En France, les personnes trans sont constamment victimes de discriminations, aussi bien dans le cadre privé que dans l’espace public. À la clé, un épuisement psychologique, qui peut les pousser au suicide.
« On sait que, tous les ans, on va finir par enterrer des potes », constate laconiquement Nao, jeune homme trans de 23 ans et étudiant en informatique. Trois de ses connaissances se sont récemment données la mort.
La semaine dernière, l’association de défense des personnes trans, ACCEPTESS-T, se déclarait « encore en deuil » après les décès de deux femmes trans, survenus à quelques jours d’intervalle. Sasha avait 22 ans, elle s’est suicidée. Ivanna avait 31 ans, elle a été assassinée. Ces deux décès, aussi rapprochés, ne sont pas le fruit du hasard. Ils mettent en lumière une réalité bien connue des chercheur.euse.s : les personnes trans sont une population dite « à risque », tout particulièrement susceptibles de développer des idées suicidaires et d’être victimes de violences pouvant aller jusqu’au meurtre.
Bonjour
Acceptess-T et les communautés trans, sommes encore une fois en deuil.
Les personnes trans sont victimes de discriminations au quotidien, partout, tant dans l’espace privé que public. Nao en témoigne : « J’ai vécu beaucoup de transphobie de la part de mon entourage, que ça soit de la part d’ami.es, de ma famille, au travail… » Cela va du mégenrage – le fait de se tromper, volontairement ou non, de genre lorsque l’on s’adresse à une personne trans – aux violences physiques, en passant par le refus d’accéder à des services administratifs ou médicaux, les difficultés judiciaires à faire changer son état civil ou encore l’exclusion des femmes trans de la PMA pour toutes.
« Il y a un continuum de la transphobie, explique le sociologue spécialisé dans le genre et les discriminations, Arnaud Alessandrin. Il n’y a pas un domaine où la sur-victimisation des personnes trans n’est pas présente. »
« J’ai vécu beaucoup de transphobie de la part de mon entourage, que ça soit de la part d’ami.es, de ma famille, au travail… »
Arnaud Alessandrin analyse la transphobie comme « une succession de ruptures qui se manifeste par la fréquence et l’intensité des discriminations ». Les personnes trans se retrouvent isolées socialement, ostracisées. « Certes, la transphobie tue, mais c’est aussi que l’on ne laisse pas vivre les personnes trans », déplore le chercheur.
Les personnes trans sont bien plus nombreuses que les personnes cisgenres à faire des tentatives de suicide. Difficile néanmoins de quantifier précisément le phénomène. « Il faut prendre les chiffres avec des pincettes », met ainsi en garde Arnaud Alessandrin. En 2015, il avait publié une étude qui montrait, entre autres, que 85% des personnes trans avaient été victimes d’actes transphobes et que 46% étaient tombées en dépression ensuite. Mais, la transphobie et le mal-être des personnes trans dépendent pour beaucoup du contexte juridique et sociologique du pays. Et, « entre 2014 et 2022, les cartes ont été rebattues ». Pour le sociologue, il vaut mieux se fier aux analyses qualitatives des témoignages des personnes transgenres.
D’après Arnaud Alessandrin, deux catégories de personnes trans sont encore plus susceptibles d’être victimes de violences transphobes : les personnes précaires (travailleur.euse.s du sexe, migrant.es, personnes sans domicile fixe) et les jeunes, en particulier les mineurs et les étudiant.e.s. Pour lui, l’État doit commencer par mettre l’accent sur la protection et l’accompagnement de ces deux types de publics. Sasha et Ivanna faisaient justement partie de ces personnes très à risque. Ivanna était péruvienne sans-papiers et travailleuse du sexe. Sasha venait de Rennes et faisait des études de mode et de design à Paris.
Par ailleurs, Sasha était bien entourée. Ses parents, notamment, étaient présents, mobilisés à ses côtés pour l’aider à être reconnue pleinement en tant que femme. Mais, la difficulté à atteindre cette reconnaissance complète, le poids des discriminations répétées, ont constitués ce qu’elle a elle-même qualifié de souffrance « chaque jour insurmontable ».
Dans un hommage à Sasha, la militante Lexie, autrice d’Une histoire de genres (éditions Marabout) écrit : « La transphobie est le loup qui guette depuis la forêt. La foule en colère qui hurle au monstre et la foudre qui s’abat du ciel. Personne n’est faible d’être atteint par la transphobie. Shasha n’était pas faible.
Drag queens, travestissement, musique techno… Très présente dans le milieu de la nuit parisienne, la communauté LGBT met sa culture si unique au service de soirées populaires. Trop populaires, peut-être. Les soirées LGBT, victimes de leur succès, attirent un public très large, parfois même au détriment des membres de la communauté, qui recherchent alors une transgression plus forte encore.
« J’évite les soirées hétéro, il s’y passe rien. On s’amuse tellement plus dans les soirées gay ! » Ces mots, ce sont ceux d’Adèle Cano, habituée du bar le Mastroquet, dans le 12e arrondissement parisien. Autour d’elle, ce sont surtout des groupes de même sexe qui dansent, boivent et s’amusent. Sur la scène, deux drag queens se déhanchent au son d’une musique techno endiablée. Adèle est hétérosexuelle, mais elle se mêle aisément aux populations diverses habituées des lieux de sociabilité homosexuels. Pour elles, la fête l’emporte ; et c’est encore dans les lieux LGBT que l’on s’amuse le plus.
« Les soirées estampillées gay attirent un gros public, bien plus large que la simple communauté LGBT à Paris », explique Hugo Platière, collaborateur de la soirée House of Moda et habitué du milieu. Les principaux collectifs organisateurs de soirées LGBT à Paris sont au nombre de quatre. La Flash Cocotte est l’une des soirées parisiennes les plus connues, grâce à Anne-Claire Gallet qui est l’une des DJs les plus présentes du milieu. Il y a aussi la House of Moda, qui est l’archétype de la soirée queer, avec beaucoup de drag queens, de gens déguisés et un thème centré sur la culture queer. Il y a également la soirée Bizarre Love Triangle au Maxim’s et le Bal Con.
« Queer », c’est l’adjectif employé pour décrire ces bars, boîtes de nuits et clubs animés par et pour un public homosexuel, bisexuel, trans ou autre. Un seul mot d’ordre : échapper au modèle hétérosexuel et aux rôles de genre classiques. « Queer, c’est quelque chose de plus grand que la seule communauté LGBT », selon Hugo Platière. « C’est une volonté d’assumer l’individu tel qu’il est, d’assumer ses différences, d’assumer son anormalité supposée. C’est une culture qui entoure le monde de la nuit et la fête, propre à la communauté LGBT, et qui aujourd’hui séduit un public toujours plus large. »
Une originalité qui attire
Marginalisée pendant des siècles, la communauté LGBT a appris à se serrer les coudes. La population LGBT avait besoin de se retrouver, la nuit parisienne est finalement devenu son environnement naturel, et pas uniquement un lieu de détente occasionnel.
« Pour la communauté LGBT, le clubbing représente quelque chose d’important parce que c’est le lieu par excellence où les minorités n’ont pas à subir l’oppression ordinaire que l’on rencontre dans la vie quotidienne », analyse Hugo Platière. Et cela se ressent. « Pouvoir se lâcher sans avoir peur du regard d’autrui », c’est la réponse qui est sur toutes les lèvres lorsque l’on demande ce que ces lieux apportent d’unique. « La culture gay est une culture gaie », affirme Wilfried Auvigne, patron d’un bar gay.
Des divertissements de qualité, de la bonne musique, des activités créatives… Autant de raisons évoquées pour justifier la popularité des soirées queer. « La culture LGBT, c’est aussi une culture de la musique, de la fête, du déguisement, qui se ressent dans ces soirées-là. », dit Hugo Platière. « Ces soirées sont faites pour que personne ne se sente mal à l’aise ou pas à sa place dans cet environnement. »
Les soirées queer sont un royaume d’exubérance dont les drag queens sont les reines. Incontournables de la culture queer, ces individus sont adeptes du déguisement, de l’exagération et de la subversion. Tous les jeudis, la scène du bar gay Le Mastroquet est envahie par Cookie Kunty, une drag queen aux airs de vraie reine : diadème clinquant, maquillage coloré encadré par une large perruque blond platine, elle parade dans son manteau de fourrure encombrant. Manteau qu’elle n’hésite pas à délaisser pour une robe de soirée élégante lorsqu’elle envahit la scène. Et elle danse, se déhanche sans gène, ses lèvres remuant au rythme du playback. Elle n’hésite pas à marcher au milieu du public, aussi, à toucher, parler et plaisanter avec les clients, dans une ambiance à la fois envoûtante et détendue.
« Ce n’est pas dans des soirées hétéro que tu vas trouver de telles performances. Il va peut-être y avoir de bons DJs ou des danseurs, mais c’est très impersonnel et ils ne vont pas échanger avec toi », expose Eloise Gaspard, habituée du Mastroquet. Une heure après, la jeune femme discutait autour d’un verre avec Cookie Kunty.
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Un phénomène en pleine expansion
« Il n’y aurait pas de soirées techno hétéros si les pédés n’étaient pas passés par là. » Avec cette phrase lapidaire, Hugo Platière exprime quarante ans de culture LGBT souvent ignorés.
L’origine même des soirées techno se retrouve dans les milieux noir et gay américains des années 80. « Quand on va dans une soirée techno, c’est l’héritage d’une certaine culture gay, d’une certaine culture des minorités. On a tendance à l’oublier, mais la communauté LGBT a largement contribué à structurer ce qu’est la nuit aujourd’hui. Ce sont surtout des DJs LGBT, des DJs de minorités qui ont contribué à la culture du clubbing. Le clubbing est un outil d’émancipation. C’est un environnement parfait pour l’expression des minorités. »
Dans les années 90, la peur de la drogue donne lieu à une répression du clubbing, des raves et des soirées à ciel ouvert. Le milieu homosexuel français, particulièrement impliqué dans la culture des soirées subversives, est marginalisé du même coup. Dès la fin des années 2000, on voit un renouveau de la culture des soirées LGBT. Le Pulp, le plus grand club lesbien de Paris, ferme en 2007. En, réaction, les organisateurs de soirées queer s’attèlent alors à proposer un nouveau format de soirées plus moderne. « Cela fait une petite dizaine d’années que le clubbing techno et le clubbing LGBT ont prit leur envol et évoluent parallèlement », conclut Hugo Platière.
Les soirées LGBT sont donc un phénomène jeune, en pleine expansion, et qui séduit plus d’un public. Aujourd’hui, difficile d’aller dans une soirée queer sans croiser des fêtards hétéros, ou dans une soirée classique sans retrouver des éléments propres à la culture queer. Pour Hugo Platière, « c’est un gage de qualité, quand tu prends un petit peu de la culture queer, ça donne un cachet cool à la soirée. C’est très bien que ça se mélange, mais il ne faudrait pas pomper l’esthétique des soirées queer sans être plus tolérant avec les personnes LGBT. »
De la normalisation à la subversion
Les soirées queer sont extrêmement populaires. Confrontée à la normalisation de ses codes, valeurs et modes d’expression, une partie de la communauté LGBT amplifie la subversion.
Pour certains, cela passe par l’interdiction pour certaines populations d’accéder à des soirées. Une décision pour « se protéger contre l’homophobie » que Hugo Platière défend avec un certain agacement. Lui, comme de nombreuses autres personnes, a été victime d’actes homophobes ; ceux-ci ont connu une augmentation de 19,5% en 2016 selon SOS Homophobie. « Oui, aujourd’hui, il y a des soirées interdites aux hétéros, ou réservées aux femmes ou aux hommes. La convergence des luttes et la non mixité sont en train d’exploser au niveau politique. »
D’autres franges de la communauté LGBT ont choisi de mettre sur pied des événements plus portés sur la sexualité pour marquer leur individualité. Dans le bar lesbien la Mutinerie, c’est priorité absolue aux femmes et aux transsexuels en cas de forte fréquentation. C’était le cas pendant le festival « Porn Yourself », qui avait lieu à Paris du 18 au 21 mai. Samedi 20 au soir, c’est l’artiste transsexuelle Emi Fem qui réalise une performance. Sur le titre Fever de Peggy Lee, et en marchant autour d’un vélo, elle enlève progressivement ses vêtements puis ses sous-vêtements, du bas vers le haut. Après s’être aspergée d’huile puis de champagne, elle entreprend de mimer un acte sexuel avec son vélo qu’elle couche par terre. A la fin de la performance, Emi Fem fend la foule sous les cris d’enthousiasme.
Les réactions du public à ces nouveaux modes d’expressions sont contrastées. Julien, co-gérant de la Mutinerie considère ces performances comme une facteur d’acceptation : « La culture queer a des codes qui lui sont propres et s’adresse à un public qui la connaît et la comprend. Le but de ces performances, c’est de dire : « Regardez comme on peut être sexy. Je suis désirable tel que je suis » ». Des films pornographiques à tendances sado-masochistes ont aussi été projetés pendant ce festival. L’un d’entre eux mettaient en scène une pianiste et sa professeure qui lui versaient de la cire rouge brûlante sur tous le corps avant de la fouetter. Ces projections n’ont pas fait l’unanimité dans l’assistance. « J’ai trouvé cela vraiment offusquant. Je suis sortie jusqu’à la fin de la projection. C’était assez hard et je trouve cela bizarre de regarder cela tous ensemble. Je viens assez souvent dans ce bar et c’est la première fois que je suis choquée. Je pense que l’objectif, c’est de montrer une différence par rapport aux hétérosexuels, mais le faire à ce point, cela n’a pas de sens », réagit Amina, 22 ans.
Tout l’enjeu de ce genre de manifestations est de conserver l’identité particulière des habitués sans être exclure qui que ce soit. «C’était original et courageux de projeter des films pornographiques. On a été étonnées mais pas choquées. On comprend que certaines personnes aient pu l’être. C’est sûr qu’il y a une culture spécifiquement queer mais elle doit aussi être ouverte à ceux qui veulent y entrer», témoignent Tiphaine, Charlotte et Eva, habituées de la Mutinerie.
Après 22 heures, la Mutinerie retrouve son visage habituel, tout le monde se retrouve au bar et sur la piste de danse, redevenant ainsi un lieu de sociabilité LGBT plus traditionnel, à la fois convivial et surprenant.