La mondialisation, c’est bientôt terminé ?

Les échanges internationaux connaissent un ralentissement ces dernières années. Pour certains économistes, ce ralentissement n’est qu’un retour à une période plus calme.

La célèbre pizza napolitaine a été inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco le 7 décembre. Les Italiens ont obtenu la protection de la recette traditionnelle de la pizza. Une façon de lutter contre la mondialisation de ce plat que certains mangent à l’ananas! Une aberration pour bon nombre de Napolitains.

La mondialisation a transformé la pizza comme l’ensemble des économies nationales. Ce qui désigne les échanges de biens, de services, de capitaux et de personnes à l’échelle internationale, a engendré une spécialisation des économies nationales. Car, chaque pays est devenu un maillon de la chaîne dans la production internationale. Par exemple, s’agissant de la pâte à tartiner Nutella du groupe Ferrero, les usines s’alimentent dans le monde entier. La Turquie fournit les noisettes, la Malaisie l’huile de palme et le Nigéria le cacao.

« Ce système est nécessaire au développement des pays émergents », insiste Sébastien Jean, directeur du Centre de recherche et d’expertise sur l’économie mondiale. «Les Brics [Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud] continuent dans la spécialisation nationale ». « Il ne faut pas oublier que la croissance a été sans précédente entre 1971 et 2008. C’est en grande partie liée à l’augmentation des échanges. La mondialisation a été encouragée durant cette période par le développement des quatre dragons (Taïwan, Corée du Sud, Singapour et Hong Kong) et la disparition du rideau de fer », ajoute-t-il.

La période actuelle observe malgré tout un ralentissement de la mondialisation. Pour Sébastien Jean, cela s’explique par la crise économique de 2008, mais pas seulement. « On a assisté à un boom des échanges jusqu’au début des années 2000. C’était lié à l’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les échanges aujourd’hui diminuent car nous revenons simplement à période plus calme », avance-t-il. L’entrée dans une nouvelle période de l’histoire de la mondialisation est à l’origine de la baisse de la croissance du commerce dans le monde.

Même si la mondialisation a permis aux pays émergents de rattraper en partie les pays développés, dans certains Etats la méfiance envers la mondialisation grandit. Le président américain Donald Trump souhaite imposer une taxe sur les produits chinois. En Europe, l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne (TAFTA) a rencontré l’opposition d’une partie de la société civile et des politiques, interrompant les négociations.

La montée des inégalités dans les pays développés serait à l’origine de cette remise en question de la mondialisation pour Pierre-Noël Giraud, professeur à l’université Paris-Dauphine. Dans une interview à Alternatives économiques, il explique que l’apparition du chômage a pour origine la diminution des emplois « nomades ». Ce sont les métiers qui se pratiquent partout et sont donc en concurrence avec le reste du monde. Cela correspond, par exemple, aux emplois dans le secteur industriel qui ont été délocalisés dans les pays où le coût du travail était plus faible. Les personnes qui perdent leur emploi « nomade » sont renvoyées aux métiers que Pierre-Noël Giraud qualifie de « sédentaires », attachés à un territoire. Mais ces emplois baissent également car ils dépendent de la demande des « nomades ».

Pour inverser le processus il faudrait soutenir la compétitivité des emplois « nomades » et « stimuler un secteur sédentaire, de production et d’échange de proximité », selon Pierre-Noël Giraud. Il appelle à densifier les offres de services locaux. « Il faut que les gens aient envie davantage de se rencontrer au restaurant, puis d’aller au spectacle, que de se mettre devant Netflix avec une pizza surgelée », lance-t-il aux journalistes d’Alternatives Economiques. Il ne remet cependant pas en question l’utilité de ces échanges internationaux pour le développement: « grâce à ce phénomène près de 4 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté absolue ».

Elisa Centis et Alice Pattyn

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Gaspillage alimentaire : vrai geste pour la planète ou coup de com’ ?

Chaque année, un Français jette plus de vingt kilos de déchets alimentaires. ©CreativeCommons
Chaque année, un Français jette plus de vingt kilos de déchets alimentaires.
©CreativeCommons

 

Le gaspillage alimentaire coûterait deux à trois fois plus cher à la France que la dette de la sécurité sociale. Plusieurs alternatives ont été mises en place pour palier à ce fléau. N’est-ce pas aussi un nouveau moyen marketing pour les revendeurs ?

 

Quelques haricots verts, des tomates, des champignons, des mûres et des kakis. Le tout, pour 4 euros. Des fruits et des légumes qui risquaient, d’une minute à l’autre, de finir au fond de la poubelle dans ce petit primeur du 10ème arrondissement de Paris. L’application Too Good to Go fait partie de ces nouvelles start-up qui luttent contre le gaspillage alimentaire.

Le principe  de ce genre d’applications est simple, autant pour le consommateur que pour le revendeur. Pour l’utilisateur, il suffit de télécharger l’application, de se géolocaliser pour pouvoir faire une commande le plus proche de chez lui, et de se rendre dans le point de vente choisi pour récupérer son panier. Boulangers, restaurants, grandes surfaces ou primeurs peuvent faire un geste pour la planète en “vendant leurs invendus”. Mais ils maximisent aussi leur chiffre d’affaires : en moyenne, cela leur rapporte 300 euros par mois. L’application de son côté garde une commission d’un euro sur la somme payée aux commerçants.

Chaque année, plus de 20 kilos de déchets alimentaires sont jetés par chaque français. Au niveau mondial, cela représenterait plus de 350 milliards d’euros : un tiers des aliments destinés à la consommation humaine est perdu tout au long de la chaîne alimentaire. La lutte contre le gaspillage alimentaire n’en est qu’à ses débuts et peine à fonctionner réellement dans l’Union Européenne, alors qu’une partie de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. S’ajoute à cela la future raréfaction de la nourriture qui, selon les scientifiques, devrait arriver plus tôt que prévu, et l’impact environnemental avec une surconsommation de CO2.

Limiter le gaspillage alimentaire 

 

Too Good to go n’est pas la seule start-up à s’être lancée dans l’anti gaspillage alimentaire. Depuis 2016, la loi Garot, unique en Europe, oblige les supermarchés à distribuer les invendus alimentaires aux associations et interdit “pour les distributeurs, de rendre impropres à la consommation des invendus encore consommables”. Ceux qui refusent de donner écopent d’une amende de 3750 euros. Depuis la promulgation de la loi, 5000 nouvelles associations se sont créées pour récupérer et distribuer des invendus. Cette loi était en effet attendue puisque certaines grandes enseignes étaient (et certaines le sont encore) suspectées d’asperger leurs invendus avec de la javel, pour empêcher les personnes sans-abris de les récupérer.

Les bons et les mauvais élèves de l'anti-gaspi
Les bons et les mauvais élèves de l’anti-gaspi

 

Alors, véritable geste pour la planète ou coup de pub pour fidéliser et voir grossir son chiffre d’affaires ? Si la loi oblige à distribuer les déchets alimentaires, c’est seulement aux associations, et sans aucune somme en contrepartie. Or, ces nouvelles applications permettent aux commerçants de revendre leurs produits qui auraient fini à la poubelle : parfois même, ces invendus sont périmés. De peu, mais par exemple un paquet de filets de poulet pourra avoir dépassé les deux jours de la date de péremption. Pour eux, l’intérêt de réduire le gaspillage alimentaire est d’abord économique. Et pour certains, cela leur permet de faire « bonne figure » auprès de leur clientèle. Un avantage certain pour ces supermarchés, mais le tableau n’est pas si noir : depuis cette loi, environ 10 millions de repas ont été distribués à des personnes nécessiteuses.

 

 

Dorine Goth et Léa Broquerie

Entre révolte et incompréhension, le combat d’une mère pour son fils trisomique

Gaëlle Loiseau élève seule ses quatre enfants, dont Jérémie, 17 ans, atteint d’une trisomie 21 doublée d’un autisme. Les possibilités d’avenir professionnel pour son fils sont limitées, voire inexistantes. Plus les années passent et plus l’inquiétude gagne la mère de famille. Témoignage.

Attablée dans le salon, une grande tasse de thé à la main, Gaëlle Loiseau profite enfin d’un moment rien qu’à elle. A 43 ans, cette mère célibataire d’une famille de quatre enfants est secrétaire médicale à l’hôpital Hôtel Dieu, à Paris. Deux de ses enfants sont en situation de handicap : Jérémie, 17 ans, atteint d’une trisomie 21 doublée d’un autisme, et Mathis, 9 ans, souffrant d’une déficience intellectuelle. Elever un fils en situation de handicap lourd est un travail à temps plein pour cette mère de famille, mais la joie de vivre de Jérémie lui fait oublier tous les sacrifices qu’elle a réalisés jusqu’à présent.

20 ans : étape charnière dans la vie d’un jeune en situation de handicap

A 17 ans, Jérémie ne parle pas. « Mon fils a suivi un cursus dit « normal » jusqu’à ses cinq ans. Il est allé, comme tous les enfants de son âge, à la crèche, mais impossible pour lui de passer en CP. Il a alors été orienté vers une ULIS (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire), raconte la quadragénaire. Étant donné que Jérémie ne parlait pas, il n’y avait aucun intérêt pour lui à ce qu’il reste dans ce milieu, vu que tout lui était abstrait. C’est pourquoi à 9 ans, il a été orienté vers un Institut Médico-Educatif (IME) ». L’année dernière, Jérémie bascule sur l’IMPRO de Neuilly-sur-Seine, l’équivalent du lycée pour les jeunes en situation de handicap. Grâce à ce cursus, les adolescents apprennent un métier, préparent la cuisine, font du repassage, du ménage, de la couture et du pliage d’enveloppes pour les envois postaux. « Certains enfants peuvent y arriver, mais Jérémie ne sait ni lire ni écrire ». D’ici trois ans, il devra quitter l’IMPRO, qui n’accueille les jeunes que jusqu’à leurs 20 ans. Mais impossible pour l’adolescent d’accéder à un ESAT (Etablissement et Services d’Aide par le Travail), ce que permet et promet pourtant l’IMPRO dans laquelle il est accueilli. « Avoir 20 ans, c’est passer un cap pour les personnes en situation de handicap incapables de travailler en ESAT. Elles ne disposent plus d’aucune structure et les soins médicaux ne sont plus à charge », admet Gaëlle Loiseau. Après ce cursus, deux choix s’offrent alors à Jérémie. Passer le reste de sa vie dans un Centre d’Activité de Jour (CAJ), où les jeunes n’apprennent plus de métier mais apprennent à vivre en communauté, à préparer les repas et faire les courses.

Le foyer de résidence pour les jeunes en situation de handicap est une autre de ces possibilités. Mais pour Gaëlle Loiseau, pas question d’envoyer son fils en internat. « Les cas de maltraitance y sont trop nombreux et Jérémie ne sera pas capable de nous en faire part », justifie la mère de famille.

Catalogués dès l’enfance

La quadragénaire en est persuadée : si les personnes en situation de handicap peinent à trouver du travail, c’est à cause de la perception et de la méconnaissance de la société actuelle vis-à-vis du handicap lui-même. « Nous sommes dans un système qui cloisonne trop et qui n’est pas assez ouvert ni à l’écoute des sens des gens, déplore Gaëlle Loiseau. De même pour les personnes qui ont beaucoup de créativité, elles seront écrasées par le cursus scolaire qui fait que l’on ne prête pas attention à tout ce qui est de l’ordre de l’imaginaire ».

Selon la mère de famille, le potentiel qu’ont les jeunes en situation de handicap n’est ni assez reconnu, ni assez exploité.

En entreprise, la polyvalence est de rigueur. « Il est prouvé que les personnes atteintes d’un handicap mental peuvent se concentrer sur une seule tâche à la fois. En théorie, la vie en entreprise n’est pas adaptée pour eux, explique Gaëlle Loiseau. Par contre, lorsque l’entreprise s’adapte à son personnel autiste et lui consacre une seule et même tâche, elle réalise que ces personnes sont extrêmement intelligentes sur un domaine bien donné. Les entreprises ont beaucoup à gagner : pouvoir exploiter le potentiel des personnes en situation de handicap nous offre une vision différente de la vie ».

Toutefois, Gaëlle Loiseau reste pessimiste quant à l’avenir professionnel des jeunes en situation de handicap. « Depuis 2005, il y a énormément de choses qui ont bougé au niveau de la petite enfance, mais passée la sphère adulte, d’autres enjeux font que les entreprises n’ont pas forcément d’intérêt à intégrer, au sein de leurs équipes, des personnes en situation de handicap ».

Comme la mère de Jérémie, les parents d’enfants en situation de handicap se révoltent face aux cursus inadaptés et impersonnels, dans le milieu éducatif. Le chemin à parcourir reste encore long, pour voir, un jour, des jeunes en situation de handicap intégrer durablement les entreprises.

Marie Lecoq

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couture

Gérard Zribi est président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’ESAT (Etablissement ou service d’aide par le travail), l’Andicat, et auteur de plusieurs ouvrages sur le handicap dont “L’avenir du travail protégé, les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées”. Pour lui, ces structures sont essentielles car elles offrent un cadre de travail protégé à des personnes qui ne pourraient pas s’épanouir dans le monde de l’entreprise ordinaire.

Quelles solutions peuvent permettre aux jeunes en situation de handicap mental de s’intégrer sur le marché du travail ?

Il n’y a pas réellement de distinction entre les âges en ce qui concerne l’accès au travail des personnes atteints de déficiences mentales, la différence se fait plutôt au niveau des capacités. J’ai toujours défendu le droit au travail pour tous ceux qui sont en capacité de travailler et en ont la motivation. L’une des modalités d’intégration est l’ESAT ou établissement et service d’aide par le travail. C’est un organisme à l’articulation sociale et économique qui reçoit à peu près 93% de handicapés mentaux et psychiques et donc peu de handicapés moteurs ou sensoriels. Ces centres proposent des activités professionnelles très variées, couplées d’une formation professionnelle et d’un accompagnement. Les travailleurs sont rémunérés. Les ESAT adaptent les compétences professionnelles à la prise en charge de travailleurs aux pathologies de plus en plus complexes. Elles font un très gros travail d’adaptation.

Il existe également des « entreprises adaptées », financées pour répondre à un but social et destinées à des personnes qui ont eu un emploi dans le milieu ordinaire, des personnes plus autonomes et qui ont des compétences professionnelles. Et enfin, il y a quelques emplois en milieu ordinaire. La France a un beau dispositif social au niveau de l’emploi des handicapés. On entend un discours négatif au niveau national mais on a l’un des dispositifs les meilleurs d’Europe.

Quels domaines de travail sont à privilégier et pour quelles raisons ?

Il faut privilégier des activités qui sont de vrais métiers mais qui ne nécessitent pas de formation poussée : le conditionnement, la couture, le jardinage, la blanchisserie industrielle, l’hôtellerie, le tourisme etc. Et ce sont des domaines qui peuvent être découpés en tâches plus simples ou plus complexes.

Il faut tout de même faire un gros travail de formation à la base du métier et apporter un accompagnement aux travailleurs. Environ 20 à 30% de l’activité de ces ESAT est de la sous-traitance industrielle pour des entreprises qui s’en servent pour respecter les quotas d’embauche de travailleurs handicapés et le reste sont des contrats, notamment pour des collectivités locales

Quelles formations les jeunes peuvent-ils suivre pour accéder à ces ESAT ?

Avant d’intégrer un ESAT, les jeunes sont souvent dans des centres d’apprentissage pratique ou des externats médico-professionnels. Il existe plusieurs filières de formation qui sont en train de s’accentuer et c’est une bonne chose.

 

Propos recueillis par Clara Charles


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