Le théâtre de la justice trouve son public sur le grand écran

Le Fil, Le procès du chien, Anatomie d’une chute, Saint Omer ou encore Le Procès Goldman : les films de procès se multiplient ces dernières années. Et parmi eux, on retrouve notamment des huis clos. Le tribunal se suffit alors à lui-même, où du moins l’histoire qui s’y déroule. Déjà Antoine Reinartz, procureur dans Anatomie d’une chute faisait parler de lui, et maintenant c’est Daniel Auteuil dans la peau d’un avocat qui s’empare des écrans, des panneaux d’affichage et des interviews avec Le Fil.

En France, il semble bien y avoir une vague d’engouement pour les films sur le milieu judiciaires qui s’empare des salles de cinéma. Depuis 2020, les films français sur le monde judiciaire connaissent un grand succès, jusqu’outre atlantique pour Anatomie d’une chute de Justine Triet et sa Palme d’Or 2023. Ce goût pour les histoires de justice ne date pas d’hier, il faut le reconnaître. Mais là où le cinéma français se démarque, c’est dans sa manière de représenter les procès, les audiences et les métiers de la justice.

Etats-Unis de contrats, France de lois

Alors que les procès des États-Unis sont largement relayés sur la toile – la plupart son filmés – en France la loi rend le tribunal beaucoup plus mystérieux pour les néophytes. Dans une interview accordée à Contreligne, Thibault de Ravel d’Esclapon, auteur de La justice au cinéma, explique qu’aux Etats-Unis, si les films sur le système judiciaire sont plus photogéniques, c’est pas ce que « le cinéma américain offrirait le meilleur du film de prétoire, ce qui serait dû à la nature de sa procédure, de type accusatoire ». Il évoque notamment le film Autopsie d’un meurtre d’Otto Preminger. Patrick Maus est délégué général de l’association Cinéfac, organisateur du festival CineComédies et a passé quelques années sur les bancs des facultés de droit. « La différence de traitement des procès dans le cinéma français est lié à une différence de système judiciaire entre la France et les Etats-Unis. En France, normalement on n’a pas le droit de filmer les procès, sauf pour les procès d’exception comme celui de Klaus Barbie, ou de Maurice Papon. Ce sont des procès qui ne sont pas d’abord filmé dans une optique cinématographique mais cela permet de trouver une trace historique ». Alors en France, il y a bien une patte du cinéma sur le monde des tribunaux, « C’est lié à la culture juridique et au fonctionnement de la justice. Dans le cinéma américain, on voit un pays extrêmement contractuel. Il y a une culture du contrat et de compromis aux Etats Unis alors qu’en France c’est une culture de la loi » précise Patrick Maus.

Le tribunal, un théâtre à huis clos

Rares sont les procès desquels on capte des images pour le grand public. Et la seule manière de pénétrer les tribunaux autrement que par la porte, c’est par le grand écran. Lieu de confinement, de débat, cœur d’un système complexe de justice, le tribunal jouit d’une aura particulière et devient le théâtre favori des drames à huis clos. Mais c’est tout de même outre-Atlantique que les « avocats sont plus comédiens. Ils doivent convaincre des jurys composés de civils mais aussi enquêter. On le voit notamment dans Erin Brockovich, seule contre tous(2000) qui met en scène une class action. En France, il s’agit de convaincre le juge d’instruction seulement. » Car aux Assises le procès est essentiellement oral, « il y a donc nécessairement une théâtralité » analyse Patrick Maus. Cela permet d’avoir toutes les histoires racontées dans un seul et même lieu. Si de plus en plus de films traitent de procès avec une cinématographie de huis clos partiel ou total, c’est tout de même assez récent par rapport à nos congénères étatsuniens. Le tribunal français est un lieu peu ouvert au public et chacun y a son rôle. Par exemple, l’avocat doit, dans la majorité des procédures, ne convaincre que le juge et non pas des civils, il ne mène pas l’enquête pendant le procès et n’est sensé parler aux témoins qu’en présence d’un procureur.

Faites entrer la monnaie

Outre un attrait pour les histoires dites de police-justice, il faut également prendre en compte le fonctionnement l’industrie du cinéma actuel. Patrick Maus rappelle qu’il faut aussi « regarder du côté de la télévision et des documentaires ». Un tournant est essentiel à prendre en compte ce féru de cinéma, « le premier procès filmé, celui de Klaus Barbie. Comme cela s’est bien passé, cela a poussé les tribunaux à ouvrir leurs portes ». Puis les séries importées des États-Unis ont contribué à habituer le public au jargon juridique.

Désormais, ce qui fait que l’on voit de nombreux films dont la plupart de l’action se trouve dans un tribunal, c’est aussi parce que « ce sont des films relativement faciles à écrire », souvent inspirés de faits réels, « mais aussi faciles à produire car ils ne demandent pas de gros moyens. Pour les producteurs, ce sont aussi des films qui ramènent un public habitué et qui rassure. Du côté des auteurs, il y a aussi beaucoup d’évènements d’actualité qui inspirent ». Enfin, il ne faut pas laisser de côté un aspect purement pécunier ; les finances du système judiciaire en France faiblissent et Patrick Maus insiste : « On filme de plus en plus de procès, alors qu’avant les tribunaux refusaient. Mais c’est aussi une manière de mettre en valeur un patrimoine – des missions spéciales proposent des salles d’audience aux réalisateurs. Ça rapporte de l’argent et le président d’un tribunal est responsable d’un budget ».

Eléonore Claude

Les chantiers de la justice en cinq grands axes

Lundi le Premier ministre, Edouard Philippe et la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, ont rencontré le personnel du palais de justice de Reims. Ils en ont profité pour dévoiler les grands axes de la réforme de la justice, cinq mois après son lancement. La loi de programmation devrait être présentée en conseil des ministres le 11 avril, selon lemonde.fr. Voici ce qu’il faut retenir.

Palais-de-justice-paris

  • Simplification de la procédure pénale

Alourdie par des procédures parfois trop complexes, la procédure pénale, sera donc simplifiée pour faciliter l’accès à la justice. Dans un premier temps avec la mise en place d’un dossier numérique uniquepermettant le dépôt de plaintes en ligne, il sera ouvert à tous les acteurs (policiers, avocats, magistrats, justiciables), de la plainte jusqu’au jugement. La constitution de la partie civile sera également facilitée. Le but étant de supprimer les formalités inutiles et redondantes pour rendre les enquêtes plus efficaces et de « permettre une réponse pénale efficace et rapide tout en respectant les droits et garanties fondamentales », explique le ministère de la Justice.

  • Simplification de la procédure civile

Il s’agira avant tout de simplifier la saisie des juridictions, en mettant en place un acte unique, en lieu et place des cinq modes actuels. Le tout pour assurer une meilleure lisibilité de l’avancement des procédures, et améliorer les délais de traitement.

  • Transformation numérique

Ce plan de transformation numérique devra atteindre les trois objectifs. Qui sont, selon le ministère de la Justice : « L’adaptation et la mise à niveau du socle technique, le développement applicatif au service des métiers, le soutien aux utilisateurs et la conduite du changement. Pour y parvenir, des efforts importants ont été engagés : plus de 530 millions d’euros sur cinq ans. »

  • Efficacité des peines

Partant du constat de l’inefficacité du système d’exécution des peines, le ministère de la Justice entreprend de redonner du sens à la peine et de renforcer son efficacité, notamment en évitant les courtes peines ou en en développant les peines autonomes et alternatives. Cette nouvelle politique des peines coïncidera avec la mise en œuvre d’un programme pour lutter contre la surpopulation carcérale, qui peut atteindre les 140 % dans les maisons d’arrêt.

  • Adaptation de l’organisation judiciaire

Conséquence directe des autres chantiers, l’adaptation de l’organisation judiciaire est nécessaire. Du point de vue de la justice de première instance, les tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance seront fusionnés, afin d’améliorer la qualité et l’efficacité de la justice. En appel, aucune réorganisation territoriale n’est à noter.

« Cette réforme se veut extrêmement ambitieuse (tribunal criminel départemental,  parquet national anti-terrorisme, etc…) mais aussi pragmatique. Les propositions émanent directement des acteurs du terrain»,  souligne la garde des Sceaux, Nicole Belloubet.

 

Nina Gambin

Tati de nouveau devant les tribunaux pour sauver l’enseigne

Devanture d'un magasin Tati Crédits : Julien Percheron
Devanture d’un magasin Tati Crédits : Julien Percheron

La première audience devant le tribunal de commerce de Bobigny a lieu ce mardi. L’enseigne avait annoncé vendredi dernier son entrée en cessation de paiement. Six repreneurs sont officiellement intéressés par le rachat des magasins Tati, mais les représentants syndicaux craignent pour la survie de « plus de 700 emplois ».

Tati, c’est l’enseigne phare de Barbès, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Reconnaissables à leur logo Vichy rose et blanc, les magasins proposent depuis 1948 de la mode à bas prix. Victime de la crise du textile et de la concurrence, la marque est aujourd’hui en grande difficulté, et le sort des 1 700 salariés du groupe est en suspens. Mis en vente en février par son propriétaire, Tati est en cessation de paiement depuis vendredi, ce qui ouvre la voie à un probable redressement judiciaire pour changer de mains.

Retour en arrière

Ce n’est pas la première fois que l’enseigne se retrouve dans cette situation. Les premières difficultés financières se font sentir à partir de 1995. Dans les années 2000, une concurrence féroce apparaît avec H&M, Zara, Kiabi et d’autres enseignes qui ringardisent Tati.

« Le consommateur a évolué. Il voulait toujours du ‘pas cher’ mais il voulait aussi et pour le même prix du design et si possible il avait envie de faire son shopping dans un lieu agréable. Le côté souk est passé de mode. (…) On veut de la clim, des cintres et on veut ressembler à des mannequins, pas des radins qui se fringuent pour rien », résument Les Echos.

En août 2003, c’est la cessation de paiement. Pour un total de moins de quinze millions d’euros, Vetura et Eram mettent la main sur l’enseigne en 2004. Eram rachète le tout en 2007 et recentre l’activité du groupe, trop éparpillée dans des secteurs incohérents.

Des repreneurs déjà en rang 

Aujourd’hui, l’histoire se répète. La direction de Tati a présenté mercredi dernier les différents projets de reprise de leurs magasins aux salariés.

« Parmi les sept offres de reprise que nous avons reçues, six ne sont que partielles, il faut donc passer par une procédure de redressement judiciaire, seul moyen de protéger les actifs qui ne seront pas vendus », a déclaré à l’agence Reuters Michel Rességuier, directeur général d’Agora, holding regroupant les enseignes Tati, Giga Store et Fabio Lucci, mise en vente en février par le groupe Eram.

Si une demi-douzaine de marques ont fait savoir qu’elles étaient intéressées, il n’y a que deux offres fermes -dont celle de Philippe Ginestet, le fondateur du groupe Gifi (magasins spécialisés dans la décoration à petits prix). Il propose de conserver la marque et l’activité de Tati. Il reprendrait plus de 100 magasins et 1 200 salariés, a indiqué une source proche du dossier selon France Bleu Paris Région. Le magasin historique du boulevard Barbès à Paris pourrait être repris. Gifi prévoit de mobiliser 80 millions d’euros pour relancer l’enseigne. Il maintiendrait le siège à la Plaine Saint-Denis. Le fondateur de Gifi se donne deux ans pour que l’entreprise soit à nouveau rentable. La deuxième offre ferme viendrait du consortium qui regroupe la Foir-fouille, Centrakor et Stokomani. Il aurait lui aussi déposé un dossier de reprise.

Les syndicats refusent de payer la note

A l’heure des grandes manoeuvres, les syndicats restent mobilisés, redoutant que la liquidation des six milliards de dettes cumulées par Tati sur les 3 derniers mois ne se fasse au détriment des emplois :

« Il y a un mois pourtant le groupe Eram affirmait que Tati n’avait plus aucune dette. Résultat, le groupe Eram pourrait faire payer sa dette et le plan de licenciements par les contribuables » a déploré Nicole Coger, déléguée syndicale pour la CGT, premier syndicat de l’enseigne, craignant pour la survie de « plus de 700 emplois ».

Un chiffre qui colle avec l’espoir de la direction de sauver plus de 1 000 emplois dans le groupe. Le nom du repreneur pourrait être connu très rapidement, en juin prochain.

Maëlle Lafond