En France, les personnes trans sont constamment victimes de discriminations, aussi bien dans le cadre privé que dans l’espace public. À la clé, un épuisement psychologique, qui peut les pousser au suicide.
« On sait que, tous les ans, on va finir par enterrer des potes », constate laconiquement Nao, jeune homme trans de 23 ans et étudiant en informatique. Trois de ses connaissances se sont récemment données la mort.
La semaine dernière, l’association de défense des personnes trans, ACCEPTESS-T, se déclarait « encore en deuil » après les décès de deux femmes trans, survenus à quelques jours d’intervalle. Sasha avait 22 ans, elle s’est suicidée. Ivanna avait 31 ans, elle a été assassinée. Ces deux décès, aussi rapprochés, ne sont pas le fruit du hasard. Ils mettent en lumière une réalité bien connue des chercheur.euse.s : les personnes trans sont une population dite « à risque », tout particulièrement susceptibles de développer des idées suicidaires et d’être victimes de violences pouvant aller jusqu’au meurtre.
Bonjour
Acceptess-T et les communautés trans, sommes encore une fois en deuil.
Deux femmes trans sont mortes cette semaine. 1/6
— ACCEPTESS-T (@acceptesst) September 18, 2021
La transphobie, partout, tout le temps
Les personnes trans sont victimes de discriminations au quotidien, partout, tant dans l’espace privé que public. Nao en témoigne : « J’ai vécu beaucoup de transphobie de la part de mon entourage, que ça soit de la part d’ami.es, de ma famille, au travail… » Cela va du mégenrage – le fait de se tromper, volontairement ou non, de genre lorsque l’on s’adresse à une personne trans – aux violences physiques, en passant par le refus d’accéder à des services administratifs ou médicaux, les difficultés judiciaires à faire changer son état civil ou encore l’exclusion des femmes trans de la PMA pour toutes.
« Il y a un continuum de la transphobie, explique le sociologue spécialisé dans le genre et les discriminations, Arnaud Alessandrin. Il n’y a pas un domaine où la sur-victimisation des personnes trans n’est pas présente. »
« J’ai vécu beaucoup de transphobie de la part de mon entourage, que ça soit de la part d’ami.es, de ma famille, au travail… »
Arnaud Alessandrin analyse la transphobie comme « une succession de ruptures qui se manifeste par la fréquence et l’intensité des discriminations ». Les personnes trans se retrouvent isolées socialement, ostracisées. « Certes, la transphobie tue, mais c’est aussi que l’on ne laisse pas vivre les personnes trans », déplore le chercheur.
Les personnes trans sont bien plus nombreuses que les personnes cisgenres à faire des tentatives de suicide. Difficile néanmoins de quantifier précisément le phénomène. « Il faut prendre les chiffres avec des pincettes », met ainsi en garde Arnaud Alessandrin. En 2015, il avait publié une étude qui montrait, entre autres, que 85% des personnes trans avaient été victimes d’actes transphobes et que 46% étaient tombées en dépression ensuite. Mais, la transphobie et le mal-être des personnes trans dépendent pour beaucoup du contexte juridique et sociologique du pays. Et, « entre 2014 et 2022, les cartes ont été rebattues ». Pour le sociologue, il vaut mieux se fier aux analyses qualitatives des témoignages des personnes transgenres.
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Les jeunes et les précaires, encore plus à risque
D’après Arnaud Alessandrin, deux catégories de personnes trans sont encore plus susceptibles d’être victimes de violences transphobes : les personnes précaires (travailleur.euse.s du sexe, migrant.es, personnes sans domicile fixe) et les jeunes, en particulier les mineurs et les étudiant.e.s. Pour lui, l’État doit commencer par mettre l’accent sur la protection et l’accompagnement de ces deux types de publics. Sasha et Ivanna faisaient justement partie de ces personnes très à risque. Ivanna était péruvienne sans-papiers et travailleuse du sexe. Sasha venait de Rennes et faisait des études de mode et de design à Paris.
Par ailleurs, Sasha était bien entourée. Ses parents, notamment, étaient présents, mobilisés à ses côtés pour l’aider à être reconnue pleinement en tant que femme. Mais, la difficulté à atteindre cette reconnaissance complète, le poids des discriminations répétées, ont constitués ce qu’elle a elle-même qualifié de souffrance « chaque jour insurmontable ».
Dans un hommage à Sasha, la militante Lexie, autrice d’Une histoire de genres (éditions Marabout) écrit : « La transphobie est le loup qui guette depuis la forêt. La foule en colère qui hurle au monstre et la foudre qui s’abat du ciel. Personne n’est faible d’être atteint par la transphobie. Shasha n’était pas faible.
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Bénédicte Gilles