Un arrêté préfectoral menaçait Sébastien David, un vigneron bio d’Indre-et-Loire, de détruire l’ensemble de son lot, soit plus de 2000 bouteilles pour « non respect des normes ». Le tribunal administratif d’Orléans a néanmoins annoncé étudier la décision jusqu’au 31 mai.
Pour Sébastien David, tout commence en 2018, lors d’un contrôle par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGGCRF). C’est après avoir appelé l’organisme pour demander les résultats de l’enquête que le vigneron s’est vu confisqué près de 2 000 bouteilles. En cause, une teneur en acide, jugée « trop élevée », le pourcentage dépassant la norme européenne.
Mais c’est après une contre-enquête, financée directement par l’accusé, que de nouvelles analyses ont montré une teneur en acide de 19,3 % (la norme européenne étant située à 20% par litre). Un arrêté somme néanmoins Sébastien David de détruire ses bouteilles, occasionnant une perte sèche estimée à 50 000 €. Le producteur dénonce également une décision qui a gelé sa production actuelle. Il pointe du doigt un organisme « fermé au dialogue » et qui ne prend pas en compte les résultats des dernières analyses.
Une pétition est alors lancée. Elle réunit près de 160 000 signataires mardi 14 mai. Alors que le vigneron devait liquider son lot avant le 13 mai, le tribunal a annoncé avoir repoussé la décision au 31 mai. Pour le moment, l’arrêté est toujours en cours et n’a pas été annulé, il sera néanmoins étudié tout au long du mois. D’ici là, Sébastien David reste toujours dans l’attente.
Au sortir de l’audience, discussion animée entre les agents de la Préfecture, de la Direccte et de la DGCCRF et les vignerons venus en nombre soutenir Sébastien David. pic.twitter.com/eofkDPNWGX
En France la DCCGRF consacre près de 85 % de ses enquêtes aux vignes et au raisin. De nombreuses analyses sont effectuées sur l’acidité, le taux de sucre et de pesticides ou le degré d’alcool. L’étiquetage est également inspecté, interdisant aux vignerons de tromper le consommateur sur ces composantes. En 2018, près de 1 011 avertissements ont été donnés sur les 4 977 établissements contrôlés.
Les vignerons bordelais ont commencé à changer leurs pratiques pour faire face au réchauffement climatique. Le vin de demain n’aura pas grand chose à voir avec celui d’aujourd’hui.
« Moi c’est certain, j’arrête le merlot ». La famille de Sylvie Milhard-Bessard produit du vin de Bordeaux depuis cinq générations. Propriétaire du château Vieux Mougnac, à quelques kilomètres de Saint-Émilion, elle a décidé d’arrêter de planter le cépage emblématique de la région. Après une année 2017 sans récolte et une année 2018 réduite à 20% de fruits vendangés, la sexagénaire a décidé de s’adapter. Pour elle, comme pour beaucoup de ses confrères, le dérèglement climatique en est responsable.
Le constat des climatologues est formel, la Terre se réchauffe. Leurs projections frappent les esprits : ils prévoient une météo andalouse, à Bordeaux. Les températures ont déjà augmenté, de 0,8°C en moyenne, depuis le XIXe siècle. Et les prévisions tablent sur une intensification du phénomène. Les experts du Giec attendent des pics de chaleur au-delà de 50°C l’été, dès 2050 dans l’est de la France.
Le principal effet de la hausse des températures s’observe avec l’avancement de tous les stades du développement de la vigne. Cette année, Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), perçoit déjà une quinzaine de jours d’avance dans la pousse des vignobles, par rapport aux années 1990. « Les hivers étant moins froids, la maturation commence plus tôt. Dans toutes les régions, on mesure une précocité accrue des dates de vendanges. Or, récolter le raisin en août présente des risques d’oxydation. »
Si l’augmentation de la température est le problème numéro un, d’autres dérèglements l’accompagnent. Le régime pluviométrique notamment. « On observe une baisse globale des précipitations dans le Sud », constate le chercheur. Docteur en agronomie, il s’est spécialisé dans l’étude de la vigne sous l’effet du réchauffement climatique. « La concentration des pluies sur l’automne et le printemps engendre des sécheresses estivales plus marquées. Il y a aussi une plus grande variabilité de la météo entre les années, et au sein même des années. De surcroît, on dénombre des évènements extrêmes plus fréquents. »
-25 % de rendement dans le sud
Les apports en eau diminuent alors que les besoins des vignes augmentent. La plante transpire davantage sous une météo chaude et sèche. Sans cette ressource, les agriculteurs observent des phénomènes de stress hydriques et de carences en eau, qui ont un impact sur la qualité du fruit. Les grains sont plus petits, les concentrations plus élevées, et les rendements baissent. Une diminution de production supérieure à 25 % a été constatée par l’Inra dans le Sud en 2017.
Plus d’alcool, moins d’acidité
Les viticulteurs subissent déjà les premières conséquences du changement climatique. « L’été dernier, on a ramassé du 14 degré d’alcool ! » Sylvie Milhard-Bessard a du mal à s’y résoudre, le taux d’alcool de ses vins augmente. Se pose un problème d’équilibre gustatif, et de respect des règlementations (l’AOC Bordeaux impose un taux d’alcool inférieur à 13,5%). « Du temps de mes parents, on atteignait toujours environ 12,5%. Mais là ça s’aggrave de plus en plus. Et encore, moi ce n’est rien, je suis en bio et on a toujours pris soin du sol. Mais j’ai des collègues, en conventionnel, qui ont ramassé du 17% ! » La raison est chimique : plus une vigne est exposée au soleil, plus un vin sera alcoolisé – du fait de l’augmentation du taux de sucre dans les raisins. Alors l’été exceptionnel de 2018, deuxième plus chaud depuis 1900, a marqué les esprits. Plus de 14% en moyenne ont été relevés en Languedoc ; il y a trente ans les compteurs affichaient plutôt 11%.
Constat inverse pour l’acidité : elle diminue avec les fortes chaleurs. « Les températures élevées dégradent les acides, dont l’acide malique. C’est un problème qui impacte les vins blancs d’Alsace notamment, pour lesquels l’acidité est une caractéristique importante », explique Jean-Marc Touzard. Même difficulté pour les Pomerols du Sud-Ouest. Sylvie Milhard-Bessard s’inquiète pour cette appellation. « Si on ne mélangeait pas les dernières récoles avec celles d’autres années, on manquerait d’acidité. Et sans acidité, il y a un problème de conservation, on ne fait plus des vins de garde ».
Les grandes chaleurs empêchent également le développement de certains arômes. Les notes de fruits rouges sont les premières à disparaître . Plus le thermomètre augmente, plus les vins tendent vers des saveurs concentrées et confiturées.
Enfin, les radiations du soleil dégradent les anthocyanes – pigments qui donnent leurs couleurs aux raisins. Il y aurait donc aussi un éclaircissement des vins rouges.
S’adapter pour subsister
La question de la survie de l’excellence vinicole française se pose. Et si le troisième secteur d’exportation national était menacé ? Loin de se résigner, les vignerons ont commencé à s’adapter.
« Cela fait plus de dix ans que nous avons planté de la Syrah [un cépage originaire des côtes du Rhône, NDLR]. Il s’adapte très bien à notre climat et garde beaucoup de fraîcheur », commente Marie Courselle, co-gérante des vignobles Courselle, en Gironde. Mais ce vin ne peut prétendre à l’appellation d’origine contrôlé (AOC) ; le Syrah ne figurant pas dans le cahier des charges, les bouteilles ne portent pas la mention « Bordeaux ». Avec les changements de cépages, la carte des vins va certainement évoluer. « Dans le Sud, les viticulteurs vont sûrement laisser tomber le cabernet sauvignon ou le merlot, prédit Jean-Marc Touzard. Ils venaient de régions plus nordiques et se montrent assez fragiles. » Une des solutions serait d’importer des cépages plus adaptés au nouveau climat ; des variétés venues de régions plus chaudes (comme l’Italie ou la Grèce), ou bien même de revenir à des espèces plus anciennes, y compris certaines qui étaient déjà cultivées en France, mais qui avaient été abandonnées. « À l’Inra nous possédons un conservatoire génétique d’environ 5 000 cépages différents, signale le chercheur. Nous pratiquons aussi des créations variétales, par croisement et hybridation – pas par OGM. On met au point des plants à maturation plus tardive, qui produisent moins de sucre, sont plus résistants aux maladies et à la sécheresse ».
Outre le changement de vigne, les agronomes recommandent aux viticulteurs d’adapter leurs pratiques. Le domaine de la famille Courselle a par exemple modifié ses techniques de taille des branchages. « Nous ne faisons plus d’effeuillage sur les cépages blancs et nous le faisons beaucoup plus tardivement pour nos merlots », explique la patronne. Ainsi, la vigne se fait de l’ombre à elle-même ; une manière de prévenir les maturités précoces.
D’autres laissent pousser des herbes entre les rangées de pieds. Le but est de former un « couvercle humide » lors des périodes sèches. Si les cultivateurs bio ont adopté la pratique depuis longtemps, les agriculteurs conventionnels sont pointés du doigt pour leur recours au glyphosate. Le désherbage est souvent réalisé afin de maximiser les ressources disponibles pour la vigne. Mais l’humidité devient un enjeu prioritaire par rapport à la concurrence végétale. Notamment parce que les substrats peuvent être enrichis. « Nous apportons beaucoup de matières organiques dans notre terre. Par exemple, nous incorporons des composts végétaux. Nous plantons aussi des crucifères dans les rangs [des plantes qui retiennent certains éléments dans le sol, dont l’azote, aliment des plantes, NDLR] », rapporte Marie Courselle.
Parmi les solutions les plus radicales : la possibilité de relocaliser des parcelles. « La gestion du vignoble dans le terroir est un élément important de l’adaptation, précise Jean-Marc Touzard. Les cultures pourraient gagner en altitude, changer d’exposition, peut-être plus au nord, ou dans des sols plus profonds pour capter davantage de réserves en eau. » Encore faut-il que la règlementation suive l’évolution des professionnels. Les cahiers des charges des AOC empêchent, pour l’instant, tout changement de cépage, de terroir ou de composition.
« On continuera de cultiver de la vigne dans tous les terroirs jusqu’en 2050 »
Les professionnels sont à un moment clé de leur évolution. Il leur faut faire des choix qui détermineront l’avenir de leurs domaines. « Il n’y a pas de remède miracle, prévient le scientifique. Certains viticulteurs misent tout sur une adaptation. Mais on voit bien que ce n’est pas comme cela qu’on réussira. L’avenir va se jouer sur des combinaisons subtiles d’ajustements ».
Malgré tout, Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l’Inra, tire une conclusion rassurante. Du moins pour les trente prochaines années. « On continuera de cultiver de la vigne dans tous les terroirs jusqu’en 2050. » Et après ? « 2050 est un moment où il y a une grande divergence dans l’évolution du climat selon nos émissions. Si on continue à accroître les rejets de gaz à effet de serre, comme c’est le cas depuis trois ans, y compris en France, on se positionne sur une augmentation très forte de la température. »
Avec des émissions de CO2 incontrôlées, l’agronome est moins optimiste. « Sans changement dans les toutes prochaines années, on s’engagerait dans une aventure climatique folle, dans laquelle il deviendrait quasiment impossible de faire de la vigne.» Fragilité oblige, le vin perdrait son caractère artisanal pour devenir un produit purement industriel. Ce que refuse Sylvie Milhard-Bessard. « Si je dois réduire mon vignoble à 2 hectares pour avoir le temps de m’en occuper, je le ferai. Hors de question de rogner sur la qualité ».
Présentée comme une solution pour limiter la consommation d’alcool et supporter les moyens nécessaires à la prévention, la taxation des alcools et spiritueux est quasiment absente du nouveau budget de la sécurité sociale. Un blocage imputé aux traditions françaises, mais surtout à la puissance des lobbys alcooliers.
« N’emmerdez pas les français ! ». La phrase est signée George Pompidou, mais a connu une seconde jeunesse en février dernier. Alors interrogé sur l’éventualité d’un durcissement de la Loi Evin concernant la publicité des produits alcoolisés, Emmanuel Macron reprend le second président de la cinquième République et ajoute : « Je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin ». Une sortie effectuée en marge du salon de l’agriculture qui illustre, selon les professionnels de santé, les difficultés à aborder de front les problématiques de santé liées à l’alcool.
« On fait face à des lobbys extrêmement puissants »
Ce jeudi 11 octobre, neuf médecins et spécialistes des addictions adressent une lettre ouverte à la ministre de la santé Agnès Buzyn. Selon eux, la taxation de l’alcool est la « grande absente » du futur plan de prévention des substances psychoactives (cannabis, alcool, tabac) dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Celui-ci prévoit dix millions supplémentaires alloués à la prévention, financé par le produit des amendes sur la consommation de cannabis mais aucunement par la taxation de l’alcool. Une dichotomie dénoncée par Jean-Claude Tolczak, président de la Fédération Nationale des Amis de la Santé : « Les Ecossais ont opté pour ces taxes et on observe déjà des résultats. Il y a un lobbying alcoolier qui est très fort et une tradition française qui honore le vin, c’est très difficile de toucher à ce qui constitue une partie du patrimoine français ».
En France, on impute 49 000 décès à la consommation d’alcool, première cause de mortalité chez les 15-30 ans. « Ces chiffres attirent l’attention, mais n’évoquent pas l’entièreté du problème. On ne parle pas de tous les cancers et de tous les licenciements » poursuit Jean-Claude Tolczak, alors que le coût social de l’alcool est estimé par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) à 120 milliards d’euros par an. Dès lors, pourquoi les pouvoirs publics n’optent pas pour une politique de santé semblable à celle initiée sur le tabac ? Pour Bernard Basset, vice président de l’Association nation de prévention en Alcoologie et addictologie (Anpaa) et co-signataire de la lettre ouverte à la ministre de la santé, le frein est tout trouvé : « Nous sommes dans un pays producteur d’alcool et notamment de vin, on fait donc face à des lobbys extrêmement puissants ».
« On imagine mal un député de la Côte d’Or se mettre à dos toute une partie de l’économie de sa circonscription »
Contactée par Celsalab, une ancienne lobbyiste du secteur précise le fonctionnement de ces groupes de pression. Pour elle, leur influence s’explique d’abord par le caractère « made in France » de la production : « c’est en cela que le lobby de l’alcool se distingue d’autres lobbys comme celui du tabac. C’est un secteur qui génère beaucoup d’emplois, et c’est un ressort sur lequel s’appuient les lobbyistes. Cela explique aussi la plus forte taxation des spiritueux et des bières comparé au vin, précise-t-elle. On imagine mal un député de la Côte d’Or se mettre à dos toute une partie de l’économie de sa circonscription et ses électeurs ». Outre cet ancrage dans l’économie locale, le secteur du vin compte parmi ceux qui s’exportent le mieux, au même titre que le luxe ou l’industrie automobile. En retrait d’une vision manichéenne qui opposerait par essence professionnels de santé et producteur de vins et de spiritueux, cette lobbyiste estime que ces derniers ont aussi intérêt à une certaine régulation : « les producteurs et lobbyistes craignent qu’une affaire de malformation ou de maladie due à l’alcool éclate et qu’elle fasse la une des médias pendant un an. Dans ce sens ils ont aussi intérêt à une consommation raisonnable et ont sans arrêt le cul entre deux chaises ».
Côté associatif, le son de cloche est différent. Investi dans des négociations auprès des pouvoirs publics en vue d’une plus forte réglementation, Jean-Claude Tolczak détaille : « Rien que lorsqu’il s’agit d’augmenter la taille du pictogramme de prévention pour les femmes enceintes au dos des bouteilles, on bute sur l’opposition de Vin et Société, le plus gros lobby du vin. Sur ce point, on ne peut que constater l’influence de ces groupes de pression auprès du pouvoir. On sait notamment que la conseillère du président sur les questions agricoles, Mme Bourelleau, est l’ancienne Directrice Générale de Vin et Société« .
Des blocages également culturels
Des liens qui contribuent à expliquer les blocages institutionnels, combinés aux facteurs culturels. Membre de Alcool Assistance, Auguste Charnier les constate au quotidien : « lorsque l’on parle de tabac, de cannabis ou d’héroïne, on a une oreille attentive. En revanche, lorsque l’on parle d’alcool il y a un frein naturel. Contrairement aux autres produits, on a beaucoup de chances d’avoir un consommateur en face de nous. Du fait de nos traditions, on n’est pas très à l’aise avec ce sujet. » « Chape de plomb », « pot de fer contre pot de terre », les métaphores d’une lutte disproportionnée se suivent dans les propos associatifs. Alors comment changer les termes du débat ? Reçu à l’Assemblée Nationale ce jeudi 11 octobre, Bernard Basset tente de rester positif : « on reçoit le type d’arguments classiques lorsque l’on ne veut rien faire. Il faut continuer à faire des actions comme celles d’aujourd’hui, à être actifs sur les réseaux sociaux, afin d’alerter l’opinion. »
A l’international, le vin français perd du terrain. Héraut de la culture française pendant des décennies, il n’échappe pas aux néfastes de la mondialisation. Uniformisation du goût et standardisation des pratiques, les gros producteurs étrangers imposent leurs règles du jeu. Face au danger, les vignerons français s’organisent : ne serait-ce pas la fin d’une mondialisation heureuse ?
La France est le premier pays exportateur de vin. 30% de sa production consacrée à l’international. Mais ce chiffre cache une autre réalité : les Français vendent moins mais plus cher. Et là où certains pays comme l’Afrique du Sud, le Chili ou encore la Chine voient d’année en année leur volume progresser, les volumes français, eux diminuent.
Les principaux pays producteurs de vin
Aujourd’hui, confronté à la mondialisation, le vin français perd du terrain à l’export. Depuis quatre ans, les ventes en volumes sont en recul de 13,5%, selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux. Si depuis plusieurs décennies déjà, les vins du « Nouveau monde » (Amérique du Sud et Etats-Unis) concurrencent les vins français, ces derniers doivent faire face aujourd’hui à d’autres concurrents : les vins du « Nouveau nouveau monde ». A la tête du groupe, la Chine. Son vignoble est aujourd’hui le deuxième du monde en surface. Un sérieux rival, qui rebat les cartes du marché. « L’arrivée de vins dits “mondialisés“ a modifié le marché mondial. Ces derniers ont une approche beaucoup plus “marketée“ avec la mise en avant du cépage au lieu du domaine, comme c’est le cas en France. La raison est simple : elle permet une approche plus simple pour le consommateur », explique Bérengère Bezaud, chercheuse sur les cultures alimentaires. Concrètement, les « vins de cépage » sont ceux issus d’une seule variété de raisin, qui sera mentionné sur l’étiquette. En opposition, les vins français sont des vins dits « de terroir ». Issus d’un assemblage de raisins, ils sont désignés par le nom du domaine producteur.
Face à la concurrence, le vin français a dû s’adapter, pour le meilleur…et pour le pire. « La mondialisation a permis la modernisation de certaines pratiques du vin français et un assouplissement de certains labels trop contraignants pour le producteur. On peut constater également que l’ouverture à la concurrence conduit à une segmentation du marché. Sauf qu’en France ça ne fonctionne pas et la mondialisation pénètre aujourd’hui les AOC », regrette Bérengère Bezaud. Ainsi, certaines techniques dites « du nouveau monde », comme l’ajout de copeaux de bois pour aromatiser artificiellement le vin sont aujourd’hui utilisées dans des vignobles français. « Le risque, c’est une uniformisation du goût », s’inquiète-t-elle, « un vin produit au Chili et à Bordeaux peut avoir, aujourd’hui, exactement le même goût. Avec ces pratiques, le vin est en train de devenir très technique, c’est comme une recette ».
La France peut-elle rattraper son retard ?
Savoir-faire et notoriété sont à l’actif des vins français. Pour autant, la France a dû mal à s’armer face à la mondialisation. Outre ses coûts de production élevés, la France pâtit d’un handicap de taille : 69% des entreprises françaises font moins de 10 millions de chiffres d’affaires. Et même les gros producteurs français sont à la peine. L’entreprise Castel, leader français sur le marché, réalise un chiffre d’affaires de 1,1 milliards d’euros par an. A titre de comparaison, le géant américain Gallo, réalise lui 4 milliards d’euros. En 2015, le chiffre d’affaires du vin chilien Concha y Toro dépassait déjà le milliard d’euros. Deux mastodontes qui inondent les marchés en terme de quantité.
Ces pays ont les moyens de produire plus et pour moins cher. C’est un tableau sur lequel les producteurs français ne peuvent compétiter. Alors, depuis une dizaine d’années, certains vignerons prônent un retour à la tradition. « L’uniformisation du produit a fait réagir la profession. On retrouve aujourd’hui de plus en plus de mouvements de vignerons indépendants. Leur objectif : mettre en valeur le travail manuel », analyse Bérengère Bezaud. Ce retour au vin de terroir, correspond à un souhait des producteurs mais aussi à une demande du consommateur. « Chaque gros changement alimentaire correspond souvent à une crise sanitaire. Aujourd’hui, il y a une méfiance du consommateur envers les pesticides. Ils réagissent face à la mondialisation et ses excès, et veulent contrôler ce qu’ils achètent », explique-t-elle. Et les producteurs de vins mondialisés ne s’y trompent pas. « Ils utilisent d’énormes moyens de communication pour faire croire au consommateur que leur vin est issu du terroir. La mondialisation est devenu un gros mot », précise la chercheuse.
« Une tradition familiale », écrit en capitale avec en fond une vidéo parcourant les vignes. Telle est la page d’accueil de Gallo, premier producteur mondial avec ses 960 millions de bouteilles produites par an. Les Français ne s’y trompent pas : leur tentative d’importation sur le marché de l’Hexagone il y a vingt s’est soldé d’un échec.