mouvement Me Too. Pour Anaïs Fuchs, avocate au Barreau de Strasbourg, les choses n’ont pas changé pour « Madame Tout le monde » : « Me Too a donné du courage aux femmes mais il n’y a pas eu de changement du côté des policiers ». Lorsqu’une femme va porter plainte, elle est souvent « mal reçue » et doit faire face à « une nouvelle violence ». « Ce n’est pas toujours le cas », modère l’avocate, « j’ai l’impression qu’aucune instruction n’a été donnée aux forces de police et qu’ils essaient de les décourager ».

Au Planning familial, les bénévoles ont bien mesuré l’ampleur du phénomène des violences sexuelles au moment de Me Too. Les femmes osent enfin en parler plus librement. Alors, la question des violences sexuelles et conjugales est devenue systématique, rapporte Nathalie Marinier, salariée depuis 1987. Mais ce n’est pas le seul combat qui se prépare dans les petits locaux du 10 rue Vivienne, dans le IIe arrondissement de Paris : « L’égalité salariale, l’acceptation de toutes les sexualités, la contraception masculine qui devrait exister depuis des décennies, le congé paternité égal à celui des femmes qui devrait être obligatoire depuis toujours… » énumère Bénédicte Paoli, militante bénévole.

Au Planning familial du IIe arrondissement de Paris, la question des violences sexuelles est désormais centrale. (Photo Iris Tréhin)

Et le combat passe aussi par les mots : « Le langage est fondamental. Employer le terme de salope à tout bout de champ pose question. Ceux qui l’emploient ne se rendent pas compte que ça induit un comportement et des représentations », déclare Sylvie Brodziak, professeure de littérature et d’études de genre à l’université de Cergy-Pontoise. Depuis toujours, elle se présente comme maîtresse de conférence. Face aux universitaires et éditeurs, ce fut une véritable lutte pour imposer ce terme. On lui opposait l’argument du statut : « Ça fait maîtresse des écoles, donc institutrice, ça dévalorise le titre » ou encore « Ça fait maîtresse, soit femme illégitime ». On lui disait aussi qu’il y a « beaucoup plus d’autorité dans le mot « maître » ». Pour elle, tout cela n’est qu’une question de pouvoir. Le 28 février dernier, l’Académie Française a voté en faveur de la féminisation des noms de métiers, actant ainsi de l’évolution de la langue. Sylvie Brodziak le vit comme « un acte de liberté », un moyen de tendre vers plus d’égalité.

Le combat est le même, sur les réseaux sociaux et sur le papier. À la Libraire des femmes, fondée en 1973, le personnel a remarqué un vrai changement ces dernières années. La clientèle s’est largement diversifiée : des jeunes femmes viennent les voir pour être conseillées dans leurs premières lectures féministes et des personnes plus âgées y ont aussi leurs habitudes. Mais depuis quelques temps, la Librairie des femmes reçoit également des hommes, de tous âges.

Pour appréhender le féminisme, la Librairie des femmes conseille un livre : « Chère Ijeawele. Un manifeste pour une éducation féministe » de Chimamanda Ngozi Adichie. (Photo Iris Tréhin)

Il faut dire que le féminisme n’est pas qu’une question de femmes. Les hommes ont un rôle à jouer dans ce combat vers l’égalité. Pour Anaïs Bourdet de Paye ta schnek, cela passe par l’éducation, mais aussi par leur détermination à « ne pas laisser des situations d’oppression continuer. Il faut que les hommes prennent cette question à leur charge de temps en temps ».

Iris Tréhin et Pauline Weiss

 

A lire aussi :

Le féminisme et le cyber-harcèlement

Et pour les hommes, ça a changé quelque chose Me Too ?