PODCAST : Violences conjugales, des femmes sous emprise

En 2023, 271 000 personnes, dont 85 % de femmes, ont été recensées comme victimes de violences conjugales. « On m’a souvent dit : “Pourquoi tu n’es pas partie plus tôt ?” Partir, ce n’est pas si facile », confie Alizée, elle-même victime. De plus en plus de spécialistes soulignent le rôle central de l’emprise, un mécanisme psychologique insidieux, destructeur et profondément paralysant.

En mai 2006, Morgane, autrice habitant en région parisienne, rencontre Yassine. C’est l’amour fou : cadeaux, petites attentions… Le jeune homme lui en met plein les yeux. Quelques mois plus tard, le couple emménage ensemble. Aux premiers jours de leur vie conjugale, Yassine ne manifeste aucune violence. Lorsqu’ils ont d’anodines disputes, Morgane, qui a un fort caractère, lui tient tête. L’idylle se transforme en cauchemar plus d’un an après le début de la relation, lorsqu’elle tombe enceinte : « À partir du moment où il a su que je gardais le bébé, il a pensé que je lui appartenais, que j’étais sa chose. » La première claque arrive. Morgane est sidérée. Elle sait que ce n’est pas normal : « À ce moment-là, j’étais sur le point de fonder une famille. J’avais honte. Je ne voulais pas montrer à mes parents que j’avais échoué. » 

Un début idyllique… Processus systématique dans le cycle des violences conjugales. « La plupart des femmes disent combien l’homme rencontré est un prince charmant. Il est doux, gentil, attentif, serviable », explique Liliane Daligand, psychiatre en médecine légale et autrice du livre Violences conjugales en guise d’amour, dans lequel elle retrace le parcours de neuf femmes victimes et trois hommes auteurs de violences conjugales. Mais rapidement, le « conte de fée » se transforme en un cauchemar où le prince se révèle être un bourreau : « Vont apparaître des moments d’agacement et de colère. Peu à peu, il va y avoir une sorte de volonté d’isolement de l’autre qui doit être tout à moi », note la psychiatre. 

Liliane Daligand, psychiatre en médecine légale, a dédié de nombreuses années à étudier les violences conjugales et l’emprise

 

 

 

 

 

 

 

PODCAST : Interview complète de Liliane Daligand

L’isolement, une emprise silencieuse

Après l’accouchement de Morgane, Yassine l’isole complètement : « Il dénigrait ma famille, mes amis… Mais en le sous-entendant, jamais frontalement. C’était insidieux, vicieux. Petit à petit, je n’allais plus voir mes amis », raconte-t-elle

Ce mécanisme de l’isolement, Nathalie, 54 ans, l’a vécu avec son ex-compagnon. Elle a 24 ans lorsqu’elle rencontre Charles au cours d’une formation associative, dans le cadre de son travail de fonctionnaire. À l’époque, Charles y est salarié. Elle décrit un début de relation sincère avec un homme « bien, cultivé, intéressant, attentionné et ouvert sur ses idées ». Comme pour Morgane, le début de la relation de la quinquagénaire ne laisse présager aucune violence. Pourtant, en silence, la stratégie de l’emprise s’installe. « Petit à petit, il a commencé à me dévaloriser dans de longs monologues. Puis il entrait dans un mutisme de plusieurs jours, provoquant une immense culpabilité chez moi. Ensuite, il revenait comme si de rien n’était et redevenait l’homme que j’avais rencontré, dans l’écoute et le respect », explique-t-elle.

Nathalie, 54 ans, est progressivement réduite à l’isolement avec Charles

Puis, « dès qu’il rencontrait quelqu’un, il avait quelque chose de négatif à dire sur cette personne. Ce n’était jamais frontal, toujours sous-entendu, se rappelle la fonctionnaire. Je finissais par remettre en question mes relations amicales. » Sortir seule devient de plus en plus difficile pour la jeune femme, accusée d’entretenir des relations avec ses amis masculins. « Il y avait toujours une histoire de relation amoureuse cachée que, selon lui, je ne voyais pas », explique-t-elle.

« Je ne pouvais pas le quitter, il me faisait trop peur »

Une fois la femme réduite à l’isolement, les violences deviennent regulières. Lorsqu’Alizée, entrepreneuse bordelaise de 28 ans, emménage en Espagne avec Arthur, leur foyer conjugal devient un huis clos et les disputes, de plus en plus violentes. Elle le rencontre en février 2016 sur Facebook. Arthur est le petit ami idéal : leur relation est fusionnelle. Mais très vite, les disputes arrivent et deviennent fréquentes. Des disputes auxquelles il répond toujours par des cadeaux. Quand la jeune femme veut le quitter, la mère de son compagnon lui propose de « soigner sa noirceur ensemble ». Alizée se sent alors investie de la mission de le sauver, ce qui marque un tournant dans leur relation : « Lorsqu’il y avait une dispute, il prenait mon téléphone et m’enfermait dans une pièce jusqu’à ce que je lui dise qu’on reste ensemble. Lorsque ça ne marchait pas, il me faisait croire qu’il faisait une crise d’épilepsie et que je devais rester pour le sauver. Les disputes pouvaient être violentes. Au début, il me poussait. Puis une fois, j’ai fini au sol avec son genou sur ma tête. » Arthur fait culpabiliser sa compagne en lui disant que ses relations conflictuelles avec son père sont la source de leurs problèmes, puis se met régulièrement en position de victime pour justifier son comportement : « Je me dis que je ne peux pas le quitter, l’abandonner. Je suis convaincue qu’il ne peut pas vivre sans moi. »

En Espagne, Alizée, isolée, fait face à des violences de plus en plus régulières

De son côté, Morgane, recluse à son domicile pour s’occuper de son fils, fait face à un déferlement de violences : « Il avait mis en place un compte à rebours. Notre fils se couchant à quatorze heures, il me disait : “Je vais te taper dans cinq heures, dans quatre heures…” » Quelques fois, l’autrice a des moments de repos où Yassine va lui offrir des cadeaux pour se faire pardonner. Des cadeaux toujours à l’échelle des coups qu’il lui portait. « Je ne pouvais pas le quitter, il me faisait trop peur. J’avais peur du jour où il allait me mettre le mauvais coup, le coup de trop. Il disait que s’il me tuait, il jetterait mon corps dans la Seine en faisant croire à un suicide. C’était ma plus grande peur : que mon fils puisse penser que je l’avais abandonné », se rappelle la jeune mère. Nathalie, devenue mère de deux petites filles, évolue, comme Morgane, dans un environnement de peur paralysant. « Petit à petit, il installait la peur. C’était diffus, permanent. Et c’est ça qui nous retient », analyse-t-elle.

Un cycle destructeur difficile à rompre

La peur instaurée par les hommes violents participe à l’emprise, que Liliane Daligand décrit comme « une volonté de dominer l’autre, de le réduire à un objet manipulable ». L’experte distingue trois dimensions : la possession, qui nie l’autre en tant que sujet ; la domination, qui maintient la victime dans une soumission et une dépendance totale ; l’empreinte, qui vise à marquer la personne physiquement et psychiquement.

L’emprise s’illustre de manière cyclique. Le cycle de la violence commence par une montée de tension, puis éclate en actes violents : cris, coups, insultes. Vient ensuite la phase de justification, où la victime finit par se blâmer elle-même. Enfin, l’auteur cherche à se faire pardonner et promet de changer. Ce cycle peut durer des mois, des années, car « la victime va croire à ses promesses, c’est pour ça qu’elle va rester », détaille la psychiatre.

Privée de ses désirs et de son essence, la victime en vient parfois à penser : « Quand il ne me bat pas, je n’existe pas. » Et, malgré les tentatives de fuite, la teneur de l’emprise est telle qu’il faut parfois « de multiples séparations avant une éventuelle séparation définitive ». D’autant que la possibilité pour les femmes de sortir de ce cycle d’emprise grâce à leur famille ou à leurs proches est souvent limitée par le système d’isolement dont elles font l’objet. Parfois, « la famille peut ne rien voir, parce qu’il y a des auteurs de violences qui peuvent apparaître en société comme de bons professionnels, de bons amis, de bons copains, presque de bons maris, finalement », analyse Liliane Daligand.

« Le plus dur c’est d’avoir compris trop tard »

Lorsque Michel et Martine, les parents de Nathalie, rencontrent le compagnon de leur fille, ils sont conquis par celui qui semble être le gendre idéal. Pourtant, quelques signes les alarment : leur fille, passionnée de chant, se voit interdire de faire de la chorale, elle a de moins en moins d’amis, des remarques dévalorisantes sont lancées par son compagnon en repas de famille… Le déclic pour ces instituteurs à la retraite survient en février 2009. Une altercation éclate entre Martine et son gendre. Les parents de la fonctionnaire quittent le domicile de leur fille avec l’intention de ne jamais y retourner. Une semaine après leur départ précipité, le téléphone sonne : « Nathalie nous explique pour la première fois ce qu’elle vit vraiment. Elle est prête à partir. Elle me remercie que cette altercation soit arrivée, ça lui donne de la force », se souvient Michel avec émotion. « Le plus dur, c’est d’avoir compris trop tard », poursuit le père de famille qui est tombé plusieurs années en dépression suite à ce choc émotionnel.

L’emprise de Nathalie a plongé Michel, son père, plusieurs années en dépression suite à ce choc émotionnel

L’altercation entre Charles et Martine vient confirmer les doutes de la quinquagénaire : « Lors d’une formation sur les violences conjugales dans le cadre de mon travail, on décrivait les critères des violences conjugales et je me suis dit : “Mais en fait, on parle de moi.” » Elle commence à faire des recherches, en silence, et réfléchit à partir. Quelques mois avant le départ, elle refuse de dormir avec Charles. « Il a jeté le matelas, m’a poussée, se souvient-elle. Il n’acceptait pas que je ne sois plus à lui. » La tension franchit un nouveau cap face à ses menaces : « Si tu fais ça, un jour tu te réveilleras avec un couteau dans le corps. Fais attention à tes filles. »

Sortir de l’emprise, une fuite au péril de leur vie

La fuite est donc minutieusement orchestrée avec l’aide de ses parents. Tandis que Charles est convoqué au commissariat pour être auditionné, Nathalie remplit des sacs poubelle avec ses affaires et celles de ses filles. Elle part. Mais la violence ne s’arrête pas là. « Il m’appelait sans cesse, menaçait de m’enlever mes enfants, de me tuer », note-t-elle. Elle engage une procédure pour l’expulser du domicile conjugal, alors à son nom à elle. Deux mois d’errance suivent, avant qu’elle réintègre enfin sa maison. Elle découvre alors un décor glaçant. « “Salope” était tagué partout, mes vêtements déchirés, la prise de terre d’une ampoule retirée. L’électricien m’a dit : “Quelqu’un a essayé de vous tuer.” » Sa plainte pour violences conjugales et menaces de mort sera classée sans suite.

« C’est le déclic, je suis partie. »

Pour Alizée, le départ est plus long et brutal. Lorsqu’elle rentre en France avec son copain, elle part aussitôt travailler loin de lui, dans une autre région, pour l’été. Elle s’épanouit et réalise que ce qu’elle vit au sein de son couple n’est pas normal. À la rentrée, le couple se sépare mais Arthur n’a pas d’argent et, durant six mois, ils cohabitent : « Un matin, il débarque en furie dans ma chambre. Je me réfugie dans la salle de bains mais il me suit en me criant dessus. Puis, il me tabasse en écrasant ma tête contre la baignoire et casse mon téléphone. Je crois mourir. Il m’enferme ensuite dans le salon et je vais profiter d’un moment de répit pour m’enfuir. Mais, il me rattrape et m’étrangle à la porte d’entrée. J’appelle au secours. Il prend peur et me jette dehors. C’est le déclic, je suis partie. »

Le départ du foyer conjugal est souvent risqué et le résultat d’un long chemin psychologique

La sortie de cette emprise n’a pas non plus été simple pour Morgane. L’élément déclencheur survient en 2011 quand elle invente un subterfuge pour aller voir un ami de longue date. Il voit arriver la jeune femme en pull en plein mois de juillet et comprend tout de suite que quelque chose ne va pas. Sur les conseils de son ami, elle porte plainte le lendemain, avant de la retirer trois jours plus tard. Par peur. Mais le policier qui retire sa plainte oriente Morgane vers l’association Du côté des Femmes avec qui elle va prendre contact : « J’avais rendez-vous une fois par semaine avec la psychologue de l’association et ça m’aidait. Ça plantait des graines. » Des graines qui vont porter leurs fruits cinq mois plus tard, après un énième passage à tabac, où elle appelle la police. Yassine est interpellé.

« En vivant en foyer, je vais retrouver ma vraie personnalité »

Jugé en comparution immédiate, il est condamné pour violences conjugales à dix-huit mois de prison dont douze mois ferme. Morgane pense que c’est la fin de quatre années de violence et de peur. Mais en septembre 2012, au bout de cinq mois de prison, Yassine sort pour « bonne conduite ». Morgane ne dispose que d’une mesure d’éloignement de trois mois. Lorsqu’elle se termine, il entre par la fenêtre et s’installe dans la maison à plusieurs reprises, non pour la frapper mais pour alimenter la peur.

S’ensuivent des mois de fuite et de déménagements de foyer en foyer pour assurer sa sécurité et celle de son fils. « En vivant en foyer, je vais retrouver ma vraie personnalité, ça va me permettre de sortir de l’emprise, de la peur. » Le harcèlement de Morgane s’arrête en 2015, lorsqu’elle sort son livre pour témoigner de son enfer : Il m’a volé ma vie. Yassine est démasqué. Il a honte. 

Des structures pour aider à fuir et à se reconstruire

L’association Du côté des Femmes a été un vrai tremplin pour l’autrice dans sa fuite de l’emprise et du foyer conjugal. Depuis son départ en 2011, de nombreuses structures se sont organisées pour aider les femmes à sortir de l’emprise. « Vivez-vous ou avez-vous vécu des violences ? » C’est désormais une question systématique, posée à chaque patiente accueillie à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis. En cas de réponse positive, le personnel oriente sans délai la patiente vers la Maison des femmes Restart rattachée à l’hôpital, où une prise en charge spécifique débute. « On essaye de les accompagner vers la sortie de l’emprise en les aidant à comprendre ce qu’elles vivent », détaille Mathilde Gaillard, la chargée de communication de la structure.

À la Maison des femmes Restart, à Saint-Denis, divers ateliers sont proposés pour aider les femmes à libérer la parole et à se reconstruire

Chaque semaine, des groupes de paroles encadrés par une psychologue sont proposés par la structure : « Entendre d’autres récits aide à dénormaliser certaines situations et à se dire : “ce que j’ai vécu, ce n’est pas acceptable” », souligne encore la chargée de communication de la structure. La parole se libère aussi en entretiens individuels. Rosalie, infirmière à la Maison des femmes depuis neuf ans, est souvent la première à recueillir ces confidences. À partir du récit livré, elle évalue les besoins, établit les urgences, et oriente vers les professionnels adéquats. Mais elle le rappelle : « Quand on est dans une emprise pendant plusieurs années, ce n’est pas en un entretien qu’on en sort. Une seule discussion peut prendre des mois à faire son chemin. Certaines femmes nous rappellent un an après. On sait qu’on plante des graines, et qu’en une simple discussion on a commencé à fissurer le cercle de l’emprise et de la violence. »

Les infirmières de la structure montrent le cycle de la violence aux femmes pour qu’elles se rendent compte de ce qu’elles vivent

Une fois le cercle de l’emprise brisé, le travail est à la reconstruction pour ces femmes qui affrontent souvent, seules, l’incompréhension de la société, la lenteur de la justice et leur détresse émotionnelle. Encore aujourd’hui, au domicile de Morgane et son fils, Yassine revient tambouriner environ deux fois par an et la harcèle avec des appels : « Je n’ai plus peur. Je me suis reconstruite grâce aux livres et à mes conférences. Témoigner m’a permis de reprendre le contrôle de mon histoire. Mon livre a aidé d’autres femmes et c’est ma plus grande récompense. N’ayons pas honte d’être victimes ! » conclut la survivante.

Léna-Marie Laquembé et Carole-Anne Try

Des affrontements en marge du match OM-Angers

A la fin du match OM-Angers-SCO ce mercredi soir, des violences ont éclaté entre les supporters des deux clubs.

Énième affrontement ce mercredi sur terrain de football. Après Lens la semaine dernière, c’est au tour des supporters de l’Olympique de Marseille et de l’Angers-SCO de faire preuve de violence.

Fumigènes, insultes, deux interpellations : après 90 minutes conclues par un match nul, la situation a dégénéré de manière confuse. « Il y a eu une provocation de la part de la tribune angevine, avec des doigts d’honneur et des pétards qui ont été envoyés du côté angevin vers les Marseillais », explique Jacques Cardoze, responsable de la communication de l’OM. « Les Marseillais ont répondu, c’est un schéma classique et stupide, d’un côté et de l’autre. Je n’accuse personne.»


Xavier Thuilot, directeur général de l’Angers-SCO, ne souhaite pas enter dans «une quelconque guerre des clubs». «Pour moi, la solution à ce type d’incidents ne peut être que collective», analyse-t-il. «Pour moi, il n’y a pas eu de dysfonctionnement dans l’organisation, et je ne vois pas en quoi nous avons failli. »

500 à 600 supporters de l’OM étaient attendus dans le stade angevin. Le match était placé sous surveillance, avec la présence d’une compagnie de gendarmes mobiles et de la police. Aucun heurt à déplorer jusqu’à la fin du match, même si les olympiens avaient pointé la facilité d’accessibilité à la pelouse pour les supporters, entraînant un potentiel risque de sécurité.

Selon RMC Sport, une commission de discipline exceptionnelle de la Ligue de Football Professionnel se réunit ce jeudi soir pour traiter des derniers événements. Une enquête est ouverte par le Procureur de la République d’Angers (Maine-et-Loire).

Charlotte de Frémont

Cannabis : un « or vert » pour l’économie française ?

Serpent de mer de la politique française, le débat sur la légalisation du cannabis revient sur le devant de la scène. Ses partisans mettent aujourd’hui en avant l’intérêt économique qu’il y aurait à légaliser. Toutefois, il reste difficile d’évaluer ce que la France y gagnerait vraiment.  

Deux milliards d’euros de recettes fiscales. Entre 27.500 et 80.000 nouveaux emplois. C’est ce qu’engendrerait la légalisation réglementée du cannabis récréatif en France, d’après le rapport de la députée La République en Marche (LREM) Caroline Janvier rendu le 6 mai 2021. Les députés arrivent à cette estimation en comptabilisant économies policières, taxes perçues sur les ventes et cotisations des salariés de la filière nouvellement créée. Autrement dit, la « légalisation encadrée » prônée par la mission parlementaire serait l’opportunité d’accroître la richesse nationale, tout en sortant d’une d’une prohibition jugée inefficace.

Chaque année, la France dépense plus d’un milliard d’euros pour lutter contre le trafic et la consommation de cannabis. Sans compter le coût du passage des consommateurs et des petits trafiquants devant des tribunaux surchargés, ni le coût social exorbitant de la violence et de la misère des banlieues gangrenées par le trafic. « Le statu quo n’est donc pas tenable » conclut la députée de la majorité dans le texte de la mission d’information parlementaire. Alors, légaliser, serait-ce la solution miracle ? 

© Joséphine Boone

Le débat ressurgit en France alors qu’Emmanuel Macron expliquait en avril vouloir « un grand débat national sur la consommation de drogue », tout en excluant la légalisation du cannabis récréatif. Le pays fait aujourd’hui figure d’exception par rapport à ses voisins qui ont pour bonne partie dépénalisé ou légalisé la consommation de cannabis. Or, l’Hexagone est le champion de la consommation de cannabis en Europe : cinq millions de Français affirment consommer une fois par an au moins, et ils sont même 900 000 à le faire quotidiennement. 

L’opinion publique en est consciente : dans un pays où l’Etat pratique une politique très répressive, celui-ci s’avère impuissant à juguler le trafic et limiter la consommation. « Le marché des drogues illicites en France serait de l’ordre de 1,5 à 3,2 milliards d’euros, avec une estimation préférentielle à 2,3 milliards d’euros. Le cannabis représenterait la moitié de ce chiffre d’affaires (48 %) » estime le rapport Janvier. Un chiffre encore sous-estimé selon d’autres observateurs, qui font plutôt état d’un marché du cannabis s’élevant à 3,2 milliards d’euros.

Un secteur porteur et générateur d’emplois

Quel que soit le chiffre retenu, ce marché reste pour le moment illicite, et l’Etat en est totalement exclu. Organisé de façon pyramidale, il permet à des gérants, au sommet de la pyramide, de percevoir l’essentiel des revenus, tandis que les « petites mains du trafic » – qui représentent la majorité des « salariés » dans le secteur – exercent une activité intérimaire précaire et faiblement rémunératrice. Citée par la mission d’information, le rapport sur « L’Argent de la drogue en France » relève ainsi que « la différence de rémunération est très importante entre un dirigeant pouvant gagner 20 000 euros par jour de bénéfices (…) et un coupeur rémunéré 600 euros par mois ». Co-auteur du rapport, Christian Ben Lakhdar précise que « les plus gros points de deal embauchent des migrants illégaux ». Pour le chercheur, ces trafics symbolisent « l’exploitation de l’homme par l’homme, dans des conditions révoltantes ».

Combien rapporte un point de deal ? 

Une situation qui amène la mission parlementaire à mettre la justice sociale au cœur des arguments en faveur de la légalisation. Face à de telles inégalités de rémunération et de statut, l’autorisation encadrée du cannabis récréatif permettrait de créer des milliers d’emplois plus sécurisés pour cette main-d’œuvre. L’idée ne sort pas de nulle part : l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT) fait état de 300.000 emplois directs et indirects générés par l’industrie du cannabis aux Etats-Unis en 2019 au moment de la légalisation dans plusieurs Etats. Ces emplois prennent part à la production, la vente et la commercialisation du cannabis, mais aussi dans des activités parallèles directement revitalisées par la légalisation, comme la biopharmacie ou le tourisme.

Un modèle de régulation encore à définir

La légalisation est souvent avancée comme la solution miracle face aux violences que génère le trafic. Mais reste à préciser comment elle serait encadrée. Le rapport Janvier ne se prononce pas, et présente plusieurs options sans pour autant trancher. 

L’une des possibilités serait de mettre en place un monopole d’État, comme l’a fait l’Uruguay depuis 2013 ; le cannabis y est vendu uniquement en pharmacie. Cela permet à l’Etat de fixer les prix, d’assurer l’encadrement de la production et de la vente. Ainsi, la qualité des produits peut être garantie et l’interdiction de vente aux mineurs est respectée, car il est nécessaire de s’inscrire sur une liste pour se procurer du cannabis. 

S’il présente des avantages non négligeables, force est de constater que ce monopole public a ses limites : le nombre de produits est limité, et les ventes sont conditionnées par les horaires d’ouverture des officines. Pour Bernard Basset, médecin spécialisé en santé publique et président d’Addictions France, ce modèle pose aussi des problèmes éthiques. « Rappelons-nous ce qu’il s’est passé en France avec la SEITA [Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes] qui était un monopole public après-guerre. L’Etat jouait le rôle de gendarme du marché. Mais il avait aussi intérêt à ce que ce marché se développe pour avoir des revenus », décrit-il.

La seconde option, choisie par plusieurs Etats américains, est celle d’un marché privé, concurrentiel, pro-profit et business friendly. Dans ce schéma très libéral, le marché est peu encadré. Les entreprises se développent librement et payent des taxes. Le prix est fixé selon l’équilibre de l’offre et la demande, il est le plus attractif possible pour les consommateurs et la quantité d’achat n’est pas limitée pour pouvoir assécher les concurrents du marché noir ; l’achat est toutefois interdit aux mineurs.

Christian Ben Lakhdar, chercheur à l’Université Lille 2, lors de son audition par la mission d’information parlementaire, s’est dit partisan d’une solution “basée sur le modèle de celui des jeux d’argent”. Un marché hybride, c’est-à-dire concurrentiel mais également encadré par une autorité de régulation, semblable à l’Autorité Nationale des Jeux. Cela permettrait un développement tout en laissant l’Autorité contrôler les produits et les systèmes de production et de vente. D’autres sont plutôt en faveur de la mise en place d’une « Loi Evin du cannabis », à l’image du modèle français de régulation et de taxation du tabac qui interdit la vente aux mineurs et la publicité. 

Marché noir : l’improbable fin d’une économie souterraine

Ce que l’expérience démontre, en tout cas, c’est que quel que soit le modèle choisi, le marché noir est difficile à tarir. Dans la plupart des pays ayant légalisé, il n’a pas disparu. Aux Etats-Unis, les ventes illicites de cannabis représentaient encore 66 milliards de dollars (54,4 milliards d’euros) en 2019 d’après l’observatoire indépendant New Frontier Data. L’un des principaux objectifs fixés par le rapport Janvier, à savoir « mettre fin aux trafics qui génèrent d’insupportables violences, dans une logique de sécurité publique » paraît utopique. 

« Je ne crois pas du tout au fait d’assécher le marché noir, aucun pays n’a réussi à le faire », affirme Maria Melchior, épidémiologiste affiliée à l’INSERM. « Une légalisation permettrait peut-être de contrôler un peu plus ce qui est vendu. Mais en réalité, les Etats américains où les régulations ont été les plus strictes pour restreindre le niveau de THC [Tétrahydrocannabinol, molécule responsable des effets psychotropes] dans les produits mis en vente, ont vu fleurir le marché noir ». Pour Christian Ben Lakhdar, beaucoup de trafiquants se réorienteront également vers d’autres drogues, comme la cocaïne.

Pour beaucoup d’acteurs, l’autorisation du cannabis récréatif est donc moins une opportunité de sortir d’une prohibition que de s’ouvrir à un secteur très porteur.

Pour beaucoup d’acteurs, l’autorisation du cannabis récréatif est donc une opportunité de s’ouvrir à un secteur très porteur. « J’ai beaucoup d’étudiants d’école de commerce qui sont prêts à se lancer. Ils sont dans les starting-blocks pour faire des millions une fois le marché ouvert » s’amuse Christian Ben Lakhdar. Cet engouement se retrouve aussi chez certains décideurs politiques : Jean-Baptiste Moreau, député LREM de la Creuse et co-rapporteur de la mission d’information sur l’encadrement du cannabis en France, serait tenté de voir dans la légalisation une opportunité de revitaliser son propre département, un territoire dont l’économie repose sur l’agriculture.

Vers l’établissement de lobbies du cannabis ?

La principale leçon qui ressort des expériences de légalisation au Canada et aux Etats-Unis est l’apparition d’un « Big cannabis industry » : un oligopole de groupes industriels ou pharmaceutiques qui contrôlent la majorité du marché, fixent les prix et rendent difficile toute régulation par l’Etat. Un phénomène comparable aux lobbies de l’alcool en France, qui demeurent très influent aujourd’hui encore. 

Profitant du manque de clarté juridique aux Etats-Unis entre le niveau fédéral et celui des Etats, de nombreuses entreprises américaines ont déjà commencé à vendre des produits alimentaires à base de cannabis ou de CBD (du cannabis contenant une dose de THC très faible supprimant les effets psychotropes indésirables de la molécule). Au Canada, cette composante du « cannabusiness » est autorisée depuis octobre 2019, et le cabinet Deloitte estime même à près de 2,7 milliards de dollars canadiens (un peu plus de 1,8 milliards d’euros) le marché annuel de ce « cannabis 2.0 ». 

© Joséphine Boone

S’ils permettraient de générer plus d’emplois, et d’améliorer l’attractivité de certains territoires sur le modèle de Denver – surnommée aujourd’hui la « capitale mondiale du cannabis » – ces produits dérivés plébiscités par les grandes multinationales posent problème en termes de santé publique. Le nombre de passage aux urgences suite à une intoxication au cannabis a augmenté au Colorado ainsi que dans l’Etat de Washington – deux états précurseurs dans la légalisation. Pour l’OFDT, ces pics sont liés à « des produits alimentaires (infusés au cannabis) et/ou fortement dosés ».

Cette banalisation peut s’accompagner d’une hausse de la consommation du cannabis à court-terme. Au Canada, où la production, la vente, et l’utilisation de cannabis non-médical sont autorisées depuis 2018, 20% des Canadiens mentionnaient y avoir eu recours fin 2020, contre 14% quelques mois avant la légalisation. Même tableau aux Etats-Unis : les Etats ayant choisi de légaliser le cannabis non-médical assistent à une augmentation de l’usage de cannabis, particulièrement chez les personnes adultes. « La consommation est déjà très haute en France, mais il y a une possibilité qu’elle augmente encore avec la légalisation, affirme Christian Ben Lakhdar. Par effet de mode, des anciens fumeurs peuvent se remettre à consommer. »

La légalisation au service de la prévention 

Ce risque soulève des interrogations en termes de prévention, domaine où la France ne fait pas figure de pionnier. Outre le nombre élevé de consommateurs réguliers, le marché français est aussi de plus en plus inondé de produits hautement dosés en THC. « Légaliser dans ces conditions, ce serait faire une publicité énorme pour cette drogue, assène Jean Costentin. Il faut d’abord faire un gros travail de prévention en amont avant de songer à une légalisation. »

© Joséphine Boone

Pour Bernard Basset, médecin spécialisé en santé publique et président d’Addictions France, la légalisation permettrait au contraire de briser le tabou ; une étape essentielle pour prévenir les usagers. « Les mineurs auraient plus de facilité à en parler. A l’heure actuelle, c’est un produit interdit, pour lequel on peut être poursuivi. Cela n’encourage pas à aller consulter lorsque l’on a besoin d’aide », affirme-t-il. Ce nouveau cadre juridique permettrait à l’Etat de mettre la main sur une partie de la manne financière du cannabis « pour financer la prévention et les soins », précise le médecin.

Ce type de circuit est déjà en place pour le tabac : un fonds de lutte contre le tabagisme – alimenté par une taxe sur le chiffre d’affaires des fabricants de tabac – a été créé en 2017 au sein de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Renommé « Fonds de lutte contre les addictions » l’année suivante, ce dernier bénéficiait en 2020 d’un budget de 130 millions d’euros. « La taxe sur le tabac est une source pérenne pour ce fonds, confirme Maria Melchior. Elle sert à financer la recherche et la prévention contre l’addiction. »

« Actuellement, la prévention se résume à une venue de la gendarmerie pour expliquer aux élèves que le cannabis est interdit, et c’est tout » Jean Costentin, professeur en pharmacologue à la Faculté de Rouen

La légalisation serait d’ailleurs l’occasion de repenser toute la politique de prévention. « Il y a aujourd’hui une absence complète de pédagogie, regrette Jean Costentin. Cela fait des années que l’Académie de Médecine préconise une éducation scolaire au cannabis dès le primaire, mais rien n’a été fait. Actuellement, la prévention se résume à une venue de la gendarmerie pour expliquer aux élèves que le cannabis est interdit, et c’est tout ».

Un constat partagé par Maria Melchior, qui plaide pour une autre approche de la prévention. « Ce qui fonctionne pour lutter contre la consommation de produits psychoactifs, constate-t-elle, c’est le renforcement de compétences psychsociales. Ce sont des programmes qui existent pour aider les jeunes à développer leur confiance en eux, à gérer les effets de groupe, les émotions… Mais ils sont très rares en France, car ils ne rentrent pas dans le fonctionnement des établissements scolaires, et ils ne bénéficient pas de financements ».

Cannabis et CBD : quelles différences ?

Le CBD est l’acronyme de cannabidiol, une molécule que l’on retrouve dans un plant de cannabis. On oppose souvent celle-ci au THC (Tétrahydrocannabinol), une autre molécule faisant partie des cannabinoïdes – la famille des molécules recensées à ce jour dans une plante de cannabis.

Le cannabis vendu aujourd’hui – beuh ou haschich – contient une forte dose de THC. Celle-ci est à l’origine des effets psychotropes. A l’inverse, le CBD agit plutôt comme un calmant ou un sédatif, pouvant limiter le stress, l’angoisse et l’insomnie ; c’est ce qui lui vaut d’ailleurs son surnom de « cannabis thérapeutique ».

Si le cannabis demeure illégal en France, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé au contraire comme illégal d’interdire la vente et la consommation de CBD, car elle n’est pas considérée comme un stupéfiant. Selon le syndicat professionnel du chanvre, la France compte aujourd’hui près de 400 boutiques commercialisant des produits à base de CBD.

Comment fonctionne un point de deal ?

Loin des clichés, le trafic de cannabis est une activité bien organisée. Derrière chaque point de deal se trouve une structure avec ses règles, ses lois, ses détenteurs de capitaux et ses travailleurs.

Au sommet de la pyramide se trouve le dirigeant. Rarement présent sur les lieux de vente, il tient le trafic. Il jouit d’une rémunération confortable, bien que celle-ci soit difficile à estimer de manière précise. La gestion du point de deal revient à un ou plusieurs bras droits. Ils recrutent des chefs de ventes, qui doivent s’assurer de la bonne organisation du « commerce ». Pour stocker les revenus liés au trafic et une certaine quantité de drogues, ils ont recours à des « nourrices », qui mettent leurs logements à disposition.

Tout en bas de l’échelle, les vendeurs et les guetteurs sont le prolétariat de cette microsociété. Partie visible du trafic, ce sont eux qui s’exposent au plus grand risque, pour une rémunération faible et surtout incertaine.

Joséphine Boone & Mehdi Laghrari

Anthony, « street medic » : “Ce que je demande, c’est l’arrêt des violences”

Les Blue StreetMedic en action lors des manifestations des gilets jaunes. En deuxième en partant de la gauche, Anthony pose avec son équipe. / Crédits : Blue StreetMedic DR
Actifs aux quatre coins de la France, les secouristes de rue sont de toutes les manifestations. Parmi les nombreux groupes existants, on retrouve les « Blue Street Medic », dont Anthony fait partie depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Portrait d’une force tranquille.

Sous sa veste kaki, on devine le pull rouge des pompiers. A 37 ans, Anthony est un habitué du secourisme. Cet agent de sécurité incendie au tribunal de grande instance de Paris est également « street medic ». Ces secouristes de rue bénévoles sont spécialisés dans les premiers soins aux blessés pendant les manifestations. Au fil des actes du mouvement des « gilets jaunes », ils sont devenus de vrais héros. La raison de l’engagement d’Anthony ? “Aider mon prochain”.

Une escalade de la violence

C’est mon collègue Marco qui a eu l’idée de devenir « street medic ». Il s’est dit que comme notre métier, c’était le secourisme, on devait se positionner pour aller sur le terrain. Au début, on était trois ou quatre à Paris. Maintenant on est au moins une trentaine”. Les « Blue Street Medics » comptent aujourd’hui une deuxième équipe à Chartres. Pourquoi Blue ? A cause de leur attirail de terrain. Par dessus leurs équipements de protection individuelle (EPI) ils portent un t-shirt bleu très voyant, avec une croix blanche dessus.

Le regard fixe, on sent qu’Anthony ne se laisse pas impressionner facilement. Sa première participation remonte à la manifestation du 2 février, lors de l’acte 12 des « gilets jaunes ». “C’était très calme ce jour là. En même temps, c’était l’acte qui rendait hommage aux blessés. Au début on s’est dit que c’était tout de même bien différent de ce qu’on voyait à la télé. Et on a vite déchanté”. En effet, la semaine d’après, Anthony et son équipe ont accusé le coup. “On s’est tout de suite rendu compte au fil des actes que la violence montait crescendo, que ce soit du côté des manifestants ou de la police…

Le 18 mars reste la journée la plus marquante à laquelle il a participé depuis le début de la mobilisation. “Pour beaucoup de « street medics », ce jour-là, on a compris que quelque chose avait basculé. On était dans une vraie zone de guerre”. Force tranquille, Anthony revient sur cette escalade de la violence qu’il a vue de ses propres yeux. Si ce robuste secouriste à l’allure imposante ne scille pas, il admet avoir été choqué. “Avec mon équipe, on a traité plus d’une trentaine de blessés ce jour-là dont un qui avait reçu un tir de LBD – lanceur de balle de défense – dans la carotide. Il a perdu plusieurs fois connaissance et l’évacuation a été difficile parce que les ambulances étaient débordées”.

Pris en sandwich entre un cordon de CRS prêt à charger et un groupe de black blocks remonté, il tente en vain de les arrêter pour procéder à l’évacuation d’un blessé de la zone d’affrontement. Il parviendra finalement à rejoindre une ambulance de la Croix-Rouge.

« Les « street medics », aussi équipés que les CRS”

Les « street medics » prennent de grands risques dans leur mission. Et la violence croissante ne les aide pas à œuvrer en toute tranquillité. Répartis en plusieurs groupes au sein des « Blue Street Medics », certains portent directement secours aux victimes, d’autres ont pour mission de sécuriser le périmètre autour de la victime. On comprend tout de suite la nécessité d’avoir un attirail performant. “Une fois, un CRS m’a dit que j’étais quasiment aussi équipé que lui” raconte le secouriste, en esquissant un sourire. Cet équipement, on l’appelle l’EPI, l’équipement de protection individuelle. Casque – évidemment – mais aussi protections en tous genre pour les genoux, le dos – indispensable – et les coudes. A cela s’ajoute un masque à gaz pour opérer malgré les gaz lacrymogènes et un masque de ski.

 

L »équipement d »Anthony, StreetMedic à Paris. Crédits : photo personnelle d »Anthony DR

Mais dans leur sac, quel est l’attirail du secouriste ? “On finance notre propre EPI bien sûr, mais pour le matériel de santé, ça vient principalement de dons. Des « gilets jaunes » nous envoient des cartons remplis de compresses, de pansements etc.” Dans leur sac, on retrouve du Maalox, la solution indispensable pour se décontaminer du gaz lacrymogène mais aussi du sérum physiologique pour les yeux. “Pour les plus expérimentés, il faut un garrot. Ça sert à contenir les plus grosses hémorragies comme les mains arrachées”.

Si beaucoup de « street medics » sont également militants, les « Blue Street Medic » eux préfèrent la neutralité. “Je n’ai pas d’à priori politique » confie Anthony, « mais d’autres « medics » sont devenus militants après avoir subi des violences policières lors de manifestations… On se demande toujours pourquoi un tir de LBD tombe sur un secouriste…” Il s’est d’ailleurs lui même pris un palet de gaz lacrymogène dans le mollet. Mais le groupe d’Anthony s’est formé justement pour pouvoir rester neutre. “Nous on veut aider tout le monde”.

Pour l’arrêt des violences

S’il y a bien quelque chose pour laquelle Anthony milite, c’est l’arrêt des violences. Il a d’ailleurs lancé avec les « Blue Street Medics », qui vont très prochainement se constituer en association, une pétition sur Change.Org. pour qu’on ne leur confisque plus leur matériel. Ils espèrent récolter le plus de signatures possibles. S’il dit que rien ne l’arrêtera dans sa mission de secouriste, Anthony craint pourtant une chose : les morts. “Le jour où il y aura un mort, là, j’arrêterai. Ça sera trop. En plus, je vais devenir papa alors bon…

Cette violence, Anthony la rejette totalement. Son regard devient soudain plus dur. “Après un acte particulièrement violent, j’ai remonté les Champs-Elysées avec mon équipe. Vers le milieu de l’avenue, je me suis rendu compte que mes chaussures collaient au sol. Je regarde et je vois que je marchais dans une gigantesque flaque de sang coagulé. Il y en avait vraiment beaucoup donc c’est que la personne avait fait une grosse hémorragie. Là, je me suis dit qu’il y avait un souci”.

Quand les actes auront cessé, les « Blue Street Medics » prévoient d’organiser des maraudes pour les plus démunis. Ils continueront à porter secours aux manifestants. Après quelques secondes de silence, Anthony termine son coca et conclut avant de partir préparer le prochain samedi : “Ce que je demande, c’est l’arrêt des violences contre tout le monde. Stop à la violence gratuite”.

Anne-Cécile Kirry