Dans une tribune publiée dans le Journal du dimanche le 30 mai, 1 600 artistes français plaident pour que la rémunération pour copie privée soit applicable aux appareils numériques reconditionnés. Cette redevance, reversée aux artistes, donne le droit à chacun de reproduire films, musiques et autres œuvres légalement acquises sur différents supports de stockage numériques.
Jean-Louis Aubert, Nathalie Baye, Dany Boon… Plus de 1 600 artistes français ont pris la plume, ce dimanche, pour appeler au refus d’un amendement de la loi sur l’empreinte environnementale du numérique. Déjà adopté par le Sénat, le texte litigieux doit être débattu le 10 juin à l’Assemblée nationale. La tribune, publiée dans le Journal du dimanche, dénonce une disposition remettant partiellement en cause la « rémunération pour copie privée ». Elle prévoit de maintenir l’exonération de cette redevance pour les appareils électroniques reconditionnés, une manière d’encourager l’achat d’appareils de seconde main au détriment du neuf. Instauré par une loi de 1985, le dispositif de rémunération pour copie privée vise à rémunérer les ayants droit des créations artistiques.
Une redevance pour financer les artistes
Lorsque nous achetons un appareil électronique permettant de stocker des œuvres, une partie du prix d’achat est reversée aux créateurs de musique, producteurs de films et autres artistes. Grâce à cette redevance, tout utilisateur ayant acquis légalement une œuvre peut la copier librement sur ses différents supports électroniques – smartphone, tablette ou encore clé USB – afin de la consulter dans le cadre privé. Il s’agit d’une exception au droit d’auteur, qui prévoit que seul le créateur d’une œuvre dispose du droit de la reproduire.
Selon la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM), le dispositif permet de recueillir 270 millions d’euros chaque année – l’équivalent de 7% du budget du ministère de la Culture – et représente ainsi un véritable pilier du financement de la culture en France. Les barèmes de rémunération sont fixés par la commission sur la rémunération de la copie privée, et la redevance est collectée directement auprès des fabricants et importateurs de supports numériques. Le montant accordé aux auteurs des œuvres copiées dépend du succès de celles-ci. 75% des sommes collectées sont reversées directement aux créateurs, tandis que le reste est dédié au soutien des manifestations culturelles.
« Une œuvre écoutée ou vue sur une tablette ou un téléphone reconditionné demeure le fruit du travail d’un artiste » Roselyne Bachelot
Aujourd’hui, seuls les appareils acquis dans le cadre professionnel bénéficient d’une exonération de cette rémunération, à condition d’en demander le remboursement. Pour les signataires de la tribune, élargir cette exonération aux appareils reconditionnés reviendrait à fragiliser « encore un peu plus le monde culturel, déjà très affecté par la crise sanitaire ». Un point de vue partagé par la ministre de la culture Roselyne Bachelot, qui réclame l’abandon de cette disposition. « Une oeuvre écoutée ou vue sur une tablette ou un téléphone reconditionné demeure le fruit du travail d’un artiste (…) devant faire l’objet d’une rémunération », a-t-elle déclaré à l’AFP.
Un dispositif critiqué
Mais s’il est plébiscité par les artistes, ce dispositif fait l’objet de controverses. « Frapper le reconditionné, c’est frapper deux fois le même support », a réagi sur Twitter Marc Rees, rédacteur en chef du site d’actualité Next Inpact, dédié aux nouvelles technologies. De fait, appliquer cette redevance aux produits reconditionnés reviendrait à faire financer cette indemnité par son nouvel acquéreur, alors que celle-ci aura déjà été payée par son premier propriétaire lors de l’achat du produit neuf.
Et faisons payer un peu plus les pauvres qui ne peuvent s’acheter un téléphone neuf. https://t.co/K6w6Ts0Cul
— marc rees (@reesmarc) May 30, 2021
Deux syndicats professionnels du reconditionnement, la fédération RCube et le SIRRMIET, craignent pour l’avenir du secteur s’il se retrouvait assujetti à cette redevance.« Face aux reconditionneurs asiatiques, très agressifs sur notre marché, nous ne pourrons jamais être compétitifs si la rémunération pour copie privée nous est appliquée », ont-ils souligné dans un communiqué relayé par l’AFP.
Rachel Cotte